AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Eschyle (105)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Les Sept contre Thèbes

Les Sept Contre Thèbes d'Eschyle est l'épisode des Tragédies Labdacides (c'est-à-dire traitant de la famille royale de Thèbes par contraste aux Tragédies dites Atrides et traitant de la famille royale d'Argos qui a soutenu la fameuse Guerre de Troie) qui s'insère juste entre l'Œdipe Roi et l'Antigone de Sophocle.



Il s'agit de l'instant précis où Polynice, le fils d'Oedipe, chassé de Thèbes par son frère Étéocle, mobilise des souverains voisins pour faire valoir ses droits au trône de Thèbes et reprendre la couronne de la tête de son frère.



Sept armées se présentent donc aux sept portes de la cité Cadméenne, où Étéocle organise la défense héroïque de la ville. C'est lui qui se charge en personne de défendre la porte où se présente son frère Polynice.



La malédiction de la descendance du grand-père Laïos, qui a osé aller à l'encontre des volontés divines en ayant un fils, qui sera Œdipe, le célèbre parricide et incestueux rejeton de Jocaste, se poursuit par un bon vieux fratricide, lequel fratricide entraînera la fameuse et fatale révolte d'Antigone, mais n'anticipons pas sur le destin…



Le théâtre d'Eschyle est le plus archaïque des trois grands tragédiens grecs (Eschyle-Sophocle-Euripide). Et, s'il n'est pas l'inventeur stricto sensu de la tragédie, il en est le principal codificateur, et, en ce sens, l'authentique géniteur. C'est lui qui a introduit beaucoup des " nouveautés ", qui sont pour nous les marques les plus ostensibles du théâtre classique (masques, tenues spéciales, organisation de la scène et du chœur, utilisation de cothurnes pour les acteurs leur permettant d'être mieux vus et entendus du public, etc.).



La fonction civique du théâtre d'Eschyle est évidente, on pourrait même qualifier son théâtre de très « didactique ». Ici, dans Les Sept Contre Thèbes, même si le message d'allégeance aux dieux est omniprésent, le message qui semble le plus fort est celui de l'union civique, de faire front commun face à l'ennemi ou aux agresseurs de tout poil de la cité. Il fustige les femmes qui sapent le moral des troupes par leur effroi et leur cris de terreur face aux intimidations de l'ennemi.



On sait qu'Eschyle, outre le fait d'être un grand auteur et un grand acteur, était aussi un grand combattant dont le civisme (au sens patriotisme pour sa cité) n'était pas à questionner. Il s'empare d'un mythe connu de tous pour faire passer son message à lui : moins de paroles et plus d'actes. Les langues ne font pas de la belle ouvrage, quand vient le danger, retroussons-nous les manches et ne cédons pas à la panique.



Je trouve que cet antienne est très à la mode en ce moment, qu'on lui fait revêtir toute sorte de formes, toutes destinées à dresser les uns contre les autres, faisant de tels les défenseurs universels d'une soi-disant morale et tels les soi-disant dangers vis-à-vis de ladite soi-disant morale. Je me méfie toujours des étiquettes et des défenseurs auto-proclamés de quoi que ce soit.



Et sur un plan plus historique, je suis toujours surprise que cette thématique et cette pièce n'aient pas été plus mises en avant lors de la Révolution française et de l'attaque de la République par les diverses monarchies européennes, lesquelles attaques sont à l'origine de notre fameux hymne national. Je vous recopie des morceaux qu'on pourrait croire tout droit tirés de cette tragédie et vous affirme n'avoir pas changé plus de trois ou quatre mots par rapport à l'original (très souvent on s'arrête au premier couplet mais dans la suite de la Marseillaise, il y a des exhortations à la haine assez hallucinantes. Jugez plutôt :



« Allons enfants de Thèbes, le jour de gloire est arrivé ! Contre nous de la tyrannie, L'étendard sanglant est levé, Entendez-vous dans nos campagnes, Mugir ces féroces soldats ? Ils viennent jusque dans vos bras. Égorger vos fils, vos compagnes !



« Aux armes citoyens ! Formez vos bataillons, Marchons, marchons, Qu'un sang impur, Abreuve nos sillons.



« Quoi ces cohortes étrangères ! Feraient la loi dans nos foyers ! Quoi ! ces phalanges mercenaires, Terrasseraient nos fils guerriers ! Grands Dieux ! par des mains enchaînées, Nos fronts sous le joug se ploieraient, de vils despotes deviendraient, Les maîtres des destinées.



« Tremblez, tyrans et vous perfides, L'opprobre de tous les partis, Tremblez ! vos projets fratricides, Vont enfin recevoir leurs prix ! Tout est soldat pour vous combattre, S'ils tombent, nos jeunes héros, Thèbes en produit de nouveaux, Contre vous tout prêts à se battre.



« Amour sacré de la Cité, Conduis, soutiens nos bras vengeurs, Liberté, Liberté chérie, Combats avec tes défenseurs ! Sous nos drapeaux, que la victoire, Accoure à tes mâles accents, Que tes ennemis expirants, Voient ton triomphe et notre gloire ! »



C'est bluffant, n'est-ce pas ? Mais j'arrête là mes comparaisons oiseuses. Cette pièce se lit assez bien, même si elle réclame souvent ici ou là quelques explications. Je trouve qu'elle n'atteint pas la puissance littéraire et tragique d'un Sophocle, mais ce n'est là que mon avis à 7 contre 1, c'est-à-dire, bien peu de chose.
Commenter  J’apprécie          1293
Les Perses

Vous avez probablement — sûrement — entendu parler des performances rédactionnelles exceptionnelles du robot de conversation chatGPT ? On nous assure que l'intelligence artificielle serait — est — en passe de réaliser des prodiges, de remplacer bientôt — déjà — l'humain dans bon nombre de domaines où l'on le croyait encore irremplaçable il y a peu.



Alors je me suis donné aujourd'hui pour défi — mission — d'écrire exactement le genre de critique qu'une intelligence artificielle ne pourrait pas écrire, ne pourra jamais écrire, même une ultra méga chatGPT du modèle " pluhokmonku " qui sortira dans vingt ou trente ou cent cinquante ans. En effet, je ne m'adresse qu'aux intelligences naturelles avec le peu de cette substance qui m'échoit, aussi imparfaite soit elle. Et si, à la fin, vous pensez malgré tout qu'une IA de chez Microsoft & consort pourra un jour pondre ça, alors sur le champ j'abandonne la critique et m'en vais me suicider avant que le réseau de neurones survitaminé d'une grande firme ne m'en intime l'ordre !



Et d'abord, pour commencer, je pense qu'il y a une nuance entre le fait de trouver un texte fondamental dans l'histoire littéraire et le fait de l'apprécier. Prenons un exemple dans un autre domaine que la littérature (où vous percevrez peut-être un lien avec ce qui précède) : personnellement, je trouve que le premier récepteur de Guglielmo Marconi est absolument fondamental et essentiel dans l'histoire des sciences et de la technique, ouvrant la voie à des avancées fulgurantes dont nous bénéficions aujourd'hui plus que jamais.



De là à me pâmer chaque matin sur les incroyables performances de son récepteur, d'une portée de 2,4 km avec une réception comparable à un bac de friture en pleine effervescence et vis-à-vis de laquelle le bip-bip (nouvelle orthographe bipbip *) de Spoutnik fait figure de réception Dolby digital : il y a un monde. (* Il faut que je vous confie un secret : outre l'étonnant artifice des robots conversationnels, je suis une absolue fan des évolutions typiquement humaines, telles que les réformes orthographiques successives, celles qui viennent mettre du doute là où l'on n'en avait pas, de même que de la somptueuse et luminescente écriture inclusive en littérature.)



Eh bien, Les Perses d'Eschyle, pour moi, c'est un peu ça. Elle est tout ce que les autres en ont dit : la plus ancienne pièce quasi complète qui nous soit parvenue à ce jour ; une pièce qui nous parle d'un événement historique, ce qui est, toutes proportions gardées, très rare pour l'époque. Sans oublier les innovations purement scéniques que nous devons à Eschyle, pas de doute, c'est bien l'un des pères fondateurs du théâtre, de la tragédie et même, je pense qu'on peut aller jusqu'à le présenter comme un des pères de la littérature dans son ensemble.



Ceci dit, j'ai tout de même un peu de mal à m'enthousiasmer plus que ça. Sophocle, par exemple, qui aurait l'âge d'être son fils et qui n'est donc séparé d'Eschyle que d'une génération me semble avoir placé la barre bien plus haut quant aux seules qualités littéraires de ses textes, à l'intensité de ses intrigues, à la profondeur psychologique de ses personnages, au rythme de ses pièces, etc.



Les pièces d'Eschyle sont ultra-courtes (nouvelle orthographe, ultracourtes) mais pourtant, on trouve le moyen de s'y ennuyer. C'est comme un long radotage où l'on vous répète inlassablement le sempiternel « Hélas ! Hélas ! » C'est vrai hélas ! car la lectrice que je suis est lasse. Quoi hélas ? qu'est-ce qu'il y a Hélas ? pourquoi Hélas ? quelles conséquences Hélas ? quelles réactions Hélas ? quels ajustements Hélas ? Merde à la fin avec ton Hélas !



Bon, d'accord, l'armée des Perses est vaincue ; ça, je crois que j'ai bien compris, et ensuite ? « Hélas ! Hélas ! » Oui, mais encore ? « Hélas ! Hélas ! » Okay, mais je voulais dire, qu'est-ce qu'il y a après le hélas ? « Hélas ! Hélas ! » Bon, je crois que c'est sans espoir… « Hélas ! Hélas ! » (profond soupir, immédiatement suivi d'un violent choc des paupières… hélas !)



Donc, en somme, voilà — hélas — ce que j'ai retenu. Les Perses, une gigantesque armée recrutée sur les immensités de l'empire du défunt Darius, les Perses, pas tous perses donc, menés par Xerxès, le fils du grand Darius s'en viennent prendre en tenaille la coalition grecque autour d'Athènes. D'un côté, par la mer, en affrétant une immense flotte de plus de mille navires de guerre (pour les détails, toujours très sujets à caution, se reporter à l'historien Hérodote, qui peut-être bien radote) ; de l'autre côté, par le continent, en franchissant le détroit des Dardanelles par un procédé original : relier des barques d'un bout à l'autre du détroit pour permettre à son armée de sauter de l'une à l'autre à pied sec.



Bref, c'était pas mal pensé mais les Grec.que.s, ayant été les vainqueur.euse.s — et transitoirement ce.lles.ux qui nous ont raconté cette histoire — se sont attribué.e.s un rôle intéressant : moins nombreu.ses.x (à peine 300 Spartiates, dit-on, aux Thermopiles, armés d'une seule boîte de chocolats Léonidas) mais pas affolé.e.s, pas peureux.y.z pour deux drachmes, capables de s'unir sans dissensions, plus rusé.e.s, plus fort.e.s, plus agiles, plus TOUT, quoi !



