Difficile de concevoir qu'
Edith Wharton entreprit l'écriture de «
Libre et légère » alors qu'elle n'avait que 14 ans tant elle fait preuve d'une maîtrise de la langue aussi remarquable que déconcertante. le style éminemment raffiné rend la lecture de cette nouvelle des plus agréables.
Malgré la concision du texte (qui ne fait pas plus de 130 pages), elle parvient à créer un lien entre le lecteur et les personnages dont elle nous dépeint les états d'âme et les déboires avec une finesse et une justesse saisissantes. Car le point fort de cette oeuvre, c'est incontestablement l'écriture, bien plus que « l'intrigue » à proprement parler.
En effet, la trame n'est ni plus ni moins qu'une romance (disons-le franchement) dénuée de toute originalité à l'image de ses personnages. L'héroïne, Georgina Rivers, égoïste, capricieuse et butée (en tout cas au début) préfère faire un mariage d'argent que d'amour, et décide de rompre ses fiançailles avec Guy Hastings qui, éconduit, cherchera refuge dans sa passion, la peinture, à Rome aux côtés de son meilleur ami. Là-bas, il rencontrera la jeun
e Teresina à qui il tentera de venir en aide. Cette dernière étant sur le point d'être mariée à un jeune homme qu'elle n'aime pas, le secourable Guy mettra tout en oeuvre afin de permettre à la jeune fille d'épouser celui qu'elle aime et de sceller ainsi un mariage d'amour (et non d'argent). Il fait également la connaissance de Madeline Graham, l'incarnation même de l'innocence et de la pureté, aux antipodes de la jeune et « fougueuse » Georgina.
Cette intrigue, apparemment assez fade contraste avec l'écriture légère et raffinée qui se voit ainsi d'autant plus mise en valeur. Tout au long de ma lecture, je n'ai cessé d'être impressionnée
et en admiration devant le talent incontestable de la jeune auteure. Ainsi, les tournures de phrases irréprochables, la sensibilité avec laquelle
Edith Wharton saisit la psychologie de ses personnages, les intrusions du narrateur et ses apartés délicieusement railleuses relèvent l'apparente vacuité du contenu quoique l'intrigue soulève tout de même des questions intéressantes quant au mariage par intérêt ou par amour. Des questions auxquelles l'auteure semble apporter un point de vue relativement pessimiste. En effet, ni Georgina qui fit un mariage d'argent, ni Teresina qui avec l'aide Guy fit un mariage d'amour ne trouvèrent dans leur union respective le bonheur escompté. Seule Madeline, personnage prude et sans force de caractère trouvera satisfaction, se contentant d'une existence simple, sans surprise.
En dépit de son âge,
Edith Wharton témoigne ici d'une certaine dérision à la fois quant aux attitudes de certains de ces protagonistes mais également vis à vis d'elle-même à travers notamment des trois parodies de critiques littéraires qu'elle glisse à la fin de son récit. Dans ces trois analyses, elle se place en véritable détractrice de son oeuvre qu'elle vilipende. Un volte-face inattendu pour le lecteur qui découvre une toute autre facette d'
Edith Wharton à travers ces trois critiques cinglantes, sans concession.
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La nouvelle qui suit «
Libre et légère » s'intitule « Expiation ». Ecrite des années plus tard, elle suit les déboires de Mrs Fetherel, une jeune écrivaine qui vient tout juste de publier son premier roman, «
Libre et légère », un livre qu'elle juge elle-même scabreux tant par le titre que par le contenu. Car comme elle le clame haut et fort, son livre n'est « pas un roman ordinaire » mais une oeuvre dans laquelle elle a eu « l'audace de dénoncer le vide des conventions sociales ».
Tout au long de la nouvelle, ses ambitions d'auteure à scandale vont pourtant s'écrouler. Son mari, faute de s'opposer avec virulence à sa volonté de publier son livre (comme elle l'aurait espéré), au risque de compromettre leur réputation, se montre on ne peut plus encourageant et fier ; les critiques, à défaut de voir dans son livre une oeuvre provocante et scabreuse, n'y voient rien de plus qu' « une jolie petite bluette ». Et même l'évêque n'est pas offensé !
Voulant nourrir de grandes ambitions, se rêvant en féministe
et en femme qui bouscule les conventions, Mrs F. se révèle en fait aussi pathétique que froussarde. Car malgré ses desseins, son air arrogant par moment et son apparente ambition, elle n'en a en rien la carrure ou le courage et recule devant tout ce qu'elle entreprend (un pas en avant, deux pas en arrière). Beaucoup trop soucieuse du regard des autres, terrifiée par la critique, elle se révèle versatile déchirée entre sa volonté d'émancipation et la peur de choquer. Les dialogues sont délectables tant ils reflètent son indécision, et son esprit de contradiction.
Jusqu'à la fin, elle est incomprise, tous ses actes étant mal interprétés par le monde qui l'entoure. Et le lecteur passe par une palette de sentiments à son égard : entre agacement, pitié et amusement.
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