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Claude Frioux (Préfacier, etc.)Christian David (Traducteur)
EAN : 9782070306725
464 pages
Gallimard (30/11/-1)
4.17/5   56 notes
Résumé :
«Maïakovski est célèbre mais qu'en connaît le lecteur français ? Les précieux florilèges qui ont essentiellement révélé son existence ne pouvaient donner plus que des échantillons très divers. Ces fragments communiquaient une idée juste de l'écriture, de l'humeur, du tempérament maïakovskien. Mais il en émane l'impression d'une oeuvre aux facettes multiples, rapides et changeantes, soudées principalement par le dynamisme d'une personnalité. C'est dans ce cadre qu'on... >Voir plus
Que lire après A pleine voix. Anthologie poétique, 1915-1930Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Le souvenir de l'Histoire n'est jamais neutre. Il se raconte en fonction de ce que la mémoire collective a décidé de mettre en avant tout en repoussant dans l'ombre d'autres faits. Prenez le communisme par exemple, sa simple évocation amène le même lot d'images mentales chez beaucoup d'entre-nous : La gouaille de Lénine, le marteau et l'enclume, la moustache dictatoriale de Staline, les camps de travail forcé du goulag, les millions de mort et la politique de la délation généralisée ! Il faudrait être fou pour nier ces faits de l'Histoire mais il s'agit aussi d'un carcan dont l'imaginaire collectif a du mal à sortir, allant même jusqu'à fantasmer ce qui l'a précédé: le tsarisme.

Loin du faste des palais et de l'argenterie des tsars, une majorité de russes vivaient dans le dénuement. Nombre d'entre eux étaient des moujiks qui croupissaient dans les miasmes et n'avaient pas réellement de droits. Un pas de travers ou une opposition vis-à-vis du pouvoir en place et c'était un billet assuré pour la katorga, un camp de travail qui avait déjà tout du goulag.

Le poète Vladimir Maïakovski fut un de ceux qui fit le trait d'union entre l'Empire tsariste et la Russie communiste. Ses poèmes sont connus pour avoir chamboulé la langue russe et donnent à voir, entre autres, ce qui animait le coeur d'un révolutionnaire communiste au début du XXème siècle. “À pleine voix” est un recueil qui reprend ses textes de 1915 à 1930 dont voici la petite analyse.

Qui était Maïakovski ?

Vladimir Vladimirovitch Maïakovski est né le 7 juillet 1893 à Baghdati (Géorgie). Il passe son enfance dans cette région du Caucase jusqu'à la mort de son père en 1906. La famille déménage alors à Moscou et Maïakovski commence à fréquenter le milieu bolchevique, ce qui lui vaudra d'être arrêté trois fois pour conspiration et d'être incarcéré, pendant cinq mois, en cellule d'isolement à la prison de Boutyrki. Il est alors à peine âgé de 16 ans ! C'est durant cette incarcération que l'auteur russe écrit ses premiers poèmes et à sa sortie de prison il s'inscrit aux Beaux-Arts et se lie à un groupe d'artistes qui portent le courant futuriste russe dont il sera bientôt la figure de proue. Les futuristes réinventaient une nouvelle culture en rejetant les formes anciennes de l'art. Maïakovski s'emploie alors à dépoussiérer la poésie russe en composant des textes au rythme syncopé, qu'il déclamera à qui veut bien l'entendre au quatre coins de la Russie.

En 1915 il rencontre pour la première fois Lili Brik (la soeur aînée d'Elsa Triolet) avec qui il ne cessera d'avoir une relation tumultueuse. Ils se sépareront à de multiples reprises, feront ménage à trois, se quitteront à nouveau mais garderont cette passion destructrice jusqu'au bout.

Lors de la Révolution d'Octobre de 1917, Maïakovski est évidemment du côté des bolcheviques. Il crée des affiches et ses poèmes prennent une portée politique. Il continue sa recherche artistique sous de nouvelles formes telles que le théâtre, le cinéma tout en continuant l'écriture de ses textes. À partir de 1929, le poète russe se rend compte de la dérive autoritaire du parti communiste, crée des pièces satiriques et traite la révolution “d'opéra-bouffe” et se rend compte qu'il a été le poète de l'appareil d'État. Trop tard. le 14 avril 1930 Vladimir Maïakovski se suicide d'une balle dans le coeur. Son nom sera tour à tour porté aux nues, déconsidéré, oublié, réhabilité, mis à l'index et finalement redécouvert par les générations suivantes.

[...] Dans mon dos délabré ricanent et hennissent les candélabres.

On ne pourrait ici me reconnaître :
boule de nerfs
crispée
qui se lamente.
Qu'est-il besoin pour un tel double-mètre ?
Mais tant de choses le tourmentent !

Qu'est-ce que ça peut bien faire
et que l'on soit de bronze
et que le coeur soit un morceau de fer ?
Son bruit, la nuit, on désire l'éteindre
dans quelque chose de tendre,
de féminin.

