Michel Onfray nous offre deux petits textes dédiés à ses parents, qui m'ont l'air sincères et criants de vérité, donc touchants. Dans le Corps de mon père, le
Michel Onfray que l'on connaît semble vouloir à la fois matérialiser la distance vis-à-vis de son milieu d'origine, mais aussi renouer avec un passé, celui du jeune
Michel Onfray, fasciné par le courage, la puissance et l'abnégation d'un père, qui parle peu et qui n'est pas des plus démonstratifs.
C'est une description sans faille d'une existence rude et pénible, celle d'un ouvrier agricole dans
les années 1960, un homme corvéable à merci pour un salaire de misère, une vie dédiée à l'utilité, à la rentabilité, au sacrifice, presque. On sent toute la haine que voue l'auteur à ce monde capitaliste, qui utilise les hommes comme des bêtes ou comme des machines ; on sent la rage de l'auteur de voir des gens comme son père accepter de se faire ainsi maltraiter, déshumaniser par des patrons peu scrupuleux.
L'autre aspect de ce portrait, en dépit de la manifeste incompréhension entre un père et son fils, des centres d'intérêt par trop divergents, c'est malgré tout l'immense amour, l'affection « à sa façon » dont était capable le père de
Michel Onfray vis-à-vis de son fils. Ça n'était certes pas des montagnes d'épithètes, des cajoleries du matin au soir, une démonstrativité digne d'un film de Disney, mais c'était quelque chose de sincère et profond, pudique et discret, cependant bel et bien là.
Michel Onfray arrive parfaitement à restituer ce rapport ambigu où la communication n'est jamais totalement en phase de l'un à l'autre. Bref, j'ai été touchée par ce portrait d'un transfuge de classe, qui, à bien des égards, pourrait être comparé à celui de
la Place d'
Annie Ernaux, mais avec quel contraste !
Ensuite, dans une version tout aussi sincère, l'auteur aborde un épisode de la vie de sa mère, abandonnée à la naissance et placée en famille d'accueil. C'est un tout autre poids, comme, me semble-t-il, un tout autre rapport entre l'auteur et sa mère. Une mère qui n'était peut-être pas aussi aimante que son enfant pouvait l'attendre.
Mais cet enfant, devenu adulte, essaie de prendre du recul et, mieux que tout, essaie de comprendre et pardonner sa mère, car, après tout, comment aurait-elle pu transmettre l'amour d'une mère, elle qui n'en reçut jamais de la sienne ?
Cet épisode, troublant entre tous, est le moment où la mère de l'auteur, ayant atteint l'âge de soixante ans, peut légalement demander à connaître ses géniteurs, apprendre quelques bribes sur « là d'où elle vient ». C'est l'auteur lui-même qui accompagne sa mère pour cette démarche, complétant du même coup son propre arbre généalogique, d'où ce titre un brin paradoxal — mais plus tant que cela une fois compris — d'« Autobiographie de ma mère ».
Alors ce sont les espoirs d'
une femme, d'enfin connaître les auteurs de ses jours, les angoisses également. Les parents qu'on se rêve deviennent d'un coup très concrets... et plus forcément très oniriques ! Ce fut le cas pour la mère de
Michel Onfray, qui découvre, en même temps que lui, qu'elle est la fille d'
une femme qui se prostitue, tandis que son père est probablement un Espagnol, potentiellement en délicatesse avec les lois…
En somme, là encore en très peu de pages,
Michel Onfray sait à la fois rendre hommage, dire l'amour et dire le fossé qui le sépare et le réunit avec ses parents. Un bon petit livre selon moi, d'autant plus que les explications données dans la version Hatier collège me semblent très pertinentes pour permettre aux collégiens de bien saisir le texte, dans sa richesse et dans ce qu'il évoque, qui n'est plus du tout le quotidien que vivent la très grande majorité des collégiens en France. Je le conseille donc bien volontiers, mais ça n'est, évidemment, que mon avis, c'est-à-dire, très peu de chose.