Tiens, c'est marrant, le coup de l'union des cités grecques contre un ennemi commun venu d'Asie ça me rappelle un peu une histoire qu'on se racontait alors depuis des siècles : l'Illiade. Donc on sent une certaine volonté, pour ne pas dire une volonté certaine, de faire coller la situation actuelle des guerres Médiques (pas merdiques, médiques. Les guerres merdiques, ce sera pour plus tard.) à celle, aux trois quarts fantasmée, de la Guerre de Troie.



Bon, et comme dans toute bonne propagande il faut un système de communication efficace, pourquoi ne demanderions-nous pas à un ancien de la bataille de Salamine de nous pondre un petit spectacle bien senti allant dans ce sens sous des airs d'apitoiements pour les Perses ? Eschyle était né ; l'histoire allait devenir légende, allait devenir spectacle, un peu comme le Jour le Plus Long avec John Wayne, Henry Fonda et Robert Mitchum (à tes souhaits).



D'ailleurs, à ce propos, la fin de la pièce fait dans l'endoctrinement quasi-religieux (nouvelle orthographe kazirelijie) où l'on reconnaît (nouvelle orthographe reconnait ou reconé ou rheu qu'au nez, je ne sais plus très bien) une forme ancestrale du répons des offices liturgiques chrétiens, voire même un proto-gospel (nouvelle orthographe… euh… je ne sais plus, prote aux grosses pelles, je crois) de type call and response (nouvelle orthographe collant de Raiponce).



On voit donc à longueur de pièce la brave maman de Xerxès pleurer et se lamenter sur la défaite de son humilié de fiston. Elle en appelle alors — cas de force majeure — au fantôme de Darius à coup de libations et de prières aux Dieux pour savoir quoi faire en pareille panade. Eschyle ponctue toutes ses phrases d'un « Hélas ! Hélas ! » en nous rappelant bien que la Grèce est forte, qu'Athènes c'est ce qu'il y a de mieux et que surtout, surtout, faut croire aux Dieux, car, en toutes occurrences, ce sont eux, les véritables artisans de la victoire. (Ce que l'on pourrait éventuellement résumer en langage moderne et inclusif par une formule pleine de sagesse du genre : « Si vous ne voulez pas vous faire Niké*, vous vous ferez avoir. »)



Eh bien, merci pour ce conseil Eschyle, j'y penserai en temps utiles ; pour l'heure il faut que j'aille me recoucher car à fin et à force de me percuter les paupières, j'ai senti les bâillements (nouvelle orthographe bayeman) lancer l'assaut (nouvelle orthographe Lens & lasso). Donc, vous aurez peut-être deviné.e que cette pièce n'est pas particulièrement ma tasse de thé (nouvelle orthographe tass2T) mais ceci n'est que mon avis, pas beaucoup plus qu'un tuyau Persé, c'est-à-dire, pas grand-chose.



(* il s'agit bien entendu de Niké, déesse de la victoire, pas de cette marque vaguement sportive symbolisée par un genre de virgule mal positionnée et qui, soi-disant, serait une représentation stylisée de l'aile de ladite déesse à Samothrace.)



P.S. : définitivement, j'aime les autrices, auteuses, professeuses, professrices et autres sautrices en longueur, qui, à la force du poignet, ont enfin été les vainqueuses, vainctrices d'un système anachronique et machiste de désignation. Grâce à iels (ces iels rieu.se.r.s, tacheté.e.s ou rayé.e.s, on ne nous précise pas), notre langue, si boitrice auparavant, est désormais harmognice. À quand la déformation de mignon en moignon ? (On pourrait même récrire les vieux poèmes anachroniques et machistes en inclusif, ce serait un progrès colossal, digne de l'intelligence artificielle, croyez-moi : Mignon.ne, allons voir si la rose... Las ! voyez comme en peu d'espace, Mignon.ne, iel a dessus la place…) Bref, vive les autrices, mot qui rime si bien avec cicatrice et mot triste, et à bas les auteures, mot qui, à coup sûr, sonne désormais bien trop masculin à nos oreilles inclusives !
Commenter  J’apprécie          12616
Les Choéphores

Les Choéphores, titre qui désigne dans la Grèce ancienne les porteuses de libations en vue de rendre les hommages funéraires et honorifiques dus aux morts, est désormais la pièce médiane des trois tragédies de l'Orestie d'Eschyle. On désigne par Orestie les pièces dont l'histoire d'Oreste est le pivot central, même lorsque celui qui sera appelé à résoudre (à sa façon) le déséquilibre moral de la famille royale des Atrides en Argolide (dans le Péloponnèse) n'aura pas encore l'âge ou ne sera pas encore passé à l'acte.



À l'origine, l'Orestie n'était pas constituée de trois mais de quatre pièces dont la quatrième s'est perdue (ou plus exactement a été volontairement perdue au second siècle de notre ère à l'époque de l'empereur romain Hadrien, sous prétexte de satisfaire au canon des pédagogues grammairiens). Les Choéphores constituait à l'époque le second volet de la tétralogie.



L'épisode évoqué dans cette pièce est le plus traité, et donc le mieux connu, de toute la tragédie grecque puisque tant Sophocle qu'Euripide nous ont livré leur propre version des mêmes événements. Il est très probable que beaucoup d'autres passages mythologiques étaient traités pareillement par les trois principaux tragédiens grecs qui nous sont parvenus (et également aussi par beaucoup d'autres qui ont été purement et simplement évincés par nos amis les grammairiens romains) mais ne se retrouvent désormais que chez l'un ou l'autre tragédien, plus rarement deux.



Chronologiquement, Eschyle est le plus ancien des trois grands tragédiens grecs et ça se voit beaucoup. Ses pièces sont encore très archaïques avec une écriture sèche et un rapport au divin, à la morale et à l'édification civique très développé. Ça sent vraiment trop à mes narines le théâtre d'État comme aux plus belles heures de l'U.R.S.S.



Pourtant, c'est dur de traiter Eschyle de cette façon, car c'est à lui qu'on doit presque tout, c'est lui qui révolutionne le théâtre, c'est lui qui innove à tout crin, c'est lui qui en fait un spectacle d'une noblesse inouïe pour l'époque. Mais, comme l'a constaté Voltaire de façon générale avec les réalisations humaines, il s'agit d'un premier stade de développement, qui, comparativement aux avancées qui s'appuieront dessus, nous apparaît un peu pauvre avec un regard actuel.



Il n'y a pas beaucoup chez Eschyle de ces magnifiques formules littéraires qui nous réjouissent l'âme à 2500 ans de distance comme chez Sophocle, il n'y a pas beaucoup non plus de cette substance digne de nous porter à philosopher comme chez Euripide. Eschyle, c'est très brut, âpre, sans fioriture. Chez Eschyle il y a une message clair, civique et religieux, que l'on martèle (comme Charles) dans la tête du spectateur tellement fort que deux jours après il en a encore le crâne qui vibre...



Voilà pourquoi la note générale, pour un lecteur d'aujourd'hui ne monte pas bien haut, même si je reste persuadée que, à la façon d'un Edgar Poe pour la SF ou le polar, Eschyle est un rouage essentiel à tout ce que l'on connaît aujourd'hui en matière de théâtre.



Ici, les choéphores sont bien sûr Électre, la fille du roi Agamemnon, (lâchement assassiné par sa femme Clytemnestre et surtout son amant, Égisthe) et sa suite. Et c'est justement en allant rendre les hommages sur la tombe de l'ancien roi qu'Électre remarque d'étranges offrandes que seul un proche du défunt monarque peut avoir déposées.



Il est désormais passé de mode de témoigner un quelconque respect à la dépouille d'Agamemnon, le seul qui puisse encore en éprouver ne saurait être un autre que son fils, Oreste, envoyé naguère en exil pour échapper à la dague de sa mère et de son beau-père.



Si c'est bien Oreste qui est de retour, alors Électre est très contente, elle qui ronge son frein depuis des années, car cela signifierait que l'heure de la vengeance a sonné et qu'Égisthe et Clytemnestre ont du soucis à se faire. Mais est-ce bien Oreste ou un quelconque imposteur ? Personne ne l'a vu depuis des années et nul ne saurait le reconnaître, pas même sa bienaimée soeur.



Et quelle vengeance ? Si l'étranger est bien Oreste, ce qui n'est pas sûr, acceptera-t-il d'endosser la responsabilité d'une vengeance ? Voudra-t-il trucider sa mère pour laver l'honneur de son père ? Bref, Oreste ou pas Oreste, il serait temps de passer à l'action, — mais quelle action ? — car choisir c'est renoncer comme disait quelqu'un...



Le message, un brin simplet, de cette pièce semble être d'ordre civique : que vous voyez rois ou simples mortels, ne commettez ni crimes ni injustices car les dieux voient tout et finiront par vous envoyer un châtiment exemplaire, sous une forme ou sous une autre. Ce message est évidemment destiné ici à Clytemnestre et Égisthe, mais il pourrait bien, à terme et dans une autre pièce, — pourquoi pas ? — être destiné à Oreste. À suivre...



En ce qui concerne les qualités ou défauts respectifs de cette pièce, je m'en voudrais d'infléchir trop votre choix par un avis trop entier, un seul petit avis, qui, à lui tout seul, ne signifie jamais grand-chose, soyez-en convaincus.
Commenter  J’apprécie          722
Électre : Les Choéphores d'Eschyle - Électre de..

Voici un livre que je trouve plus intéressant que chacune des parties qui le constituent. Comme son titre l'indique, il est centré sur le personnage mythologique d'Électre.



Mais ce qui est intéressant ici, ce ne sont pas forcément les pièces prises indépendamment, mais les comparaisons qu'elles nous permettent. Or, vous savez bien que la méthode comparative est l'une des deux seules façons de mener des investigations scientifiques.



On sait que sur les plus de trois cents ou quatre cents tragédies écrites par Eschyle, Sophocle et Euripide, seules 33 nous sont parvenues. Et sur ces 33, dix évoquent de près ou de loin cet épisode mythique. C'est dire s'il est important dans la tradition culturelle grecque.



On peut rappeler en quelques mots cet épisode. À la base de la base, chez les tragiques grecs on s'appuie sur Homère, qui lui le raconte assez succinctement, laissant ainsi la place à de nombreuses interprétations, prolongations ou enjolivures.



Agamemnon, le roi vainqueur de Troie, sacrifie sa fille Iphigénie, pour apaiser le courroux de la déesse Artémis. Évidemment, Clytemnestre, sa femme, ne voit pas d'un très bon œil ce sacrifice de sa fille. On sait de plus qu'elle fait des infidélités à Agamemnon pendant son absence avec le cousin du roi, Égisthe.



De sorte que Clytemnestre manigance avec son amant d'assassiner Agamemnon. Égisthe se charge de la besogne et remplace poste pour poste son défunt cousin, à la fois dans le lit de sa femme et aux commandes du royaume.



