« Étrangers à ces lieux qu'ils prétendaient habiter » . Est ce là un des lieux communs qu'investissent les personnages du premier roman de
Chloé Thomas ?
Premier roman donc et qui en cette rentrée littéraire ne laissera aucun lecteur indifférent.
Avec ou sans. Avec étonnement pour ma part. Sans partie pris également.
Découverte donc.
Quelle écriture...J'avoue que les mises entre parenthèses récurrentes tout au long du récit ont été quelque peu déstabilisantes pour moi. Question de rythme je crois.
Mais je ne suis pas encore habituée au style Thomas, à sa musique, à son tempo.
Il y a « une phrase » Thomas.
Je me suis surprise à penser à
Marguerite Duras sans être capable de m'expliquer cette association.
Un style singulier ,innovateur, peut être ? ou alors comme une voix qui marcherait le long des voies de faits des personnages...Car ce n'est pas sur la structure de la phrase qu'il faudra chercher cela. Peut être dans le regard…Le côté caméra, chambre noire. Questions restant à développer….
Peut être d'autres que moi diront mieux cette impression. Je ne sais pas.
Si j'ai un un peu de mal à suivre parfois cette écriture, cela ne m'a pas empêcher d'aimer cette galerie de portraits qui, selon moi, nous sont ,à tous, familiers.
La France des trente glorieuses, la France post soixante-huitarde. Celle qui vint après. Celle qui a le sentiment de n'avoir été à la hauteur d'aucun rôle, parce que tous les rôles avaient été déjà tous distribués à leurs aînés. Une génération née dans le no man 's land de l'Histoire. Entre deux lignes de front, une génération bien sympathique, qui n'a jamais eu tord ni même raison.
Chloé Thomas ose un regard très intéressant sur cette génération, génération presque perdue, non advenue. Celle là même précisément qui nous gouverne, investit, entreprend encore.
Cette génération qui n'ayant pas connu la guerre, ni 68, cette génération qui au yeux de leurs ainés et même de leur descendance n' a jamais vraiment « mérité », sans même pourtant n'avoir jamais vraiment démérité.
Une génération à blanc. Ni guerre, ni révolution. Et qui pourtant est projetée sur son histoire.
C'est la première fois que je rencontre le non-phénomène de cette génération évoqué dans un roman.
Chloé Thomas a la plume incisive en dressant le portrait de cet « impossible devenir ouvrier de jeunes gens rêvant à la virilité des prolétaires ».
En évoquant « ce grand stage ouvrier des classes dirigeantes » , nul doute de
Chloé Thomas va en irriter plus d'un. Plus d'une et d'un de cette génération tardive qui « pensant penser » dans le bon sens a finalement finit par rallier un « entre soi disant » et autre « bien pensant » ( qui donne la nausée) de toute bonne sociale démocratie bien élevée dont on hérite.
...Et l'on en vint à épeler les générations comme d'autres s'était mis à compter les guerres…générations nés sous X, sous Y, Z,...illettrisme d'un futur ?... Et vint le jour où tous les groupes sociaux constatèrent ( plus aucun contestataire ne devant lever son museau, ni même son poing... ), que nous partagions belle et bien une humanité commune. Commun à la racine non communautaire et de plus en plis communautariste. Pas méchant, pas gentil, pas salop, pas formidable. Sans classe. Moyen. Des lieux communs envahissent notre maison commune.
Individuellement- passablement...détestables ?
Ce n'est pas une méritocratie, ni médiocratie, juste une « moyennocratie »... Une société devenue moyenne, un entre deux, un entre soi. Ni chaud, ni froid, de la tièdeur lourde d'une mangrove...
Nos lieux communs. Habitables par tous, insupportables pour tous. Limite...létales.
Donc même si à certains moments je n'adhère pas totalement à « l ' écriture
Chloé Thomas » – cela par manque d'éducation de mon oreille -, ( cela ne m'empêche pas toutefois de saisir pleinement le potentiel extrêmement prometteur de cette nouvelle auteure) - je retiendrai de cette lecture la pertinence de son sujet alliée à l'impertinente intelligence du ton, , qui peuvent ouvrir les portes d'un débat qui nous permettraient justement de sortir de «
nos lieux communs », où, reconnaissons le, notre société a de moins en moins d'aisance à justifier le manque d'oxygénation de sa pensée. Dire cela est un lieu commun puisque cela est partagé par bon nombre d'entre nous. Et déjà se forme à l'horizon un autre lieu commun... Décidément...
Donc : bienvenue à
Chloé Thomas, merci à elle pour ce coup de plume extrêmement singulier qui permet au Éditions Gallimard en partenariat avec Babelio de nous offrir cet étonnant rafraîchissement en cette rentrée littéraire !
Astrid Shriqui Garain