Alexandre II : Le Tsar libérateur

Pendant la cérémonie du couronnement :
" Les dames de la cour, habillées de robes russes aux couleurs éclatantes et coiffées du diadème national, le kokochnik, scintillent de la tête aux pieds sous une constellation de bijoux. A leurs cotés, les femmes des diplomates arborent des toilettes claires, très décolletées, et des aigrettes tremblent au sommet de leurs coiffures. Tout ce public élégant et frivole chuchote, s'esclaffe en sourdine, se hausse sur la pointe des pieds pour mieux voir. Au dire d'Anne Tioutchev, personne ne songe à prier. Certains invités ont même apporté un en-cas pour se sustenter durant la très longue liturgie. "En les regardant, écrit Anne Tioutchev, je me demandais quel avenir attend un peuple dont les plus hautes classes sont à ce point corrompues par le luxe et la vanité qu'elles ont totalement perdu le sentiment national et la conscience religieuse qui devraient leur servir d'assisses. " "

" Melchior de Vogüé chuchote à l'oreille de son voisin, Maurice Paléologue, jeune attaché d'ambassade frais débarqué à Saint-Pétersbourg : "Regardez bien ce martyr ! Il fut un grand tsar et méritait un destin plus indulgent. Ce n'était pas un esprit supérieur, mais c'était une âme très généreuse, très droite, très haute. Il avait l'amour de son peuple, une sollicitude infinie pour les humbles, les opprimés...Le matin même de sa mort, il travaillait à une réforme qui eût engagé irrévocablement la Russie dans les voies modernes : l'octroi d'une chartre parlementaire. Alors, les nihilistes l'ont tué !...l'émancipateur des nègres américains, Lincoln, a été assassiné, lui aussi....Ah ! c'est dangereux métier que d'être libérateur !..."

" il (Alexandre) a fort peu de sang russe dans les veines. Tous ses ancêtres se sont mariés avec des princesses allemandes. Sa mère est la fille du roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, sa grand-mère est une princesse Sophie de Wurtemberg, son arrière-grand-mère, Catherine II, était une princesse d'Anhalt-Zerbst. Mais, comme tous ses prédécesseurs, à commencer par Catherine la Grande, il se sent plus russe que si ses aïeux, depuis des siècles, étaient nés sur ce même sol. Il y a, dans l'atmosphère de la Russie, un pouvoir d'absorption, d'assimilation qui tient de la magie. La religion, les chants populaires, les traditions locales, la ligne simple de l'horizon, la cuisine, le ciel, tout concourt à russifier celui qui vit sur cette terre. "