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EAN : 9782825124475
L'Age d'Homme (12/02/1990)
4.32/5   14 notes
Résumé :
Voici enfin une nouvelle traduction du roman de Mateiu I. Caragiale, ce grand classique de la littérature roumaine devenu indisponible depuis de nombreuses années. Le fils de Ion Luca Caragiale y dépeint la décadence de la société de son pays natal, en particulier de sa capitale.
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Découvrons promptement tous les mystères de "Craii de Curtea-Veche" [1929], que l'on traduit par "Les Seigneurs du Vieux-Castel" (ou "Les Débauchés de la Vieille-Cour"), désormais à portée de main...

Non pas que nous les percerons, un jour... La destinée de ces trois + un (roturier) mousquetaires de l'aristocratie bucarestoise est claire : sans autre issue que la déchéance annoncée... physiologique et socio-économique, mais surtout spirituelle. Puisque l'argent est volatil, l'oisiveté maîtresse, le "crépuscule des Seigneurs" est déjà calligraphié entre les pages les plus sombres du Grand Livre du Destin... (Cf. le titre programmatique de la quatrième et ultime partie).

La syphilis rôde (celle qui a eu la peau — au sens propre comme figuré — de Paul Gauguin ou Guy de Maupassant, et de tant d'autres... )

On pressent bien que ni le (jeune) narrateur, ni le très roué Pașadia [qui se prononce "Pashadia"], ni le très secret Pantazi n'échapperont à la faux de l'Ankou et que la lame de celle-ci s'abattra sur leur cou précocement... (le destin du littérateur Mateiu n'y fera d'ailleurs pas exception)...

Cet arriviste, malin (et agile) comme un singe de Pirgu (il essayera même de tirer quelque chose d'un début de lecture ostentatoire des "Essais" de Michel de MONTAIGNE) aux apparentements tsiganes, leur survivra : il deviendra ministre plénipotentiaire, préfet, dix fois millionnaire...

Il entraînera le trio, à force d'insister (en fin de 1ère partie avec aboutissement logique au long de la quatrième partie) à sa perte : c'est-à-dire "Chez les Arnoteanu, les véritables Arnoteanu" : une souche de boyards en dégénérescence, repliée en son Antre interlope, une sorte d'enfer sur terre... Tripot, bordel et port d'attache d'une famille Rom qui tente de s'élever... Les trois filles, fleurs parmi les "fleurs de Budapest", sont —chacune à sa manière — détentrices de charmes vénéneux... Mima l'ondoyante, Tita la sourde et la jeune demi-soeur (si cultivée et "différente") Ilinca...

Que cherche donc l'âme damnée du trio, Gore "Gorica" Pirgu (patronyme à la consonnance porcine), moitié assassin, moitié "mac", moitié boute-en-train ("Mais cela fait trois moitiés, ce que tu nous dis làààà...", déclamerait l'acteur Raimu...) ? Un petit diable de Mephistopheles en train de sautiller à coup de doubles-saltos arrière dans le rêve terminal du narrateur annonçant la fin prochaine des Trois Mages/Chevaliers & Seigneurs de cette Cour déchue en ce Castel qui n'existe plus...

Seule la vieille (déjà démente) Pena Corcoduşa "sait" et se souvient de la force du Mythe en les poursuivant dans la rue, se prosternant au pied des supposés "Seigneurs"...

S'élève le même chant du cygne qui unissait ces deux familles d'aristocrates turkmènes, les Akyollou et les Sarioglou, acteurs et marionnettes d'une "vendetta" transgénérationnelle dans l'incroyable diptyque romanesque de Yachar KEMAL, "Les Seigneurs de l'Aktchasaz" : "Meurtre au Marché des Forgerons" [« Demirciler çarsisi cinayeti », 1974] suivi de "Tourterelle ma tourterelle"[« Yusufçuk Yusuf », 1975]...

On trouve également des accointances dans les aventures existentielles de ce trio/quatuor bucarestois avec celles des "apprenti-capitalistes" un rien décadents de Lodz (Pologne) qu'ont été Carol Borowiecki, Max Baum et Moritz, ces trois inséparables de du roman-somme de Wladyslaw REYMONT, "La Terre promise" (1899) qui fut brillamment adapté au cinéma par le grand Andrzej Wajda (oeuvre plus connue en France sous le titre "La Terre de la Grande Promesse").

