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EAN : 9782707302342
230 pages
Editions de Minuit (01/03/1962)
3.52/5   24 notes
Résumé :
« Première partie. « Inventaire ». De retour à Barcelone, l'étudiant se rappelle l'hôtel Colon, désormais détruit. Il se trouve dans une pièce, dont il fait un inventaire minutieux avec quatre hommes : l’Italien, l’Américain, deux Espagnols, le maître d’école et l’officier. Des journaux répètent la même question : Quién asesino a Santiago ?
Deuxième partie, « Récit de l’homme-fusil ». Lors de son arrivée à Barcelone, l’étudiant est accompagné de l’homme-fusil... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
"Le Palace" de Claude Simon est un roman publié en 1962 qui s'appuie sur les souvenirs que l'auteur a gardés de sa Guerre d'Espagne. En 1936, il fit un bref passage de quelques semaines par Barcelone. On sait qu'au-delà des faits et des événements, la Guerre d'Espagne est le réservoir inépuisable des mythes de la gauche révolutionnaire bien-pensante au pouvoir : même les Antifas et autres "No pasaran" d'aujourd'hui, qui n'ont pas l'air de grands lecteurs, empruntent leur imagerie à cet épisode historique si mal étudié et si bien célébré. Comment le roman tel que l'auteur l'élabore traite-t-il pareil sujet ?
*
Dès le début, nous sommes prévenus, par la citation du dictionnaire Larousse : "Révolution : Mouvement d'un mobile qui, parcourant une courbe fermée, repasse successivement par les mêmes points." Aragon, ouvrant son exemplaire sur cette définition, s'étrangla d'indignation, comme on pense. Un parti-pris d'objectivité, le parti-pris des choses si l'on préfère, à l'oeuvre dans ce roman, produit un effet de profonde ironie politique, car les proclamations vertueuses auxquelles on s'attend sont dégonflées comme des baudruches, le lecteur de bonne foi ne retrouve ni ses gentils, ni ses méchants, et le texte va le plonger au contraire dans une réalité concrète puissante, minutieusement, fidèlement décrite. L'évocation (par exemple) d'une boîte de cigares vide, de journaux froissés, de funérailles publiques, fait apparaître les choses mêmes dans toute leur matérialité et frappe d'inanité tous les sermons. D'autres romans de l'auteur ridiculisent de même les grands discours patriotiques, il n'y aurait pas eu de raison que les grands discours internationalistes soient épargnés.
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Des esprits simples seraient tentés de conclure que "Le Palace" est un roman anti-révolutionnaire. Ce serait une erreur de l'enrôler dans une concurrence d'idéologies et dans une guerre de mots, où "chaque adversaire fait la loi de l'autre". C'est à ses propres conditions que le romancier aborde son objet, Barcelone en 1936 : il élimine tous les noms propres (même celui de la ville, ce qui a fait croire aux lecteurs américains de la traduction anglaise que le roman se passait en Amérique du Sud) et articule son propos sur un thème essentiel, qui est l'impossibilité d'établir la vérité dans une jungle de discours, de signes, d'hésitations et de détails qui perdent le lecteur mais aussi son héros, l'Etudiant (qualifié de "petit étourneau"), sorte de Fabrice del Dongo projeté non pas à Waterloo comme dans la Chartreuse de Parme, mais dans une guerre civile de tous contre tous (les deux camps s'entretuent sur le front (paraît-il), mais éliminent aussi, et surtout, amis et alliés) à laquelle il ne comprend rien. Une figure révolutionnaire a été assassinée : personne ne sait par qui, la presse se pose unanimement la question du coupable et les questions restent sans réponse. Il n'est pas de plus impitoyable critique que celle-là : littéralement, un romancier ne peut rien dire de la Guerre d'Espagne, sauf à falsifier et à trahir son art en faisant de la "littérature engagée".
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"Le Palace" est donc le contraire de "L'Espoir" de Malraux : pas de narrateur omniscient, pas de personnages nommés, repérables, dont l'action évolue dans le temps, pas d'exemplarité des actes ni de morale à transmettre, pas d'appel à l'engagement du lecteur ni aucune certitude. L'école des néo-romanciers fait observer par ailleurs que tous ces éléments qu'elle rejette, sont conventionnels, et elle se propose de créer d'autres conventions. Seulement, les lecteurs de L'Espoir ou des romans de gare ont l'habitude de ces conventions traditionnelles du roman, qu'ils prennent pour sa nature et pour le déroulement propre de la narration. On a beaucoup reproché aux néo-romanciers comme Claude Simon leur abus des descriptions, leur "parti-pris des choses" : dans "Le Palace", on voit à l'oeuvre le dynamitage de la mythologie rouge par la description, qui revêt une fonction critique inattendue.
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La guerre d'Espagne sans rien en voir, et pourtant le lecteur qui ne l'a pas vécu en gardera peut-être, comme moi, une image d'une netteté extraordinaire.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[Barcelone, après la guerre]
- mais peut-être était-ce des années plus tard : c'étaient pourtant les mêmes enfants, les mêmes vieillards, le même mouvant tapis de pigeons se déplaçant par saccades, le même carrousel de tramways ferraillants, peinturlurés (mais plus les deux sévères triangles accolés, le sceau rouge et noir : bariolés maintenant aux couleurs de marques d'apéritifs ou de lessives, tapageuses, criardes, mercantiles, sans aucune autre fonction que d'attirer l'oeil, comme des robes ou des maquillages de putains : rien que tapageuses, rien que criardes) avec les mêmes grappes de types efflanqués et cosmétiqués, aux pantalons élimés (mais ils avaient aussi une veste à présent, quelques-uns en manches de chemise, portant alors leur veste décemment pliée sur le bras, et une cravate - élimée aussi, mais une cravate - autour du cou) suspendus aux marchepieds - et quelque chose d'indéfinissable en eux ; comme des amputés, des manchots, avec leurs regards durs, aigus, fuyants, aquilins, leurs visages bruns, consumés, leurs voix d'aigle aussi, si l'on peut dire, non pas graves mais rauques, sommaires, rapides - trop rauques, trop rapides pour les sujets dont on pouvait maintenant les entendre parler : de matches de football, de courses cyclistes, de films, et cette commune expression outragée de perpétuelle indignation, de perpétuelle et incurable frustration, comme des hommes qui cacheraient quelque blessure invisible, secrète, que l'on aurait amputés de quelque chose d'essentiel, dont aucun homme ne peut supporter d'être privé : "Comme des eunuques", pensa-t-il ; puis il pensa : "Je sais : les armes" :

