Amours nomades, comme si l'amour pouvait se contenter d'un point fixe et s'y arrimer...
Il fallait une voyageuse infatigable comme
Isabelle Eberhardt pour dire la ligne de fuite, la quête, l'errance, l'exil, dans ces histoires d'amours impossibles, souvent contrariées par le destin mais aussi par la loi implacable des traditions.
Ici nous traversons l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, nous vagabondons sur un territoire qu'a étreint de son regard et de sa fougue
Isabelle Eberhardt.
Le printemps parfumé d'Oran, les rues blanches d'Alger, Tlemcen, Constantine, les souks de Tunis... Plus loin, au bord des oueds paisibles, nous guettons l'or du ciel qui illumine les vallées et les montagnes. Plus loin encore vient le sirocco du soir qui nous raconte ces histoires venues du tréfonds du désert. Dans ce paysage immuable, nous venons à la rencontre de femmes et d'hommes de la fin du XIXème siècle.
Chaque nouvelle est une histoire d'amour qui nous est contée dans l'affolement d'un coeur qui bat, qui doute, qui espère. L'auteure nous dit la joie de la transgression, l'étonnement voluptueux, la chair d'amoureuse révoltée qui repousse une nuit encore, une nuit plus tard, un peu comme Shéhérazade, l'instant fatidique, la prison du couple, l'enfermement qui viendra à jamais.
Elles s'appellent Achoura, Tatani, Taalith, Melika... Elles tentent de fuir le chemin qui les conduit vers un destin tracé d'avance pour elles. Ceux qui les aiment sont touchants, fragiles, désarmés, quelquefois leur pas vacille au moment où il faudrait qu'il soit ferme. Nous découvrons ce qui n'a guère changé plus d'un siècle plus tard, le mariage forcé des jeunes filles que leur religion impose, une religion inventée par des hommes et pour des hommes...
Ce n'est pas par plaisir que vient la transgression, c'est par un puissant désir de liberté, celui de survivre. D'imaginer la vraie vie.
L'écriture est belle, poétique, sensuelle. Dès les premières pages, j'ai eu l'impression que j'entrais dans un paysage flamboyant de couleurs et d'odeurs. Des myrtes verts, des thuyas, des lauriers-roses étoilés, ici l'eucalyptus déploie ses branches et ses feuilles dans la lumière mauresque, plus loin la fleur chatoyante d'un camphrier nous enivre de ses parfums.
Monter un escalier bleu tandis que la ville dort, franchir un seuil en écartant le rideau qui mène au bonheur, sont des gestes épris d'un effleurement érotique que l'on devine derrière chaque mot, chaque image, chaque pas...
Les
Amours nomades sont clandestines, rebelles, éphémères... Interdites, inavouées, folles surtout car il faut de la folie pour braver les murs. Parfois ce sont des rendez-vous manqués...
Les
Amours nomades se nourrissent de sables émouvants, le désert ardent qui effleure la peau, chavire les corps et les âmes de ces amoureux naufragés éperdus d'azur.
La mort n'est jamais loin, elle vient comme un malheureux présage poser son ombre sur le texte de ces nouvelles. Elle vient nous rappeler qu'
Isabelle Eberhardt mourut tragiquement à l'âge de vingt-sept ans en 1904 dans ce désert qu'elle aimait par-dessus tout.