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Simon Vialle (Traducteur)
EAN : 9782370712509
113 pages
Le Temps des Cerises (08/09/2022)
3.72/5   23 notes
Résumé :
Adapté du roman éponyme d'A. Pérez-Reverte, inédit en France, cet album évoque un épisode méconnu des guerres napoléoniennes. Peu avant la bataille de la Bérézina, le 326e bataillon d'infanterie tente de rejoindre les lignes russes pour se rallier à leurs troupes. Napoléon, qui observe ce mouvement depuis le haut d'une colline, se méprend sur leurs attentions et envoie la cavalerie les épauler.
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Lu en v.o. La sombra del aguila.


Du Perez Reverte dans sa meilleure veine. Il a l'art de se servir d'evenements et de faits historiques reels, qu'il deplace dans le temps et dans l'espace, qu'il chamboule, deforme, corrige et adapte, pour nous refiler ses idees et ses convictions, dans des recits dramatiques, des fois a grand suspense et des fois, comme dans ce cas-ci, pleins d'humour, et toujours en un style fluide et alerte.


Ici il reprend l'histoire d'un regiment espagnol de la Grande Armee napoleonienne, le regiment Jose Bonaparte, et l'accomode, l'assaisonne a sa maniere. Un regal.

Le regiment Jose Bonaparte etait compose d'espagnols plus ou moins enroles de force, qui, ayant pris connaissance des soulevements en Espagne de 1808, essayerent se deserter. Une partie reussit a passer en Angleterre et le reste, durement puni, fut force de prendre part a la campagne de Russie. Dans une des batailles ils essayent encore une fois de deserter et de passer aux russes, mais le commandement francais se meprend sur leurs intentions, et croyant a un acte d'heroisme, declenche une charge de cavalerie qui reussit a faire reculer les russes et detruit ainsi les espoirs de ces espagnols.


Perez Reverte s'invente une bataille fictive ou il introduit, en plus de cet episode, la celebre charge de Murat a Eylau. Ce sont les espagnols qui racontent leurs deboires, a leur maniere, et dans leur langage populaire. Y transparait leur haine du “petit nain", du “petit connard” (“el petit cabron”), en fait de tous les francais, ce qui a l'epoque devait etre la regle. Les generaux et marechaux d'empire sont tous ridiculises, meme ceux de qui ils reconnaissent la bravoure: “Murat, todo bordados y floripondios, con una capacidad mental de menos quince pero valiente como un toro español”. (Murat, tout en broderies et fioritures, avec une capacite mentale de moins quinze mais courageux comme un toreau espagnol). Les espagnols ne se sauvent pas non plus de la verve de l'auteur: “Un pays ou il n'y a pas deux qui prennent le café a la meme mode, seul, coupe, court de café, long, double, au lait, pour moi une menthe. Ou les cures se retroussent la soutane, tirent a bout portant et professent qu'expedier (au ciel) des franchouzes n'est pas peche. Ou le passe-temps national consiste a gratifier d'un coup de couteau le premier qui tourne le coin" (ma traduction).


En fait l'auteur, en ridiculisant les hauts commandements qui restent a l'arriere avec leurs cartes et leurs longue-vues, en drapant les actions les plus dangereuses d'un cachet saugrenu, presque absurde, heroi-comique, rend un certain hommage aux soldats du rang, ces eternels sacrifies, l'eternelle chair a canon. Il mene un requisitoire sans compromis contre la guerre, contre toute guerre. Et cela en un texte ou la saveur des parlers et le cocasse des situations devient d'un comique irresistible. On sourit a chaque page. Et au bout d'un moment a chaque page l'horreur est de plus en plus presente. Mais on continue a sourire, tout en etant conscient du message, de la charge (a la Murat) contre les causeurs de guerre.

Une grande reussite de Perez Reverte. J'ai presque deplore que ce soit si court.