Comme vous pouvez vous en douter, les enfants d'Agamemnon et de Clytemenestre prennent assez mal la chose, mais parmi eux, il n'y a qu'un fils, Oreste, et qui est encore trop jeune pour défendre l'honneur de son père. Il est donc exilé manu militari par des partisans de l'ancien roi aussi bien pour le protéger que dans l'espoir d'une vengeance future.



Les sœurs d'Oreste sont Électre, la rebelle et Chrysothémis la soumise. Au passage, Sophocle semble le seul à nous parler de cette sœur qu'il a peut-être ajoutée pour les besoins de sa pièce.



Électre représente donc l'archétype de l'héroïne au destin tragique : fille de roi, déchue après son assassinat, honteuse d'avoir une mère adultère et meurtrière et pas certaine qu'un jour son petit frère puisse lui sauver la mise et ainsi lui permettre un beau mariage honorable.



Ce qui est particulièrement intéressant ici, c'est de voir l'évolution du personnage chez les trois tragédiens à quelques années d'intervalle, ainsi que l'évolution du théâtre même et de ses finalités.



Eschyle, c'est vraiment la préhistoire de la tragédie. On peut le déplorer maintenant, en trouvant sa pièce pauvre ou caricaturale, mais ce serait une erreur si l'on se souvient qu'avant lui il n'y a rien, ou en tout cas, pas grand chose. Je doute qu'il soit l'inventeur de tout, mais son rôle dans l'émergence de la tragédie grecque est fondamental et indéniable.



Concernant Électre, son rôle est assez mineur, d'ailleurs, elle ne donne pas son nom à la tragédie contrairement à son père Agamemnon dans un autre volet de l'Orestie. (Néanmoins, quand on sait le nombre de pièces perdues et les sept malheureuses pièces d'Eschyle qu'il nous reste, on se dit qu'il avait peut-être ailleurs développé plus le rôle d'Électre.)



Chez Eschyle, Électre se borne à se lamenter, à reconnaître son frère Oreste à coups de mèches de cheveux et d'empreintes de pas et à lui réclamer justice pour le meurtre de son père. Et c'est à peu près tout.



Chez Sophocle, on note une franche évolution du style d'écriture, c'est beaucoup mieux écrit, c'est très poétique, très fin et le rôle d'Électre est enrichi. L'auteur lui trouve un contrepoint avec Chysothémis, exactement comme il l'avait fait pour Antigone avec Ismène. Le rapport mère-fille est également très intéressant. Électre assume son rôle d'opposante, elle le revendique et en est fière. Elle veut être l'épine dans le pied tant de sa mère que d'Égisthe et se sent prête à jouer du poignard si par hasard son frère Oreste avait un petit coup de mou au moment de passer à l'acte.



Chez Euripide, la prestation d'Électre est un peu moins spectaculaire mais la construction de la pièce est bien meilleure. Sophocle avait révolutionné Eschyle et Euripide révolutionne Sophocle. Les évolutions purement théâtrales propulsent Euripide à mi-chemin entre Eschyle et Racine. Il crée l'ancêtre des actes au théâtre, il abaisse la proportion de répliques chantées, il crée d'ailleurs de véritables dialogues. Et il se moque doucement mais surement d'Eschyle.



On sait que son prédécesseur avait opté pour la reconnaissance au cheveu et à l'empreinte de pas. Ici, Euripide casse tout ça et démontre que c'est bidon. Il a un souci de plus grande crédibilité. Autant Eschyle nous servait du rapport aux dieux, autant Sophocle appuyait sur le bouton du pathos en nous abreuvant de poésie, autant Euripide essaie de rapprocher le théâtre de ses spectateurs d'alors sans jouer trop la carte du surnaturel.



Ainsi, ce livre n'est pas tant intéressant dans les histoires qu'il raconte que sur ce qu'il nous donne à voir et à comparer sur l'évolution même du théâtre, des origines vers ce que l'on connaît aujourd'hui, au travers de trois auteurs décisifs qui traitent d'un même sujet ou à peu près.



Pour ma part, j'aurais tendance à attribuer 2 étoiles à Eschyle, et 3 étoiles pour chacun des deux autres. C'est la comparaison des styles offerte par ce livre vraiment pas trop gros et bien fait que j'élève à 4 étoiles. Mais tout ceci n'est bien entendu que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          670
Les Suppliantes

C'est vrai, je vous l'accorde, Les Suppliantes n'est pas une pièce particulièrement facile d'approche, captivante ou séduisante de prime abord pour un lecteur d'aujourd'hui, quand bien même ce lecteur serait très familier du théâtre tel qu'on le conçoit de nos jours.

Ce n'est donc pas du théâtre que j'imagine lorsque je lis une pièce aussi ancienne et présentant, même pour de la tragédie grecque antique, des caractéristiques archaïques. Non, ce n'est pas pour moi du théâtre, c'est du documentaire, un témoignage ethnographique hautement intéressant car écrit de la main d'un de ses ressortissants et à l'époque même où fleurissait la civilisation dont il est question.

C'est également intéressant à considérer pour l'histoire de la pensée, pour l'histoire des religions, pour l'histoire de la Méditerranée, pour l'histoire de la politique, pour l'histoire de la philosophie et, bien sûr un petit peu, pour l'histoire du théâtre, mais ce n'est vraiment pas là l'essentiel selon moi.

Si vous lisez Eschyle comme vous liriez La Guerre Des Gaules, vous ne serez pas déçus.

C'est l'angle d'attaque que je choisis pour vous parler aujourd'hui des suppliantes.

Eschyle reprend le mythe séculaire (même à son époque) des Danaïdes et essaie de le contextualiser par rapport à la Grèce de son temps.

Il en ressort une réflexion très étonnante sur la condition de la femme, où il prend le parti de soutenir les femmes dans leur éventuel refus d'appariement avec des maris qu'elles n'auraient pas choisis. De même, il fait une forte dénonciation du viol, qui en corollaire du mariage forcé était monnaie courante.

Il fait aussi l'apologie d'un système politique où le sort des étrangers pourrait être tranché non par la décision d'un roi mais par le vote des citoyens.

Il nous donne aussi une grande leçon de tolérance à l'égard des étrangers aux abois qui viennent demander asile.

Donc, si l'on regarde cette tragédie comme cela, politiquement, philosophiquement et socialement parlant, c'est une pièce très riche.

Sur le plan purement théâtral, on peut aussi trouver certains qualités à cette pièce, notamment, ce qui deviendra l'essence de la tragédie, tel qu'un Corneille pourrait la concevoir, c'est-à-dire, le choix lourd de conséquence, dit choix cornélien, ou plus récemment sous la houlette de Coluche, le " Qui perd, perd ".

Ici, les cinquante filles de Danaos se sont enfuies d'Égypte pour échapper aux cinquante fils d'Égyptos, le propre frère de Danaos, les fils étant donc les cousins des précédentes.

Elles trouvent refuge en Argos où la cité va devoir faire ce fameux choix digne de la tragédie : livrer des vierges aux viols et aux violences de leurs cousins ou donner asile à celles-ci au risque de provoquer une guerre avec ses enragés de l'autre rive de la Méditerranée ?

Je vous laisse vous plonger plus avant dans cette lecture si le cœur vous en dit, en vous précisant, une nouvelle fois, que cette lecture n'est pas des plus sexy qu'on puisse imaginer, mais que si l'on s'y accroche un peu, elle peut revêtir des aspects très intéressants.

Néanmoins, une fois encore, je ne saurait vous supplier de croire en mon avis qui n'exprime qu'une des innombrables visions que l'on peut avoir de ce texte, c'est-à-dire, bien peu de chose.



N. B. : je vous ai fait grâce du discours religieux omniprésent dans la pièce car c'est ce qui m'y intéresse le moins mais qui nous informe sur le mode de pensée de l'époque.
Commenter  J’apprécie          631
Les Sept contre Thèbes

Un texte assez court , qui permet au lecteur de remonter le temps et de savourer une pièce qui plonge dans les temps reculés de l'aube du théâtre grec , avec ici un récit tragique .



Eschyle , l'auteur , a contribué de manière capitale , à la fixation de la structure du théâtre grec et son oeuvre fut abondante et sa renommée immense ( tragédie et satire ).

Il reste très peu de ses compositions car l'histoire c'est acharnée à faire disparaitre son oeuvre , pour des raisons qui tiennent du hasard et non de la persécution .

Il est Athénien et il est né en 526 , avant l'ère commune , à Eleusis , haut lieu du théâtre grec . Il est précédé par une tradition dramaturgique ancienne , copieuse et expérimentée .



Ses textes sont assez nus , leur structure est claire et les formes sont très lisibles , personnellement je trouve que cela leur donne un caractère accessible et éloquent à la diction .

Il y a de magnifiques images dans l'oeuvre d'Eschyle et dans les sept contre Thèbes non moins que dans les autres textes de l'auteur .

Mais l'oeuvre de l'auteur en général , ne semble pas porter une grande attention aux liaisons développées , ce qui donne à ses textes un aspect scandé , un peu désossé .

Personnellement , j'aime beaucoup cette structure qui à mon humble avis ne fragilise les textes qu'à la lecture .

Avec une mise en scène épurée , le travail d'Eschyle affiche un caractère épuré et cinglant , avec des mots qui nourrissent des émotions et des images intenses , violentes et intrusives .



Les mots composent souvent donc , des images ciselées et éloquentes , même si souvent aussi , elles sont aussi éloquentes que brèves , d'où l'importance de la mise en scène et de la diction , qui viennent à point , restituer le sens , l'intensité , et le rythme.

Eschyle est un auteur poliade par excellence ( polis – citée ) qui travaille sur les formes politiques , les institutions poliades et leurs résonnances historiques , religieuses , dynastiques , affectives et populaires .

Les dieux interviennent dans le politique de milles manières . Mais la grande faille des hommes , celle qui garantit souvent le succès divin , est le manque de tempérance , flagrant chez les hommes victimes des dieux et souvent aussi du politique au sens large .



Les sept contre Thèbes est un texte accessible et assez entrainant . le choeur se lamente avec constance sur l'imminence de l'assaut contre les sept portes de la Polis thébaine .

Les frères potentiels roi légitimes de la famille royale décèderont en conformité avec les termes de la malédiction d'oedipe .

Une armée argienne qui soutient un des protagonistes thébain , se masse aux portes de la ville qui n'est finalement que la victime de ses dirigeants et de leur gout démesuré pour le pouvoir .



Je souhaite insister sur le choix de l'auteur ( de l'Age d'or classique ) de se situer à l'époque royale et à ce que l'on appelle le moyen Age hellénique , pour colorer son récit d'une aura mythique et lui conférer ainsi une efficacité tragique.

Cette époque de royauté où le roi est le garant sacré et mécanique des destinées poliades , rend aussi son réquisitoire contre l'hybris ( démesure invasive et possessive de l'individu , aveuglé ) plus percutant .



