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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Colb Toibin nous dépeint avec délicatesse et introspection une des figures les plus éminentes et complexes de la littérature européenne de la première moitié du XXieme siècle, Thomas Mann , prix Nobel de littérature 1929.
Cadet d'un riche négociant en grains de Lübeck , son père le considère comme son successeur à la tête de la compagnie, mais la mort prématuré de ce dernier chamboule tous les projets et les destins tout tracés. Alors que lui déjà de son vivant , incité par ses premières prouesses de poète inspiré de son éveil à son homosexualité, ne pensait que Littérature. Il profitera de l'exemple de son frère aîné Heinrich , écrivain soutenu matériellement par leur mère pour avoir à son tour le consentement maternel et le soutien matériel pour s'y consacrer très jeune. Toibin le suit de l'enfance au marriage, de son succès précoce avec le Nobel en 29 à son exil suisse et américain de l'Allemagne nazie. Une vie complexe vu que malgré son choix sexuel bien défini , il se mariera avec une femme avant gardiste dont il aura six enfants dont « trois homosexuels – ou deux homosexuels et une bisexuelle. Plus deux filles qui aiment les vieux. Plus Monika …Et Michael …Le seul qui soit normal », une famille dysfonctionnelle , aux membres célèbres, vaniteux, narcissiques, incestueux….

Toibin à travers la vie des Mann nous brosse un tableau magistral des grands changements et tumultes de l'histoire de l'Europe de la première moitié du XXieme siècle. de la montée du nazisme suite à la défaite de l'Allemagne de la première guerre mondiale ( le parti d'Hitler aux élections de décembre 1924 remportera que 3% du vote national), à leur arrivée au pouvoir que Mann était loin d'imaginer, et finalement la guerre, des moments de grandes turbulences où nous suivrons la famille en fuite n'arrivant pas à accepter les grandeurs d'un temps passé à jamais révolues.
Côté vie privée, Toibin nous rend avec brio la complexité du personnage de Thomas Mann. D'une part fortement attiré par les hommes dont il fera d'ailleurs très tôt l'expérience et le reflètera souvent dans son oeuvre, qu'ironiquement le public l'interprètera d'une manière plus inoffensive pour l'époque, de l'autre une femme exceptionnelle, très intelligente ( sa réaction à la lecture de la Montagne magique est étonnante ), sa muse , à laquelle il sera fortement lié, et six enfants qui lui assureront l'honorable statut de père de famille. Ses journaux intimes enfermés dans un coffre fort à Munich dans son bureau , alors qu'il est déjà exilé en Suisse, deviendront un de ses plus gros soucis, vu que s'ils arrivaient à être publié révéleraient clairement qui il était et quel était l'objet de ses pensées secrètes…..surtout que ces pensées secrètes se portaient sur des garçons assez jeunes….Mann avait choisit le grand compromis. Avec son respect de l'ordre qu'il observait dans ses réflexions et sa façon d'accueillir la vie en général, «  il aurait pu être un homme d'affaire », or il rêvait de trouver « une voix, où un contexte , qui soit au-delà de lui, enraciné dans ce qui brillait, scintillait, pouvait être vu, mais qui planait au-dessus du monde des faits, en un lieu où esprit et matière se confondaient, se séparaient, se confondaient encore. » Mais sa prudence et son souci de contrôle ne lui permettront que dans de rares occasions d'ouvrir la porte à l'obscurité qui était là , hors de sa propre sphère de compréhension. Or sa production littéraire et ses sources d'inspiration sont étroitement liée à cette vie privée qu'il agrémente de son imagination féconde et de sa production d'illusion, l'essentiel du travail de l'écrivain. Et c'est là qu'entre en scène la magie , cette magie que Mann ressentira dès l'écriture de son premier roman à grand succès, Les Buddenbrook « L'oeuvre avait beau être basée sur la vie des Mann à Lübeck, Thomas savait bien qu'elle avait aussi une source extérieure à lui, sur laquelle il n'exerçait aucun contrôle. Cela relevait un peu du tour de magie, et il savait que cela ne se reproduirait pas si facilement. »
Le Magicien c'est aussi le surnom que lui donnaient ses deux aînés Klaus et Erika, et par la suite tout ses enfants, parce que tout simplement il leur faisait des petites tours de magie quand ils étaient petits !