Et avant que j'oublie, merci, Pecosa.
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Publié en 1993, L'ombre de l'Aigle parait enfin en France dans quelques mois (même s'il existe une adaptation en bande dessinée datant de 2017 par Ruben del Rincon). Mieux vaut tard que jamais pour cet excellent et court roman signé Arturo Pérez-Reverte sur un épisode méconnu des guerres napoléoniennes.
Peu avant la bataille de la Bérézina, le 326 ème bataillon d'infanterie formé par d'anciens prisonniers espagnols enrôlés comme chair à canon dans les armées françaises projette de déserter. Lors de la bataille de Sbodonovo, en 1812, il tente de rejoindre les lignes russes pour se rallier à leurs troupes. Mais l'ombre de l'Aigle plane sur la bataille. du haut d'une colline, Napoléon observe ce mouvement aussi soudain qu'incompréhensible - "'¿Alguien puede decirme que diantre es eso?"- et se méprend sur leurs intentions. Il en perd sa longue-vue lorsque son Etat-Major lui signale que les braves sont Espagnols puis ordonne à Murat d'appuyer ces héroïques soldats avec une charge de cavalerie.
Le "nous" de la narration est celui du 326 ème, du petit peuple espagnol, qui tente de faire ce que son honneur lui dicte en désobéissant aux ordres si nécessaire.
Le récit de la bataille de Sbodonovo par Arturo Pérez-Reverte ne s'inscrit pas dans une geste épique, glorifiant le sacrifice et les hauts faits d'armes. Il symbolise les paradoxes et les aberrations de l'Histoire. En 1812, L'Espagne est en proie à la guerre d'Indépendance et quelque part en Russie, sans le savoir, un bataillon attendrissant, solitaire, pathétique se bat pour la gloire de celui qu'il déteste. le seul lien qui unit le 326 ème à son oppresseur est une simple longue-vue, prolongée par un doigt légendaire mais il va suffire à décider une nouvelle fois de sa destinée. Dans L'Ombre de l'Aigle, la langue est populaire, drôle, inventive. le premier chapitre, "Le Flanc droit" qui présente l'Etat-Major français est remarquable de causticité et d'humour. Les Espagnols se souviennent de leur odyssée à travers l'Europe et n'ont qu'une envie, rentrer chez eux, malgré les "franchutes", les "gabachos", les maréchaux d'Empire et toute la clique. Napoleon est "El enano", "le petit cabron", Murat est décrit comme une tête brûlée désireuse de se faire pardonner sa brillante gestion des troubles du 02 de mayo -"Esto lo arreglo yo con dos escopetazos, Sire"- qui se retrouve finalement à la tête d'une des plus célèbres charges de cavalerie de l'Histoire. Tout ça grâce à un bataillon "qui avait moins d'avenir que Marie-Antoinette le matin où on lui coupait les cheveux à la Conciergerie" mais qui essayait de passer à l'ennemi "con dos cojones".