Sept portes , sept duels héroïques annoncés . La cité est sauvée par le sacrifice conscient et volontaire d'un membre de la famille royale qui décide de laisser s'accomplir la prophétie .

Le tragique et la démesure sont poussés dans leurs retranchements spectaculaires et symboliques avec le refus de sépulture pour Polynice par Créon , mais Antigone en décidera autrement dans un geste absolument dramatique et public de rébellion contre une décision politique nocive et irraisonnée .

Le passage d'Antigone est peut-être un ajout au texte qui serait postérieur , c'est une question aussi intéressante que insoluble .

Commenter  J’apprécie          604
Théâtre complet

Voici des textes assez courts dont la lecture coute quelques efforts mais , qui permettent au lecteur de remonter le temps et de savourer des mots qui plongent à l'aube du théâtre grec dans sa connotation tragique spécifique .



Pratiquement tout ce qui reste l'oeuvre d'Eschyle est dans ce recueil . L'auteur a contribué de manière capitale , à la fixation de la structure du théâtre grec classique . Son oeuvre fut abondante et sa renommée immense ( tragédie et satire ).

Il reste très peu de ses compositions car l'histoire s'est acharnée à faire disparaitre ses textes , pour des raisons qui tiennent du hasard et non à la persécution .

Il est Athénien et il est né en 526 , avant l'ère commune , à Eleusis , Haut Lieu du théâtre grec et des mystères d'Eleusis . Il est précédé par une tradition dramaturgique ancienne , diversifiée et assez codée car elle était en elle-même un langage cultuel très structuré et ce , depuis très anciennement .



Ses textes sont assez dépouillés , leurs structures sont claires et les formes sont donc très lisibles et perceptibles . Personnellement je trouve que cela leur donne un caractère accessible évident et ils sont de plus vraiment éloquent lors de la déclamation .

Il y a de magnifiques images dans l'oeuvre d'Eschyle et donc dans tous les textes de ce recueil .



Mais l'oeuvre de l'auteur en général , ne semble pas porter une grande attention aux liaisons et à la cohésion narrative , ce qui donne à ces pages un aspect scandé , haché , un peu » désossé « .

Personnellement , j'aime beaucoup cette structure qui à mon humble avis ne fragilise les textes qu'à la lecture et leur ajoute de la dimension à la diction .

Avec une mise en scène épurée , le travail d'Eschyle affiche un caractère cinglant , avec des mots scandés qui nourrissent des émotions et qui assènent des images intenses , violentes et intrusives .



Les mots composent souvent , des images ciselées et éloquentes , même si souvent aussi , elles sont aussi éloquentes que brèves , d'où l'importance de la mise en scène et de la diction , qui viennent à point , insister sur

le sens , par l'intensité euphonique , et par le rythme et souvent les polyphonies déclamatoires .



Eschyle est un auteur poliade par excellence (Polis – Citée ) qui travaille sur les formes politiques , les institutions poliades et leurs résonnances historiques , religieuses , dynastiques , affectives , patriotiques et populaires .

Les dieux interviennent dans le politique de milles manières .

Mais la grande faille des hommes , celle qui garantit souvent le succès divin , car les dieux se mêlent de tout et de rien dans le monde et la vie des mortels , des cités et des destins individuels , cette faille c'est le manque de tempérance .

C'est flagrant si on se penche sur les hommes victimes des dieux et souvent aussi sur les forces qui pèsent sur le politique au sens large .



Il y a une chose à faire vous savez , écoutez une pièce de théâtre grec en vo , peu importe la compréhension . Faites-le , car c'est une belle musique souvent très éloquente et systématiquement euphoniquement très calculé .

Commenter  J’apprécie          564
Les Perses

Eh oui, je persiste avec Eshyle. Cette pièce m'effrayait un tant soit peu, parce qu'elle est souvent mentionnée comme LA pièce patriotique du théâtre grec antique, et que, bon, présenté comme ça, ça ne me disait trop rien. Pour le coup, c'est plus agréable à lire que je ne le pensais, même si l'aspect patriotique n'est pas totalement absent - ne serait-ce que parce cette tragédie était destinée à un public grec, qui se glorifiait d'avoir vaincu les attaques des Barbares à Salamine et ailleurs - je vous laisse vous renseigner sur les faits historiques si besoin, j'ai trop peur d'écrire des sottises. Bon, après tout, les Perses avaient voulu envahir et soumettre les peuples grecs, ces derniers avaient donc de quoi pavoiser, si tant est que pavoiser après une guerre soit de bon ton.





La tragédie des Perses a donc été composée peu de temps (huit ans pour être précis) après la fin de la guerre qui a opposés Perses et Grecs, guerre à laquelle Eschyle avait lui-même participé. Pour autant, est-ce un témoignage historique ? Non, et ce n'était certainement pas le but d'Eschyle. Est-ce que c'est une pièce de propagande ? Oui et non. Proposer ce genre de sujet devait assurément aider Eschyle à remporter la première place du concours - même si au final, je n'ai pas d'info sur le résultat qu'a obtenu Eschyle dans le cadre de ce concours-là. Les Grecs sont présentés comme de grands stratèges, c'est certain. de plus, on remarquera que les termes utilisés par les Perses eux-mêmes (car on ne voit ici que des personnages perses) sont choisis à l'intention du public grec ; on n'imagine évidemment pas les Perses se donner le nom de "Barbares" (ce qu'ils font pourtant constamment dans la pièce), alors que ce terme grec (βάρϐαρος / bárbaros) désignait tous ceux qui n'étaient pas... grecs. Mais le propos essentiel ne consiste pas en une exaltation du peuple grec vainqueur, mais bien en une réflexion sur la résistance des humains au destin. Résistance vouée à l'échec.





La tragédie débute en effet après la défaite des Perses à Salamine. Atossa, épouse du défunt roi Darios et nommé ici La Reine, attend des nouvelles de l'armée avec les Fidèles, des conseillers qui devront l'aider dans les décisions à prendre selon les informations reçues. Or il s'avère que Xerxès, fils de Darios et d'Atossa et actuel roi, bien qu'encore vivant, a conduit son immense armée à se faire laminer. Il n'est question, lorsque le messager arrive au palais, que de cadavres dérivant dans l'eau ou pourrissant à terre ; ces images sont d'ailleurs très fortes, et répétées à maintes reprises. Xerxès lui-même n'est plus qu'une loque qui a provoqué la désagrégation de l'Empire de son père. C'est qu'il ne fallait pas, qu'il ne faut jamais, aller contre les dieux et vouloir prendre plus que ce qui vous est destiné. C'est ce que Darios avait compris, c'est ce que Xerxès n'a pas voulu comprendre, et c'est toute la morale de cette tragédie. Ce sont les dieux qui ont été les artisans de la défaite des Perses, c'est dit et redit dans la pièce.





J'ai eu quelques moments de frayeur qui m'ont méchamment rappelé Les Sept contre Thèbes, quand untel commence à nommer un à un les chefs perses et leur alliés, puis, plus tard, les morts dans les rangs des Perses et de leurs alliés. Ça ne dure pas très longtemps, donc nous estimerons (voilà, c'est reparti, je parle de moi à la première personne du pluriel, ah la la) que c'est acceptable pour les lecteurs d'aujourd'hui. Ce qui facilite également la lecture, c'est que, miracle des miracles, Les Perses ne fait pas partie d'une trilogie liée ! Donc pas de début, ou de fin, ou de milieu qui manque (malgré quelques vers perdus) !





Et surtout, le choix qu'a fait Eschyle de présenter les perdants, de centrer sa tragédie sur leurs malheurs, ne peut que nous faire penser à ce qui suivra avec Euripide et les captives troyennes qu'il mettra en scène. de là à conclure qu'Eschyle était un précurseur en la matière, il n'y a qu'un pas - que je me garderai bien de franchir, faute de preuves.







Challenge Théâtre 2020
Commenter  J’apprécie          440
Les Perses

Les perses ,

La plus ancienne pièce de théâtre conservée ( dans l'état actuel de la question ).

Tient ! un autre témoin ( et acteur ) qui fait concurrence à Hérodote ? En nous livrant opportunément un témoignage ? Pas vraiment ,….

Pour l'histoire , voyez Hérodote et le commentaire de votre serviteur ( moi-même) …

Cependant , Les perses ( ou plutôt : « autour des perses « ) , c'est de l'histoire , alors je parlerais un peu des guerres médiques et des perses , car cette pièce à une résonnance politique forte dans l'histoire d'Athènes .

En effet si l'auteur était un vétéran , son public l'était également et largement , sur les gradins se tenaient en bon nombre les rameurs de la flotte athénienne à Salamine .



Le théâtre ( de la racine grecque : regarder ) est un évènement religieux à l'origine et le lieu lui-même , scène et gradins , est un lieu annexe du temple , dédié à la récitation mythique , principalement héroïque .

A sa toute origine , le théâtre est associé à Dionysos , au culte féminin et hors poliade ( cité ) .

Par son développement , et son étaiement scénique le théâtre deviendra un aspect majeur de la religion civique et de la vie politique et artistique poliade ( de la cité grecque ) .



En Grèce comme plus tard à Rome , le théâtre ne sera jamais un aspect neutre , des arts littéraires . Il conservera toujours une aura sacrée , sinon toujours le théâtre en-soi lui-même , mais au moins pour l'inspiration des auteurs et pour leur liberté de ton et de sujet .

Le théâtre grec vise fortement à l'émotion et à la connaissance intime . Il vise à procurer une information qui s'alimente d'abord à une forme de mysticisme .

Bref , ce n'est pas , malgré son caractère éminemment politique , ni la Pravda , ni le 20 heures , ou encore ce n'est pas non plus Le Monde Diplomatique , ni encore le dernier roman transcendantal .

C'est plus une religion ( sourire ) , même si le caractère religieux est souvent transcendé ( mais jamais sublimé ) …



Le théâtre a évolué très vite et Eschyle a contribué directement à cette évolution en introduisant et en établissant le principe du deuxième acteur( qui vient s'ajouter au protagoniste , le premier acteur ) .



Lire ce texte , nécessite forcement de mesurer et d'appréhender un décalage culturel énorme qui porte sur le fond , la forme et le contexte historique général et ponctuel .

Un texte assez cour capable de vous émouvoir que les perses ? : oui à mon humble avis , misérablement prétentieux et égotique .

Il y a dans les perses de grandes phrases éloquentes , joliment dites , dont le caractère grandiose et dramatique transporte et émeut .

Le texte est souvent très circonstancié et scénique . Il est vivant et animé .



L'auteur crée un agencement du drame qui ne repose pas sur la simple chronologie évènementielle , mais sur des séquences qui visent à la dramatisation en profondeur , en énonçant des faits qui chantent systématiquement la dévastation intime et secondairement les ruines collectives .

C'est un peu comme de peindre des tableaux et de les voir bruler ensuite , dans l'élan tragique et lyrique des coeurs .

