Ce recueil propose trois belles nouvelles de
Yasushi Inoue. Dans la nouvelle éponyme, le narrateur, chasseur passionné, découvre au cours de sa partie du jour un mouchoir à ses pieds…il le reconnaît, il appartient à sa femme. Il y avait bien une vague rumeur qui courait au bourg sur son infidélité avec un jeune homme. Alors quelques jours après, retournant à
la chasse dans les collines, il se poste en vision du lieu supposé de la rencontre entre les tourtereaux, dans l'attente…Que va faire cette homme armé, qui prend soudain conscience de sa propre incapacité à avoir aimé sa femme quand il n'a vécu que pour la chasse ? Il y a comme du
Maupassant dans cette courte nouvelle champêtre.
Dans veillée funèbre, Niizu, un homme dans la force de l'âge, décède brutalement. L'alcool n'y est pas pour rien. Avant les funérailles, devant la dépouille, trois femmes sont là. Sa femme Yukiko, une ancienne maîtresse, Hideya, et une jeune femme qui se fait remarquer en soulevant le drap mortuaire pour voir un instant le visage du défunt. C'est que cette femme, Kiyo Mizushima, jeune veuve d'un militaire tombé au combat, a été la compagne du mort pendant les trois dernières années de sa vie. Yukiko avait laissé partir Niizu du domicile familial de Tôkyô, après qu'il eut démissionné du journal pour lequel il écrivait. Il était parti vivre dans la campagne montagneuse de la région du Chûgoku (Où se trouve notamment Hiroshima). Là, Kiyo, à qui il avait promis une aventure des années plus tôt lors de leur rencontre chez la geisha Hideya, l'avait rejoint. A travers sa voix, nous allons reconstituer leur vie commune telle qu'elle l'a vécue. Elle s'adresse d'abord dans une lettre à sa rivale Yuki-san, puis dans une seconde au défunt Niizu
lui-même. Cette femme nous livre les états d'âme qui l'ont tourmentée, ses souffrances, ses émotions, les secrets, les mensonges qui ont marqué cette relation. Dans ce point de vue à sens unique, Yukiko apparaît comme une femme froide, dont pourtant Niizu ne se sera jamais détaché véritablement, alors que Kiyo nous scande son douloureux amour pour
lui. le procédé littéraire, le trio amoureux, le vecteur épistolaire, rappelle ce
lui employé dans
le fusil de chasse. Il s'agit de la nouvelle phare du recueil, en raison de sa longueur et de l'épaisseur psychologique de Kiyo.
Dans Sannomiya en feu, nous sommes transportés dans le quartier populaire de Sannomiya à Kobe, dans un Japon aux abois à l'approche de la fin de la seconde guerre mondiale. Omitsu, notre héroïne, est membre d'un groupe de filles, une demi-douzaine de zonardes. En vadrouille dans un quartier plus huppé de la ville, elle couche une fois avec un jeune tombeur, Akino, qui
lui-même a une relation avec une femme protectrice d'allure bourgeoise. Elle en tombe amoureuse, mais
lui comme beaucoup de jeunes hommes disparaissent, happés par la guerre…Et bientôt, le quartier de Sannomiya voit le feu guerrier le gagner, faisant éclater le groupe de filles. Dans le chaos des bombardements et des incendies destructeurs, puis dans les mois qui suivront, auront-elles pu survivre, et peut-être pu se revoir ? Une nouvelle qui m'a semblée originale dans l'oeuvre d'
Inoue, avec des personnages pour une fois de classe sociale très populaire, dans le contexte de descente aux enfers du pays en 1945.
Comme dans ses
romans intimistes,
Inoue nous fait vivre les tensions, dilemmes et souffrances psychologiques qui tourmentent ses personnages avec une acuité, une pertinence, et une sensibilité exceptionnelles. L'auteur du fusil de chasse est décidément d'une finesse rare, je suis toujours frappé par sa capacité à plonger dans l'âme de ses personnages, souvent féminins, par l'équilibre de son ton, sensible, poétique mais qui reste simple, sans emphase émotionnelle, servi par un style d'une belle élégance classique, du moins tel qu'il ressort des diverses traductions. Un vrai bonheur de lecture que ces trois nouvelles, qui prouvent encore l'immense talent de cet écrivain incontournable dans la littérature japonaise du siècle dernier.