En ces heures j’apprends à me connaître.
Toujours moins :
j’avais bien mille vies
et je n’en ai pris qu’une !
Lentement je plane jusqu’aux miroirs
où je m’en vais me fondre.
Ce n’est qu’en effleurant le cadran de l’horloge que doucement j’explose :
deux qui ne font qu’un
n’en sont plus aucun.
Même ces mots alors je n’ai pu les écrire.
Comment peux-tu donc, toi, les lire ?
À mesure que l’œil grandit,
moins il lui est donné
à voir.
QUEUE
Regardez les choses, voyez-les debout
dans leur innocence métaphysique,
incertaines de leur existence.
Rappelez-vous la conversation
dans un belvédère, un été nordique, des
hortensias, comme une grenouille, des
roses, des masques.
Encens sans église.
Un papillon volant en Chine
change une rafale en Finlande.
Quelqu'un a dit que vous étiez silencieux.
C'était ce que vous saviez déjà.
Quand la peinture se débarrasse-t
-elle du peintre, quand la même matière devient-elle
une pensée différente? La brume du soir s'est glissée sur
la pelouse, a noyé l'avenue, la fontaine
et la maison.
Musique, éclaboussures de ceintures.
Quelqu'un allume la lumière, quelqu'un
ne croit pas au crépuscule.
La question sans réponse
passe devant la fenêtre.
BASHŌ II
Nous connaissons la poésie poétique Les dangers maléfiques
de Moon Chick et de la voix chantante C'est de l'air embaumé, à
moins que vous ne le transformiez en pierres qui brillent et blessent.
Toi, vieux maître, fais glisser les pierres
avec lesquelles tu jettes une grive.
Vous avez sculpté dans le monde une image qui porte votre nom.
Dix-sept pierres comme des flèches une école de chanteurs morts.
Au
bord de l'eau, découvrez les traces du poète En route vers l'intérieur des neiges. Voyez comment l'eau l'efface
Comment l'homme au chapeau l'écrit
Et garde l'eau et les pas, arrêtant toujours le mouvement passé
Pour que ce qui a disparu soit toujours là comme quelque chose qui a disparu.
BASHŌ IV
Le poète est un époux à travers lui devient le paysage des mots.
Pourtant, il pense exactement comme vous et ses yeux voient la même chose.
Le soleil qui s'écrase dans la gueule du cheval.
Le temple extérieur d'Ise la plage de Narumi.
Il navigue dans la voile du deuil, il se dirige vers sa mission.
Ses mâchoires broient les fleurs aux pieds des vers.
La comptabilité de l'ensemble telle qu'elle se passe chaque jour.
Dans le Nord, il se connaît beaucoup de vieux vêtements.
Quand il est là où il ne sera plus jamais, vous lisez ses poèmes:
Il épluche des concombres et des pommes, il peint sa vie.
Moi aussi, j'ai été séduit par le vent qui flotte sur les nuages.
BASHŌ I
Vieil homme entre les roseaux méfiant du poète.
Il est en route vers le Nord, il fait un livre avec ses yeux.
Il s'écrit sur l'eau, il a perdu son maître.
N'aimez que dans les choses coupées des nuages et des vents.
C'est son appel pour dire au revoir à ses amis.
Les crânes et les lèvres se rassemblent sous un ciel agité.
Toujours le baiser de l'œil traduit dans la compulsion des mots.
Dix-sept le nombre sacré dans lequel l'apparition est prévue.
La digestion passée se fige aussi pétrifiée qu'un papillon.
Dans une marée de marbre, les fossiles coupés.
C'est là que le poète passa son voyage vers le Nord.
Ici, le poète est passé pour toujours.
Né en 1933 à La Haye, Cees Nooteboom s'est imposé comme l'un des plus grands écrivains européens contemporains. Romancier, poète, essayiste, il a reçu les plus hautes distinctions littéraires aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche et en Espagne.
*Adieu**, composé en partie lors du confinement du printemps 2020, est marqué par l'impossibilité et la mort. Au fil des pages, le lecteur accède aux paysages silencieux de l'auteur, à sa cosmogonie poétique sur laquelle se déploient l'aile d'un ange, l'empreinte d'une absence et celles des silhouettes aimées.
Merci au Nederlands Letterenfonds dutch foundation for literature [Fonds des lettres néerlandaises] et à Margot Dijkgraaf pour la réalisation de cette vidéo.
**L'Oeil du moine** suivi de **Adieu** de Cees Nooteboom : https://www.actes-sud.fr/catalogue/loeil-du-moine-suivi-de-adieu
+ Lire la suite