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sur 172 notes
Kim Stanley Robinson a 71 ans. 
Géant de la littérature américaine à qui l'on doit plus de vingt romans dont le chef d'oeuvre Chroniques des Années noires ou la monumentale Trilogie de Mars, l'auteur n'a plus grand chose à prouver à l'heure qu'il est.
Socialiste démocrate et ferme opposant au néo-libéralisme, Robinson s'est grandement intéressé au changement climatique par le passé. Et c'est aussi le sujet central de son dernier roman, l'imposant Ministère du Futur.
Traduit par Claude Mamier et publié sous nos latitudes par les éditions Bragelonne, le livre de Robinson n'est pas ce qu'il paraît être. 
Et pour cause, puisque ce n'est pas un roman. 
Explications…

Le Grand Tournant
Tout commence dans un futur proche, dans une région de l'Inde en train de subir la pire canicule de son histoire. Frank May, un américain d'une ONG lambda, se retrouve pris au piège comme des millions d'autres indiens. Seul rescapé de la catastrophe, il finit par développer une haine démesurée pour tous ceux qui, par leur action ou leur inaction, amènent l'humanité à foncer droit dans le mur.
Autre lieu, même époque.
Nous sommes à Zurich en 2025 et nous suivons le chantier impossible pour lutter contre le changement climatique qui a été confié à une toute nouvelle agence appelée « Ministère du Futur ». 
C'est en compagnie de Mary Murphy, sa directrice, que nous allons suivre les défis et les bouleversements qui attendent les nations et les peuples.
Divisé en 106 chapitres pour un total de plus de 600 pages, le Ministère du Futur est un pavé impressionnant. 
Très rapidement, parmi ces nombreux chapitres, le lecteur s'aperçoit que Kim Stanley Robinson glisse (beaucoup) d'autres choses. 
Plus en tout cas que l'histoire croisée de Frank et de Mary. 
On y trouve d'abord des tranches de vies de personnes à travers le monde qui ont à subir le changement climatique ou les actions entreprises pour lutter contre celui-ci. Puis d'autres passages, plus théoriques, où Kim Stanley Robinson nous explique par le menu certains principes essentiels pour comprendre ce qui grippe dans la mécanique mondiale, interdisant de fait l'évolution et la révolution. On y parle économie, taxes, énergies et bien d'autres sujets qui devraient logiquement trouver leur place dans un essai et non dans un roman. Ensuite, on trouve aussi quelques très courts chapitres plus artificiels et abstraits où Robinson décrit la vie d'un photon ou d'une molécule. Enfin, un fil rouge s'établit sur un projet complètement fou de prime abord qui vise à ralentir la fonte des glaces en Antarctique. 
Vous l'aurez compris, le dernier livre de Kim Stanley Robinson est une imposture. Il ne s'agit pas vraiment d'un roman…et pas vraiment d'un essai. On se retrouve en réalité devant un joyeux bordel organisé, où l'auteur utilise à peu près tous les moyens narratifs et explicatifs à sa disposition pour nous mener à comprendre sa propre réflexion, à endosser son idéologie pour demain. L'américain ne s'en cache jamais et, pire encore, il le revendique pour faire advenir ce qui a tout l'air, au final, d'une utopie. Ou presque…

Melting-pot 
Car là où ce Ministère du Futur pourrait simplement imaginer la chute du capitalisme en lui mettant tout sur le dos et en oubliant gentiment que ce système ne vient pas non plus du néant mais bien de l'esprit humain, Kim Stanley Robinson explique que tout ne sera pas rose. Que le monde ne va pas changer comme ça par bonté d'âme et que ceux qui exploitent la Terre et les pauvres hères qui la peuplent ne vont pas soudainement se ranger à une nouvelle idéologie écologique par altruisme. Il faudra se salir les mains, il faudra mettre un flingue sur la tempe à la finance comme aux pétro-états, il faudra un bâton et une carotte. 
Pour autant, Robinson reste un romantique dans l'âme et parfois, on se prend à repérer un excès de naïveté dans le raisonnement de l'américain, une sorte de foi un peu décalée dans la volonté de l'être humain à changer même devant les pires catastrophes. le saut de foi demandé reste bien celui de la nature humaine, une nature humaine en laquelle Robinson veut croire… tout en ayant conscience qu'elle a vraiment de mauvais recoins. 
Cet exercice d'équilibriste va durer tout du long de ce lourd pavé qui passe un peu par tous les stades. de la fiction climatique pure et dure à la fiction économique en passant par le roman catastrophe ou encore la politique fiction. Tout se mêle, de façon souvent complètement décousu, et l'américain tente de rattraper tout ce qu'il jette d'idées en l'air pour former un tout assez homogène capable de sous-tendre sa vision du futur. 
Comme une tentative de rédemption de l'être humain 
Un être humain tellement bête. 