Monde moribond, qui ne sait pas encore qu'il est condamné... Il n'est pas suicidaire mais la mèche se raccourcit dangereusement et le chandelier perdra bientôt ses derniers feux.

La confession de l'itinéraire existentiel (chaotique et merveilleux à la fois) du personnage attachant de "monsieur Pantazi" formant la plus grande part de la 3ème Partie est l'un des passages les plus émouvants du roman...

L'agileté narrative manifeste rend digne l'oeuvre de CARAGIALE du fabuleux roman-à-tiroirs du Comte polonais Jan POTOCKI, "Manuscrit trouvé à Saragosse"/" Rękopis znaleziony w Saragossie" (1794/1810/ 1814)...

Ce court et très dense roman est "né en 1929" à Bucarest, sous la plume nerveuse de Mateiu Ion CARAGIALE (1885-1936), fils adultérin d'un célèbre dramaturge roumain Ion Luca Caragiale (1852-1912).

"Mateiu le romancier" disparaîtra prématurément « des suites de ses excès », pense-t-on, en sa cinquantième année (l'année 1936) et dans la ville où il naquit.

Son roman "Les Seigneurs du Vieux-Castel" (formant un diptyque fictionnel avec la longue nouvelle "Remember" parue en 1921) connaîtra un destin foudroyant et étonnant : il deviendra un "Classique" célébré en son pays...

Voilà (très brièvement) pour le cadre biographique...

Nous sommes ici dans une matière maléfique, au sein des « généalogies engluées » célébrées par le poète breton Paol KEINEG (né en 1944) en ses "Hommes des talus en transe » ; également si proche des préoccupations et du style du grand et si prolixe Joris-Karl HUYSMANS, s'outillant d'une richesse lexicale infinie pour composer son portrait de l'esthète "décadent" Jean des Esseintes d' "A Rebours" (1881) , comme pour forger son très luciférien, moyen-âgeux, vertigineux et fascinant roman noir "Là-bas" (1891), prélude à une heureusement tardive et classique « conversion » aux bondieuseries de l'âge mûr ("il développa à partir de là un fort intérêt pour la Mystique chrétienne", nous annonce pudiquement telle fiche encyclopédique… ).

Le préfacier Robin Planque fait le choix d'introduire en notre champ de conscience le Sésame contemporain (mention magique, vraiment ?) que représente certain prénom suivi d'un nom ( pour vous aiguiller : "M***" suivi de "H***") dès la deuxième ligne de sa préface : sans doute pour que nous ne nous sentions pas trop perdus en cette "Materia Romanian" un peu ancienne et supposée "confuse-et-inconnue" de la plupart d'entre nous, du moins par ici… Cette mention "M.H." est donc censée nous rassurer ou même, qui sait, nous appâter... [Aheum !] : on nous suggère donc que le pauvre Mateiu à l'immense culture aurait "préfiguré" certain Génie de la pensée vulgaire et du style nouille-plate qu'est Celui-Dont-Il-Vaut-Mieux-Taire-Le-Nom (évoquons donc l'ectoplasme à la manière d'un Lovecraft nous présentant l'une de ses créatures : surgie d'un nuage de fumées verdâtres, hors des pages d'un magazine imprimé sur papier glacé), puisque CARAGIALE évoque "en précurseur" ces figures thématiques désormais familières que sont "la Quête obstinée de soi" et "les rets de la Décadence"... Il est vrai : s'ils parlent de la même chose, on pourrait "presque" les superposer... Bien que tout soit dans le "presque" : l'un possédait un monde intérieur et un vocabulaire d'une richesse infinie, tandis que l'autre... mais cessons là pareils oiseux ou indécents rapprochements.