Un livre fascinant qui sort d'une biographie classique, que Toibin termine avec une histoire magnifique et où l'on croise de nombreuses célébrités de la littérature et la musique du XXieme siècle dont Gustav Mahler, Alma Mahler, W.H. Auden, Arnold Schönberg, Bertholt Brecht….Intéressant aussi dans le sens qu'on se rend compte une fois encore que l'Allemagne qui a connu la dictature la plus impitoyable de l'Histoire mondiale est aujourd'hui un des rares pays au monde où la démocratie fonctionne au mieux qu'elle peut fonctionner, et les États Unis soit disant une grande démocratie est un des pays au fascisme le plus redoutable qu'il exerce prioritairement à travers le CIA et le FBI , deux organisations qui contrôlent le pays et tout les pays qui les intéressent.
Je pense que relire Mann après ce livre sera une nouvelle expérience , ce que j'essaierais de faire avec les Buddenbrook et pourquoi pas entamer le docteur Faustus qui m'a toujours fait peur avec ses 600 pages.

« L'esprit de l'écrivain était protéiforme, son imagination ouverte au changement . L'humour et l'ironie étaient pour lui des outils essentiels. »

«  Sa vie illustra son oeuvre. »
François Mairiac

Un grand grand merci aux éditions Grasset et NetGalleyFrance pour l'envoi de ce très très beau livre !
#LeMagicien #NetGalleyFrance

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Passionnant même si parfois, sur les six cents pages, je me suis essoufflée un peu. La tribu Mann, les parents et grands-parents entraînent une abondance de portraits sans lesquels, il serait difficile de cerner le contexte familial avec discernement comme il eut été difficile de ne pas évoquer les Roosevelt, Alma Malher et Christopher Isherwood.

L'écriture de Colm Toibin, traduit de l'irlandais par Anna Gibson, est agréable, fluide, visuelle, sans artifice. Elle permet d'entrer facilement dans l'intimité de la famille Mann et d'aborder avec une acuité accrue, la complexité de ce génie littéraire, nobélisé en 1929, Thomas Mann, celui que ses enfants appelaient « le Magicien ».

Malgré les excellents billets qui ont déjà été rédigés sur cette biographie romancée de Colm Toibin, il m'a semblé utile d'apporter ma modeste contribution afin d'inciter les indécis à se plonger dans ce roman qui bénéficie d'une recherche approfondie mais surtout, qui ouvre des portes sur la création littéraire, ses motivations et l'ambivalence d'un des plus grands auteurs allemands du vingtième siècle.

Colm Toibin se glisse, s'immisce, dans la tête de Thomas Mann qu'il accompagne depuis sa naissance, à Lubeck en 1875, jusqu'à son décès à Zurich, en 1955, en passant par Sanary-sur-mer dans le Var et les Etats-Unis, l'auteur chemine à ses côtés. La famille, l'époque, les évènements, tout est passé à la lumière d'un travail de documentation rigoureux et, il me semble, aussi d'une certaine proximité avec son modèle.

Connaissant certains ouvrages de Thomas Mann, ayant lu les mémoires de son fils Klaus, il m'est apparu intéressant, à la fois, de découvrir l'origine de certains ouvrages du Magicien comme de procéder à une approche plus large des ressentis de chacun en comparant avec les mémoires de Klaus.

A travers l'histoire de la famille Mann, c'est une vision en accéléré du vingtième siècle qui nous est proposée et qui tout comme « Mémoires d'un européen de Zweig » et les mémoires d'Ernst Toller sur la République des conseils de Bavière, nous permet de mesurer avec force, la fureur qui a traversé l'Europe tout au long de ce 20ème siècle sans oublier ces années d'entre deux-guerres où, même dans les milieux réputés « intellectuels », régnait une certaine incrédulité devant les élucubrations d'Hitler.

Cette biographie romancée s'alimente des tourments du 20ème siècle, des drames auxquels la famille Mann a été confrontée. Rien ne sera épargné à Thomas Mann. de la judéité de son épouse, Katia, dont cette dernière ne faisait pas cas jusqu'à ce que les nazis le lui rappellent, de la vie tumultueuse et des prises de positions de ses enfants terribles qu'étaient Erika et Klaus, des épreuves douloureuses d'Heinrich, des deuils, des déménagements successifs, sans compter la période du maccarthysme qui est l'épisode qui m'a le plus interpelé, le mauvais sort s'est vraiment acharné sur cette famille malgré un Prix Nobel, un auteur acclamé dans le monde entier, un couple très uni – ce que leurs enfants leur reprocheront d'ailleurs et un univers d'une grande culture tant littéraire que musicale.

De cette lecture, le lecteur peut méditer sur la versatilité du destin tout comme sur l'opportunisme de certains pays d'accueil. Ce livre est riche d'enseignements. Il démontre aussi qu'il fut très difficile à Heinrich et Klaus d'être le frère et le fils de cette célébrité écrasante et étouffante qu'était le Magicien.


