Après "La
naissance d'un pont" (2010), roman que je n'avais que moyennement apprécié, j'avais été conquis par "
Réparer les vivants" (2014). Il est parfois intéressant de découvrir a posteriori les premiers textes d'un écrivain. Les deux nouvelles dont il est question ici ont été publiées en 2006 et laissent clairement apparaître le style et la manière de Maylis de
Kerangal.
Prémonitoires, ces deux récits mettent face à face morts et vivants. Les morts et les primes qu'ils peuvent rapporter à ceux qui les repêchent, les vivants avec la jalousie qui peut s'intercaler entre deux garçons quand survient une fille.
Qu'elles soient fondées sur une sérieuse recherche bibliographique pour la première ou sur une expérience probablement partiellement autobiographique pour la seconde, ces deux nouvelles manifestent l'aptitude de l'auteure à rendre présent et prégnant le cadre dans lequel se déroule l'action.
La phrase, elle, mélange un peu tout : l'environnement physique, l'action, la pensée et la parole. « Elle a dit j'ai froid alors que l'aube montante grisait la mer, révélant leur sillage — une mousse langoureuse et furtive, il faut dire qu'ils allaient si lentement — et Finbarr a répondu on rentre. ». le vocabulaire est d'une grande (trop ?) grande richesse quoique ne faisant appel qu'à un registre de termes courants. Brassez le tout sans guillemets, ajoutez-y des incises entre tirets et vous aurez un aperçu du style de l'auteure. Je ne sais par quelle magie elle arrive à vous embarquer dans l'instant. Est-ce par le rythme même de la phrase ? Par le recours fréquent aux petits détails ?
Quoique abusant moi-même des parenthèses et autres tirets pour glisser un commentaire au sein d'un énoncé, je reste perplexe devant l'usage qu'en fait
Maylis de Kerangal. On s'y perd parfois, surtout quand l'incise termine la phrase : là où on attend un tiret de fermeture on tombe sur un point, ce qui est correct, mais déconcertant quand dans la même page plusieurs paires de tirets cadratins sont utilisées. Ainsi : « Il déchiffre l'affichette placardée sur le mur — lire, il sait, un mot après l'autre, mais toujours il se méfie, la peur de ne pas comprendre ce qui se dit dans les mots. » aurait pu être présenté autrement, par exemple en remplaçant le "—" par un point-virgule. Il est vrai qu'au temps des émoticônes, ce signe double a entrepris ailleurs une rapide reconversion...
Mais qui suis-je pour juger du style de l'auteure ? Ne devrais-je pas me contenter de vous transmettre le plaisir que la lecture de ces deux escapades —l'une en mer, l'autre sur les pentes d'un volcan— m'a procuré ?