Plus que toute autre texte de théâtre sachez que les perses est récité , déclamé , chanté … bref n'oubliez pas d'imaginer la sono …

Enfin c'est un texte dynamique car , les évènements qui fondent l'émotion lyrique et dramatique sont dans le file narratif insérés comme passés ou bien à venir .

Pour ce qui est de recommander ce texte , je vous inviterais à vous demander si vous aimez lire des récitations entrecoupées de textes lyriques …..



Si Eschyle , contribue à faire évoluer la structure du théâtre , ce qui n'est pas rien en soit , il demeure incontestablement dans Les perses au plus près de la signification première du théâtre .

Les perses sont en effet une récitation héroïque , le texte utilisera les cadres narratifs suivants : la prédiction , la récitation , le songe , la prophétie , la lamentation et la portée du héraut ( du messager ) .



Les perses ne nous renseigne pas tant sur la victoire des grecs que sur les lamentions de Xerxès qui par son insistance aveugle , égotique et acharnée a contribué à ne pas faire mentir les oracles .

La bataille navale d'Himère , épargne au grecs d'occident la destruction et l'asservissement aux carthaginois , de même Salamine et Platées épargne à la Grèce continentale l'asservissement à l'orient despotique.

Ce dont traite cette tragédie c'est d'un véritable cataclysme géopolitique .



Athènes est un état grec , une cité ( polis ) , avec sa chorée ( campagne ) , sa ville ( polis ) et son acropole et ses temples . Elle est avant tout une communauté d'hommes , issus du sol ( autochtones ) ) à l'image de sa divinité poliade tutélaire . La ville est un assemblage humain enraciné dans sol.

L'invasion perse menace de détruire définitivement l'état et le sol avec les symboles de histoire et de l'identité d'un peuple . Une partie de la flotte de Salamine était prête à fuir vers l'occident pour refonder un nouvel état successeur d'Athènes , nouvelle Athènes mais jamais plus Athènes .

Contre toute probabilité la Grèce a triomphé des dissensions internes vives et viscérales , des manoeuvres financières agressives de l'empire ( corruption ) , et des armées innombrables ( sans rires ) …

Mais non , la Grèce restera libre et Athènes cité démocratique ( en fait une oligarchie du peuple ( des hommes seuls ) plus qu'une démocratie au sens contemporain ) , triomphera , vivra , et opprimera un véritable empire maritime qui causera sa perte militaire et politique ultérieure ….

Ce démos ( peuple ) qui est assis sur les gradins qui est héroïsé par l'éloquence tragique de l'auteur , mettra en coupe la coalition maritime, une partie du pacte hostile aux perses et instrument de liberté et fondera un empire despotique . Ce qui est à naitre est déjà lancé et c'est à mesure de la grandeur existentielle , de ce dont nous entretient ce texte .



Car en conclusion , je vous le dit , bientôt , peu après cette représentation , le trésor de la ligue viendra de Naxos à Athènes couronner l'étendard de la liberté en causant sa perte Car l'aveuglement qui causa la perte de Xerxès , causera aussi la perte d'Athènes et aussi de celle de son démos , après avoir nuit à la Grèce toute entière , plus que les perses probablement , mais cela Eschyle ne le savait pas …



Mais nous , nous le savons et nous savons donc que l'histoire , comme la guerre est souvent garce et amère , ….

Les perses c'est de la métahistoire athénienne , et le lecteur assiste à la création de ce ressentis historique collectif d'une communauté nationale étourdie par sa grandeur imprévue et par sa providentielle survie …

Commenter  J’apprécie          4410
Électre : Les Choéphores d'Eschyle - Électre de..

Electre est l’archétype de la tragédie grecque, une œuvre qui se distingue par sa cruauté et sa violence. Les plus grands poètes de l’époque en ont fait leur version et plutôt que de s’opposer les trois pièces présentées ici se complètent pour ne plus faire qu’un ensemble indissociable. Agamemnon est mort assassiné par l’amant de sa femme qui en a profité pour usurper le titre de roi et pour prendre sa place sur le trône et dans le lit de la reine. Electre sa fille reléguée au simple rang de servante n’a plus qu’une idée en tête, venger son père et retrouver une position plus digne de son statut. Aurait-elle eu la même rage meurtrière si elle avait gardé ses prérogatives de princesse consort ? On peut en douter tant son personnage déborde d’ambitions et d’orgueil. Pour verser le sang elle a besoin d’un bras armé, bras qu’elle va trouver en la personne de son frère Oreste qu’elle pensait mort et qui réapparait après de longues années d’exil caché au loin par des partisans de son défunt père. Lui-même désire venger le héros de la guerre de Troie qu’il présente comme la droiture et la probité même. Il est vrai qu’Agamemnon fait partie des artisans de la victoire, mais pour mettre les bonnes grâces des dieux de son coté il n’a pas hésité à égorger de sa main sa plus jeune fille Iphigénie. A l'issue du conflit, il est revenu au pays accompagné d’une nouvelle concubine, de quoi largement exacerber les ressentiments de son épouse. Tuer !!! Voilà le maitre mot et si Orestre n’a pas de scrupules à éliminer celui qui a pris la place de son père, il est plus réservé sur le châtiment à appliquer à leur mère. Il hésite, mais Electre se dresse, crache les milles feux de sa colère et pousse son frère à commettre l’irréparable . Lyrique, poignant et terriblement réaliste malgré les interventions des chœurs qui agissent un peu comme une voix off, ce livre est une somme que tout le monde devrait connaitre car au même titre que l’Ylliade et l’Odyssée d’Homère, il fait partie des œuvres fondatrice de la littérature mondiale...
Commenter  J’apprécie          400
Les Perses

On est bien d'accord, la tragédie c'est toujours des vieux bousins dont seuls les érudits un peu snobs ont entendu parler et qui emmerdent tous les autres ?



On est bien d'accord, lire la tragédie c'est encore pire que la voir, on se barbe, dans la tragédie, même si on se barbe avec distinction, en étouffant ses bâillements, discrètement, derrière une main lasse ?



Mais voilà : Les Perses, c'est une tragédie qui sort des clous, à tous les niveaux : côté vieux bousins et côté emmerdement, - et qui mérite qu'on s'y arrête et qu'on réprime, un instant, son bâillement.



Que dirait-on si notre vieux Beckett à tête de hibou déplumé avait écrit une pièce où deux clochards auraient échangé leur point de vue sur la bataille d'Angleterre? ou si Ionesco avait envoyé Bérenger se geler les miches et manger du rat à Stalingrad assiégé par des rhinocéros à croix gammée ? ou si Anouilh, même, le pâle Anouilh, avait confié à Antigone le soin d'aller mettre des fleurs des champs sur les sinistres voies ferrées d'Auschwitz, au nom des lois non écrites?



On dirait qu'ils ont eu un sacré culot, parce qu' écrire une tragédie sur l'actualité, ça ne se fait pas, mais alors pas du tout !



Les Perses, c'est d'abord l'actualité faite tragédie.



Bon, d'accord, c'est une actualité qui a un peu vieilli - qui, à part Javier Cercas, se souvient encore des soldats de Salamine ?- mais enfin, on ne peut pas en vouloir à Eschyle d'en avoir été un, de soldat de Salamine, justement, et de vouloir la raconter, à sa façon, sa victoire.



Tragique. Normal, pour un dramaturge.



Deuxio les Perses, tout barbus qu'ils soient, ne sont pas barbants- attention je n'ai pas dit qu'ils étaient poilants non plus : la tragédie, surtout au temps d'Eschyle, est essentiellement centrée sur le choeur et sur le thrène-un chant de deuil. Et un choeur qui pleure et déplore, en grec ancien, ça donne beaucoup de opopoï opopoï opopoï- ce qui veut dire « hélas », mais en grec ancien, of course.



En traduction, c'est moins rigolo, je vous l'accorde.



En revanche, pour la distraction vous êtes plutôt gâtés : le songe d'Atossa, la reine, et son interprétation quasi en direct, l' apparition de Darius, le roi mort, qui prédit la grosse cata, et la grosse cata elle-même qui se produit tout comme ils l'ont rêvé ou prédit : c'est Salamine- la défaite maritime des Perses, qui arrive comme la cerise sur le gâteau –enfin pas pour les Perses, bien sûr, - je suis vraiment obligée de tout vous expliquer ?-



Parce que pour les Perses, Salamine c'est comme Stalingrad pour les rhino à croix gammée. J'espère que vous me suivez toujours.



En plus, le fantôme du Roi mort se paie le luxe de prédire aussi Platées –la défaite terrestre de nos barbichus pas si barbants que ça- , et ça c'est trop fort, vraiment! On dirait qu'Eschyle lit dans le marc de café, même si nous, on sait que Virgile, dans l'Eneide, nous a déjà fait le coup de la prédiction, avec le bouclier d'Enée, où était annoncé l'avènement d'Auguste, avec huit siècles d'avance…sauf que Virgile , ce gros malin, il a inventé ce bouclier d'Enée sous le règne d'Auguste himself et même à sa demande..



Déguiser la propagande en poésie prophétique ou en tragédie fantastique, avouez que c'est géant : on devrait souffler la recette à quelques dictateurs en mal de popularité…



Je récapitule : actualité brûlante, songes inquiétants, prédictions confondantes, apparitions fantastiques : n'en jetez plus…Il n'y a guère que le cirque, le guignol ou les marionnettes pour vous divertir davantage, pauvres roseaux pensants que vous êtes !



Troizio, les Perses c'est un tour de force d'intelligence et d'humanité. Eschyle donne la parole aux vaincus, il adopte leur point de vue, il épouse leurs angoisses, il évoque leurs cauchemars…



Je ne sais pas, moi, mais si vous racontiez la bataille d'Angleterre, vous feriez une tragédie bien glorieuse, avec Churchill dans le rôle du super héros, et tous les aviateurs anglais joueraient les fanfarons et ramèneraient leur fraise, non ? Pas Eschyle !( j'ai dit Eschyle, pas Churchill, suivez un peu, merde, c'était un exemple !) Eschyle, lui, l'ancien soldat de Salamine, il la joue modeste : ce sont les Perses qui ont le premier rôle, eux qui tiennent le choeur, eux qui voient venir la catastrophe avec ce fou de Xerxès qui est devenu tout à fait mégalo, et qui n'écoute même pas sa maman, Atossa. Il doit faire un complexe d'Oedipe- même s'il n'a pas vu Oedipe-Roi, c'est un peu prématuré- mais Xerxès c'est pas papa Darius, il est tout plein d'Hybris-une sorte de drogue dure d'origine grecque qui a fait son chemin. Il déconne à pleins tubes : il est bon pour la camisole de force …



Bref tout se passe dans le camp des Perses, au point qu'on a la double satisfaction de se la jouer modeste et de faire un peu d'humanitaire – qu'est-ce qu'ils vont devenir, ces pauvres Perses, menés à la cata par leur fils- à- papa- psychopathe ? et cette pauvre Atossa, veuve de guerre et mère d'un looser ?