Gabrielle Danoux a su rendre à nouveau accessible l'oeuvre presque "occultée" (... du moins en France !) du merveilleux artiste roumain ; la fameuse traduction de Claude B. Levenson en 1969 pour les éditions L'Âge d'Homme (sises à Lausanne, où l'écrivaine/traductrice résidait) n'est guère plus disponible aujourd'hui que sous forme de quelques exemplaires en solderie, cédés au prix fort). Son édition à elle est très bon marché [6 € en version imprimée, 1 € en version téléchargeable : voir par ailleurs le bel article de notre ami Arimbo], et la conversion de la prose imagée et torrentielle du Bucarestois (évoquant pour moi la force du déluge onirique du poète prosateur Bruno SCHULZ) est fort bien rendue : la richesse des images, l'incroyable prodigalité du vocabulaire, la torrentielle culture de Mateiu...

La langue de CARAGIALE, donc. La langue de Mateiu Ion Caragiale est une draperie. Découvrons toute l'Oeuvre ensorcelante de Mateiu Ion CARAGIALE !

Et rendons ici un hommage appuyé aux talents "pionniers" réunis de nos amies AuroraFlint (Lectrice et Chantre de l'Oeuvre caragialienne) et Țăndărică (Traductrice nouvelle de l'ouvrage) qui firent "passer" par ici la magie de ce monde, glissant à jamais — voluptueusement — au-dessus d'un océan livresque hélas de plus en plus recouvert des microplastiques de la banalité...

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Merci Gabrielle de m'avoir transmis une nouvelle fois une de vos traductions.

Si j'ai préféré voyager dans les Bucegi ou sur l'embouchure du Danube avec Europolis, cette plongée dans les quartiers de Bucarest ne m'a pas laissé indifférent.

C'est une autre forme de voyage, psychologique, onirique en suivant les héros, ces seigneurs, aux appétits pour la table et la chair exprimés poétiquement par l'auteur qui n'est pas avare de descriptions, tant des lieux que des êtres et des choses.

Il s'intéresse à divers sentiments humains, tels que la soif de fortune, d'amour, de beauté et plusieurs passages sont très réussis de ces trois points de vues. de charmantes jeunes filles font des apparitions porteuses de rêves encore plus puissants pour les seigneurs.

Encore une bonne lecture roumaine et un très beau style dans la traduction.

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Je dois en premier lieu remercier la traductrice Gabrielle Danoux de m'avoir mise sur le chemin de Mateiu I. Caragiale et de son étonnant roman.
Poète et romancier roumain du tournant du siècle dernier (1885-1936), Mateiu I. Caragiale publie ses premiers poèmes en 1912, lesquels sont immédiatement remarqués par la critique. Néanmoins, avant d'être reconnu comme un écrivain de tout premier plan, Caragiale est controversé pour son oeuvre romanesque, qualifiée de marginale par rapport aux romans psychologiques et réalistes de l'époque.
À en croire Robin Planque, qui préface la présente nouvelle édition des « Seigneurs du Vieux-Castel », elle le serait encore aujourd'hui. J'avoue pour ma part être au contraire conquise par le génie de cet auteur.
Ajoutons à cette brève présentation que l'écrivain n'a eu de cesse de se différencier du célèbre dramaturge Ion Luca Caragiale, dont il était le fils illégitime. Né à Bucarest, il prétendait par ailleurs descendre d'une famille noble d'origine levantine. Passionné d'héraldique, il poussa même la fable jusqu'à s'inventer un blason. Cet aspect ludique, d'une importance capitale dans l'imaginaire de l'auteur, est savamment représenté dans « Les Seigneurs du Vieux-Castel », au point que les critiques insistent sur le caractère autofictionnel de l'oeuvre.

