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Le défi des possibles hospitaliers
Interview : Eva Silvio à propos d'Elle court, elle court, l'infirmière

 

Article publié le 02/06/2020 par Solène Spiguelaire

Difficile pour un sujet d'être plus criant d'actualité que l'expérience d'une infirmière au sein de maisons de retraite médicalisées. Alors que la crise sanitaire liée à l'apparition d'un nouveau Coronavirus a particulièrement touché les EHPAD et ses résidents, la problématique des conditions de vie des malades et des moyens accordés aux professionnels du secteur n'a jamais été aussi importante. Dans Elle court, elle court, l'infirmière, Eva Silvio, ancienne infirmière aujourd'hui reconvertie en écrivaine publique met un coup de projecteur sur une profession où des femmes et des hommes combattent dans l'ombre la maladie, la mort et l'isolement. Auteure, lectrice mais aussi internaute, Eva Silvio est présente sur Babelio depuis de nombreuses années : l'occasion pour nous de donner la parole aux Babelionautes ayant lu son ouvrage. Son livre est d'ailleurs sélectionné en catégorie Non-fiction pour le Prix Babelio 2020.



rabanne, gouelan : Le grand public se fait parfois une idée éloignée du métier d’infirmière qui reste, au fond, assez méconnu. Écrire sur le milieu des EHPAD était-il un moyen pour vous, alors en fin de carrière, d’énoncer votre vérité vis-à-vis de ces maisons de retraite médicalisées, mais également des professions qui y sont rattachées ? 
 
J’ai raconté mon vécu en EHPAD, alors que je n’y ai travaillé que quelques mois, parce que c’est l’expérience, avec la cancérologie du sein (que j’aborde plus brièvement) qui m’a le plus bouleversée au cours de ma carrière.
 
C’est ma vérité ! Sans être porte-parole, je décris les contextes que j’ai connus et invite à la réflexion sur la considération des personnes âgées démentes, sur les valeurs prônées de respect et d’humanitude, et les réelles possibilités de les appliquer. En effet, conditions de travail des infirmières riment souvent avec doubles-contraintes : qualité des soins, soutien psychologique et éloge de la lenteur chez nos aînés, mais exigences de rendement et procédures, dans un contexte de sous-effectifs récurrents.
Mon regard rejoint probablement celui de bon nombre de collègues ; quant aux autres professions, notamment les aides-soignantes, elles sont souvent les piliers de ces établissements, connaissent les résidents depuis longtemps, mais voient trop régulièrement défiler des infirmières.
 
Mon récit a également pour dessein de partager quelques astuces et conseils qui échappent peut-être au grand public, sans me départir d’une petite dose d’humour. Tous sont plus ou moins touchés de près ou de loin par une personne âgée dépendante ou une femme atteinte de cancer du sein.
 
Pour évoquer votre diplôme d’infirmière, vous écrivez : « Et pour un seul diplôme, cent métiers pourtant. » Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? 
 
À l’issue d’un cursus de 3 ans d’études est délivré un Diplôme d’État d’Infirmier (DEI) qui permet d’exercer dans des secteurs plus que variés, mais une formation supplémentaire in situ est très souvent nécessaire. En effet, les bases sont acquises concernant les soins généraux : recueils de données, toilettes, administration de traitements injectables, pansements de plaies, etc., mais selon que l’on travaille en établissements hospitaliers ou à domicile, en chirurgie ou en médecine, en pédiatrie ou en gérontologie, en addictologie ou dans la prise en charge du handicap, ou encore aux urgences, en laboratoires, en suivi d’essais thérapeutiques, etc., les compétences nécessaires ne sont pas les mêmes.
 