Colm Toibin décrit avec délicatesse l'homosexualité refoulée de notre Prix Nobel. L'auteur, lui-même homosexuel, sait décrire avec beaucoup de doigté, les pensées de Thomas Mann à la vue d'un beau garçon,- il y a de très beaux passages sensuels - comme toute biographie romancée, il joue à l'équilibriste entre le chercheur érudit et le romancier.

Au fur et à mesure des évènements, l'auteur dépeint l'évolution des opinions politiques de Thomas Mann. Enfermé tous les matins dans la tour d'ivoire de l'écrivain – son bureau – il vit au rythme de sa création littéraire. On ressent parfois à quel point Thomas Mann est désorienté par rapport à la réalité qui lui échappe. Mais sa personnalité littéraire, spirituelle, évolue, elle touchera à la perfection tant ses oeuvres sont profondes et multiples, toujours à chercher le juste milieu entre l'humanisme et la politique. Ses récits resteront un témoignage des plus éloquents de cette période du 20ème siècle. Je suis ressortie enchantée de cette lecture. Après une telle lecture, je ne lirai plus Thomas Mann avec le même regard, c'est, à mes yeux, tout l'intérêt de ce roman. Je vais, de ce pas, ressortir les Buddenbrook de ma bibliothèque !
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Je m'abstiendrais de résumer les 600 pages de ce roman biographique ou biographie romancée sur la vie et la personnalité de Thomas Mann. D'abord parce que le résultat ne pourrait être que médiocre, ensuite parce que tout l'intérêt du livre de Toibin est justement de prendre son temps pour mettre en scène le caractère éminemment complexe, contradictoire et paradoxal de Thomas Mann. Un homme effleuré par ses démons, ceux de son homosexualité, qui ont nourri son oeuvre mais ne l'ont pas empêché d'opter pour le calme de la vie conjugale (avec une femme intelligente, alliée et complice indéfectible de son mari), et les positions mesurées dans sa vie publique. Une attitude que certains ont pu trouver pusillanime quand il s'agissait de prendre clairement parti en politique (notamment au début contre les nazis), mais qui semble-t-il correspondait à son peu d'appétence pour la chose publique. En fait un homme multiple, qui soutenait ses enfants à sa façon, tolérante et un peu distante, même si ceux-ci multipliaient les engagements et les excès, « qui aimait la musique de chambre, la poésie lyrique, le calme domestique » mais également « un homme qui ignorait la prudence, dont l'imagination était aussi radicale et flamboyante que l'était sa voracité sexuelle, (...) qui cherchait à créer un art austère, un art qui méprisait les traditions, un art aussi dangereux que le monde en train d'advenir. »
Une lecture que je conseille vivement (merci Idil 😊).

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On suit la vie de Thomas Mann durant tout ce formidable récit qui s'ouvre en 1891 dans l'austère maison familiale où le patriarche le sénateur règne en maître tant sur son épouse d'origine brésilienne que sur ses enfants.

Il est prévu que Thomas reprenne l'affaire familiale à laquelle il a fait semblant de s'intéresser durant son enfance, alors qu'Heinrich veut devenir écrivain. Quand le pater familias décède, ils s'aperçoivent qu'il a déshérité tout le monde, mis l'entreprise en vente… Adieu la vie bourgeoise aisée. le tout sous l'oeil acerbe de la tante Elisabeth, la soeur du patriarche.

Vus les résultats scolaires de Thomas la famille le fait embaucher dans une compagnie d'assurance mais il préfère écrire des poèmes. Ce que sa mère a permis à Heinrich (une rente mensuelle et le financement de la publication de son premier livre) elle le lui refuse et se réfugie au piano avec Chopin dès qu'il tente d'aborder le problème.

Il finira par obtenir gain de cause, mais cette famille rigide et bourgeoise où il ne sent pas aimé, critiqué par les uns et les autres, dans cette ville bourgeoise de Lübeck, il va finir par lui régler son compte avec « Les Buddenbrock » mais il ne parlera de son projet à personne. Il veut bien montrer ses nouvelles à Heinrich mais c'est tout.

Direction Munich donc, où il fera la connaissance de Katia Pringsheim et son frère Klaus, des jumeaux au caractère fort et provocateur. Il finira par épouser Katia et fonder une famille avec elle, l'attirance pour les corps masculins, l'homosexualité latente, il réussit à les enfouir le plus profondément possible.