Des failles et des forces
À ce stade, il faut insister sur le fait que Kim Stanley Robinson semble bien davantage maîtriser son sujet sur l'économie et sur ce qu'il existe comme alternatives au néo-libéralisme que sur les notions de démographies ou d'énergies. On regrette par exemple que l'auteur fasse l'impasse complète sur la question prégnante de la surpopulation (qu'il n'évoque quasiment jamais) ou qu'il ne glisse aucune mention du rapport de force qu'il existe entre l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. 
Nous sommes loin du tour de force didactique et réaliste du Monde Sans Fin de Jean-Marc Jancovici qui a tant fait parler de lui (et qu'on vous recommande sans modération aucune). Et c'est en cela certainement que le bât blesse pour Ministère du Futur qui veut tout faire à la fois mais souffre de grosses lacunes dans sa façon d'imaginer les choses.
Qu'à cela ne tienne, on comprend rapidement que le principal objectif de Kim Stanley Robinson est d'expliquer par le menu en quoi le système capitaliste constitue la clé de voûte dans la solution au bouleversement climatique en cours et à venir. La réflexion, bien que volontairement partisane et assumée comme telle, est passionnante. Vraiment. 
Car Robinson a l'art et la manière de présenter les choses, de découper ses objectifs de façon dynamique et de les resservir de façon intelligible aux lecteurs. On regrette simplement que tout cela ne laisse aucune place à l'empathie envers les deux personnages principaux qui ne sont là que pour soutenir le propos et tenter de camoufler l'essai en quelque chose de vaguement romanesque pour le quidam. 
On note aussi, et c'est assez amusant, tout l'amour et la fascination de l'américain pour la Suisse, petit pays où se situe la majeure partie de l'action de Mary et Frank. Un petit pays bourré de contradictions et d'espoir(s) dans lequel Robinson a vécu dans les années 80. Peut-être d'ailleurs en garde-t-il une version un peu trop idéalisée en tête. 
On pourrait d'ailleurs se faire la même réflexion sur sa façon de croquer le phénomène des Gilets Jaunes en France, phénomène auquel il prête bien plus de vertu que de raison. 