À l’heure actuelle, l’accès à la formation continue est devenu incontournable. Poser une perfusion de chimiothérapie dans une chambre implantable stérile, par exemple, ne requiert pas le même savoir-faire que changer une canule de trachéotomie en chirurgie ORL, éduquer un patient à la gestion de sa poche de colostomie après une résection intestinale ou encore prodiguer des soins à un grand brûlé. La liste est très longue, j’ai moi-même exercé dans beaucoup de domaines, mais de nos jours les diplômes universitaires sont légion et souvent exigés en complément du DEI (DU Plaies et cicatrisations, Soins palliatifs, Hygiène, Santé au travail), etc.
 
camati : Pensez-vous que, si vous vous étiez lancée dans l’écriture plus tôt, vous seriez encore infirmière aujourd’hui ? Et conseillerez-vous à vos anciennes collègues d’écrire ou, du moins, de tenir un journal de bord pour évacuer tout ce qui les taraude ?
 
Tout d’abord, je ne suis plus infirmière aujourd’hui, puisque j’ai cessé d’exercer en 2014. Mais si je m’étais lancée dans l’écriture plus jeune, j’aurais tout de même épousé cette profession que j’ai voulue et profondément aimée. Je me serais simplement arrêtée plus tôt. Les conditions de travail ont eu raison de ma motivation pourtant réelle.
 
L’écriture a des vertus thérapeutiques, cela permet de mettre à distance ses émotions. La différence avec ce que j’ai vécu jeune infirmière est qu’aujourd’hui les réseaux sociaux permettent d’échanger sur les pratiques, le vécu, les chocs psychologiques, tout en préservant le secret professionnel. Alors, oui, je conseille d’écrire, d’évacuer, de diluer, que ce soit dans un carnet qui restera personnel ou sur la Toile. Mais pour ceux et celles qui n’ont pas la passion du stylo, ils peuvent pratiquer la méditation, le sport ou n’importe quelle activité qui leur permettra de se ressourcer.
 
babounette, Jolap : Vous avez arrêté de travailler en tant qu’infirmière avant le Coronavirus. Au plus fort de la crise sanitaire, la situation en EHPAD a été particulièrement délicate. Que pensez-vous de la gestion des maisons de repos au début de la pandémie en France ? 
 
J’ai arrêté d’exercer en EHPAD en 2012, donc bien avant le Covid-19 et ne peux avoir d’avis tranché sur la gestion des EHPAD au début de la pandémie… tant les établissements sont multiples, privés ou non… Dans les médias ils ont un peu été les oubliés face aux services d’urgence et d’hospitalisation, jusqu’au moment où le lien fut établi entre leurs nombreux décès et le Coronavirus.
 
Par contre, connaissant la situation déjà plus que difficile avant la pandémie, de par mon expérience, mais aussi par mes lectures sur le sujet (Tu verras maman, tu seras bien de Jean Arcelin, EHPAD, une honte française de Anne-Sophie Pelletier, J`ai rendu mon uniforme de Mathilde Basset…), j’imagine assez bien les problèmes qu’ont dû rencontrer mes collègues et le traumatisme pour tous. Un épisode de gastroentérite ou de grippe est déjà très complexe à gérer en EHPAD, alors le Coronavirus…
 


HuguetteM et gouelan : Pour les EPHAD, cliniques, hôpitaux, malgré les quelques efforts fournis pour la sécurité des soignants, pensez-vous que la pandémie du Covid-19 va permettre d’accéder à certaines revendications, telles que manque d’effectif, de matériel et modification des grilles de salaire ? 
 
J’espère très sérieusement qu’après cet épisode dramatique, les blouses blanches seront écoutées dans leurs revendications maintes fois renouvelées sans grand succès. Les gens ont eu peur, le Covid a frappé dans tous les milieux, et sans le professionnalisme à toute épreuve des soignants, le nombre de morts à déplorer serait plus important encore. Les urgentistes avaient alerté et manifesté durant les mois précédant la pandémie sans qu’on ait accédé à leurs demandes, mais aujourd’hui, force est de constater que sans eux, la France compterait plus de victimes. Du personnel y a laissé la vie, d’autres étaient déjà en épuisement professionnel. Alors oui, je suis vraiment dans l’attente que des mesures soient prises plus sérieusement afin de non seulement préserver notre système de Santé publique, mais de répondre à nombre de revendications justifiées.
 