On va suivre toute la famille, Thomas, Katia et leur progéniture durant les grandes épreuves de la première guerre mondiale, la ferveur patriotique de l'époque, puis le désastre de la défaite, la révolution de Munich, la montée du nazisme, la nuit de cristal, la nécessité de l'exil car la famille Mann n'est pas bien vue par les nazis, prix Nobel ou non, car les prises de position de Klaus et Erika pro communistes ne peuvent qu'attirer le courroux hitlérien.

Il ne pouvait imaginer, comme beaucoup de ses compatriotes à l'époque, que ceux qu'il considérait comme des « voyous en uniforme » pourraient un jour tenir l'Allemagne sous leurs bottes.

L'idée d'un avenir des nazis dans la politique allemande, sous quelque forme que ce soit, ne valait même pas qu'on s'y attarde. Les nazis avaient surgi de nulle part et ils ne tarderaient pas à disparaître…

Ce sera donc l'exil forcé, la Suisse, les USA, où il sera bien accueilli au départ, dans la mesure il ne s'exprime pas sur la nécessité d'entre en guerre, on l'adule, mais il reste un Allemand et les migrants venus d'Allemagne commencent à lasser le brave peuple (cela n'a guère changé) …

Colm Tóibín nous permet de revisiter toute l'histoire de l'Allemagne, la fragilité de l'Unité Allemande, les guerres, la guerre froide qui se met en place mais aussi la culture de ce pays, les particularités de la société protestante marchande austère car Thomas est né en 1875 alors manifester ses fragilités, son homosexualité, sa bisexualité du moins, était impensable. Quand on apprécie une oeuvre, il arrive que découvrir la personnalité de son auteur puisse entraîner des désillusions mais j'ai apprécié l'homme que j'ai rencontré avec ses forces et ses faiblesses, même si parfois il m'a quelque peu agacée parfois. Il n'est pas nécessaire d'aimer les livres de Thomas Mann pour apprécier ce pavé de 608 pages car on fait un beau voyage.

J'aime beaucoup Thomas Mann que j'ai découvert avec « Mort à Venise » (lu au moins deux fois) « Tristan » et surtout un immense coup de coeur il y a quelques années pour « La montagne magique » que je voudrais relire dans sa nouvelle traduction. Il faudrait maintenant que je sorte « Les Buddenbrock » de ma liseuse spéciale « classiques ». Cette lecture était donc une évidence pour moi.

Comme Colm Tóibín le précise, dès le départ, il s'agit d'un roman, inspiré du journal de Thomas Mann mais également d'une bibliographie intéressante dont seulement quelques ouvrages ont été traduits en français.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions qui m'ont permis de découvrir ce roman (qui sera je l'espère salué par la critique comme par les lecteurs) et la plume de son auteur dont j'aimerais bien découvrir « le Maître » consacré à Henry James.

#LeMagicien #NetGalleyFrance !
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Le Magicien. C'est ainsi que ses six enfants appelaient Thomas Mann, tout simplement parce qu'il leur faisait des tours de prestidigitation quand ils étaient petits. Colm Toibin, un romancier et essayiste irlandais renommé dans le monde littéraire anglophone, reprend ce surnom dans sa biographie du grand écrivain allemand, prix Nobel de littérature. Sur plus de six cents pages, l'ouvrage retrace le parcours de Thomas Mann, depuis l'année 1891 — il a alors seize ans — jusqu'à sa mort en 1955.

Je n'avais pas lu de biographie depuis longtemps et celle-ci tranche avec l'image de rigueur factuelle, d'authenticité des témoignages et d'analyses approfondies que j'en avais gardée. le Magicien se lit comme un roman, un récit fictif fluide, calqué sur la vie de son personnage principal. Cela ne l'empêche pas d'être très documenté, prenant notamment ses sources dans le journal intime de Thomas Mann.

Le Magicien n'est pas pour autant une lecture légère. D'un point de vue littéraire, il m'a permis de recontextualiser les romans de Thomas Mann lus il y a une trentaine d'années, me donnant l'envie de les rouvrir : Les Buddenbrook, publié en 1901, évoque les affaires de sa famille, à Lübeck ; La Montagne magique s'inspire d'un épisode vécu, quand son épouse soignait sans fin un début de tuberculose à Davos ; le docteur Faustus est aussi difficile à lire que la musique dodécaphonique l'est à écouter. A l'époque, j'avais été hermétique à La mort à Venise, écrite en 1911 sous l'emprise de fantasmes homosexuels ; c'est pourtant son oeuvre la plus connue, une notoriété due peut-être aussi au film qu'en a tiré Visconti et à sa musique de Mahler.