Paru en 1993 dans le journal El País alors que Arturo Pérez-Reverte couvre la guerre de Bosnie, La sombra del águila porte un regard lucide sur une période que l'Espagnol affectionne et qu'il connaît bien. le romancier qui a longtemps oeuvré comme correspondant de guerre fait preuve d'un certain nihilisme et malmène les grands figures de l'histoire pour glorifier le peuple et la soldatesque. Il nous livre en une centaine de pages un récit hommage aux romans d'aventures du XIXème siècle (émaillé de clins d'oeil discrets à Guerre et paix) teinté d'humour caustique et d'ironie mordante. de la belle ouvrage sur une période chère au romancier, qu'il avait déjà abordée avec le Hussard (1986), et qu'il évoquera par la suite dans Cabo Trafalgar (2004), Un Jour de colère (2007) et Cadix ou la diagonale du fou (2010).
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Quand un narrateur, « nous », représente le second bataillon du 326e d'infanterie, composé d'Espagnols opposants à l'Empire, anciens déserteurs et prisonniers, on imagine bien que l'Empereur et la campagne de Russie ne feront pas l'objet du même respect que d'habitude et qu'on sera emporté loin du ton des hagiographies officielles… La piétaille se bat dans la plaine et se trouve face aux Russes : le 326e est à deux pas des lignes ennemis. Se rendre leur laisserait plus de chance que de combattre pensent les soldats. Là-haut sur la colline, les galonnés et le Nain observent de loin leurs mouvements. Mais, de si loin et dans cette pagaille, ont-ils vraiment bien compris les intentions du second bataillon ?
***
Avec L'Ombre de l'Aigle, je cherchais à lire quelque chose de léger et la quatrième de couverture m'a confortée dans mon choix. J'ai partiellement réussi mon coup. Paru en feuilleton en 1993 dans El País, ce court texte vient seulement d'être édité en français. Une « Note historique » non signée se révèle passionnante. Beaucoup des renseignements donnés sont tirés de la Campagne de Russie de 1812 écrit par Evgueny Tarlé (Gallimard, 1941) et, pour moi, ils ont beaucoup éclairé ce bref roman. Les ambitions de Napoléon, telles qu'elles y sont présentées, rappellent assurément celles de Poutine aujourd'hui. L'épopée de ces pauvres Espagnols perdus dans cette guerre qui n'est pas la leur, commandés par des chefs qu'ils méprisent, se battant pour un pays qu'ils haïssent, nous apparaissent bien sympathiques et parfois vraiment touchants ! L'humour de l'auteur se niche souvent dans les détails et, derrière la plaisanterie, apparaît un aspect tragique et cruel… Cependant, j'ai eu de la difficulté à lire ce roman qui n'est pourtant pas compliqué, et ce, à cause de la quantité phénoménale de coquilles typographiques, de fautes d'orthographe et même de syntaxe : un emploi complètement erratique des traits d'union, des tirets (dans les dialogues… ou ailleurs !) et des majuscules, le non-respect du « h » aspiré, des confusions de genre qui touchent le sens du mot (un trompette/une trompette, un aigle/une aigle), le subjonctif parfois facultatif après « bien que », « le » Bérézina, « Les » Cases (pour Las Cases), et bien d'autres encore… Il y en a tant que ça a gâché mon plaisir de lire un bon Perez-Reverte ! Dommage.
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Voilà un curieux petit récit sous la plume d'Arturo Perez-Reverte.

Rien à voir avec « le tableau du maître flamand », ou du « Cimetière des bateaux sans noms », ni même du « Peintre des batailles », non, « l'Ombre de l'Aigle » est très différent.

Le thème ? En 1812, un bataillon d'origine espagnole est embarqué dans la grande armée napoléonienne. Cette armée n'a plus rien de française : c'est un énorme rassemblement européen, avec des Allemands, des Italiens, des Hollandais, des Portugais, et des Espagnols.

Napoléon a conquis l'Espagne, mais cela a été une réelle boucherie.
Et voilà que ce bataillon, peu avant la retraite de Russie, ce 326ème bataillon d'infanterie qui va bientôt devenir illustre, n'a qu'une seule idée en tête : rejoindre les lignes russes pour se rallier aux troupes russes.

Mais ce récit plein de cocasserie, plein d'ironie.

On va croiser l'ombre que projette l'Aigle - Napoléon - sur une colline, une longue-vue en main, et qui va se méprendre totalement sur leur démarche. Il faut dire que ce bataillon prêt à déserter va – ironie du sort – faire preuve d'un apparent héroïsme de premier plan.

Arturo Perez Reverte imagine en effet une bataille homérique, qui commence comme une sorte d'anticipation de Waterloo, avec une défaite qui semble inévitable, quand soudain, alors que le 326ème bataillon n'a qu'une seule aspiration à fuir le plus vite possible, un véritable coup de théâtre va se produire sous les yeux de Napoléon et ses généraux : le célèbre Murat va aider les Espagnols à charger les lignes russes et à triompher de façon insolente.