III, Pléiade p. 482-483
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... se demandant qu'est-ce qui pousse un homme à raconter ("Ou à se raconter à lui-même, pensa-t-il : la seule différence c'est qu'il le fait maintenant à voix haute"), c'est-à-dire à reconstituer, à reconstruire au moyen d'équivalents verbaux quelque chose qu'il a fait ou vu, comme s'il ne pouvait pas admettre que ce qu'il a fait ou vu n'ait pas laissé plus de traces qu'un rêve, pensant : " A moins que ce ne soit le contraire, à moins qu'il espère qu'une fois raconté, une fois mis sous forme de mots, tout cela se mette à exister tout seul sans qu'il ait besoin de le supporter plus longtemps, c'est-à-dire de servir à lui seul, avec ses maigres forces, sa malingre carcasse de coolie, de support : comme s'il essayait d'arracher, de rejeter de lui cette violence, cette chose qui a élu domicile en lui, se sert de lui - ce pourquoi il dit que c'était seulement sa main, son bras*, pas lui - (comme dans ces jeux où le perdant tire une carte, une figure maudite ou maléfique, qu'il lui faut à tout prix refiler à un autre avant qu'elle le condamne définitivement), le possédant, le consumant ..."

* sa main, son bras, qui ont tiré le coup de feu assassinant le dignitaire fasciste

Le Palace II, Pléiade p. 456
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Vidéo de Claude Simon
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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