Vers la lumière
En s'acheminant vers la fin, Kim Stanley Robinson arrive pourtant à tirer le meilleur de cette construction chimérique et boiteuse, où l'idéologie prend le pas sur la narration et où l'utopie décide de faire son nid. On comprend tardivement que tout cela est aussi une façon de nous construire un avenir différent, un de ceux qui n'est pas obstrué par la mort et le désespoir, par l'extinction complète de la faune et l'agonie interminable de la flore. 
Dans les dernières pages, le Ministère du futur retrouve son côté intimiste, certainement trop tard pour gonfler d'empathie le coeur du lecteur envers Mary, cette femme remarquable qui a montré à l'homme qu'elle était l'avenir. Pour autant, la vision à la Jules Verne d'un monde apaisé qui va dans le même sens, qui utilise la religion pour s'unir pour le bien commun et non pour la destruction de son prochain, qui accueille l'autre et tente de lui rendre sa dignité, qui change les armes d'hier en outils de demain, toute cette vision là a quelque chose d'infiniment touchant. 
C'est celle d'un écrivain plus proche de la fin que du début et qui veut croire qu'un sursaut va advenir, que l'humain n'est pas si bête et qu'il peut encore voir le beau et le vrai. le roman en devient émouvant, enfin, et l'on comprend que ce pavé de bric et de broc, qui tient autant par l'entêtement de son auteur que dans sa façon de flamber ses idées sans compter, ce pavé est un testament pour les générations futures. Comme un passage de relais.
Comme un espoir enfin retrouvé. 
Difficile de trancher sur Ministère du Futur tant le livre de Kim Stanley Robinson souffle le chaud et le froid. Ni roman ni essai, ni utopie ni dystopie, ce pavé a ceci d'extraordinaire qu'il est passionnant même quand il est agaçant, qu'il semble juste même quand il frustre. Si la question du changement climatique vous intéresse, alors Ministère du Futur doit atterrir dans votre pile à lire. Si vous recherchez un vrai roman, passez votre chemin. 
Et puis si vous ne savez pas trop ce que vous voulez, ça tombe bien, Robinson lui le sait très bien et il va vous l'expliquer.
Lien : https://justaword.fr/le-mini..
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Le hasard a voulu que ce livre paraisse en même temps que deux autres ouvrages avec lesquels il partage quelques thématiques, savoir  Lux de Maxime Chattam et Bien heureux soit notre monde, de Jacques Attali  ;il s'agit en effet dans les trois cas d'anticipations à court terme, où l'intrigue est plus ou moins liée au changement climatique. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs, le sujet est dans l'air du temps..
Il convien de préciser que l'ouvrage d'Attali est très nettement, et c'est une litote, supérieur à tout point de vue aux deux autres
Ce livre me laisse perplexe.
Il est bien écrit, la composition est originale, les personnages attachants, leurs intentions et celles de l'auteur, qui s'est sans doute livré à un travail de recherches considérable dans divers domaines scientifiques, économiques, politiques, historiques, seraient louables si ce n'était le choix des moyens
Et pourtant on n'y croit pas une seconde
Le « pitch » (ces américanismes, pour regrettables qu'ils soient, sont pourtant bien commodes...), le pitch donc est le suivant : une catastrophe écologique en Inde provoque une prise de conscience généralisée des enjeux du réchauffement climatique et une acceptation d'une action énergique, qui se concrétise par la création d'un « ministère du futur » dépendant des Nations Unies et disposant d'une autonomie et de moyens d'actions considérables ; et là, je suis déjà sceptique.
Les adversaires potentiels d'une telle initiative ne sont pas stupides, et pas davantage dépourvus de moyens d'action et de pression considérables. A défaut de pouvoir empêcher la création de cette instance (et encore...) ils seraient parvenus à en limiter sérieusement les moyens et les attributions, et en admettant même que le Ministère du Futur ait pu être créé tel que l'imagine Robinson, dès les remous qu'auraient provoqué ses premières actions, y compris dans les opinions, ils se seraient employé à lui rogner les ailes, et y seraient parvenus dans une large mesure.
L'indignation et l'émotion provoquée par la catastrophe ? Mais de telles vagues retombent vite lorqu'elles se heurtent à des intérêts concrets, et puis, vu des USA et d'Europe, l'Inde, c'est loin (je sais que cette remarque est cynique, et ne croyez surtout pas qu'elle exprime mafaçon de voir les choses)
Mais admettons et poursuivons. le ministère du futur comprend « un ministère à l'intérieur du ministère », disons plutôt un département clandestin, pratiquant des actions terroristes et homicides ; ces actions ont lieu et elles sont efficaces. Les gens cessent de prendre l'avion, tout simplement
Et là c'est vraiment trop ! Je ne parle même pas de l'aspect moral de l'opération (abattre soixante avions de tourisme pour dissuader les gens de prendre l'avion, il faut avoir l'estomac bien accroché; qui a parlé de khmers verts ? C'est curieux comme, à vouloir le bien des gens, on a vite fait de se mettre à les tuer
Je parlais au début d'intentions louables. Mais on dit que l'enfer en est pavé) mais des conséquences ou plutôt de l'absence de conséquences de l'opération.
Comment imaginer une telle absence de résilience de la part des adversaires, gouvernements, institutions, firmes commerciales, du ministère et de sa politique ?
Comment admettre que leurs services secrets ignorent longtemps d'où vient le coup, et qu'ils ne réagissent pas, avec le très large soutien des opinions publiques (soixante avions, en termes de morts, ça fait quand même au moins quatre onze septembre). Ces réactions seraient extrêmement énergiques, le ministère du futur serait bien sûr dissous, ses membres arrêtés et jugés, et les mouvements écologistes ne seraient pas épargnés par le choc en retour.
Quant à l'autre action terroriste (les porte-containers coulés) elle ne serait guère plus populaires ; comment croyez-vous que réagiraient les gouvernements asiatiques, privés de leurs exportations, et les pays occidentaux privés de certains biens de consommation, soit directement soit par l'intermédiaire d'armées privées comme Blackwater ou Wagner, sans doute plus efficace que "le ministère dans le ministère" de Robinson
 ? Je ne suis même pas sûr du sentiment intime du plus ferme écologiste privé de son smartphone ; mais j'ai mauvais esprit, c'est connu.
Au sujet d'ailleurs des réactions des populations, l'auteur imagine la survenance en France d'un épisode Gilets Jaunes à la puissance dix, débouchant sur une méga Nuit Debout. Il a oublié quelque chose ; le vrai mouvement des Gilets Jaunes avait été déclenché par la volonté du gouvernement d'instaurer une taxe sur les combustibles fossiles, particulièrement le gas oil ; les nouveaux Gilets Jaunes ne seraient pas du côté que Robinson croit.
Et la révolte des agriculteurs, toujours en cours à l'heure où j'écris, a également eu pour point de départ un projet de hausse des taxes sur le gas oil non routier; cette fois le gouvernement a capitulé précipitamment; et il convient de noter la véritable haine que les agriculteurs portent aux écologistes, qui semblent s'étendre à d'autres secteurs de la population; certains écologistes avaient prétendu être solidaires des paysans et vouloir se rendre sur les barrages, mais il y ont renoncé craignant l'accueil qu'ils y auraient reçu.
Venons-en maintenant aux diverses évolutions et révolutions proposées et mises en oeuvre par le Ministère ; j'ai déjà dit le scepticisme que je nourris sur leur faisabilité politique, et sur le manque de résilience supposé des institutions attaquées.
Je ne vais pas m'étendre sur leur faisabilité technique, n'ayant pas les connaissances scientifiques pour l'apprécier en ce qui concerne la plupart d'entre elles.
En revanche, j'ai relevé quelques incongruités criantes, qui augurent mal du reste.
Ainsi l'auteur parle d'un revenu garanti annuel de 100.000 USD pour chaque habitant (ou foyer, ce n'est pas très clair) de la planète, à condition évidemment de mieux répartir les revenus ; il estime que cette somme est un optimum à tous points de vues, et il a tout à fait raison. Mais ù prend-il ces 100.000 USD per capita disponibles ?
Le PIB mondial par habitant est de 12.344 USD et ne comprend pas seulement les revenus.
Un peu plus loin, il est question d'une société des 2000 W dont les membres s'engageraient à ne pas consommer plus de 2000 W par an. Oui. Seulement, comme chacun le sait, où devrait le savoir, on ne consomme pas des watt ; on consomme des Kwh. Admettons que ce soit une erreur de traduction, et que 2000 W = 2KWh. Mais c'est une absurdité ; à Haïti, la consommation annuelle par habitant est de 35 Kwh. Alors, 2 Kwh, je ne vois pas. Les derniers chasseurs-cueilleurs, peut-être.
Il est aussi question de technologies d'ingénierie climatique (ensemencement des nuages...) auxquelles le GIEC est formellement opposé.
Il s'agit vraiment d'expérience d'apprenti sorcier
L'auteur parle du volcan Pinatubo mais il y a eu beaucoup mieux : le volcan Tambora a explosé en.1815. En 1816, il n'y a pas eu d'été ni de récoltes. le refroidissement s'est poursuivi plusieurs années. Des millions de morts. Filtrer le rayonnement solaire n'est peut -etre pas une si bonne idée
D'autant que ce refroidissement entraînerait une explosion de la consommation de combustibles fossiles et donc ensuite...
Je crains que beaucoup des solutions par l'auteur soient de la même eau