Mais ce qui fait le sel de ce récit, c'est qu'il est écrit du point de vue des Espagnols. D'où une haine profonde pour le « Nain », et tout un florilège d'injures qu'ils peuvent attribuer au grand homme. Bien sûr, après avoir décoré le Bataillon pour ses faits de guerre, il faudra tenter de rentrer en Espagne et ce sera la « Bérézina » bien connue des historiens. Mais pour le moment, les espagnols n'ont pas de mots trop forts contre les "franchutes".

L'auteur espagnol maîtrise tous les codes du genre. En un hommage discret à « Guerre et paix » et à bien d'autres récits épiques, il tourne en dérision la comédie de la guerre avec ces généraux qu'il tourne en ridicule, et le petit peuple glorifié.

On retrouve la verve de « Cadix ou la Diagonale du fou » mais avec un côté rocambolesque qui m'a fait sourire à chaque paragraphe.

Cependant le texte de dernière de couverture nous rappelle que ce n'est pas tout.
Derrière la farce, on apprend que « écrite en 1993, en pleine guerre de Bosnie, sous forme de feuilleton pour le quotidien El pais, cette histoire est aussi un magistral plaidoyer pacifiste et humaniste pour notre temps, une parole puissante contre l'absurdité de la guerre, qui résonne très fort à nos oreilles. »

