Théâtre/Tome II/
Golden Joe/
Variations énigmatiques/
Le Libertin/
Eric Emmanuel SchmittGolden Joe.
La seule préoccupation du personnage central, Joe, est de posséder plus et encore plus. Il a hérité de son père un immense empire financier dans la City londonienne. le profit est sa raison de vivre et le dollar son credo.
Sa fiancée Cecily elle-même a été convertie à la même religion et dans sa chambre le soir avant de trouver le sommeil, elle récite sa prière :
« Notre père le Dollar
Que votre cours soit respecté,
Que votre règne dure.
Donnez-nous aujourd'hui notre vison du jour,
Effacez nos crédits comme nous le réclamons à tous nos débiteurs
Et délivrez-nous des pauvres.
Amen »
Mais tout ne va pas se passer comme il l'escomptait et Joe va en venir à douter et réaliser que l'homme n'est pas seulement un robot à qui l'on donne des ordres. C'est un revirement total qui s'amorce dans sa personnalité. Mais ira-il jusqu'au bout de cette révélation ? Assumera-t-il cette humanité qu'il sent naître en lui ?
Une fois de plus,
Eric Emmanuel Schmitt nous régale avec ce style de pièce de théâtre intellectuelle brillante. Depuis
Sartre, on attendait du théâtre de cette tenue !
La seconde pièce de ce recueil, Variations Énigmatiques, se déroule sur un fond musical celui des Variations Enigma de Elgar.
Cela commence par des coups de feu à l'entrée de la propriété de Znorko qui voyant l'effarement de Larsen,
le visiteur, lui déclare : « si je vous ai manqué, c'est que soit je vise mal soit que je vise bien. Au choix ! » le ton est donné !
C'est une pièce intrigante où deux personnages étranges s'affrontent en un duel de très haute tenue avec pour thème l'amour, le couple, la passion, la création littéraire, le tout avec des rebondissements incessants… Et la femme du différent n'apparaît jamais.
Avec l'humour en prime :
« Les passions les plus intenses se promettent l'éternité mais, généralement, l'éternité passe vite. »
Une véritable pépite que cette pièce qui aborde aussi au passage Dieu : « Dieu, on en entend parler bien trop longtemps avant de se poser sincèrement la moindre question à son sujet ! Dès lors, quand on commence à y réfléchir, on est déjà sous influence. »
Le Libertin.
Des trois pièces c'est certainement la plus drôle et aussi la plus philosophique, abordant principalement non seulement le thème : morale et liberté mais aussi amour, sexe, et séduction.
Dans le pavillon de chasse du baron d'Holbach,
Diderot pose à demi-nu pour madame Therbouche, portraitiste, tout en marivaudant quand il est dérangé par son secrétaire pour rédiger un article pour
l'Encyclopédie concernant le terme « morale ».
L'auteur nous convie alors à une comédie libertine philosophique tout en faisant l'apologie du désir.
Les dialogues entre Madame Therbouche et
Diderot sont savoureux et spirituels, riche d'un humour charmant, brillant et jubilatoire.
Diderot : « Je ne sais pas si j'y crois moi à la liberté ! Je me demande si nous ne sommes pas simplement des automates réglés par la nature…Suis-je libre ? Mon orgueil répond oui mais ce que j'appelle volonté, n'est-ce pas simplement le dernier de mes désirs ? Et ce désir, d'où vient-il ? de la machine, de la vôtre Madame, de la situation créée par la présence trop rapprochée de nos deux machines. Je ne suis donc pas libre…Pour être moral, il faudrait être libre, oui, il faudrait pouvoir choisir, décider de faire ceci plutôt que cela. La responsabilité suppose que l'on aurait pu faire autrement. »
Madame Therbouche : « Il faut être libre pour se montrer perverse. le vice ne serait-il pas la démonstration de notre liberté ? »
Diderot : « S'il n'y a point de liberté, il n'y a point d'action qui mérite la louange ou le blâme. Il n'y a ni vice ni vertu, rien dont il faille récompenser ou punir. »
Madame Therbouche : « La supériorité de la femme sur l'homme, c'est qu'on ne peut jamais savoir si elle a envie. Nous avons un corps disposé à l'énigme…Plaire pour vous les hommes, ce n'est qu'un marchepied pour arriver au lit, un moyen pour parvenir à vos fins. Tandis que plaire pour nous les femmes, c'est une fin en soi, c'est la victoire elle-même. ..Proie ou chasseur, c'est l'alternative, voilà le monde. »
Diderot : « Lâcher toutes les idées pour une ! le fanatisme n'a pas d'autre origine. »
Cette pièce est un petit chef d'oeuvre, un bijou, une réflexion, un régal qu'il faut absolument déguster sans retenue.