Immense écrivain, Thomas Mann n'eut rien d'un marginal ni d'un artiste maudit. Né dans une famille de négociants fortunés, il fut publié très jeune. A vingt-six ans, le succès des Buddenbrook lui valut aisance financière et notoriété. Son épouse était issue d'une famille juive de Munich à la fois estimée, cultivée et richissime, avant d'être pourchassée et dépossédée de ses biens par les nazis. Katia Mann gérera les finances du couple pendant toute leur vie, y compris lors de leur exil américain à partir de 1933. Auréolé du prix Nobel en 1929, Thomas Mann aura été traduit en de multiples langues et ses livres se sont abondamment vendus. Il a aussi donné des conférences très bien rémunérées.

Le livre donne un éclairage historique passionnant. Thomas Mann aura assisté, de près ou de loin, aux événements marquants de son pays d'origine pendant toute la première moitié du XXe siècle. L'Empire de Guillaume II, la Première Guerre mondiale, l'Allemagne erratique puis hitlérienne des années vingt et trente, la Seconde Guerre mondiale, pour finir par la création de deux Etats, l'un lié aux pays occidentaux, l'autre au bloc de l'Est sous domination soviétique. Nationaliste dans sa jeunesse, Thomas Mann aura su évoluer dans ses convictions. Il s'est très tôt déclaré opposé au nazisme et à Hitler, au point de devoir s'exiler et d'être déchu de sa nationalité. Aux Etats-Unis, pendant la guerre, il était fréquemment consulté par l'administration Roosevelt.

Fascinant de constater l'aura de respectabilité dont jouissait cet homme, reconnu comme une conscience morale élevée ! Dans ses dernières années, il avait même été pressenti pour être président de la République fédérale d'Allemagne. Il se gardait bien toutefois de se mettre en danger, de trop s'exposer à la critique, n'affichant haut et fort ses positions que lorsqu'il était certain qu'elles seraient comprises. Il aura soigneusement occulté une homosexualité plus ou moins latente, révélée par son journal intime et sur laquelle Colm Toibin s'étend complaisamment.

Au fond, Thomas Mann est toujours resté un grand bourgeois conservateur, soucieux de son confort matériel, attaché à ses prérogatives d'homme illustre et respectable, y compris en famille. Thomas et Katia ont entretenu des relations ambiguës avec leurs six enfants, dont trois ont assumé leur homosexualité, mené des vies d'artiste et affiché des engagements politiques progressistes, qui vaudront à leur père les premières tracasseries de ce qu'on appellera le maccarthysme. Bien que naturalisé américain, Thomas Mann choisira de quitter les Etats-Unis et de finir ses jours à Zurich.

Un destin personnel magique ! Mais faut-il pour autant qualifier cet homme de magicien ?…

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Un roman biographique époustouflant.
Un livre que je recommande à quiconque a l'ambition d'écrire. Il en retranscrit bonheurs et tourments, ce sentiment permanent, entre exaltation et déception, d'être le spectateur de son existence et d'en espérer les plus grands évènements (« Il souhaitait vivre intensément les instants affamés qui précédaient cette scène, avec la certitude qu'elle aurait bien lieu »).
Colm Tóibín en exprime admirablement l'oscillation chez Thomas Mann, entre une vie ô combien romanesque et les frustrations d'un homme qui n'a jamais pu s'épanouir, prisonnier de sa sexualité contrariée et de sa célébrité.
Une vie digne d'un roman ! Tous les ingrédients sont réunis. Un frère écrivain à la fois complice et rival, une épouse dont le jumeau le jalouse, des soeurs qui se suicident au comble du remord. Et quelle époque ! La fracture et les balbutiements de l'Europe, la folie nazie (pages lumineuses 472-495), la peur, l'exil, la chasse aux sorcières made in USA et toute une galerie de personnalités qu'on a plaisir à voir ressuscitées, d'Einstein à Schönberg.
Colm Tóibín réinvente le portrait d'un Thomas Mann taciturne, s'isolant du monde au point de rendre ses silences intolérables mais aussi père attentif, généreux de son argent plus que de son temps, ravi de voir ses enfants braver les interdits.
On assiste à la naissance de l'écrivain, de sa jeunesse à Lübeck (qui donnera matière à « Les Buddenbrook ») à ses visites au sanatorium de Davos (genèse de « La montagne magique ») en passant par son séjour dans la lagune qui lui inspira « La mort à Venise » (« Il allait associer le désir de l'homme vieillissant à une atmosphère de maladie et de décomposition »).
« le magicien » est un roman éclairant, émouvant, proche de la perfection.
Bilan : 🌹🌹🌹
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J'avoue avoir flanché dans l'ascension de la Montagne magique. Cet Everest de la littérature devenu un classique a eu raison de ma capacité à entretenir mon attention. Son style élaboré qui ne craint ni les digressions ni les longues phrases aux multiples subordonnées est venu à bout de mon opiniâtreté.

