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EAN : 9782020222228
342 pages
Seuil (03/10/1994)
4.36/5   7 notes
Résumé :
Un essai sur les camps totalitaires, invention du XXe siècle, sur la morale quotidienne qu'ils engendrèrent et qui peuvent jeter les bases d'une nouvelle conception de la vie à la mesure de notre temps.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Dans ce formidable ouvrage, Tzvetan Todorov décrypte les différents sentiments ressentis par les prisonniers, à travers des témoignages de survivants et de tortionnaires, dans l'horreur des camps de concentration : Communistes et Nazis.

L'auteur décrit par exemple le fait que : nombreux sont les prisonniers qui ont « choisi » la dignité du suicide, plutôt que de se laisser sauvagement exécuter par leurs bourreaux.

On est également stupéfait de constater que les hommes qui perpétraient le MAL ABSOLU n'étaient, pour la plupart, ni des monstres fanatiques, ni des sadiques, mais des gens étonnement ordinaires adhérant à la politique inhumaine menée par l'Etat Totalitaire. Comme Tzvetan l'explique, page 139 :

« On s'est souvent demandé comment des « gens ordinaires », « bons maris et pères de famille », avaient pu accomplir tant d'atrocités : qu'était devenue leur conscience morale ? La réponse est que, grâce à cette captation des fins dernières, à cette restriction des hommes à la seule pensée instrumentale, le pouvoir totalitaire pouvait obtenir qu'ils accomplissent les tâches qui leur sont prescrites sans avoir besoin de toucher à la structure morale de l'individu. Les gardiens responsables d'atrocités ne cessent pas de distinguer entre le bien et le mal, ils n'ont subi aucune ablation de leurs organes moraux ; mais ils pensent que cette « atrocité » est en fait un bien, puisque l'Etat – détenteur des critères du bien et du mal – le leur dit. Les gardiens sont non pas privés de morale, mais dotés d'une morale nouvelle ».

Et, sur la notion de responsabilité individuelle, Tzvetan Todorov nous éclaire encore, page 143 :

« Non, les hommes ne sont jamais entièrement privés de la possibilité de choisir. La personne est responsable de ses actes quelles que soient les pressions qu'elle subit, autrement elle renonce à son appartenance humaine ; toutefois, quand les pressions sont vraiment grandes, le jugement doit en tenir compte ».

Suit une intéressante analyse sur le degré de responsabilité morale de la part : des populations témoins de ces persécutions et de ces déportations. L'auteur cite, ici, Evguenia Guinzbourg (survivante du Totalitarisme Communiste) Vertige (le) et le Ciel de la Kolyma, tome 2 : le Vertige, pages 157 et 158 :

« Il ne suffit pas pour retrouver la paix de se dire qu'on n'a pas pris une part directe aux assassinats et aux trahisons. Car qui a tué ? Pas seulement celui qui a frappé, mais aussi tous ceux qui ont apporté leur soutien à la Haine. Peu importe de quelle manière. En répétant sans réfléchir des formules théoriques dangereuses. En levant sans rien dire la main droite. En écrivant lâchement des demi-vérités (II, 188) ».
« de cela les habitants des pays totalitaires sont bien responsables ».

Ensuite, Tzvetan Todorov dissèque la schizophrénie des bourreaux, dans les camps de concentration, qui tentent de se dédouaner de leurs monstruosités, page 183 :

« Toute pensée des fins est écartée ; il n'est question que des moyens, et encore de moyens appropriés à une partie du processus seulement ».

Egalement, page 185 :

« Aucun des éléments de la chaîne (bien plus longue en réalité) n'a le sentiment d'avoir la responsabilité de ce qui est accompli : la compartimentation du travail a suspendu la conscience morale. La situation, n'est légèrement différente qu'aux deux bouts de la chaîne : quelqu'un doit bien prendre la décision – mais il suffit d'une seule personne pour cela, d'un Hitler, d'un Staline, et le destin de millions d'êtres humains bascule dans le macabre ; cette personne, qui plus est, n'a jamais affaire aux cadavres, au concret. Et quelqu'un doit bien donner le coup de grâce – cette personne perdra le repos intérieur jusqu'à la fin de ses jours (qui risque de toutes façons d'être très proche), mais elle n'est, pour le coup, vraiment coupable de rien ».

Et encore, page 187 :

« Dans un régime totalitaire, la schizophrénie sociale, la séparation de la vie en sections imperméables, est un moyen de défense pour qui garde encore quelques principes moraux : je ne me comporte de façon soumise et indigne que dans tel fragment de mon existence ; dans les autres, que je juge essentiels, je reste une personne respectable. Sans cette séparation je ne pourrais fonctionner normalement ».