« Elle court, elle court, l’infirmière. Elle tue le temps, et même quand elle en a, elle court encore. Son métier l’a trop habituée. Elle ne pourra plus jamais s’arrêter… » Épuisés, lassés, certains font le choix de s’éloigner de cette profession. Selon vous, est-ce un métier duquel il est possible, un jour, de se détacher totalement ?
 
Infirmière un jour, infirmière toujours ! Je pense que l’on garde toujours au fond de soi cette part d’empathie et d’envie d’aider, même si l’on n’est plus en capacité d’exercer. La relation humaine est trop intense pour que l’on s’en détache si facilement, mais elle se transforme. Tous ceux et celles qui arrêtent le font souvent faute de conditions acceptables et conciliables avec une vie de famille.
 
Moi, j’ai tourné la page depuis plusieurs années, mais si je ne suis plus au cœur de la tourmente et regarde ça de loin, je conserve un esprit de solidarité envers tous les soignants.
 
babounette : Vous êtes aujourd’hui écrivain public. Qu’est-ce qui vous a poussée à exercer ce métier ?
 
J’ai toujours eu l’amour des mots, depuis petite. Mais la vie m’a conduite à devenir infirmière, la seule dans ma famille, jusqu’à ce que je songe sérieusement à me reconvertir, à force d’épisodes d’épuisement. J’avais entendu parler des biographes hospitaliers en soins palliatifs par Valéria Milewski, elle-même créatrice du métier.
 
L’idée a cheminé, j’ai effectué une première formation d’écrivain public et devais poursuivre par un stage avec V. Milewski quand j’ai réalisé que je ne voulais plus être en contact avec le milieu hospitalier. J’ai participé à divers ateliers d’écriture, passé la certification Voltaire, mais pour parfaire le difficile deuil du métier d’infirmière, j’ai rédigé ce livre, pour soigner encore un peu, à travers mes mots.

Aujourd’hui, je privilégie le relationnel dans mon nouveau métier, particulièrement avec les personnes âgées pour qui je travaille. Je suis passionnée par les histoires de vie, mais les romans aussi. Créer du lien au-delà des écrits m’est essentiel et cette reconversion n’est que pur plaisir malgré le lourd investissement qu’elle a exigé, car j’ai rompu avec le stress de mes « années blouses blanches ».
 


Eva Silvio à propos de ses lectures
 
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
 

J’ai eu envie d’écrire dès l’adolescence, inspirée par les textes étudiés en cours de français et de philosophie, et surtout par la poésie qui occupait tout mon esprit à l’époque (Charles Baudelaire, Alphonse de Lamartine, Victor Hugoetc.). Après une centaine de poèmes, j’ai écrit une petite nouvelle, puis entamé ma formation d’infirmière, laissant de côté pour un temps cette passion.

La lecture du livre Plus vieille la vie..., de François Lalvee, où il rend hommage au personnel soignant des EHPAD, a déclenché l’écriture irrépressible du mien en 2017 !
 
Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?
 
La Confusion des sentiments de Stefan Zweig ! J’ai découvert cet auteur sur le tard, mais éprouver de telles émotions à la lecture d’un roman est d’une puissance indicible et m’avait fait écrire ceci : « Pour toutes ces descriptions qui sont autant d’hymnes à l’amour, j’ai vibré au-delà du raisonnable. Je ne sais plus lire normalement, je deviens l’encre de chaque mot. Incrédule je relis les phrases, à la moindre virgule, je bascule dans le temps, je visualise chaque scène décrite avec une acuité exacerbée… je ne lis pas, je ressens. Violemment. »

Alors assurément, c’est le livre que j’aurais voulu écrire, preuve en est ma conclusion d’un billet rédigé en 2017 « Si la réincarnation de Stefan Zweig existe en ce bas monde, je l’invite à venir m’apprendre l’art d’écrire et de décrire les sentiments humains avec autant de talent ! »
 
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
 
Je crois que j’ai été amoureuse de nombreuses plumes au fil du temps, abordant les classiques comme tout un chacun par le biais de la scolarité, mais lisant aussi de tout, avec déjà un attrait pour les récits de vie et la psychologie dès l’adolescence.
 