Quant à la création d'une nouvelle monnaie virtuelle, eh bien je ne suis pas spécialiste des questions monétaires, mais j'ai quand même l'impression de voir les spectres de Law et de Ponzi passer au fonds de la scène avec un fantôme de sourire
Bref, la suspension de l'incrédulité devenant fatigante sur la longue distance, aussi bien disposé qu'on soit, j'ai abandonné le livre aux deux tiers
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Ce n'est pas le premier livre de Kim Stanley Robinson sur le dérèglement climatique, mais c'est sans conteste le plus percutant puisqu'il démarre par une catastrophe humaine de grande ampleur, décrite avec minutie et une certaine radicalité.
Le ministère du futur est un roman d'anticipation très ancré dans le présent, il présente un futur proche qui nous semblera sans doute trop réel dans dix ans ou vingt ans. Il y renouvèle son style et adopte une écriture assez ramassée, dramatique avec des chapitres courts et de multiples points de vue de façon très dynamique.
Mine de rien, c'est à la fois un roman, aucun doute là dessus, mais aussi une initiation à de nombreux concepts autour de la transition écologique, et par moments, à travers la pensée de certains personnages, pas forcément nommés, on est plus dans l'essai sociologique ou anthropologique, mais très brièvement, de façon très digeste. C'est brillant. On a à la fois un thriller, et un livre qui fait de petites pauses pour penser.
La violence de notre monde contemporain est omniprésente, que ce soit la soif de justice qui peut mener au terrorisme ou au meurtre, la violence des mécanismes économicopolitiques qui laissent perdurer cette destruction atroce de l'environnement, mais aussi la violence de la technoscience qui prétend tout régler d'un coup de baguette magique. Et pourtant ce n'est pas un livre violent, on sent l'auteur inspiré par un profond désir de paix.
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Le roman explosif de la fin de l'inaction climatique. Un chef d'oeuvre indispensable, aboutissement provisoire de tout le travail de Kim Stanley Robinson.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/11/21/note-de-lecture-le-ministere-du-futur-kim-stanley-robinson/

Pas de note de lecture proprement dite pour ce redoutable chef d'oeuvre : il fait en effet l'objet d'un petit article de ma part dans le Monde des Livres du jeudi 16 novembre 2023 (daté vendredi 17 novembre), à lire ici.

Comme il est désormais de coutume en pareil cas, je me contenterai donc ici d'ajouter quelques considérations et citations, comme autant de notes de bas de page pour l'article en question. J'attire par ailleurs votre attention sur les deux prochains épisodes du Planète B de Blast, qui traiteront largement aussi de cet ouvrage, d'abord en tant que summum d'un certain type de fiction climatique, ensuite dans le cadre d'un entretien d'une heure avec Kim Stanley Robinson.

Tout d'abord, il faut noter (on en reparlera aussi dans l'entretien avec l'auteur pour Planète B) que « le ministère du futur » constitue une nouvelle démonstration de cette capacité si rare de l'auteur californien, celle de présenter toujours à la lecture un univers mental évolutif, une histoire du futur mobile et non dogmatique, dans laquelle ses anticipations romanesques intègrent nouvelles informations scientifiques, nouvelles approches socio-politiques, voire virevoltes presque purement littéraires (il y a ici un curieux point commun avec la manière dont un Alain Damasio peut par exemple assez largement « désavouer » certains partis pris de « La zone du dehors » dans « Les furtifs », vingt ans après). Ainsi, si « La trilogie martienne » de 1992-1996 n'est pas intégralement prise en compte dans « 2312 » en 2012, et moins encore dans « Aurora » en 2015, on trouvera ici (dans un roman publié en 2020 avant d'être traduit en français en 2023 par Claude Mamier chez Bragelonne) une résonance particulièrement fructueuse quant à l'état de l'art de la lutte pour le climat et la justice sociale qui doit inévitablement l'accompagner en comparant les éléments scientifiques, bien entendu, mais surtout les composantes politiques – voire géopolitiques – mobilisées ici par rapport à celles de « S.O.S. Antarctica » (1997) ou de la « Trilogie climatique » (2004-2007) (sans remonter nécessairement jusqu'à son « Lisière du Pacifique » de 1992), et même de « New York 2140 » (2017) – le traitement réservé à la finance de marché en étant particulièrement emblématique – et de « Lune rouge » (2018), pourtant beaucoup plus récents : Kim Stanley Robinson apprend de chacune de ses immersions romanesques, et nous en fait toujours plus que bénéficier, en intelligence comme en émotion, dans ses créations ultérieures.

Ensuite, comme dans chacune de ses oeuvres, des plus concises (notion toutefois toujours quelque peu relative dans le cas de Kim Stanley Robinson) aux plus amples, « le ministère du futur » peut à bon droit impressionner par la variété et la profondeur technique du jeu déployé, entrant souvent en résonance avec les recherches contemporaines les plus pointues en matière de science « dure » : on sait au moins depuis la « Trilogie martienne », « S.O.S. Antarctica » et la « Trilogie climatique » que la glaciologie, la compréhension intime des milieux (très) froids et montagnards – que l'on se souvienne aussi de l'étrange recueil de nouvelles « Les Martiens » – ou la géo-ingénierie – dont le traitement n'a rien à envier ici au précurseur Norman Spinrad de « Bleue comme une orange » ou au tout récent « Choc terminal » de Neal Stephenson – ne présentent guère de secrets pour le docteur en littérature (dont la thèse, en 1984, portait sur « Les romans de Philip K. Dick », sous la direction de Fredric Jameson) intensément féru de documentation physique, chimique, géologique ou biologique. On constate ici avec bonheur que cette curiosité précise et boulimique s'étend aussi, plus que jamais, à l'économie et aux sciences humaines, avec une analyse des mécanismes financiers et fiscaux (déjà finement abordés dans « New York 2140 » trois ans plus tôt) que ne renieraient ni Thomas Piketty (à qui le nom d'une taxe imaginaire particulière est notamment dédié dans le roman) ni David Graeber (dont le « Dette : 5 000 ans d'histoire » irrigue vraisemblablement une partie de ce texte), ou encore avec une prise en compte des méthodes nécessaires de lutte très en phase avec celle d'Andreas Malm. Dans un excellent entretien pour Médiapart (ici) et dans celui à venir dans Planète B, Kim Stanley Robinson précise d'ailleurs qu'il aurait ardemment souhaité avoir lu « Comment saboter un pipeline » (2020) – qui, rappelons-le néanmoins, pour les organes de sécurité ayant du mal avec certaines lectures, n'est PAS un manuel de maniement d'explosifs brisants – avant la rédaction du « Ministère du futur », afin de mieux différencier l'indispensable éco-sabotage (cher au précurseur Edward Abbey et à son « Gang de la clef à molette ») de l'éco-terrorisme beaucoup plus problématique – qui doit donc rester un pur artifice fictionnel.