A l'heure où il est question à nouveau de guerre du côté russe, cette farce bouffonne rappelle que toutes les guerres sont une aberration et qu'on doit mesurer la chance que l'on connaît cet instant de vivre en paix.
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Excellent et court roman de Arturo Pérez-Reverte sur un épisode méconnu des guerres napoléoniennes. Peu avant la bataille de la Bérézina, le 326ème bataillon d'infanterie formé par d'anciens prisonniers espagnols enrôlés comme chair à canon dans les armées françaises projette de déserter. Lors de la bataille de Sbodonovo, en 1812, il tente de rejoindre les lignes russes pour se rallier à leurs troupes. Mais l'ombre de l'Aigle plane sur la bataille. du haut d'une colline, Napoléon observe ce mouvement aussi soudain qu'incompréhensible - "'¿Alguien puede decirme que diantre es eso?"- et se méprend sur leurs intentions. Il en perd sa longue-vue lorsque son Etat-Major lui signale que les braves sont Espagnols puis ordonne à Murat d'appuyer ces héroïques soldats avec une charge de cavalerie.
Le "nous" de la narration est celui du 326ème, du petit peuple espagnol, qui tente de faire ce que son honneur lui dicte en désobéissant aux ordres si nécessaire. le récit de la bataille de Sbodonovo par Arturo Pérez-Reverte ne s'inscrit pas dans une geste épique, glorifiant le sacrifice et les hauts faits d'armes. Il symbolise les paradoxes et les aberrations de l'Histoire. En 1812, L'Espagne est en proie à la guerre d'Indépendance et quelque part en Russie, sans le savoir, un bataillon attendrissant, solitaire, pathétique se bat pour la gloire de celui qu'il déteste. Le seul lien qui unit le 326ème à son oppresseur est une simple longue-vue, prolongée par un doigt légendaire mais il va suffire à décider une nouvelle fois de sa destinée. Dans La sombra del águila, la langue est populaire, drôle, inventive. Le premier chapitre, "El flanco derecho" qui présente l'Etat-Major français est remarquable de causticité et d'humour. Les Espagnols se souviennent de leur odyssée à travers l'Europe et n'ont qu'une envie, rentrer chez eux, malgré les "franchutes", les "gabachos", les maréchaux d'Empire et toute la clique. Napoleon est "El enano", "le petit cabron", Murat est décrit comme une tête brûlée désireuse de se faire pardonner sa brillante gestion des troubles du 02 de mayo -"Esto lo arreglo yo con dos escopetazos, Sire"- qui se retrouve finalement à la tête d'une des plus célèbres charges de cavalerie de l'Histoire. Tout ça grâce à un bataillon qui avait moins d'avenir que Marie-Antoinette le matin où on lui coupait les cheveux à la Conciergerie mais qui essayait de passer à l'ennemi "con dos cojones".
Paru en 1993 dans le journal El País alors que Arturo Pérez-Reverte couvre la guerre de Bosnie, La sombra del águila porte un regard lucide sur une période que l'Espagnol affectionne et qu'il connaît bien. Le romancier qui a longtemps oeuvré comme correspondant de guerre fait preuve d'un certain nihilisme et malmène les grands figures de l'histoire pour glorifier le peuple et la soldatesque. Il nous livre en une centaine de pages un récit hommage aux romans d'aventures du XIXème siècle (émaillé de clins d'oeil discrets à Guerre et paix) teinté d'humour caustique et d'ironie mordante. De la belle ouvrage.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
- Pourquoi l’avez-vous fait, capitaine ?
En sursautant, Garcia avala sa salive.
- Pourquoi avons-nous fait quoi, Sire ?
- Ce que vous avez fait à Sbodonovo, vous savez bien – le Nain fit une pause qui donna la sensation au capitaine qu’il riait doucement dans la pénombre-, Avancer ainsi droit sur l’ennemi.
Garcia ravala encore une fois sa salive en se grattant la tête, indécis. Plus tard, en nous racontant l’épisode, il nous confessa qu’il aurait sans doute préféré se trouver à nouveau devant les canons russes qu’à cet endroit à converser avec la royauté impériale. Pourquoi l’avions nous fait, demandait le Petit Salopard. Notre capitaine avait quelques bonnes raisons sur le bout de la langue. Par exemple : parce que nous voulions nous tirer et que c’est tout ce qu’on trouvé, Sire. Parce que y’en a marre de tant de gloire et de ramdam, on en a à revendre de la gloire, jusque-là, de la gloire, Sire. Parce que cette campagne de Russie est une vraie souricière, Sire. Parce que nous devrions être en Espagne à l’heure qu’il est, aux côtés de nos paysans et de nos familles au lieu d’être pris jusqu’au cou dans cette merde, Sire. Parce que la France y’en a marre et que vos grands projets on s’en cogne, Sire.
Tout ça, c’est ce qu’aurait pu répondre le capitaine Garcia à l’Illustre cette nuit-là sur les murailles du Kremlin (…) Il se limita à tirer une grande bouffée sur son cigarillo et à répondre :
- Il n’y avait nulle part d’autre où aller, Sire.
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Vers minuit, le capitaine Garcia, appuyé contre les remparts qui donnaient sur la vieille ville, s’alluma un cigarillo qu’il avait trouvé la veille dans les poches d’un cosaque mort. La guitare de Pedro le cordouan résonnait dans l’obscurité, et quelqu’un, sans doute l’une des sentinelles immobiles comme une ombre noire, fredonnait tout bas un couplet. L’évocation d’une fille qui attend un homme absent, parti pour la montagne.