Que nous raconte Mateiu Caragiale dans son roman, quelle en est l'intrigue si toutefois elle existe ? Mise en abîme du roman, roman dans le roman, l'auteur, qu'on peut aisément confondre avec le narrateur est à la recherche de son sujet. Afin d'écrire le roman dont le lecteur comprend qu'il s'agit des Seigneurs du Vieux-Castel, il se lie d'amitié avec trois personnages, dont l'exotisme ou le dandysme ou la dépravation font figures parfaites d'allégories. Tout en déambulant dans les quartiers les plus malfamés de Bucarest et de sa périphérie, les personnages n'ont de cesse de voyager dans les siècles, de réinventer leur généalogie, de descendre de plus en plus bas dans les moeurs bucarestoises les plus décadentes.
De beuverie en beuverie, de rêvasseries en rêvasserie, d'une bombance à l'autre, ainsi vont les déambulations de ces princes de la débauche, à l'encontre desquels l'aube éparpille tous les carnavals, toutes les sarabandes nocturnes et diaboliques.
Suivre ainsi le conseil de Pirgu (le plus dépravé d'entre tous) s'avérera propice au narrateur : « En ce qui me concerne, je dois lui être reconnaissant. Une longue vie entière ne m'aurait pas suffi pour pénétrer l'âme humaine dans toute la décadence dont elle est capable, comme ces cinq semaines vécues chez les Arnoteanu. »