Quelques titres m’avaient cependant marquée, dont : Les Princes du sang de Gilbert Schlogel, « une saga romanesque retraçant l’histoire de la chirurgie depuis le XVIIIe siècle à travers la vie de cinq chirurgiens d’une même famille » et Carnets d`un jeune médecin de Mikhaïl Boulgakov pour leur lien à la médecine et leur valeur de témoignage.

Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
 
L`Ecume des jours, de Boris Vian, lu 7 fois dans ma jeunesse pour son extrême fantaisie, ses jeux de mots et néologismes, son histoire d’amour et peut-être déjà par intérêt pour la maladie, comme celle de Cloé et son nénuphar dans le poumon.
 

Plus récemment, je me suis régalée à relire Les Demeurées de Jeanne Benameur, son style particulier et l’immense empathie qui s’en dégage ; véritable invitation à la tolérance face à la différence. Ce petit livre m’a offert de grandes émotions.

 
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
 
Honte par rapport à qui ? Pour avoir lu tous les incontournables, il faudrait plus d’une vie ! Par exemple, je n’arrive pas à me décider à lire Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, lecture que ne m’a pas été imposée durant mes études. Un jour peut-être !
 
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
 
Méconnue, je ne pense pas, mais la perle que j’aimerais faire découvrir à ceux qui ne l’auraient pas lue est La papeterie Tsubaki d’Ito Ogawa, pour la poésie qui en émane quant au métier d’écrivain public, exercé selon la tradition japonaise ancestrale. Très inspirant ! J’avais écrit :
 
« Aussi délicate que les camélias qui fleurissent sa devanture, la Papeterie Tsubaki nous donne envie de pousser sa porte, de pénétrer dans cet espace intime et feutré et de rencontrer Hatoko et sa bienveillance. Elle accueille chaque client venu demander un service épistolaire avec respect et empathie. Je me suis glissée dans sa peau d’écrivain public, et j’ai suivi chacune de ses commandes avec délectation. À mon tour, j’ai écouté ces êtres en peine de plume, essayé de comprendre leur histoire, leur personnalité. J’ai aimé m’immiscer dans leur âme pour choisir au mieux papier, enveloppe, timbre et outils de calligraphie adaptés, sans oublier le substrat essentiel, le corps de la missive. Le bonheur d’autrui est la clé de la motivation de Hatoko. » Ce pourrait être la mienne !
 
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
 
Je ne me sens pas apte à juger si la réputation d’un livre classique est surfaite ou non et je lis des classiques au gré de mes envies, de mes humeurs ou de mon besoin de combler des lacunes.
 
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
 
« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » : citation connue de Paul Éluard et qui m’inspire, tant ma vie est jalonnée de synchronicités, de coïncidences étonnantes !
 
Et en ce moment que lisez-vous ?
 
J’ai plusieurs lectures en cours, qui ne se situent pas au même niveau.

Pour essayer de progresser, j’ai toujours un livre sur le processus d’écriture. En ce moment, c’est celui d’Elizabeth George : Mes secrets d`écrivainPour un petit plaisir de temps en temps, je garde à portée de la main les Haïkus de Provence, d’Yves Gerbal… petites phrases qui me rappellent ma Provence natale ! Et sinon, pour rester en Provence, j’ai enfin commencé Les simples, de Yannick Grannec.

 

 

Découvrez Elle court, elle court, l`infirmière d'Eva Silvio publié aux éditions de La Boîte à Pandore
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