Vargas Llosa a
L Academie Francaise! Bien qu'il parle un excellent francais il n'a jamais ecrit dans cette langue (peut-etre quelques lettres…). Mais c'est quand-meme une bonne nouvelle: c'est surement l'ecrivain le plus important a y sieger. Pour moi c'est surtout une bonne excuse pour que je rappelle un de ses livres les plus ignores en France et que j'aime le plus:
L'homme qui parle. Je l'ai lu en v.o.: El Hablador.
La trame: pendant un sejour en Florence un ecrivain peruvien(en qui on peut voir
Vargas Llosa) s'attarde, dans une exposition de photos, sur l'une d'elles, representant un homme debout qui parle devant une audience assise autour. Ca declenche des souvenirs, entremeles. D'un de ses amis a l'universite, un jeune juif, defigure par une enorme tache de vin qui lui bouffait la moitie du visage, et qu'on denommait Mascarita (= petit masque), qui portait un grand interet pour un peuple amazonien, les Machiguengas. Un ami qu'il n'a plus revu et qu'on a dit émigré en Israel. Des souvenirs aussi d'une autre époque, quand il avait fait pour la television un reportage sur ces Machiguengas, et avait decouvert l'existence d'un corps social singulier et mysterieux, parce que tenu secret: les "habladores", les "hommes qui parlent". Il se remet a des recherches sur le sujet et finira par croire comprendre ce que representent les habladores pour les machiguengas et etre persuade que Mascarita n'a pas quitte Lima pour Israel mais pour l'Amazonie peruvienne profonde, qu'il s'est rallie aux machiguengas, a integre leur ethnie et embrasse leur culture au point de devenir un de leurs habladores.
La construction du livre rappelle celle de
la tante Julia et le scribouillard. Des chapitres ou le narrateur decrit ses souvenirs et ses recherches, et, intercales, des chapitres ou on entend un hablador raconter, dans son style particulier, les mythes, les histoires, les nouvelles de son peuple, un peuple errant parce que chasse continuellement d'un endroit a un autre, et qui a colle sur cette errance forcee ses mythes fondateurs: c'est le peuple qui marche, et c'est grace a cette marche continuelle que le monde continue d'exister. S'il s'arrete le soleil tombera et ne se relevera plus. Les tenebres detruiront toute vie. Ils errent donc par petits groupes familiaux, loin les uns des autres, et c'est l'hablador qui fait le lien, qui transmet la memoire collective ainsi que des nouvelles des autres familles, qui enseigne en fait les mythes et l'histoire, et truffe le tout de contes pour tenir l'audience en haleine. le passeur de la culture.
Des chapitres differents. Deux mondes differents de discours. Une chronique simple cote narrateur, et de l'autre un discours magique, legendaire, mythique, ou il n'existe pas d'espace/temps. Ou les espaces s'entrelacent et le temps est toujours un eternel present, engloutissant tout passe et tout futur.
Qu'est-ce que j'ai aime dans ce livre?
Tout d'abord la prouesse de l'ecrivain. La dychotomie ecriture/oralite est tres bien traduite dans les different registres stylistiques qu'il utilise.
J'ai aime sa facon discrete d'inciter le lecteur a reflechir sur l'importance de l'ecrivain dans la societe. L'ecrivain est producteur de fiction mais aussi analyste de sa societe. C'est un innovateur, enrichissant sa culture, mais peut etre aussi passeur, transmetteur de culture. le conteur oral traditionnel, jongle lui aussi avec l'innovation, d'une facon plus discrete, en s'en cachant presque. Comme l'hablador,
l'homme qui parle, en qui nous lecteurs reconnaissons Mascarita quand il raconte l'histoire du peuple juif, cet autre peuple qui marche, assaisonee a la sauce machiguenga. J'ai eu l'impression que
Vargas Llosa est un peu jaloux du conteur traditionnel. Qu'il se sent moins important pour sa societe que lui. Perdu dans sa condition d'homme de notre temps, il evoque en fait avec nostalgie le temps ou la parole nommait les choses et pouvait ainsi creer l'univers. Il connait le pouvoir de l'ecriture et admire le pouvoir de la voix. Mascarita est un peu dans ce sens le petit masque de l'ecrivain.
Vargas Llosa souleve aussi une reflexion sur le lien, ou la dychotomie, entre communaute et nation. Sur l'importance du territoire. Sur l'importance des marges pour l'entite hegemonique. Sur la tradition et la "modernite".
L'homme qui parle est un roman critique quant aux possibilites de survie et de renovation de l'indigenisme, bien qu'empreint d'une grande empathie pour les indigenes amazoniens. Mais ce n'est pas un livre d'ethnologie. L'ethnologie, romancee, deformee, sert surtout a
Vargas Llosa pour s'autoanalyser.
Pour moi donc un livre tres agreable a lire, tres bien ecrit, qui incite a reflechir en de nombreuses directions.
Bienvenu a
L Academie Francaise,
Vargas Llosa! C'est ta deuxieme, après l'espagnole! Qui sait? Jamais deux sans trois.