Enfin, Kim Stanley Robinson propose ici un ensemble de choix formels de narration qui sublime une bonne partie de ses précédentes mises en évidence de savoir-faire littéraire.

Il a été noté de longue date, parfois de manière exagérément critique, que l'auteur s'affranchit très fréquemment du célèbre adage à l'emporte-pièce, fétiche des ateliers d'écriture de tout poil, qu'est le « Show, Don't Tell ». Kim Stanley Robinson a amplement prouvé au fil du temps qu'il est plus que capable de « montrer », mais qu'il refuse absolument de se priver de la ressource de la discussion : ses personnages aiment à débattre et à échanger des arguments, éclatante concession au réalisme, justement (et le final de « S.O.S. Antarctica » en constitue sans doute le summum dans son oeuvre). le dialogue technique entre personnages jouera donc ici un rôle tout à fait instrumental, mais l'orchestration d'ensemble va bien au-delà.

La polyphonie (au sens de Mikhaïl Bakhtine) jouait déjà un rôle essentiel dans le travail de Kim Stanley Robinson : si toutes ses oeuvres sont concernées, la « Trilogie martienne » ou sa monumentale uchronie, « Chroniques des années noires », en sont particulièrement emblématiques. « le Ministère du futur », en tant que roman choral, va également beaucoup plus loin. de même, en un sens, que le Harry Parker de « Anatomie d'un soldat » avait su donner la parole à une vaste sélection d'objets pour saisir la complexité de la guerre en Afghanistan, il s'agit ici d'étendre le champ potentiel des témoins, locuteurs et acteurs bien au-delà des seuls humains : on trouvera ainsi, aux côtés des scientifiques, technocrates onusiennes, humanitaires, activistes, politiciennes ou simples passantes, un certain nombre de narrateurs étranges, allant d'atomes et de corps astraux jusqu'à des protocoles financiers ou des mécanismes fiscaux. Et c'est bien ainsi, dans cette multiplicité foisonnante mais toujours signifiante, que la littérature en général et la science-fiction en particulier sont capables de faire partager les aspects les plus systémiques, les liaisons enchevêtrées mais pourtant pas intouchables, des complexités auxquelles l'humanité est confrontée, en extrême urgence désormais.
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C'est de la hard science-fiction. Mais ici, pas de Physique ou d'Aérospatiale, les sciences sont climatologique, politique, sociologique.
C'est d'ailleurs un récit, une chronique plus qu'un roman. Certes, il y a les chapitres narratifs avec Franck, traumatisé par une canicule particulièrement mortelle, et Mary qui dirige le « Ministère du Futur », organisme de l'ONU sensé influé sur les décisions des États relatives au climat. Mais il y a aussi des pages d'histoires, des définitions, des réflexions philosophiques, des témoignages, etc. Cette multiplicité des points de vue peut donner l'impression d'un miroir brisé, mais, au final, c'est comme en pointillisme : de près, c'est fragmenté, de loin, ça forme un tableau complet.
On m'a dit que les critiques trouvaient le roman trop optimiste. Arrivée à la moitié du roman, ce n'est pas du tout mon impression : les actions légales ne fonctionnent pas et seuls les éco-terroristes (je ne parle pas des Green Peace ou du Soulèvement de la Terre, mais de groupes qui pratiquent des assassinats plus ou moins ciblés) obtiennent quelques résultats. Plus tard dans le roman, des résultats sont obtenus, mais c'est le fruit d'années (de décennies) de travail, d'actions officielles et d'autres illégales. La société évolue mais doucement, très doucement. Kim Stanley Robinson est peut-être optimiste mais certainement pas naïf.
Le personnage de Franck représente plus ou moins le commun des mortels. Plutôt conscient à défaut d'être réellement engagé, il subit un traumatisme qui l'amène à vouloir agir absolument. Mais vers quoi, vers qui se tourner ? le malaise de Franck est aussi complet que son impuissance. Il est celui qui erre, qui avance sans but réel, à part de ne pas être un mauvais homme, qui n'agit pas mais a pourtant sa maigre influence. C'est le personnage le plus intéressant.
Un bémol cependant, l'éloge de la Suisse qui court sur tout le roman. Ce n'est pas un pays parfait, notamment en matière d'écologie, loin de là. Aussi une critique ou quelques phrases pour atténuer auraient été bien bienvenues.
En tout cas, c'est de la bonne anticipation, et si c'est optimiste, je ne vois pas le problème : pourquoi ne devrait-on montrer en SF que les mauvais chemins ?
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Abandonné à 28% par échéance de l'emprunt bibliothèque, ce livre certes potentiellement intéressant ne m'a pas passionnée (du tout). On alterne une histoire post-apo – sans qu'il y ait eu de catastrophe particulière cela dit, c'est plutôt une image assez réaliste de ce que pourrait être notre monde dans quelques (dizaines d') années – et des billets d'information (sans aucune typographie plus particulière que l'histoire même, cela dit) plus ou moins alarmistes, plus ou moins scientifiques ou politiques, sur le dérèglement climatique actuel. On s'attarde ainsi essentiellement à dénoncer la non-action des pays (riches) occidentaux, quand ce n'est pas carrément leur je-m'en-foutisme du style « Après moi les mouches » au nom d'une souveraineté nationale et/ou du sacro-saint capitalisme et son culte du profit. OK, l'auteur est américain, ce qui explique peut-être ce livre très didactique un peu terne...