Enfin, ce qui dans cette oeuvre domine d'entrée de jeu, outre le simulacre d'une vie, c'est son style éblouissant. Au-delà du récit foisonnant et de la truculence des personnages, le sentiment qui s'impose au lecteur dès qu'il aborde les premiers chapitres, est de l'ordre de la fascination, ensorcelé qu'il est par la très grande richesse stylistique de l'oeuvre. Des mots peu courants, un contraste permanent entre les langues les plus raffinées et les plus argotiques, une oralité qui sonne à l'oreille du lecteur comme un flot poétique qui lui est adressé.
La très intéressante préface de Robin Planque n'omet pas de mettre l'accent sur le style rare de l'auteur et, il faut le souligner, nous devons quant à nous rendre hommage à Gabrielle Danoux pour cette nouvelle traduction qui permet au lecteur de redécouvrir ce chef d'oeuvre.
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Une écriture d'un grand raffinement, dans la lignée de la prose d'un Barbey d'Aurevilly ou d'un Auguste de Villiers de l'Isle-Adam.
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« Que voulez-vous, nous sommes ici aux portes de l'Orient, où tout est pris à la légère » Raymond Poincaré.
Mateiu Caragiale, le fils du grand Ion Luca Caragiale, a vécu la rencontre de deux siècles, le XIXe et le XXe et continue à vivre dans le XXIe par des valeurs qui défient le passage du temps et deviennent pépites d'or de l'éternel sablier.
L'histoire des Seigneurs ? Pas celle dont je pourrais faire un résumé, pas celle des événements qui se suivent d'une manière très chronologique, mais l'histoire qui se raconte comme un souvenir, qui met en abîme plusieurs existences, des passés, des rencontres, des personnages, des vies que le temps a englouties et même oubliées, des vies perdues, un mal de vivre, un vivre mal, et une certaine joie de scène.
Le narrateur se souvient d'un passé, de deux amis, Pasadia et Pantazi, et d'un troisième Pirgu, loin d'un ami mais toujours présent, "canaille sans scrupule et sans pareil". Des liens surprenants les avaient unis, il se souvient d'un passé oublié, "...nous nous pénétrions du souffle du Passé en contemplant ses sublimes vestiges."
La nostalgie se meut en mélancolie mais garde ses ailes et survole les années.
"Bien que je vénérasse Pasadia, j'avais une prédilection pour Pantazi, l'un sentiment ressortissait du cerveau, l'autre du coeur, et quoi que l'on en dise, le coeur passe avant le cerveau. Cet homme étrange m'avait été cher avant même de le connaître, il me semblait avoir trouvé en lui un ami depuis toujours, et, souvent, plus encore, un alter ego."
"... l'enchantement avait commencé : l'homme parlait. le récit ondoyait lentement, tressait au sein de sa riche guirlande de nobles fleurs recueillis dans la littérature de tous les peuples. Maître dans le métier de peindre en paroles..."
Le narrateur observe, écoute, relate des vies, les souvenirs deviennent voyages "dans les siècles évanouis", des joies qui ont trouvé la mort dans les bras sans merci des drames sordides et des tragédies, englouties et révolues.
Le fil de l'histoire tisse, sans reprendre souffle, événements et personnages, un passé, celui des hommes des femmes et d'un peuple situé à un grand carrefour historique, des habitudes et des croyances surprenantes, déchirantes et vieilles comme le monde. Des êtres et leur vécu que le temps a réunis et puis séparés, a fait se croiser ou se rencontrer pour un lapse de temps pour laisser des marques, ou des traces, floues ou saignantes, effacées maintenant.
Atmosphère de 1001 nuits voilées aux arômes enivrants empoisonnés et empoisonnants de l'Orient Byzantin, où une fleur peut pousser de la boue, où le charme et la pourriture se côtoient, atmosphère des Fleurs du mal, et celle aussi qu'un conte de Monte Cristo traverse en connaisseur. Un air de Tchekhov, une époque qui meurt une autre qui prend naissance et une cerisaie entre les deux.
Le passé simple rythme le récit des souvenirs passés, révolus, presque oubliés, aux parfums entêtants, envoûtants des Portes de l'Orient. Serâï pour accueillir des mots princiers, roturiers, élégants, argotiques, mots de luxure et de déchéance.
Musique et mots rares ou désuets d'un usage très lointain et on ne peut plus expressif sortaient de la bouche des princes ou des boyards ou de celle des "coupe-jarrets, des maquereaux, des fripons, des courtisans, des roulures et des cagoles". Des carnavals et des masques cachent sous un sourire nostalgique un tumultueux et triste passé, un faux cynisme qui a du mal à cacher une terrible amertume, et une ville, Bucarest, au charme maudit.
Etre et paraître un jeu qui touche le morbide laissant derrière un goût amer d'une tristesse infinie.
Les personnages, tels des fantômes, paraissent-ils, sont-ils irréels ? Hantés, inatteignables, sans sens ou avec trop de sens, ils se trouvent souvent en chute libre sans désir de s'accrocher pour revenir à la surface. le vrai est caché, le faux exulte, et la décadence n'est pas maquillée ni le mal qu'elle entraîne et la sombre souffrance sans douleur physique aucune.
L'élégance et la richesse de la langue de Mateiu Caragiale s'accompagnent d'une musique aux accords sublimes dont la perfection se méfie, elle risque d'être surpassée.
Langue de choix, recherche des mots, temps verbaux, enchaînement des phrases qui, sur leur passage laissent une atmosphère, celle que j'ai retrouvée et reconnue chez les classiques de la littérature roumaine. Avec Les Seigneurs du Vieux-Castel j'étais de retour, après des dizaines d'années, vers des noms de personnes et de villes que je lisais et entendais en roumain.