Dans cette ambiance Garcia entendit soudain des pas, et alors qu’il se préparait à demander halte, qui va-là, quel est le mot de passe et tout ce jargon qu’il avait l’habitude de dire juste avant de tirer dans le tas, le Nain en personne se présenta devant lui. Il était enveloppé dans sa redingote grise, reconnaissable entre nous malgré l’obscurité. Il n’y avait personne d’aussi petit et avec un chapeau aussi grand dans toute la Grande Armée.
- Bonsoir, capitaine.
- A vos ordres, Sire. – Garcia, tout court sur pattes qu’il était se redressa d’un coup de talons -. Rien à signaler pour la Garde.
- Je vois cela – l’Illustre s’appuya contre la muraille à ses côtés -. Repos. Et vous pouvez continuer à fumer.
- Merci, Sire.
Ils restèrent tous deux immobiles côte-à-côte pendant un moment, à écouter la guitare du cordouan et le couplet de la sentinelle. Garcia, qui n’était pas rassuré, observait en biais le profil de l’Illustre qui était à peine illuminé par un feu de camp installé au pied de la muraille.
Qui l’eût cru, pensait-il, je suis juste à côté du type qui tient la moitié de l’Europe dans sa poche et qui terrifie l’autre moitié.
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C'est alors que Pedro le cordouan tira la guitare de son dos et, avec quelque peine car il lui manquait une corde, fit résonner les premiers accords d'une mélodie lente et nostalgique. Quelque chose à propos d'une femme qui attend, et d'un homme qui fait route vers la montagne. Ces quelques notes avaient retenti jadis sur les murailles du Kremlin. Elles résonnaient à présent, éteintes et tristes, dans l'air chaud de l'après-midi.
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- Des espagnols, Sire.
La longue-vue tomba aux bottes de l'Illustre. Une paire de maréchaux de France se précipitèrent pour la ramasser, ce qui constituait bien une présence d'esprit admirable mais complètement stérile puisque le nain était trop ébaudi pour y prêter attention.
-Répétez-moi cela, Alaix.
Alaix sortit un mouchoir pour s'éponger le front. Des gouttes de sueur grosses comme des poings en dégoulinaient.
- Des espagnols, Sire. Le 326è bataillon d'Infanterie de Ligne. Vous vous souvenez ? Des volontaires. Ces types qui se sont enrôlés au Danemark.
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C'est ainsi que débuta le chemin de croix : trois cent mille hommes allaient rester sur le chemin, une tragédie jalonnée de noms aux résonances barbares : Winkowo, Jaroslawetz, Wiasma, Krasnoe, Bérézina… Des colonnes entières de retardataires, des combats rapprochés, des hordes cosaques poignardant des spectres en retraite, bien trop abrutis par le froid, la faim et la souffrance pour opposer une quelconque résistance, vous pouvez donc aller directement vous faire voir, mon colonel, je n'avancerai pas un pas de plus, etcétéra. Des bataillons exterminés sans pitié, des villages en flammes, des animaux sacrifiés pour leur viande crue, des compagnies entières à bout de force qui s'allongeaient dans la neige pour ne plus jamais se relever. Et alors que nous franchissions à pied les fleuves gelés, enveloppés dans des guenilles arrachées aux morts, nous passions à côté d'homme assis, immobiles et rigides, couverts lentement de flocons de neige qui les transformaient en statues blanches, le hurlement des loups qui nous suivaient à l'arrière-garde, se repaissant des corps que nous laissions derrière. Vous imaginez la scène… ? Non, je ne crois pas que vous puissiez imaginer. Il faut l'avoir vécu pour se l'imaginer.
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Vidéo de Arturo Pérez-Reverte
Il n'avait ni patrie ni roi, mais une poignée d'hommes fidèles. Ils ne cherchaient pas la gloire, seulement à apaiser leur faim. Ainsi naquit le mythe. Ainsi se raconte une légende.
Après avoir été banni du royaume de Castille par le roi Alphonse VI, Ruy Díaz vend, au mieux offrant, les services de sa troupe de soldats dévoués. Dans cette lutte pour la survie en territoire hostile, sa force de caractère et ses faits d'armes lui vaudront rapidement le surnom de Sidi Qambitur, maître triomphateur.
Avec son talent habituel, Arturo Pérez-Reverte nous plonge dans l'Espagne du XIe siècle, celle des rois rivaux, des batailles sanglantes et des jeux d'alliances entre chrétiens et Maures. Loin du mythe manichéen du Cid patriote, Sidi est le portrait d'un chef de guerre hors pair, d'un formidable meneur d'hommes et d'un stratège au sens de l'honneur inébranlable. Un roman haletant, épique et magistral, une immersion au coeur de l'Histoire.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli
« Un récit magnifique, du pur Pérez-Reverte. » El Mundo
Arturo Pérez-Reverte, né à Carthagène, Espagne, en 1951, a été grand reporter et correspondant de guerre pendant vingt et un ans. Avec plus de vingt millions de lecteurs, il est l'auteur espagnol le plus lu au monde, et plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la navigation. Il est membre de l'Académie royale d'Espagne.
En savoir plus : https://bit.ly/3ViUsSE
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