Opopoï Opopoï Opopoï !!!( je ne traduis plus, suivez un peu, que diable !)



Bon, assez déconné : les Perses, c'est audacieux, c'est moderne, c'est shakespearien.



C'est pas barbant.



C'est juste assez mal traduit, scolaire et plutôt laborieux dans la collection GF Flammarion. Il faudrait dépoussiérer tout cela. Lacarrière aurait dû s'y coller, comme il l'a fait excellemment pour le théâtre de Sophocle – qui dansait dans les choeurs célébrant la victoire de Salamine …non, pas Lacarrière, Sophocle, vraiment vous êtes lourds…



Bon, j'ai complètement raté mon coup, vous êtes en train de tout mélanger : Les Perses, c'est bien cette histoire d'un escadron anglais descendu en flammes par les rhinocéros de Stalingrad, pendant que Churchill et Eschyle fumaient le cigare sur le trône de Darius, en regardant Atossa faire la danse des sept contre Thèbes ?





Opopoï Opopoï Opopoï !!!









Commenter  J’apprécie          3511
Les Perses

Récit intéressant à plus d’un titre, mais en terme d’émotions tragiques je suis resté sur ma faim.



« Les Perses » situe l’action à la fin de la deuxième guerre médique qui opposa une confédération de cités grecques à l’immense empire Achéménide. Elle conte essentiellement l’histoire la bataille de Salamine, l’aspect tragique étant curieusement rendu non dans l’héroïsme des Grecs au combat mais dans l’apitoiement des Perses face à la défaite.

Car les sujets de la pièce sont bien les Perses vaincus. La scène est à Suse, devant le palais du roi Xerxès. Les Féaux du père de Xerxès, Darius, attendent avec angoisse des nouvelles de l’immense armée partie écraser les téméraires Grecs. Atossa, veuve de Darius, leur fait part de ses rêves inquiétants. Un messager dépenaillé ne tarde pas à confirmer leurs craintes. L’armée a été anéantie. Atossa invoque l’âme de Darius afin d’en obtenir consolation et bénédiction mais n’y gagne qu’une effroyable révélation : les Dieux (Grecs) ont jugé les Perses sacrilèges d’avoir tenté de s’élever à leur niveau en bâtissant un pont de navires permettant aux soldats de traverser l’Hellespont (évènement également relaté par Hérodote). La ruine des armées est leur punition et Xerxès doit à présent renoncer à sa superbe et ployer le genou. La fin de la pièce est une longue et pathétique péroraison de Deuil.



Ce récit est sans aucun doute à classer parmi les témoignages historiques. Car l’auteur a bel et bien vécu la bataille de Salamine et je pense que sa haine des Perses devait être profonde. Eschyle est prolixe dès qu’il s’agit d’évoquer l’histoire récente (pour lui) des affrontements entre Grecs et Perses, les détails géographiques du déplacement des armées perses, les noms des généraux, etc. En écrivant cette pièce il a voulu laisser une trace des évènements qu’il a vécus.

Ce récit est aussi un cri patriotique. Je ne crois pas que choisir les Perses comme sujets puisse leurrer le lecteur. Les Perses se nomment eux-mêmes Barbares, ce qui ne peut-être en réalité que le point de vue d’un Grec ; Darius parle des Dieux, mais de Zeus, de Poséidon, pas d’Ahura-Mazda. Eschyle rappelle que les Perses règnent par la terreur alors que la force d’Athènes repose sur la vertu civique et patriotique. Eschyle montre les Perses angoissés, il les fait pleurer, mais je l’imagine observer la scène avec une joie perverse, et je l’imagine souhaiter à travers cette pièce transférer cette joie à son public, et développer leur sentiment patriotique.



Tout cela a ravi mon intellect mais a quelque peu désappointé mon attente émotionnelle du tragique. Ici pas de lutte entre devoir et passion, pas de Destin funeste imposé par les Dieux, seulement la plainte des vaincus. C’est insuffisant pour se comparer à des chefs-d’œuvre comme « Œdipe-roi » de Sophocle ou « Hippolyte » d’Euripide.



Pièce lue dans les « Tragiques Grecs, Théâtre Complet », éditions du Livre de Poche.

Commenter  J’apprécie          330
Les Euménides

Décidément l'Orestie m'aura réservé des surprises.

Après un très bon « Agamemnon » et un décevant « Choéphores », la trilogie s'achève sur un excellent, inclassable « Euménides ». Inclassable car jamais, je n'aurais pensé qu'un tragédien antique aurait eu le culot d'écrire et de représenter pareille histoire.



Comme le titre de la trilogie l'indique, cette dernière pièce s'intéresse au sort d'Oreste, le fils d'Agamemnon et de Clytemnestre. Dans les épisodes précédents, Clytemnestre a assassiné son mari, coupable à ses yeux d'avoir sacrifié leur fille Iphigénie à des dieux manipulateurs pour pouvoir mener sa guerre contre Troie. Plusieurs années plus tard, Oreste a vengé son père en tuant sa mère. Aussitôt les Furies – ces puissances surnaturelles qui se lèvent pour venger tout sang criminellement versé – se jettent sur Oreste, le poursuivent, bien décidées à l'accabler jusqu'à ce qu'il en meure de folie.

On retrouve Oreste dans le temple de Delphes, entouré des Furies. Apollon, qui n'est pas pour rien dans la vengeance d'Oreste sur sa mère, maintient endormies les monstres et conseille à Oreste de rejoindre Athènes où Athéna le protègera. Ainsi fait Oreste que les Furies retrouvent rapidement. Athéna organise alors un véritable procès dont Apollon et les Furies sont les témoins à décharge et à charge, et le jury composé de sages athéniens. le vote est parfaitement équilibré jusqu'à ce qu'Athéna elle-même fasse pencher la balance en faveur d'Oreste qui est enfin libéré de la malédiction. Mais les Furies ne l'entendent pas ainsi. Ce sont les plus anciennes lois de la Justice et de la Vengeance qui ont été bafouées par ces nouvelles règles démocratiques, et elles vont faire payer les athéniens. Mais Athéna leur propose une autre solution : qu'elles s'installent à Athènes où le peuple les adorera, où elles deviendront les Euménides, les Bienveillantes et assureront le bonheur de la cité. Réticentes, les Furies finissent par accepter et la pièce se termine dans la joie.



Pièce surprenante à plus d'un titre, par le rôle prépondérant offert aux dieux et aux puissances surnaturelles, par l'absence d'unité de temps et de lieu qui aurait provoqué une crise cardiaque chez bien des jeunes tragédiens du 17ème siècle français. Mais c'est bien sûr ce procès qui est exceptionnel. Enfin, les dieux cessent de manipuler les humains comme des pièces d'échec. Enfin ils leur accordent suffisamment de respect et les estiment dignes de juger une affaire de crime de sang. Et les athéniens endossent ce rôle exigeant, malgré la menace sourde que les Furies font peser sur eux. C'est une vraie révolution en douceur.

Par cette pièce, Eschyle glorifie le système politique d'Athènes. Et il le fait en mettant un terme aux temps où l'homme n'était qu'un jouet des Dieux, craintif et bêtement dévot. Athéna la déesse accorde à l'homme une forme d'égalité avec les Olympiens. Même à Athènes, je pense qu'un tel parti pris était osé et a pu être considéré comme blasphématoire par une frange de la population. La glorification de la démocratie est quelque chose dont nous avons bien besoin de nos jours, où tant de gens considèrent inconsciemment qu'elle est aussi naturelle que respirer et n'hésitent pas à bouder les urnes sans imaginer que ce geste est l'équivalent de l'acceptation des alternatives dans lesquelles le commun n'a pas droit de donner son avis.



Cette histoire apporte d'autres bienfaits : elle brise une bonne fois l'enchainement d'assassinats vengeurs et montre ainsi tout l'avantage qu'il y a s'appuyer sur la justice légale et à renoncer au système de vendetta. Elle pacifie aussi les Furies, dont on comprend que la haine qu'elles portent en elles est essentiellement due à leur solitude, au rejet dont elles sont l'objet. Qu'il se trouve un groupe d'humains pour les accepter avec leur laideur, et elles découvrent une sérénité inédite.



Une pièce incroyable par les messages étonnamment modernes qu'elle porte.

Commenter  J’apprécie          312
Prométhée enchaîné

Une pièce agréable à lire dont le principal mérite est de conter quelques pans importants de la mythologie grecque.



Condamné par Zeus, Prométhée le Titan est enchainé au sommet d’une montagne du Caucase pour avoir osé voler le feu aux Dieux et l’avoir offert aux hommes. Son destin est de subir éternellement les affres de la fournaise du jour et du froid glacé de la nuit. Les Océanides, filles d’Océan, forment le Chœur qui vient plaindre le malheureux et l’auditoire auquel Prométhée conte son histoire. Il est amer de son sort, mais fier de son action. Il renvoie vertement Océan venu lui proposer son intercession. Connaisseur de l’avenir, il va conter celui de sa visiteuse, la nymphe Io, fille du fleuve Inachos poursuivie par la colère vengeresse d’Héra pour avoir eu le malheur de plaire à Zeus. Fier, dis-je, et sûr de sa victoire finale car il détient un secret ; il sait comment et par qui interviendra la chute de Zeus. Hermès descend des cieux pour le convaincre de le dévoiler, en vain.



On le voit beaucoup de choses sont racontées. A l’échelle de la pièce cela fait un peu trop. L’histoire d’Io, par exemple, prend beaucoup de place et n’apporte aucune solution au sort de Prométhée ; sort qui n’est d’ailleurs pas réglé à la fin. Mais quand on voit la pièce comme la première d’une trilogie cela s’explique. Eschyle avait bien plus de marge pour s’étaler et pouvait se permettre des interludes et une fin en suspense. Les deux autres pièces ont malheureusement disparu, mais l’on sait que la deuxième – « Prométhée délivré » - contait la libération du Titan par Héraclès.



Pourquoi Prométhée a-t-il provoqué le courroux de Zeus alors qu’il l’avait aidé à enfermer ses frères les Titans ? Cela n’est pas clairement dit. En fait Prométhée était, selon d’autres sources, le créateur des hommes que Zeus souhaitait éliminer de la surface de la Terre. En apportant le feu aux hommes il apporte l’élément décisif au progrès, à la domination de la nature, et finalement à l’oubli des Dieux désormais inutiles. C’est une vision très humaniste du rôle de Prométhée que portait là Eschyle. La portait-il vraiment ou a-t-on ici affaire à une interprétation moderne ? Je ne sais.