L'écriture est belle, elle a cette beauté qui m'attire, m'ensorcelle, m'enchante et m'enlace, une invite à l'opium que j'inspire profondément pour un voyage des plus lointains, que je continue après le dernier mot qui dit FIN. Est-ce cela l'opium ?
Le style éblouissant de l'auteur rend et fait revivre toute l'atmosphère et la couleur du début du XXe siècle à Bucarest, où mots, expressions et citations françaises visitent le texte original tout naturellement. L'exceptionnelle traduction de Gabrielle Danoux lui rend merveilleusement hommage.
Trois cavaliers, rêveurs impénitents, à jamais attirés par ce qui est éloigné et secret voyagent encore, peut être, des Portes de l'Orient vers celles des Rêves et regardent "poindre les étoiles."
"Le coeur est profond par-dessus tout ainsi que l'homme, et qui le connaît ?"
L'écriture des Seigneurs du Vieux-Castel garde une remarquable contemporanéité qui accompagne le lecteur du XXIe siècle en lui laissant la liberté d'interpréter les archétypes du roman et leur accorder des sens multiples. La création de Mateiu Caragiale traverse ainsi les siècles, perdure, se transforme et garde sa liberté et sa fraîcheur.
J'ai vécu intérieurement, et ressenti profondément, un voyage qui m'emmenait d'une langue à une autre, allers et retours entre deux musiques, deux histoires, deux vécus, même plusieurs...
Un livre qui feuillette les pages de la mémoire du temps et qui a ouvert un passé plus intime, le mien, et bien plus récent, presque oublié lui aussi, enfoui dans un tiroir que la mémoire avait fermé et rarement ouvert.
Un très grand merci à Gabrielle Danoux qui m'a offert la possibilité de redécouvrir Les Seigneurs du Vieux Castel et de vivre le bonheur de sa prodigieuse traduction.
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Citations et extraits (90) Voir plus Ajouter une citation
Né en mars 1885, Matei Caragiale consacra sa vie à une étude passionnée de ses semblables. Très tôt, dès le lycée, il fut attiré par l’Histoire, surtout par la science héraldique qui demeura toujours l’une de ses passions fondamentales. Les références aux blasons et aux armoiries qui émaillent tous ses écrits en sont d’ailleurs une preuve. D’aucuns le raillaient sans pitié pour ce penchant, dans lequel ils voyaient en premier lieu l’expression d’une frustration de l’écrivain qui aurait regretté de ne pas être de plus haut lignage. En dehors de cette particularité, la vie de Matei Caragiale se déroula paisiblement, comme la vie de tout bon bourgeois extrêmement méticuleux dans ses notations précises à propos de tout et de rien, amateur de musique choisie, sensible à la beauté ensorcelante de la nuit, attentif à ses propres rêveries. Un voyage en Italie — en quête d’un poste au ministère des Affaires étrangères — le marqua assez profondément, car il avait le don de saisir au vol les moindres nuances de la présence artistique. Sa vie se passa principalement entre Berlin — où son père fut un temps exilé — et Bucarest ; vers la fin de sa vie, il se retira dans un petit domaine que sa femme lui avait apporté en dot, et il mourut en 1936 dans la capitale roumaine.
[...]
Pourtant, Matei Caragiale occupe une place très particulière dans la littérature roumaine. Longtemps peu connue du grand public, son œuvre fit les délices d’un petit cercle d’admirateurs fervents. La richesse éclatant de son langage recherché, voire maniéré, n’ignore cependant pas la verte saveur de l’argot populaire. Ses qualités de poète, ajoutées une profonde méditation historique, se retrouve à la fois amplifiées et purifiées dans ses écrits en prose.
Dans “Remember”, l’auteur se défend d’avoir voulu faire autre chose que la relation d’un banal fait divers. Néanmoins, sa mise en garde est inutile. Peut-être l’aventure d’Aubrey de Vere n’est-elle vraiment qu’un fait divers. Mais grâce à la plume de Matei Caragiale, elle prend une dimension nouvelle, se colorant de la magie à la fois attirante et inquiétante des rencontres fortuites avec un surnaturel jailli des événements d’apparence anodine. Certes, Aubrey de Vere diffère radicalement du monde qui l’entoure, et son bref passage dans la vie de l’écrivain prend–avec le recul du temps–l’allure d’un rêve, d’une hallucination que n’aurait reniée ni Gérard de Nerval, ni peut-être Edgar Allan Poe. L’atmosphère envoûtante de la nouvelle qui se maintient avec un art consommé à la frontière invisible du réel et de l’irréel fait songer dans sa délicatesse gorgée de réminiscences diverses aux vieilles légendes moyenâgeuses qui engendrent au fil des siècles le monde fascinant des personnages fantastiques. Paradoxalement, ce côté déroutant demeure solidement ancré dans une réalité très stricte, presque cartésienne, et la disparition même du mystérieux jeune homme aux saphirs bleus n’est peut-être au demeurant que le regret mélancolique issu de l’achèvement d’un songe. En un certain sens, et bien que les deux œuvres soient profondément différentes, “Remember” peut être considéré comme une somptueuse ouverture à l’ouvrage fondamental de Matei Caragiale.
[...]
Chronique d’une époque mouvementée — celle de l’entre-deux-guerres où diverses capitales d’Europe orientale au faîte de leur renommée secrétaient d’étranges personnages rebelles à leur entourage et lucides jusqu’à la douleur devant les tares de leur société — “Les Seigneurs du Vieux Castel” se contentent d’être l’étincelante description, parfois mordante, d’un monde en désagrégation. En traits acérés, Matei Caragiale esquisse des prototypes sociaux aux caractéristiques fortement marquées, ce qui n’empêche d’ailleurs pas l’écrivain de laisser entrevoir la tendresse qu’il éprouve à leur égard, hormis Pirgu, qui symbolise le politicien véreux dans toute sa bassesse, celui qui ferra fortune après une chute inévitable des seigneurs, autrefois maîtres des destinées du pays.

