Indiqué par Mabanckou dans son discours inaugural au
Collège de France, le livre de
Paul Morand,
Paris-
Tombouctou, est un ravissement : intelligent, cultivé, il rapproche sans cesse les civilisations : « Les chefs indigènes, dont un descendant de Samory, viennent nous voir, drapés, la tête enveloppée de linges bleus, assez semblables à des Flamands du XV siècle. »
Sûrement, dit-il, ce sont les Dieppois qui ont découvert la Guinée avant les Portugais, et
Morand les imagine, rapportant du poivre en 1364, en costumes de van Eyck, avec de petits sacs de poivre.
Ce voyage l'aide à se remémorer les pages des premiers explorateurs, dont
Mungo Park, s'extasiant devant le Niger en 1796 : « ce fleuve scintillant aussi large que la Tamise à Westminster ! », celles, outrées, de
Ibn Battuta,(1350) parlant de la légèreté des femmes sans que leurs maris s'en offusquent , et
Morand conclut( en 1928 ) : « c'est que
Tombouctou, s'il est l'islam, n'est pas l'Islam pur » puis: « c'est la fin du monde nègre, de la beauté des corps, des gras pâturages, de la joie de vivre, du bruit, des rires : ici commence l'Islam avec son intolérance, sa silencieuse sérénité, sa décrépitude »( Je pense à Timbouctou, malheureusement).
Il retrouve, à
Tombouctou, la maison de
René Caillé , déguisé en Egyptien pour entrer dans la cité interdite , s'adressant , après le refus des autorités françaises, à la colonie anglaise de Sierra Leone, pour , enfin, « offrir
Tombouctou à la France » !
Le don doit être réciproque, nous dit-il, ceux qui reçoivent sans rien donner n'ont pas compris que les africains commencent à offrir des cadeaux, et que, ni ici, ni ailleurs, on peut se contenter de tout prendre sans rien donner.
Règle de base et humour «j'allais donner à un chef de village un couteau de trois francs. J'apprends qu'il a une Rolls».
Emaillé de
récits drolatiques, ce livre, comme l'histoire de cet homme tellement ivre de haschisch, qu'on l'a cru mort, on le lave avec de l'eau bouillante, il se réveille, et le laveur tombe et expire, d'émotion.
« Un contemporain d'Ulysse ne serait nullement choqué par les rites funéraires nègres. »
Morand a voyagé depuis Dakar, Bamako, Ségou, Djenné, puis Bandiagara, jusqu'à
Tombouctou, où il rencontre son ami dont il admire l'intelligence et la connaissance
Albert Londres (qui raconte dans
Terre d'ébène, le vol de ses cantines et de son pinard par le couple
Morand, Fait mis en doute par le biographe de
Morand,
Pierre Assouline) .
Ravissement non seulement par les rapprochements constants entre civilisations, ainsi que l'avait tenté Livingstone, sans occulter l'anthropophagie et les rites barbares, le langage secret des sorciers, insistant sur la gaité des Noirs, leur exubérance, leurs danses au son du tam-tam, le bonheur en un mot, et la beauté des corps d'athlète, des seins des femmes, leur pudeur pourtant, même si elles sont nues.
Ravissement enfin par les références à Picasso, pour qui il achète un masque nègre, en vue de l'étonner, puisque l'art nègre a pris possession de
Paris.
Patatras, la fin de
Paris-
Tombouctou se transforme subitement en un ramassis de lieux communs : les Noirs, d'accord, mais les métis, pas question, ils affaiblissent la race pure. Et, dit-il, ceux qui citent
Pouchkine et Dumas comme contre-exemples citent toujours seulement ces deux-là. Et il serait vraiment dangereux, même si, pour obéir au député Diagne, beaucoup de Sénégalais sont partis combattre les Allemands, que les Noirs d'Afrique viennent s'installer à
Paris et à
New York , et prétendent se marier avec des Blanches.
Patatras, ce ramassis, horriblement décevant après le ravissement et le propos étincelant et cultivé de
Paul Morand . J'ai honte d'avoir aimé.
LC Thématique septembre : état des lieux