De manière empathique on a tendance à être ému du sort infâme réservé au Titan, qui sera encore alourdi après la visite d’Hermès avec un aigle qui viendra quotidiennement manger son foie. On apprécie aussi son côté implacable, l’affirmation de sa fierté. En fait en lisant les analyses du mythe on comprend que Prométhée n’est pas si démuni qu’il le paraît. C’est un immortel, et même Zeus – présenté dans la pièce comme un potentat ne gouvernant que par la violence - ne peut le tuer. La douleur ? Il peut la supporter. Et il tient son adversaire à sa merci. Il sait comment ce dernier tombera de son trône, et personne ne saurait lui arracher l’information. C’est le statu quo. Le nœud ne se desserre que dans « Prométhée délivré » (on le suppose) où un compromis est trouvé : Zeus accepte de délivrer le Titan moyennant une mise en scène épique et l’intervention d’Héraclès. En retour Prométhée dévoile qui menace son trône ce qui permettra au maître des Dieux de désamorcer préventivement la grenade. Zeus acceptant un compromis abandonne l’usage seul de la Force pour le gouvernement. Une forme de Justice peut naître.

Commenter  J’apprécie          314
Les Suppliantes

Bon, bon, bon... J'écrivais dernièrement, dans une critique particulièrement inspirée sur Les Sept contre Thèbes, que je m'étais endormie avant la dixième page des Suppliantes. Depuis, je me suis montrée courageuse et persévérante, j'ai repris ma lecture, et, ça y est, oui, je l'ai terminée ! Je ne sais pas si ma première expérience avortée était due à un gros coup de mou ou au fait que les premières pages ne sont pas folichonnes - un peu des deux, sans doute, vu que lorsqu'on lit un truc mou alors qu'on est soi-même mou, c'est pas tellement propice à provoquer une montée d'adrénaline -, mais voilà, c'est fait. Et y'a du mieux.





De quoi parle Les Suppliantes ? Des Danaïdes. De mariage forcé. De pitié et de devoir politique. De religion, aussi. Nous résumerons, ou plutôt je résumerai les choses ainsi : les cinquante filles de Danaos, roi de Libye, sont réclamées par le frère jumeau de Danaos, Ægytos, qui lui règne en... Égypte, forcément. Il veut qu'elles épousent ses cinquante fils, et qu'elles leur apportent en sus leur dot, ça va de soi. Danaos refuse et fuit avec ses filles, tandis que les fils d'Ægytos les poursuivent. La tragédie commence précisément au moment de l'arrivée des Danaïdes et de leur père en Grèce, sur la terre d'Argos, où elles demandent refuge au roi Peslagos. Elles invoquent leur filiation argienne (on y reviendra) et la protection qu'on doit apporter aux suppliants au nom de Zeus (c'est une des fonctions de Zeus que d'accorder protection à ceux qui la réclament en tant que suppliants, selon des rites établis). D'où un dilemme pour Peslagos : il risque de s'attirer la colère de Zeus s'il n'accueille pas les Danaïdes en Argos, mais il risque tout autant la guerre contre les Égyptiens, qui sont sur les talons des Danaïdes. Et, suivant la loi, il n'est pas habilité à prendre une décision de ce genre seul, mais doit consulter le peuple. Une grande partie de la pièce consiste en des supplications des Danaïdes auprès de Peslagos, avec à l'appui force arguments afin d'obtenir satisfaction.





Raconté comme ça, ça a l'air ennuyeux. Et ça l'est par moments. Le début, avec une espèce de scène d'exposition, est ennuyeux (et voilà pourquoi je me suis endormie !) Mais il faut dire qu'on est confronté à plusieurs problèmes avec cette pièce datant de -463/-464. Déjà, elle est incomplète, par endroits truffée de trous. Ce qui rend la lecture incertaine. Mais elle est, comme presque toutes les pièces d'Eschyle que nous connaissons, également intégrée à une trilogie liée, de même que Les Sept contre Thèbes. Sauf que le cas des Suppliantes est pire. Les Sept contre Thèbes était la dernière tragédie d'une trilogie liée, Les Suppliantes est la première. Imaginez-vous regarder Le Retour du Jedi sans avoir vu Un Nouvel espoir et L'Empire contre-attaque : vous avez les aboutissants de la trilogie originale de Star Wars, mais pas les tenants ; ça se regarde, mais vous avez raté pas mal de trucs. Mais alors si vous regardez La Menace fantôme sans voir ensuite L'Attaque des clones et La Revanche des Siths, c'est l'inverse. Même si vous savez qu'Anakin Skywalker va devenir Darth Vader, vous ne saurez jamais comment il bascule, comment la République est devenue l'Empire, et le film seul en lui-même manquera énormément de sens. Ce qui signifie que, même si on connaît vaguement de quoi il était question dans les deux tragédies suivant Les Suppliantes, qui devaient apparemment s'intituler Les Égyptiens et Les Danaïdes, même si on connaît le mythe des Danaïdes et donc ce qui va se passer en gros (on sait que les mariages vont se faire quand même, que ça va être sanglant et que c'est censé se terminer très mal pour les Danaïdes, avec leur tonneau à remplir sans fin), on peut difficilement appréhender, voire pas du tout, le projet d'ensemble d'Eschyle. Et c'est très problématique, d'abord parce qu'Eschyle ne composait pas des trilogies liées par pure fantaisie, mais bien pour porter un message sur les questions du destin collectif, de la malédiction familiale, du rôle des dieux, et de ses rapports entre dieux et humains. Ensuite, c'est aussi problématique parce qu'Eschyle a pris ses distances avec le mythe - certes soumis à variations - et qu'on aimerait bien savoir pourquoi, et comment il comptait exploiter le nouveau motif qu'il avait apporté dans l'histoire des Danaïdes.





La légende de Danos et de ses filles veut, du moins d'après ce que j'ai lu, que Danaos ait refusé les mariages proposés par son frère à cause d'un oracle, qui prédisait l'assassinat des Danaïdes par leurs époux juste après leur nuit de noces. On ne trouve pas ça chez Eschyle. Quand le roi d'Argos demande aux Danaïdes pourquoi elles refusent d'épouser leur cousins, elles semblent répondre d'abord de manière légèrement évasive ; mais surtout, elles mentionnent le fait que les fils d'Ægytos sont dans la misère, qu'ils les épousent uniquement pour accaparer leur dot, et qu'elles vont devenir leurs esclaves (ce qui me fait penser aux captives troyennes d'Euripide, mais est-ce à bon escient ? Pas forcément). De même, le roi Peslagos semble être une invention eschylienne (et là, soyons clairs, je me rends compte que j'aurais bien besoin d'un helléniste avisé et fin connaisseur de ces choses pour m'épauler, même si j'ai courageusement peiné pour me renseigner du mieux possible en un temps court). Donc, centrer une grande partie de la pièce sur le dilemme du roi et sur sa discussion avec les Danaïdes, voilà qui relève d'un choix très personnel d'Eschyle. Voyez comme les choses sont compliquées lorsqu'on veut lire Eschyle - et encore n'ai-je pas mentionné la question du style.





On a dans Les Suppliantes une présence très marquée du chœur, mais tout autant du coryphée, le chœur représentant les cinquante Danaïdes. Et les parties du chœur, c'est franchement pas ce qui se lit le mieux. Il ne se lamente pas autant qu'on pourrait le croire - même s'il se lamente quand même, faut pas exagérer non plus. Il est davantage utilisé pour raconter l'histoire des Danaïdes, ou plutôt pour exposer leur généalogie. On a donc droit à tout un résumé de la légende d'Io, qui est la quadrisaïeule, si j'ai bien compté, de Danaos. Et comme Io a été engrossée en terre argienne, mais a accouché en Afrique pour des raisons que je tairai ici vu que j'en ai écrit déjà des tonnes, on comprend (et le roi avec nous) en quoi les Danaïdes peuvent se revendiquer comme originaires d'Argos et déclarer, bien qu'étant lybiennes et honorant d'autre dieux que ceux d'Argos, qu'elles ont pris la décision de se soumettre aux dieux grecs, et notamment à Zeus. Ce qui me dérange un peu ici, c'est que je ne saisis pas bien la nécessité d'exposer l'histoire d'Io, que tous les Grecs du Vème siècle av. E.C. devaient connaître. Passons. Le chœur passe aussi pas mal de temps à implorer la protection des dieux, des habitants d'Argos, de son roi, etc., et à leur lancer des bénédictions en fin de pièce. Pour résumer, le chœur est chiant. Et Danaos n'est pas très captivant non plus.





En revanche, pour ce qui est des échanges entre le coryphée, représentant l'ensemble des Danaïdes, et le roi Peslagos, c'est autre chose. C'est déjà plus vif, et plus passionnant sur le fond. C'est là qu'est exposé le fameux dilemme du roi, que j'ai déjà pas mal mentionné, mais aussi qu'on voit l'insistance du coryphée pour le faire fléchir ; c'est que les Danaïdes n'ont pas spécialement envie d'attendre un verdict populaire très incertain, alors qu'elles ont réussi à gagner Peslagos à leur cause. Donc elles mettent le paquet, et dans la supplication, et dans l'argumentation, et même dans les menaces, puisqu'elles font valoir que Zeus va se fâcher tout rouge si on ne leur accorde pas protection, et qu'en plus elles vont aller se pendre en place publique plutôt que de céder à leurs cousins - ce qui énerverait Zeus encore un peu plus. Par conséquent, si Peslagos doit de toute façon aller demander son avis au peuple, il va le faire de manière à être à peu près certain que ledit peuple aille dans son sens. Ça sent un chouïa la manipulation politique, bien qu'on puisse se dire que les habitants d'Argos ont sans doute, tout comme leur roi, plus peur d'une punition divine que d'une guerre... Bref, tous les dialogues entre le roi et le coryphée se révèlent très intéressants.





Donc Les Suppliantes, c'est pas si mal à lire, et c'est même carrément bien par moments. Néanmoins, une tragédie d'Eschyle arrachée d'un ensemble qui lui donnait tout son sens, c'est un problème de taille. On devrait donc appeler logiquement Les Sept contre Thèbes, Les Suppliantes et Prométhée enchaîné des "tragédies à problème". Je dis ça, je dis rien.
Commenter  J’apprécie          2920
Les Suppliantes

« Les Suppliantes » est la première pièce d’une trilogie racontant l’histoire des Danaïdes. Descendantes d’Io qui avait trouvé le repos en Égypte, les cinquante filles de Danaos fuient leurs cousins les fils d’Égyptos qui veulent se marier avec elles. Accompagnées de leur père elles abordent en Argos, patrie d’origine d’Io, et supplient les Dieux et le roi Pélasgos de leur donner asile. Les fils d’Égyptos les retrouvent mais sont stoppées par le roi et l’armée d’Argos.



La suite de l’histoire devait être contée dans les deux tragédies suivantes qui ont malheureusement disparu. Les mariages devront malgré tout avoir lieu contre le gré des Danaïdes. Ces dernières (exceptée Hypermnestre) assassineront leur mari au cours de leur nuit de noces. Elles seront condamnées à remplir sans fin, aux Enfers, un bassin dont l’eau s’échappait à mesure : le fameux tonneau de Danaïdes.