Puis, Tzvetan Totorov traite de l'effroyable thème de la dépersonnalisation ou déshumanisation, pages 192 et 193 :

« D'autres techniques sont moins brutales, mais non moins efficaces. Les détenus sont privés de leur nom et dotés d'un numéro ; or le nom est la première marque de l'individu. En parlant d'eux, les gardiens évitent d'employer des termes comme « personnes », « individus », « hommes », mais les désignent comme « pièces », « morceaux », ou se servent de tournures impersonnelles. Stangl continue de le faire dans ses entretiens avec Sereny, plus de trente ans après les faits : « tout était terminé » (pour désigner un assassinat collectif), « un transport était classé », etc. (182). « Il était interdit d'employer le mot « mort » ou le mot « victime » parce que c'était exactement comme un billot de bois », se souviennent deux fossoyeurs de Vilno (Lanzman, 24). Une note secrète, concernant les modifications à apporter dans les camions qui servent de chambres à gaz mobiles, à Chelmno, datée du 5 juin 1942, donne particulièrement froid dans le dos : les êtres humains à tuer sont toujours désignés comme « le chargement », « les pièces », ou pas désignés du tout : « quatre-vingt-dix-sept mille ont été traités » (Kogon et al., III-IV) ».

Et puis, page 193 :

« Enfin toute inclusion des individus dans une catégorie plus abstraite contribue à les dépersonnaliser : il est plus facile de traiter de manière inhumaine les « ennemis du peuple » ou les « koulaks » qu'Ivan et Macha ; les juifs ou les Polonais, plutôt que Mordehaï et Tadeusz. Les communistes se comportent ainsi jusque dans les camps nazis. Elles ne demandaient pas : « Souffres-tu ? ». Ou bien : « As-tu de la fièvre ? » mais : « Es-tu membre du Parti communiste ou non ? » (Buber-Neumann, Milena, 230). La réduction de l'individu à une catégorie est inévitable si l'on veut étudier les êtres humains ; elle est dangereuse dès qu'il s'agit d'une interaction avec eux : en face de moi je n'ai jamais une catégorie mais toujours et seulement des personnes ».

Une oeuvre extraordinaire d'analyses et de réflexions profondes sur la MORALE et pour tenter de comprendre : POURQUOI des êtres humains peuvent engendrer le MAL ABSOLU !

Confer également, d'autres ouvrages tous aussi passionnants de Tzvetan Todorov :
Mémoire du mal, Tentation du bien : enquête sur le siècle ;
le Nouveau Désordre mondial : Réflexions d'un Européen ;
Les Abus de la mémoire ;
L'Esprit des Lumières ;
La Peur des barbares : Au-delà du choc des civilisations.
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Il arrivait, tel soir où nous étions couchés sur le sol en terre battue de la baraque, morts de fatigue après le travail de la journée, nos gamelles de soupe entre les mains, que, tout d'un coup, un camarade entre en courant, pour nous supplier de sortir sur la place d'appel, uniquement pour ne pas manquer, malgré notre épuisement et le froid du dehors, un merveilleux coucher du soleil...

Victor Frankl.
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Les étrangers et les inconnus sont des individus comme les autres, et l’exigence morale est universelle, mais non abstraite : l’humanité est un ensemble d’individus. La préférence pour les siens, la fidélité aveugle à leur égard ne valorisent pas les êtres au détriment des idées, mais tranchent au milieu des individus mêmes.
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Tuer pouvait être un acte moral, si l’on empêchait par là un cruel assassin de continuer à sévir. Le faux témoignage pouvait devenir une action vertueuse s’il permettait de sauver des vies humaines. Aimer son prochain comme soi-même était une exigence excessive, mais éviter de lui nuire ne l’était pas.
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La vie, elle, peut exiger un courage de tous les jours, de tous les instants ; elle peut être, elle aussi, un sacrifice, mais qui n’a rien de flamboyant : si je dois sacrifier mon temps et mes forces, je suis bien obligé de rester en vie. En ce sens, vivre devient plus difficile que mourir.
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Si chaque geste de l’individu est déterminé par les ordres de ses supérieurs et par le besoin de survivre, sa liberté est réduite à néant et il ne peut vraiment exercer sa volonté en vue de choisir telle conduite plutôt que telle autre.
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Videos de Tzvetan Todorov (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Tzvetan Todorov
Avec Stoyan Atanassov & André Comte-Sponville Rencontre animée par Catherine Portevin
Tzvetan Todorov, né en 1939 à Sofia, arrivé à Paris au début des années 1960, a vécu la plus grande partie de sa vie en France et écrit son oeuvre en français. Mais il se voyait toujours comme un « homme dépaysé ». Cette expérience a nourri son intérêt pour le dialogue entre les cultures et sa vigilance à l'encontre de toutes les tentations totalitaires. Quelle part bulgare avait-il gardé en lui, quelles relations entretenait-il avec son pays natal ? Comment aujourd'hui ses livres sont-ils lus et perçus en Bulgarie ? Pour évoquer les passages de Todorov entre Sofia et Paris, sont réunis pour la première fois ses amis et spécialistes de son oeuvre, des deux côtés de la frontière qui fut naguère rideau de fer : Stoyan Atanassov, Professeur de littérature romane à l'Université de Sofia et traducteur en bulgare de l'oeuvre de Todorov et André Comte-Sponville, philosophe, grand lecteur et ami de Todorov, préfacier de son livre posthume Lire et Vivre (Robert Laffont/Versillio, 2018). Une édition augmentée de son fameux Dictionnaire philosophique est paru en 2021 aux PUF.

À lire – Tzvetan Todorov, Lire et Vivre, Robert Laffont / Versilio, 2018 – Tzvetan Todorov, Devoirs et délices. Une vie de passeur, Entretiens avec Catherine Portevin, le Seuil, 2002, rééd. Points 2006.
+ Lire la suite
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