Me voici
colossal,
arc-boutant la fenêtre.
De mon front je fais fondre la vitre.
L'amour va-t-il ou pas naître ?
Quel amour —
un grand amour ou une amourette ?

De quelle part un grand amour dans un tel corps :
ce devrait être une petite
amourette paisible
qui prend la fuite devant les cornes d'automobiles
et qui raffole des grelots des trams hippomobiles [...]

Cet extrait du long poème le nuage en pantalon montre l'imagination débordante du poète russe que l'on surnommait le « double mètre » dû à sa très grande taille. Maïakovski se déjoue alors de la poésie classique et mène une réflexion artistique mêlant réalisme et absurde. le côté ampoulé de la poésie russe est remisé au placard. L'auteur apporte une vraie rupture de style grâce à un rythme effréné et saccadé. On retrouve dans ses textes une irrésistible envie de rompre avec la tradition esthétique afin d'entrer de ce qu'il considérait comme la modernité. Certains de ses poèmes sont des machines lancées à toute vitesse qui eurent un écho considérable dans toute la Russie lors du début du XXème siècle. Imaginez un peuple habitué aux classicisme qui voit arriver un gaillard charismatique de deux mètres, et qui déclame des vers exaltés tel un long cri révolutionnaire.

[ ...] Stop !
Je dépose sur un nuage
la charge
de mes affaires
et de mon corps fatigué.
Endroit propice où je n'étais jamais venu avant.

J'examine le lieux.
Ainsi
ce poli bien léché,
c'est donc cela le ciel que l'on nous vante.

Nous verrons, nous verrons !

Ça étincelle,
ça scintille,
ça brille
et
cela bruit —
un nuage
ou bien
des esprits
qui glissent sans bruit [...]

Ce recueil poétique permet aussi d'apercevoir cette passion dévorante qu'avait Maïakovski pour Lili Brik puisque beaucoup de poèmes sont dédiés à celle qui l'embarqua dans une histoire d'amour chaotique. le poète russe se sent désabusé et derrière la façade des mots futuristes (pour l'époque) Maïakovski laisse apparaitre une faille béante : son incapacité à être heureux en amour. Seule la mort lui fera cesser d'écrire des textes pour « sa » Lili.

Enfin, et c'est aussi ce pour quoi Vladimir Maïakovski est connu, il écrivit des poèmes révolutionnaires tels que 1 500 000 où il prend la voix de cent cinquante millions de russes ou encore le texte sobrement intitulé Vladimir Ilitch Lénine qui est un hommage à l'homme d'État communiste alors que ce dernier ne fit aucun cadeau au poète russe, notamment en qualifiant certains de ses poèmes de « prétentieux et stupides ». Maïakovski était comme cela, emporté par ses idéaux politiques sur fond de Révolution d'Octobre alors que la suite de l'Histoire aura montré l'Horreur du communisme à la face du monde. Un révolutionnaire dans l'âme qui fut, après sa mort, récupéré, utilisé et étiqueté poète de l'appareil d'État soviétique. Qu'en aurait pensé le poète russe? 😉

Il reste un poète visionnaire en Russie mais aussi de part le Monde puisqu'il exerça une influence considérable sur Pasternak, Aragon ou encore Brecht.

À bientôt
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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« A pleine Voix », Anthologie poétique (1915-1930) est composé de onze chapitres traitant de la guerre, de lui-même dans l'homme, de son amour pour Lili et de politique. L'homme engagé est déçu par la révolution !
Ce beau ténébreux, cet amoureux fou de Lili Brik la soeur d'Elsa triolet est souvent malheureux et souffre tragiquement. Il écrit ses premiers poèmes en 1912 lors d'un séjour en prison.
Il déteste la guerre et pourtant il est sensible aux idées révolutionnaires, lors de meetings politiques il prend la parole, la foule l'écoute, il a un charisme fou.
Maïakovski, il faut le lire à haute voix, le déclamer pour bien profiter des sonorités, du rythme et s'en imprégner.
J'ai particulièrement aimé, « Nuage en pantalon » et « Ça va bien » la forme, et la disposition des vers de « ces narrations versifiées » donnent du rythme à sa poésie aux tonalités lyriques ou militantes.

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Difficile d'exprimer une autre vision que celle du gigantesque artistique, pour ce recueil avant-gardiste futuriste, révolutionnant la poésie russe et européenne au même titre que le mouvement surréaliste en occident. Poète d'une nouvelle ère, d'un univers de chaos ressuscité, naissant du tourbillon violent de la révolution russe de 1917, Maïakovski bouleverse le monde littéraire, artistique russe, bousculant les codes anciens, faisant table rase d'un passé honni. Agissant comme un Phoenix des temps modernes, un messie de l'art révolutionnaire, il est sur tous les fronts pour transcender la pensée slave, créer l'homme nouveau à l'esthétique rénovée, fusionnant avec l'idée de progrès, d'urbanité renouvelée. Sa poésie est surhumaine, incarnant un monde aux vastes étendues expérimentales infinies, elle hurle comme un slogan, une révolte culturelle permanente, constructions poétiques affichées comme des tableaux abstraits, mélangeant dialectique politique, rhétorique exaltée, mise en page didactique à la manière d'un artiste cubiste. Vladimir Maiakovski est un poète unique par son charisme artistique, mais aussi par son intransigeance face au réel décevant, l'entraînant dans un fatalisme existentiel à l'issue irréparable.