Mais donc, oui, c'est intéressant, sans pour autant apporter quoi que ce soit de bien nouveau sur le sujet, du moins quand on s'en informe régulièrement. Quant à l'histoire qui nous est contée: j'ai donc dépassé le quart du livre, et je reste grandement sur ma faim. À part Franck que nous rencontrons dès le début, et qui va évoluer d'une façon quelque peu inattendue mais tout à fait cohérente, aucun personnage n'est réellement attachant, d'ailleurs je me suis très vite empêtrée dans tous les autres.
Par ailleurs, l'auteur semble bien connaître la ville de Zurich (oui, oui, en Suisse), dont il nous sert des descriptions et autres promenades à temps et à contre-temps. C'est sans doute sympa quand on connaît, ce qui n'est pas mon cas, dès lors ça m'a paru intéressant une ou deux fois… et puis peu à peu, sachant que ces échappées sont très nombreuses, ça finit par lasser ! Qu'est-ce que ça apporte à l'intrigue ? Pas grand-chose à première vue, d'autant plus que ladite intrigue n'est guère convaincante : c'est lent, lent, lent et ça a fini par m'ennuyer complètement, jusqu'à laisser passer la date d'expiration de mon emprunt.

Et voilà : j'ai bien un peu hésité, car (i) je n'ai jamais aimé abandonner un livre, même si désormais j'ai moins de scrupules qu'autrefois à laisser tomber quand je n'accroche pas, et (ii) vu le nombre de prix et de commentaires positifs que ce livre a reçus, je me sens une fois de plus en porte-à-faux face à un succès livresque… mais voilà, c'est comme ça, et j'ai finalement décidé que je ne renouvellerais pas l'emprunt !
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Kim Stanley Robinson affirmait (dans un texte publié en 2019 dans la revue Commune) que les dystopies traduisent nos craintes envers les problématiques actuelles et supposait que l'engouement pour celles-ci est symptomatique d'une crise de la représentation où les différentes formes de gouvernements - par indifférence - faillissent à leur devoir de résolution de ces problématiques ; face à cette incurie, les dystopies expriment alors le sentiment d'impuissance des citoyens. Il allait même jusqu'à dire que faute d'action politique collective nous vivions déjà dans une dystopie.
Mais loin d'être pessimiste, Kim Stanley Robinson est un auteur qui croit en la force prescriptrice de l'imaginaire. Ainsi il exhortait à la création d'utopies afin de pouvoir imaginer les solutions futures à nos problèmes contemporains. C'est donc ce à quoi il s'est attelé et en 2020 est paru son livre The Ministry for the future aujourd'hui traduit en français.

Toutefois, K.S.R. était conscient de l'ampleur des changements nécessaires pour enrayer le changement climatique et stopper ses conséquences ; dépassant le simple constat, il nous offre ici une ébauche de projet civilisationnel total afin de les mener à bien.
C'est alors une forme hybride de récit d'anticipation qu'il nous livre, oscillant entre dystopie et utopie et accompagné d'articles qui ne dénoteraient pas dans un essai. Si la forme que prend cette expérience de pensée s'entend, sa réalisation mérite d'être critiquée : au-delà du fait que K.S.R. semble régulièrement s'envoyer des fleurs et bien qu'il soit nécessaire de rappeler certaines informations pour ceux qui n'en auraient pas connaissance, le lecteur averti éprouvera une certaine lourdeur dans le texte, l'alternance entre essai et fiction cassant le rythme du récit ; on attend d'un roman de SF qu'il intègre et entremêle subtilement la réalité et la fiction (en somme « Show, don't tell »).
Dans une moindre mesure, les changements de style de langage pour figurer les différents personnages semblent souvent être clichés, voire caricaturaux, et ne parviennent pas à leurs donner de la substance.

Globalement, les personnages sont superficiels et aucun n'est réellement charismatique. Les protagonistes sont plus nuancés mais manquent toutefois de complexité, laquelle aurait permise de mettre en lumière les dilemmes moraux qu'imposent les bouleversements du récit.
La qualité des différents chapitres est également oscillante : les premiers chapitres sur la canicule en Inde sont par exemple palpitants et réellement immersifs mais d'autres sont fades, superflus ou trop vite expédiés ; coté articles, si certains sont captivants d'autres ne sont pas assez explicites - notamment ceux traitant de sujets économiques - ou s'appuient sur des analogies pour le moins douteuses.
L'histoire, quant à elle, est à l'image des protagonistes et manque d'élaboration et de profondeur. Si nous sommes d'accord avec l'auteur pour dire que ce n'est pas avec des demi-mesures que nous réglerons le changement climatique et ses répercussions, cette radicalité - justifiée – aurait pu paraître vraisemblable si les plans et mesures avancés n'auraient pas été si facilement adoptés et mis en oeuvre. de tels changements, de telles décisions devraient rencontrer beaucoup plus d'obstacles et obligatoirement générer des conflits à grande échelle or ce n'est pas le cas : la géo-ingénierie est, par exemple, tout d'abord controversée et source de troubles diplomatiques mais n'est ensuite plus discutée sans pour autant que le bien fondé de son utilisation ait été débattu ou qu'un consensus ait été trouvé. L'aspect politique et la responsabilité des citoyens sont trop négligés ; tandis que, par facilité, la volonté de chacun d'accepter les changements n'est pas évoquée ou, si elle l'est implicitement, surestimée, tout est mis sur le dos des banquiers et de la finance, et tout les problèmes sont réglés à coup de drones et de missiles nuée.

