Un style un peu télégraphique, un peu aride même, qui ne manque pas cependant d'humour, pour ce nouvel exercice d'« écologie des mots » comme il l'appelle lui-même et qui consiste à tenter de « sauver des mots en péril ».
Pour définir l'expression l'auteur propose plusieurs syntagmes dont celle-ci, qui est ma préférée : « une expression est l'image la plus forte d'un très court métrage » (p. 10).
Dans son introduction, il nous avertit même : « [qu'] à deux ou trois exceptions, les 100 expressions […] retenues sont toujours en vie, et c'est parce qu'elles vivent encore qu'il faut les sauver du silence qui les écarte, de l'oubli qui les menace ». Je trouve que, hélas, pour la plupart, il est déjà bien tard pour pratiquer encore ce sauvetage in extremis, puisqu'il n'y a plus que l'O.L pour « plier les gaules » (à
lire aussi les goals, sic !), et encore, c'était en 2008, selon la citation.
L'autre avertissement est bien plus touchant : « à deux exceptions, toutes les citations sont originales. On ne les trouvera pas sur Internet ou dans les dictionnaires. Je les ai collectées, crayon en main, tout au long de mes lectures aussi diverses que nombreuses » (p. 15). Soit, mais était-il nécessaire de s'adresser aux lecteurs avec « en route, mauvaises troupe ! » qu'il m'a fallu d'ailleurs aller chercher sur Internet, tiens, tiens : « La formule semble tout droit sortie d'une colonie de vacances ou d'une fin de soirée entre joyeux lurons. Il n'en est pourtant rien. Cette douce expression, qui en réalité se prolonge dans un vers des plus savoureux : « Partez, mes enfants perdus ! Ces loisirs vous étaient dus : La Chimère tend sa croupe » nous vient du plus saturnien des poètes :
Paul Verlaine. Ou du moins, c'est ce qu'aimerait nous faire croire la légende !
Laurence Caracalla nous explique en effet que l'origine de cette expression est antérieure à la composition du vers, rédigé en 1884. « Le mot troupe », note l'auteur, « nous fait supposer qu'elle provient du monde militaire. » Mais enfin qu'importe ! L'expression aujourd'hui quelque peu disparue a su mobiliser nombre d'enfants à aller voir leurs grands-parents. Et combien d'autres encore suivront à l'appel de la route ? » (
Le Figaro)
J'ai bien la venette d'en devoir baiser la note de l'auteur, même s'il m'a bien fait rire par moment, comme p. 41 : «
Dominique de Villepin a deux fois de la branche, dans son nom et dans sa personne. On évitera cependant de lui demander comment ça va, vieille branche ? », ou pp. 87-88, avec « la semaine des quatre jeudis ».
Je dois donc avouer avoir appris beaucoup de choses avec ce petit livre malgré toutes mes critiques, et « last but not least », j'ai été, pour des raisons évidentes tenant à mes origines, un peu déçue par le peu d'explications sur « Paysan du Danube (le) » (p. 115) et ce n'est pas vraiment la faute à
La Fontaine qui prévient dès les premiers vers de sa fable « Il ne faut point juger des gens sur l'apparence./ le conseil en est bon ; mais il n'est pas nouveau ».
Quoi qu'on en dise,
Bernard Pivot, n'a pas peigné la girafe ici.