Cette pièce ne m’a pas spécialement emballé. La première raison tient aux circonstances ; les deux tragédies suivantes ayant disparu, on aura jamais la fin de l’histoire. On ne sombre pas dans une véritable fin tragique, les Suppliantes se terminant de manière plutôt positive. De plus le manuscrit des « Suppliantes » nous est parvenu dans un état désastreux au vu du nombre de coupes dans les vers qui ne facilitent pas la lecture.

La deuxième raison est plus intrinsèque. Les morceaux attribués au Chœur des Danaïdes sont trop longs et trop nombreux à mon goût. Même si c’est l’instant privilégié pour glisser des éléments d’histoire et de mythologie, quelle que soit la tragédie antique c’est la partie que j’apprécie le moins ; je lui préfère les dialogues. J’ai conscience qu’il fallait laisser aux suppliantes le temps de supplier mais l’espace pris ici par le Chœur endort l’ensemble.

On trouve aussi au moins une faiblesse scénaristique : alors que les Danaïdes sont à l’abri sur un tertre sacré que personne n’oserait franchir dans un but malveillant, le roi d’Argos leur demande de le quitter ; une prise de risque inconséquente qui n’a comme explication que le besoin d’espace pour le chant et la danse du Chœur qui va suivre. Le roi essaie piteusement d’expliquer la raison de son commandement, sans convaincre.



Ce qui rattrape le tout, ce sont les informations sur la société athénienne qui se glissent dans la conversation. Exemple : le roi s’étonne que las Danaïdes refusent d’épouser leurs cousins car à Athènes les filles seules héritières devaient épouser un proche parent du père pour que le patrimoine reste dans la famille. Autre exemple : le transfert aux temps des tyrans légendaires des règles de la démocratie athénienne – le roi, en effet, ne décide pas, il a besoin de l’aval de l’assemblée du peuple.



Eschyle se confirme dans mon esprit comme le tragédien antique le moins intéressant. Bon, je suis loin d’avoir tout lu de lui et il peut encore se rattraper. Tout ce blabla est extrêmement subjectif, vous verrez peut être les choses autrement.

(Pas très drôle ma critique là ! Suis pas dans mon assiette moi).

Commenter  J’apprécie          290
Les Perses

Poursuivant ma découverte du théâtre par les origines, voici les Perses, qui est une des premières tragédies qui nous soient parvenues, et la première "historique". A Suse, capitale achéménide, les vieux et la reine mère attendent des nouvelles de l'armée, un messager annonce la mauvaise nouvelle (la défaite de Salamine) et tous se lamentent. On invoque le spectre de Darius. A la fin arrive Xerxes, qui n'a pas grand chose à ajouter.



Une pièce avec très peu de dynamique. La seule nouvelle qu'on reçoit est déjà connue de tous les spectateurs. Pas d'action, on dirait aujourd'hui. Mais un spectre et un songe divinatoire en live, tout de même. Et les choreutes étaient, paraît-il, vêtus de riches costumes perses qu'ils déchiraient à la fin de la pièce (une sorte de super-production dispendieuse). Heureusement, on ne les donnait qu'une fois.



Pas d'action, mais beaucoup de lamentations sur tous ces guerriers qui ne reviendront pas, et sur le peuple perse exterminé. Pas de fait d'arme, ni de héros. Eschyle condamne la guerre, comme le feront Sophocle et Euripide.



Ce qui m'a surpris le plus, c'est qu'il n'y a pas de glorification des grecs, ni des athéniens - juste un bout d'hymne, qui m'a fait penser à la Marseillaise - alors que c'est pour les vainqueurs qu'était jouée cette pièce, quelques années après la bataille. Un stratagème grec est mentionné, sans s'en vanter. La faute de la défaite est reportée sur Xerxes (le con !), qui a enfreint une sorte d'interdit divin en emmenant son armée sur la mer. La "morale" de la pièce semble donc bien être de ne pas finasser avec les dieux ?



Une sorte de (fausse) modestie ? On est à mille stades de l'ethos de 300...



Il y a aussi une absence totale d'efforts pour établir des Perses culturellement crédibles. Ils invoquent les dieux des grecs, et je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'une transposition de noms comme d'autres avec Ahura Mazda -> Zeus, juste une absence totale d'intérêt pour les "barbares", comme les perses s'appellent eux-mêmes dans la pièce - avec lesquelles ils étaient pourtant voisins et avaient des échanges, et qui sont le sujet de la pièce !



Mon André Degaine dit qu'Eschyle écrit encore dans une période de menaces extérieures et d'établissement de la démocratie, et qu'avec Sophocle seulement arrivent les réflexions sur le pouvoir.



Je l'ai vu dans le téléfilm ambitieux de Jean Prat qui en a été fait pour l'ORTF en 1961 (et qu'on trouve facilement sur le net). Les Perses en prime time sur la chaîne de télé unique, avec masques et musique de Prodromides, vous y croyez ?
Commenter  J’apprécie          288
L'Orestie : Agamemnon - Les Choéphores - Les ..

Durant ce semestre, nous avons étudié les trois pièces d'Eschyle : Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides, réunies ici dans un seul volume. Sans aucune connaissance en mythologie grecque, il est compliqué de comprendre ce qui se joue ici.



Ces trois pièces sont des drames familiaux, de la tragédie grecque. Même si les trois histoires étaient intéressantes (et ne peuvent, à mon sens, pas se lire indépendamment les unes des autres), j'ai eu du mal à accrocher au style.



Malgré tout, ce livre est un bon moyen de comprendre les mythes antiques et les cours de littérature grecque dispensés à propos de cette oeuvre m'ont permis de mieux l'appréhender. Toutefois, je suis toujours assez perdue du fait du nombre important de personnages dans la tragédie grecque.
Commenter  J’apprécie          272
Agamemnon

Je sais, je sais ! J'ai déjà dit et répété qu'Eschyle n'est pas mon tragédien antique préféré. Ça n'empêche pas que je termine de lire son oeuvre relativement courte avec la trilogie de l'Orestie en commençant par le commencement : Agamemnon.

Eh bien je dois dire que là, ce cher Eschyle regagne des points dans mon top 50 personnel. Je me suis régalé.



Agamemnon nous plonge dans le fleuve de larme et de sang que constitue la généalogie des Atrides. On est loin d'être rendu à la source, houlà non ! Cette famille est un vrai jeu de dominos où le poignard joue le rôle de la gravité. Pensez ! Papa Atrée avait déjà donné à son p'tit frère Thyeste ses propres fils à manger en sauce avant de lui demander s'il avait trouvé le plat goûtu. le fiston Agamemnon, décidé à faire la guerre à Troie et sommé par les Dieux de faire un sacrifice pour bénéficier d'une bonne brise pour ses navires, découpe sa fille Iphigénie. Pendant son petit voyage, sa femme Clytemnestre jure de le lui faire payer et prend d'ailleurs comme amant Égisthe, un des fils survivant de Thyeste qui est dans le même état d'esprit.



La pièce parle du retour d'Agamemnon, victorieux de Troie et content de rentrer à la maison avec, dans ses bagages, la voyante Cassandre de la famille royale de Troie. Son séjour sera de courte durée car Clytemnestre lui a déjà acheté un billet pour l'Enfer. Qui a découpé sera découpé, c'est son principe (elle devrait d'ailleurs s'en souvenir dans le futur quand elle se retrouvera du mauvais côté de la lame).

De fait Agamemnon ne fait qu'une courte apparition. En revanche le choeur prend bien le temps d'expliquer à quel point ce type est un néfaste individu ; que les Dieux, en lui proposant le choix du sacrifice d'Iphigénie, comptaient bien qu'il refuserait comme Yahvé avec Abraham, et renoncerait à la guerre ; que sur l'autel il fit bâillonner sa fille sacrifiée non pour ne plus entendre des supplications mais pour l'empêcher de le maudire ! Avec tout ça, on prend bien vite le parti de Clytemnestre comme on prendrait le parti d'une femme sans arrêt battue quand elle élimine son époux.



Longues, mais bourrées d'informations, les tirades du choeur et du coryphée se lisent sans ennui. Certains dialogues à double sens sont sublimes, comme lorsque Clytemnestre déclare au héraut venu annoncer le retour d'Agamemnon combien elle l'attend avec impatience (pour le tuer) et comment elle s'apprête à lui faire fête (lui faire payer le meurtre de leur fille). Les visions de Cassandre qui expriment le meurtre ayant lieu au palais et son propre assassinant à venir alors que le choeur ne comprend pas (c'est la destinée funeste de Cassandre de ne jamais être crue) sont pathétiques.



Le seul point noir réside à mon humble avis dans la fin. Je n'y crois tout simplement pas. Quand les meurtres sont accomplis, le choeur, comprenant enfin ce qui s'est passé et représentant le peuple d'Argos, s'apprête à se rebeller contre Clytemnestre et Égisthe. Alors qu'Égisthe et le choeur s'apprêtent à en découdre, Clytemnestre désamorce la situation de quelques phrases artificielles et sans force, du style « assez de sang, retournez chez vous vieillards ». Et tout le monde range ses armes bien gentiment.

Tatata ! Je n'y crois pas je vous dis. Ça aurait dû saigner. Mais la mort de Clytemnestre par le peuple aurait voulu dire « adieu à la trilogie » et « on se fiche de la mythologie ». Eschyle, n'avait pas le choix de sa fin. Il aurait quand même pu se fendre d'une meilleure interprétation.

Commenter  J’apprécie          250
Prométhée enchaîné

"Prométhée enchaîné", est une très curieuse pièce d'Eschyle, qui permet de mieux connaître un pan assez méconnu, somme toute, de la mythologie grecque : la condamnation de Prométhée à son célèbre supplice.

La pièce, est remplie de belles répliques, très justes, d'une beauté sobre typique des tragédies grecques, mais elle me semble un peu verbeuse. J'ai effectivement un peu de mal avec le choix d'Eschyle de nous présenter le héros, déjà condamné à son supplice, dès le début de la pièce ; il aurait été, à mon sens, plus intéressant, pour donner une vraie personnalité aux différents personnages, et, en particulier, de Prométhée, de les montrer en proie avec leur destin auquel ils tentent d'échapper. Leurs répliques, m'auraient sans doute sembler un peu moins vaines. Cependant, c'est une pièce assez plaisante à lire, qu'écrit là Eschyle, avec des répliques assez intéressantes, bien que le tout, soit un peu trop verbeux, à mon goût.
Commenter  J’apprécie          240




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Eschyle (2021)Voir plus

Quiz Voir plus

Le manga en quelques mots (facile)

Quel est le pays d'origine du manga ?

La Chine
Le Laos
Le Vietnam
Le Japon

5 questions
1466 lecteurs ont répondu
Thèmes : manga , mangakaCréer un quiz sur cet auteur

{* *}