L'ensemble n'est pas exempt de défauts qui privent le roman de ses qualités divertissantes, et bien que peu de place y soit laissée à la réflexion du lecteur, sa lecture n'en reste pas moins intéressante, voire nécessaire. L'idéologie que K.S.R. y déploie va dans le bon sens mais force est de constater qu'elle est trop parcellaire et superficielle pour satisfaire à un projet civilisationnel total qui répondrait à la crise climatique ; au lecteur de la passer au crible de son esprit critique pour en combler les manquements une fois le récit terminé.
Si ce n'est en somme qu'un manifeste romancé du fruit de ses recherches et de sa pensée qu'il nous expose, son travail considérable mérite autant notre attention que d'être salué.
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On ne présente plus Kim Stanley Robinson, l'un des plus grands auteurs de Science-Fiction de ces quarante dernières années. Ses écrits s'orientent selon deux grands axes : tout d'abord l'exploration spatiale avec la mondialement connue et multi-récompensée Trilogie Martienne, l'excellent Aurora ou le plus dispensable Lune Rouge. Son autre leitmotiv est le changement climatique qu'il évoque à de nombreuses reprises dans ses ouvrages comme dans la série Capital Code, New-York 2140 et son dernier roman en date le Ministère du Futur.

On ne lit pas KSR pour sa prose romanesque mais pour sa vision ambitieuse, pour sa rigueur scientifique, pour son souci du réalisme, pour ses implications scientifiques et sociales approfondies présents dans ses récits plus ou moins futuristes, et aussi pour sa puissance d'émerveillement et pour les interrogations qu'il fait naitre au coeur de chacun.

Le Ministère du Futur est le nom populaire d'une nouvelle institution mondiale créée selon l'Accord de Paris sur le climat, basée à Zurich et dirigée par Mary Murphy. Sa mission, défendre les générations futures, la faune et la flore en menant des projets ambitieux pour mettre fin à la spirale infernale du dérèglement climatique. Des actions scientifiques, techniques mais aussi politiques et économiques sur les court, moyen et long termes vont être mises en place.

Le roman s'ouvre avec un premier chapitre qui nous plonge directement dans une étouffante et mortelle vague de chaleur en Inde causant des centaines de milliers de morts. Glaçant de réalisme, ces premières lignes donnent le ton, secouent les esprits et assomment le lectorat. S'ensuit une centaine de chapitres, et autant de témoignages, qui nous narre la façon dont le changement climatique nous affectera tous dans les décennies à venir. Kim Stanley Robinson à travers son Ministère du Futur propose des solutions radicales, extrêmes, illégales pour certaines, dans le but de changer les mentalités, de modifier notre façon de consommer et tout simplement de vivre. Pour cela il explore des solutions scientifiques et techniques pointues, précises, et revoit tout le modèle économique créant une cryptomonnaie dont la valeur est fonction du carbone que l'on séquestrera ou extrapole sur des changements politiques chez de grandes puissances économiques comme l'Inde ou la Chine...

Kim Stanley Robinson avec le Ministère du Futur crée un système global où tout s'imbrique parfaitement au niveau mondial, une utopie qui ne va pas sans heurts mais qui laisse un infime espoir. le seul bémol, le seul reproche que l'on pourrait lui faire est qu'il ne s'intéresse pas assez au citoyen lambda, à ces derniers maillons de la chaine sans qui rien ne pourrait se faire, à ces réfractaires au changement et au système qui sont à la fois le premier moteur et le premier frein (et probablement ceux qui feront échouer tout plan de ce style).

Le Ministère du Futur c'est cent-six chapitres pour changer le destin de la planète, cent-six moments de vie pour un infime et ultime espoir, cent-six récits à faire lire au plus grand nombre, cent-six propos politiques, économiques et/ou scientifiques à faire découvrir à ceux et celles qui nous dirigent et qui ont le destin des générations futures entre leurs mains.

Le Ministère du Futur est bien plus qu'un roman c'est un cri d'alarme et d'espoir, un livre militant et politique mais un livre indispensable si l'on veut que les choses changent. Cela pourrait être la première pierre d'une longue et lente révolution...