Le Magicien est alors l'ouvrage qu'il me fallait pour aborder l'oeuvre sous un autre angle. Confus que j'aie été de ne pouvoir supporter l'exaltation rêveuse d'un Hans Castorp lequel, ainsi que l'écrit Thomas Mann lui-même, « pouvait rester des heures sans occupations ». Et donc sans en souffrir puisque de trois semaines son séjour en sanatorium s'étira sur sept années. Sept trop longues années pour le lecteur assoiffé de péripéties et d'émotion que je suis.

Il me fallait donc aborder l'oeuvre, et plus largement l'ensemble de l'oeuvre de l'auteur nobelisé, par un autre biais : faire connaissance avec ce dernier au travers de sa biographie. Et tenter de comprendre comment ce style est inhérent à la complexion de la personne. Colm Tóibín nous le fait appréhender avec le plus grand talent. Sa biographie est tout sauf une chronologie. Il n'y évoque d'ailleurs ni sa naissance ni sa mort. Son ouvrage a quelque peu compensé ma défaillance de ne pas avoir savouré l'oeuvre phare de Thomas Mann à la hauteur de sa renommée dans le monde littéraire.

L'ouvrage de Colm Tóibín s'attache à nous faire comprendre la personnalité de son sujet, le caractère de cet auteur pétri de sensibilité, non dénué d'humour, mais manquant peut-être de force pour s'imposer aux autres autrement que par ses écrits. Evoquant, ce n'est pas sans importance, sa condition de juif, certes non pratiquant, en une époque et un pays contaminés par la peste noire du nazisme.

Sa célébrité fut pour lui à la fois bénédiction et malédiction. Bénédiction bien sûr que la consécration suprême en son art. Malédiction d'être devenu un personnage important dans le monde intellectuel de la part de qui la société attendait des prises de position plus fermes et spontanées vis-à-vis du contexte politique, alors qu'il était réfugié aux Etats-Unis. Il aurait voulu être apolitique en une période et avec une condition que ne le lui autorisaient pas.

Le contexte familial l'a aussi quelque peu desservi et affecté. Certains de ses enfants s'engageaient plus que lui n'a pu le faire, quand d'autres partaient à la dérive. Reste qu'heureusement pour lui, son épouse est restée à son endroit un soutien indéfectible. Elle lui donna à son corps défendant l'occasion de faire connaissance avec le milieu médical du sanatorium, dont elle sortit guérie, milieu qui servit de cadre à La Montagne Magique.

S'ouvrant au personnage par le biais de cette biographie, on comprend à quel point ce style correspond au caractère d'un être dont le dynamisme de la pensée a quelque peu été contraint par les contingences funestes de son époque, ses codes moraux aussi qui ont, à n'en pas douter, tempéré ses pulsions, sa sensualité inavouée. On comprend avec cet ouvrage que son oeuvre fut pour lui une façon de prendre ses distances avec les grands thèmes d'une époque honnie. Faculté qui avec le recul de l'histoire prouvent la force d'abstraction du personnage.

L'ouvrage de Colm Tóibín est un superbe travail de documentation, fort bien écrit. Un ouvrage qui ne me donnera pas forcément le goût de repartir à l'assaut de la Montagne magique mais qui a compensé quelque peu ma frustration d'avoir renoncé en chemin.


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Cela fait très longtemps que Colm Toibin est un de mes écrivains préférés. Je l'adore et je l'admire. Un de ces quatre, il faudra que je lui dédie une fiche auteur sur le blog, histoire d'en parler un peu. C'est un auteur éclectique à la prose fluide, et toujours la profondeur se niche entre ses mots, toujours il interroge l'humanité dans ses nuances. Avant le Magicien, il avait déjà fait une brillante incursion dans le roman biographique avec le Maître, sur les dernières années de la vie de Henry James. Je vous en conseille vivement la lecture.

Le Magicien, donc. Roman biographique sur l'illustre écrivain allemand que fut Thomas Mann, né en 1875 et mort dans le milieu des années 1950, Prix Nobel de littérature en 1929 avec La montagne magique, exilé en Suisse puis aux États-Unis dès 1933. Je ne l'ai pour ma part encore jamais lu, et à part les grandes lignes de sa vie entrées dans la culture générale, je ne connaissais rien de lui avant d'ouvrir ce livre.