(extraits de la préface de Claude B. Levenson, Éditions L'Âge d'Homme, 1969, traduction du roumain par Claude B. Levenson)
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Je me suis promené avec lui toute la nuit, ça et là, pour at­teindre vers le matin la place aux fleurs, au Vieux-Castel. Aux abords du mur de l’église à tourelle verte luisait craintivement une faible lumière qui nous attira. Quelqu’un l’avait allumée au chevet d’une morte qui gisait décemment sur une natte de roseaux. Si on ne me l’avait pas dit, je ne l’aurais pas cru, c’était Pena Corcodușa ; comment reconnaître en ce doux vi­sage aux traits raffinés l’épouvantable furie de l’année écoulée ? Dans le sourire de ses lèvres bleuies et ses yeux ouverts, se logeait une sensibilité extatique ; la femme qui avait été aliénée par l’amour paraissait morte béate : peut-être qu’en cet instant fugace de la fin, englobant l’éternité, elle avait vu l’orgueilleux cavalier de la garde en la personne duquel se reflétaient les brillances unies de deux couronnes impériales. Le soir, je flanquai jusqu’à la frontière un gentilhomme rasé, aux favoris courts, habillé élégamment pour un périple : un étranger. Nous nous tenions à une table du wagon-restaurant, face à face et n’avions rien à nous dire. La nuit était tombée brusquement. Je me rappelai celui qui n’existait plus, l’homme qui m’avait semblé un ami de toujours, voire un alter ego, Pantazi, lorsqu’il me demanda que boire.
(p. 121-122 de l'édition de Gabrielle Danoux )
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En ce qui me concerne, je dois lui être reconnaissant. Une longue vie entière ne m’aurait pas suffi pour pénétrer l’âme humaine dans toute la décadence dont elle est capable, comme ces cinq semaines vécues chez les Arnoteanu. Capharnaüm ouvert à n’importe qui et n’importe quand, leur maison, fusion de la guinguette et de l’auberge, du tripot, du bordel et de l’asile, était le lieu de rencontre du monde interlope et débauché de l’époque : joueurs et fêtards de profession, dévieurs et trébucheurs, rincés à sec, taraudés par la soif de vivre sans travail et au-dessus de leurs moyens, prêts à tout pour l’apaiser, ceux aux filons inavoués ou impropres, les sans-feu-ni-lieu et les exclus, ex- et futurs détenus, et ensuite les femmes, plus répulsives encore : vieillardes moisies sur le tapis vert, somnolentes et atrabilaires, aux mains tremblantes sur l’argent et les cartes, jouvencelles divorcées au moins une fois et précocement délabrées par les avortements et les maladies, à l’affût du gibier, mais en se gardant des duperies ; entre eux et elles, toutes sortes d’unions changeantes, de tentations, dissensions et hostilités.
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Le récit ondoyait lentement, tressait au sein de sa riche guirlande de nobles fleurs recueillies dans la littérature de tous les peuples. Maître dans le métier de peindre en paroles, il trouvait aisément le moyen de signifier, et de surcroît dans une langue dont il avait perdu l’habitude, jusqu’aux terrains les plus glissants et les plus incertains de l’être, du temps, de l’espace, de sorte que l’illusion était toujours complète.

(p. 31 de l'édition de Gabrielle Danoux)
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Mais cela n’était rien à coté d’autre chose qui aurait dû m’inquiéter si j’avais tenu à lui, quelque chose d’incroyable, et cependant : Pirgu achetait des livres. En le rencontrant avec quatre vo­lumes joliment reliés sous le bras, on imagine aisément ma tête en lisant sur la couverture le nom de Montaigne.
– Qu’est-ce qui vous a pris, m’écriais-je, de prendre du Montaigne ?
– Hé, me répondit-il d’un sourire attendri, n’importe com­ment, Montaigne, c’est mignon, il a ses qualités. C’est ainsi que Pirgu donnait son opinion dans toutes ses discussions avec ses nouveaux amis, avocats renommés ou professeurs d’université, valeurs montantes et d’avenir ; [...].
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