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À pleine voix, livre a-t-il jamais aussi bien porté son titre... À pleine voix et d'une voix pleine, ce recueil est un cri, déchirant. Certains ne sont pas simplement des poetes, ou des auteurs. Pas même des maîtres. Ils sont une plaie vive et ce qui s'en écoule est plus que des mots.
Je n'aime pas Maiakovski, je me courbe sous sa plume, je l'idolâtre.
On referme le recueil comme secoué, quelque chose de violent s'est produit. Les vers de Maiakovski résonnent fort et longtemps. Pour toujours je l'espère.
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D'une beauté démesurée....
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Écoutez !
Puisqu'on allume les étoiles,
c'est qu'elles sont à
quelqu'un nécessaires?
C'est que quelqu'un désire
qu'elles soient?
C'est que quelqu'un dit perles
ces crachats?
Et, forçant la bourrasque à midi des poussières,
il fonce jusqu'à Dieu,
craint d'arriver trop tard, pleure,
baise sa main noueuse, implore
il lui faut une étoile!
jure qu'il ne peut supporter
son martyre sans étoiles.



Ensuite,
il promène son angoisse,
il fait semblant d'être calme.
Il dit à quelqu'un :
" Maintenant, tu vas mieux,
n'est-ce pas? T'as plus peur ? Dis ? "

Écoutez !
Puisqu'on allume les étoiles,
c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ?
c'est qu'il est indispensable,
que tous les soirs
au-dessus des toits
se mette à luire seule au moins
une étoile?
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Ça va bien

la politique
est simple.
comme une gorgée d'eau.
Ils comprennent,
les gueules
rassasiées,
que si
en Russie
ils mettent le petit doigt
tout
le bras bourgeois
va y passer.
De la "Sûreté générale",
de l'Intelligence Service",
des "Sigurantsa",
et des "Défensives"
sortent
diverses
charognes et saloperies
qui portent
capotes
de couleur grise
et mettent
des bombes
dans leur musettes.
Ça bonde les cales,
les ponts assaillent,
pur l'argent
de l'agence qui recrute.
Vers Novorossisk
ils voguent de Marseille,
de Douvres
vers Arkhangelsk ils font route.
De chants,
de whisky
bourrés comme des porcs,
les eaux glacées
de leurs quilles
ils les labourent.
Les sous-marins
risquent un oeil
au périscope.
Les croiseurs droit au but
balancent leurs obus.
Les mouilleurs
de mines
avec leurs mines se démènent
Et
au-dessus
de tout
les canons
monstrueusement longs
des
dreadnoughts
Répandant les odeurs
de leurs pleins gaz,
fouettant
les nuées de leurs hélices,
les hydravions
de base
en base
vol-
ti-
gent et glissent.
Le capital
a envoyé
de savants capitaines.
Ils attrapent
la gorge
et ils l'étreignent.
Pique
la Blanche, `
pique
la Noire,
la Caspienne
ou la Baltique,—
où que
se pointe
le navire
fini
de rire.
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PROLOGUE

Votre pensée
rêvant dans votre cerveau ramolli,
comme un laquais repu se vautre au gras du lit,
je la taquinerai sur un morceau de cœur sanglant,
j'en rirai tout mon saoul, insolent et cinglant.

Dans mon âme je n'ai pas un seul cheveu blanc,
ni la douceur des vieilles gens !
A mon puissant verbe, le monde est tremblant,
je vais-superbe
avec mes vingt-deux ans

(Le nuage en pantalon)
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Ainsi le veut l'usage

Tout homme à sa naissance hérite de l’amour –
mais les offices,
les rentes,
et tout le reste,
au fil des jours
ça vous endurcit le terreau du cœur :
Sur le cœur est mis un corps,
sur le corps – une chemise.
Mais c’est pas assez beau !
Quelqu’un –
l’idiot –
imposa les manchettes
et répandit l’amidon sur les jabots.
Avec l’âge, on s’avise.
La femme se met des fards.
L’homme fait le moulin comme Muller le stipule.
C’est trop tard.
Ses plis de la peau se multiplient.
L’amour fleurit
un moment –
puis se flétrit.
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La flûte des vertèbres

En un toast
à vous toutes
qui m'avait plu et me plaisez,
icônes bien gardées au creux de l'âme,
comme une coupe je soulève mon crâne
plein à ras bord de poésie.

De plus en plus je me demande
s'il ne serait pas mieux
que je me mette d'une balle un point final.
Aujourd'hui
à tout hasard
je donne un concert d'adieu.
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Videos de Vladimir Maïakovski (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Vladimir Maïakovski
face B du 33 tours du groupe ROSTA déclamant des poèmes de Maïakovsky (en 1977)
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