Le Magicien a été un coup de coeur. Non pas que j'aie tout aimé dans ce roman ambitieux, mais il m'a emportée et je me suis sentie presque kidnappée par cette lecture, par cette famille. le Magicien est un livre marquant, qui plaira autant aux béotiens (comme moi) par sa facilité d'accès et son ton résolument romanesque, qu'aux adeptes et aux connaisseurs de Thomas Mann, vu la bibliographie phénoménale en fin d'ouvrage. Il aborde ici sa vie par l'intime, et par sa famille. Il y a des moments étonnants où Thomas qui raconte ne semble être qu'un fantôme dans sa propre maison, tandis que Katia sa femme a une présence phénoménale, et ses enfants, les six, sont eux aussi résolument vivants et même flamboyants pour Erika et Klaus, les deux aînés.

J'ai pris tout un tas de notes pendant ma lecture. Voyons un peu. Thomas Mann est issu de la bourgeoisie de Lübeck, au nord de l'Allemagne. Sa mère était d'origine brésilienne, et son père un sénateur et patron d'une industrie familiale, je ne sais plus dans quelle branche. A sa mort en 1891 – Thomas à quinze ans, le père « fait un testament tout pourri » (dixit mes notes, bravo) au non-profit de sa femme et ses enfants, et l'usine est vendue. C'est amusant, cette réflexion que le jeune Thomas a alors : « La famille allait être déracinée de Lübeck. Où qu'il aille, il ne serait plus jamais quelqu'un d'important ». Thomas Mann n'était donc pas doué de prophétie. Mauvais aussi à l'école, il effectue ensuite un travail de bureau en dilettante, puis suit son frère en Italie et se pique de poésie. Et bim, dans le début de sa vingtaine, il écrit un roman d'ampleur inspiré par sa famille, qui connaît immédiatement le succès.

Thomas Mann n'est pas vraiment quelqu'un de sympathique, mais au début du roman cela saute tellement aux yeux que ma lecture s'en est trouvée un peu laborieuse. C'est lorsqu'il rencontre sa future femme et son frère jumeau, Katia et Klaus Pringsheim, que j'ai été irrémédiablement kidnappée par ce livre. Je l'ai terminé depuis quelque temps, et c'est comme si je n'en étais pas encore sortie. Parfois je me dis, vite, chic, ah, reprenons cette lecture ! Et là, bouh, je réalise que non, j'ai déjà terminé le livre.

Rassurez-vous, je ne vais pas résumer les six-cents et quelques pages du Magicien (c'est un surnom affectueux que lui ont un jour donné ses enfants, et qui lui est resté). Je vais « simplement » mettre en avant les points qui m'ont le plus intéressée. le premier qui me vient en tête : voir la première guerre mondiale, l'entre-deux guerres puis la montée du nazisme par les yeux de Thomas Mann, de sa famille et de l'Allemagne en général. Également ses années d'exil, comment était le monde à cette époque-là. J'ai été enthousiasmée par la genèse des oeuvres de Thomas Mann, comment Colm Toibin les raconte. Leur imbrication dans son quotidien et dans l'histoire de sa famille, dans ses voyages et ses rencontres, leur construction petit à petit et les soudaines fulgurances. C'est absolument fascinant. J'imagine qu'un habitué de son oeuvre doit sautiller de joie régulièrement en lisant ces pages, devant tel ou tel détail ou échange, qui révèle un hommage touchant à chaque texte en particulier.

J'ai aimé l'importance dans le livre de Katia, sa femme, flamme brillante et inébranlable, qui relisait ses manuscrits et avec laquelle il échangeait intensément. Seuls son oeuvre et sa famille importent à Thomas Mann. Et quelle famille ! le Magicien m'a donné envie de découvrir certains de ses romans ou nouvelles, mais surtout, peut-être, de lire l'autobiographie du fils de Thomas, Klaus Mann : le tournant, ou encore la correspondance entre Klaus et Stefan Zweig.

Colm Toibin est gay et ne s'en cache pas, et même si c'est rarement au coeur de ses romans – sauf, pour ceux que j'ai lu, dans le bateau-phare de Blackwater –, déjà dans le maître il interrogeait les coulisses du désir et des sentiments chez Henry James. Dans le magicien aussi, et c'est comme s'il permettait ainsi à Thomas Mann de se réapproprier certains épisodes de sa vie et de communiquer à la postérité des noms et des passions auto-censurés de son vivant.

Est-il encore besoin de préciser que ce livre est passionnant, magistral, et qu'il a été un coup de coeur ? – même si comme je l'ai précisé, tout ne m'a pas plu et que je lui ai trouvé quelques longueurs parfois dans les atermoiements politiques ou autres de Thomas Mann. Lisez-le ! C'est important aujourd'hui de voir de l'intérieur comment un monde peut finalement se disloquer rapidement et disparaître, tandis que certaines phalanges extrémistes jouent des peurs et des aliénations pour prendre le pouvoir sur tous les pans d'une société et sur les âmes.