Lien : https://les-lectures-du-maki..
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En me lançant dans une critique, je vais essayer de ne pas faire comme l'auteur qui part dans tous les sens. La tentation est pourtant grande de digresser sur les nombreux sujets effleurés.
Contentons-nous de l'essentiel. de quoi s'agit-il ? D'un roman d'anticipation. Qu'attend-on quand on se lance dans un livre annoncé comme tel ? D'un roman et de l'anticipation. Pour l'anticipation, j'aspire à découvrir une vision originale et réaliste du futur proche. Et plus profondément, peut-être y trouver des inspirations, des raisons d'espérer, des écueils à éviter, de l'énergie pour avancer. Si on veut du sensationnel, on s'orientera plutôt vers une dystopie ou un film catastrophe dépeignant un futur apocalyptique, pour le côté jubilatoire, exorcisant, voire réconfortant (ou écoeurant, c'est selon) quand Bruce Willis sauve le monde.
Pas de doute, le ministère du futur est bien un roman d'anticipation. Au début, les événements climatiques imminents sont même très crédibles. Je trouve d'ailleurs qu'on aurait pu aller plus loin, plus de catastrophes, des mouvements sociaux, des grosses tensions, ce qu'on ne perçoit pas vraiment.
Le ministère du futur, dirigé par Mary, l'héroïne du roman, conçoit-il des ébauches de solution ? Ah, ça oui. Crédibles ? Bof. Les solutions avancées sont par exemple les Carbocoins couplés à des écotaxes, tout miser sur les technologies (myriade de forages pour pomper l'eau sous les glaciers, déplacements en dirigeable, villages volants dans le ciel,...), imposer la société à 2000 W (pas plus de 2000 W par heure par personne), mettre en oeuvre la half-earth (réserver la moitié de la surface du globe à la biodiversité, sans aucune occupation humaine). Evidemment au début ça ne prend pas, mais avec un peu d'écoterrorisme, tout le monde finit par se ranger de gré ou de force.
A coup sûr ce monde très réglementé, fait d'ascétisme et de privations (plus de viande) ne me fait pas rêver, ni même ne me donne de raisons d'espérer, si ce n'est qu'il y aura toujours des irish coffee !
Et le côté romanesque ? Les personnages ? Bof aussi. Autour de Mary, il y a notamment Frank, traumatisé par la première catastrophe climatique de grande ampleur et pour qui Mary éprouve une forme de syndrome de Stockholm, Badim qui s'occupe du sale boulot du Ministère, Art le globetrotteur insaisissable. Ni leur personnalité ni les relations et sentiments qui les lient ne m'ont captivé.
Qu'y a-t-il d'autre dans ces 600 pages et 106 chapitres ? Quelques courts moments philosophiques. Des scènes quotidiennes peu enthousiasmantes, des références historiques, des descriptions de lieux et traditions (souvent en Suisse), et sûrement encore beaucoup de choses que j'ai fini pas oublier.
La cote représente le plaisir que j'en ai tiré, et pas une critique littéraire à proprement parlé pour laquelle je n'ai pas de légitimité.
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Je sais qu'il y a quelques défauts dans ce livre (voir ci-dessous) mais je peux déjà dire que je l'ai trouvé assez impressionnant. Je ne connaissais pas Kim Robinson : apparemment il est connu comme un honorable auteur de science-fiction, mais il semble qu'il soit à l'aise dans bien d'autres domaines, comme il le prouve ici. le changement climatique est au coeur de ce livre et la grande réussite de Robinson, à mon avis, est de donner une idée de l'ampleur du défi qu'il pose à nous et à notre planète.
Cela commence de façon dramatique, avec l'évocation d'une canicule extrême en 2025 (donc encore de la science-fiction) dans l'État indien de l'Uttar Pradesh qui aurait tué des millions de personnes. Cela déclenche une série de mesures radicales et la création d'un Ministère de l'Avenir qui fera pression sur les États-nations et le système international au nom des générations futures. Robinson suit principalement la direction de cet institut basé à Zurich, et nous offre ainsi un tableau des problèmes très divers auxquels le monde est confronté : non seulement le problème technologique de la réduction du niveau de CO2 dans l'atmosphère et de la prévention de la fonte ultérieure des glaciers et Glace arctique, mais aussi des mesures fiscales et monétaires pour encourager des comportements plus respectueux de l'environnement, des stratégies visant à promouvoir des approches écologiques à petite échelle, etc. le nombre d'angles proposés par Robinson est vraiment impressionnant. Et il souligne en particulier l'influence pernicieuse des idéologies et des religions existantes, l'opposition des États-nations et des intérêts particuliers, ainsi que l'héritage du capitalisme et du postcolonialisme. Une approche véritablement kaléidoscopique.

Formellement, Robinson a réparti cela dans plus de 100 chapitres relativement courts, suivant parfois certains personnages, d'autres fois présentant des brochures passionnées, et même des rapports de conférence ou des expositions didactiques très sec. Cela exige quelque chose de la part du lecteur, d'autant plus que Robinson n'est clairement pas un véritable écrivain littéraire. Mais il offre beaucoup de variété, et entremêle aussi suffisamment d'éléments de fiction pour que le tout soit tout à fait digestable, notamment à travers l'histoire de l'Irlandaise Mary, la présidente du Ministère de l'Avenir, et de Frank, un Américain traumatisé par la canicule en Inde et devenuéco-terroriste ; l'amitié entre les deux est l'un des aspects les plus agréables de ce roman. L'évolution dans le temps, d'environ 2025 à environ 2050, soutient également l'élément narratif.

Le principal problème est que ce roman exige une certaine suspension de l'incrédulité. J'ai particulièrement eu du mal à comprendre que le ministère de l'Avenir disposait d'un service secret qui utilisait des écoterroristes pour tuer des centaines de grands banquiers, de magnats des compagnies pétrolières et des compagnies aéronautiques. Et le plus gros problème est que dans ce roman une baisse significative de la teneur en CO2 dans l'atmosphère a été constatée après déjà un peu plus de 20 ans, suite aux nombreuses mesures. Scientifiquement, c'est absurde (et ce livre contient d'autres erreurs factuelles et scientifiques). Cela nous amène immédiatement à la question la plus cruciale du débat sur la lutte contre le réchauffement climatique : peut-on le combattre par la technologie et des interventions techniques ? Ce livre contient un essai qui pose la question « la technologie est-elle le moteur de l'histoire du monde ? », et Robinson semble à première vue soutenir cette affirmation. Mais c'est précisément grâce à son approche très kaléidoscopique de la question climatique qu'il prouve clairement que seul un très large mélange de mesures et d'approches dans des domaines très différents peut apporter un soulagement. Si ce roman apporte quelque chose à ce débat extrêmement important, c'est bien ce message très précieux.
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