Je terminerai ce billet en saluant une nouvelle fois le génie de Colm Toibin. Pour moi, c'est lui le Magicien ♥ Les douze romans de la belle pile de mes livres (oui, j'en suis fière) sur ma photo d'illustration (il ne me reste qu'Histoire de la nuit à découvrir) ont tous été, depuis 1997, traduits par Anna Gibson (merci à elle !). C'est bien de Colm Toibin, de susciter ce genre de fidélité inébranlable ♥

« Ne pas noter dans son journal le message transmis par l'énergie secrète d'un regard, aurait été impensable. Il voulait rendre solide ce qui avait été si fugace. Il ne connaissait pas d'autre façon pour cela que de l'écrire. Aurait-il dû le laisser passer, laisser se dissoudre sans aucune trace ce qui faisait l'histoire de sa vie ? »
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Quel merveilleux roman ! Car même si l'auteur se base minutieusement sur la biographie de Thomas Mann, il s'agit d'un roman. L'écrivain habite d'esprit de l'écrivain allemand, Prix Nobel 1929, et nous fait partager ses émois, ses désirs, ses tourments, ses sentiments, avec brio. L'écriture de Colm Toìbìn très fine, précise et fluide incite le lecteur à vouloir toujours en savoir plus sur la vie et l'oeuvre de l'écrivain qui en est le sujet. Connaître le mécanisme, les rouages de la création littéraire au travers de la famille d'origine de Thomas Mann et de celle créée avec Katia, leurs six enfants dont il aime à observer l'évolution et les comportements et qui tous seront des êtres tourmentés, vivant à ses crochets, qui auront des rêves littéraires ou artistiques mais resteront des velléitaires aux moeurs incertaines.

Aux derniers chapitres de ce roman/biographie, j'en viens à penser que c'est Colm Toìbìn qui mérite le sobriquet de magicien. Jamais je ne serais allée au bout de ce pavé sans l'écriture de l'auteur. de fait, je n'ai lu jusqu'à présent, qu'un seul titre de Thomas Mann et dans mon adolescence encore, c'est-à-dire il y a fort, fort longtemps, qui m'a laissé un bon souvenir je dois dire, mais ne m'a pas incité à lire d'autres romans de sa plume néanmoins…

Je dois avouer que Thomas Mann ne m'est pas très sympathique, malgré le talent de l'auteur irlandais. La distance que Thomas Mann a maintenu entre lui et le monde qui l'entoure, que ce soit aux niveaux familial, sociétal et politique, pourtant chaotiques, me gêne. Aidé et soutenu dans ce choix par son épouse qui connaît bien ses préférences et éloigne autant qu'elle peut, les aléas du monde afin qu'il puisse créer, rêver en paix dans son cabinet de travail, sa grotte, son repère qu'il recréée partout où la famille déménage.

Très beau roman que j'ai dévoré.
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Ce roman est une fiction biographique de l'écrivain allemand Thomas Mann.

Au-delà des éléments réels et connus de l'oeuvre et de la vie de ce grand auteur, Colm Tóibín nous emmène dans la conscience d'un homme et dans l'intimité de sa vie familiale.

Il commence par mettre en parallèle le vécu de l'auteur et l'intrigue de ses romans. Un déracinement d'abord lorsqu'en 1891, à la mort de son père, Thomas est contraint de quitter sa ville natale de Lübeck après la liquidation de l'entreprise familiale. Un épisode de sa vie qui lui inspira son premier roman « Les Buddenbrook ». le début d'une longue carrière littéraire qui sera couronnée par le prix Nobel en 1929.

« le Magicien » est aussi une saga familiale passionnante. Entre un frère communiste et des enfants tout aussi engagés politiquement ou oeuvrant dans le domaine artistique, Thomas n'aura de cesse de s'en remettre à son épouse Katia pour canaliser et entretenir cette famille haute en couleur.

Et puis il y a l'homme lui-même et son ambiguïté. Un homme qui peut sembler froid et sans passion mais qui s'enflamme devant le corps d'un jeune homme. Un homme qui n'ose pas tout, qui souvent se contient, se retient et qui ne se livre entièrement que dans ses romans.

"Le Magicien" est un roman passionnant tant sur la vie de Thomas Mann et de sa famille que sur cette période historico-politique de la montée du nazisme, de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide, cela dans un style qui rend parfaitement la complexité du personnage.

Un roman qui donne envie de (re)découvrir l'oeuvre de Thomas Mann.
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