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Paul Mazon (Traducteur)Jean Alaux (Éditeur scientifique)
EAN : 9782251799070
143 pages
Les Belles Lettres (15/10/2002)
3.66/5   67 notes
Résumé :
Représentée en 467 av J.-C., la deuxième tragédie conservée d'Eschyle évoque le siège de Thèbes par l'ennemi venu d'Argos et surtout le destin fratricide des fils d'Œdipe, Étéocle et Polynice, qui se disputent le trône.
Trois drames concentriques se jouent dans la pièce qui mêle inextricablement guerre étrangère, guerre des sexes et querelle familiale. La menace des inquiétants guerriers postés aux portes de la ville va peu à peu s'insinuer jusqu'au coeur du ... >Voir plus
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Les Sept Contre Thèbes d'Eschyle est l'épisode des Tragédies Labdacides (c'est-à-dire traitant de la famille royale de Thèbes par contraste aux Tragédies dites Atrides et traitant de la famille royale d'Argos qui a soutenu la fameuse Guerre de Troie) qui s'insère juste entre l'Oedipe Roi et l'Antigone de Sophocle.

Il s'agit de l'instant précis où Polynice, le fils d'Oedipe, chassé de Thèbes par son frère Étéocle, mobilise des souverains voisins pour faire valoir ses droits au trône de Thèbes et reprendre la couronne de la tête de son frère.

Sept armées se présentent donc aux sept portes de la cité Cadméenne, où Étéocle organise la défense héroïque de la ville. C'est lui qui se charge en personne de défendre la porte où se présente son frère Polynice.

La malédiction de la descendance du grand-père Laïos, qui a osé aller à l'encontre des volontés divines en ayant un fils, qui sera Oedipe, le célèbre parricide et incestueux rejeton de Jocaste, se poursuit par un bon vieux fratricide, lequel fratricide entraînera la fameuse et fatale révolte d'Antigone, mais n'anticipons pas sur le destin…

Le théâtre d'Eschyle est le plus archaïque des trois grands tragédiens grecs (Eschyle-Sophocle-Euripide). Et, s'il n'est pas l'inventeur stricto sensu de la tragédie, il en est le principal codificateur, et, en ce sens, l'authentique géniteur. C'est lui qui a introduit beaucoup des " nouveautés ", qui sont pour nous les marques les plus ostensibles du théâtre classique (masques, tenues spéciales, organisation de la scène et du choeur, utilisation de cothurnes pour les acteurs leur permettant d'être mieux vus et entendus du public, etc.).

La fonction civique du théâtre d'Eschyle est évidente, on pourrait même qualifier son théâtre de très « didactique ». Ici, dans Les Sept Contre Thèbes, même si le message d'allégeance aux dieux est omniprésent, le message qui semble le plus fort est celui de l'union civique, de faire front commun face à l'ennemi ou aux agresseurs de tout poil de la cité. Il fustige les femmes qui sapent le moral des troupes par leur effroi et leur cris de terreur face aux intimidations de l'ennemi.

On sait qu'Eschyle, outre le fait d'être un grand auteur et un grand acteur, était aussi un grand combattant dont le civisme (au sens patriotisme pour sa cité) n'était pas à questionner. Il s'empare d'un mythe connu de tous pour faire passer son message à lui : moins de paroles et plus d'actes. Les langues ne font pas de la belle ouvrage, quand vient le danger, retroussons-nous les manches et ne cédons pas à la panique.

Je trouve que cet antienne est très à la mode en ce moment, qu'on lui fait revêtir toute sorte de formes, toutes destinées à dresser les uns contre les autres, faisant de tels les défenseurs universels d'une soi-disant morale et tels les soi-disant dangers vis-à-vis de ladite soi-disant morale. Je me méfie toujours des étiquettes et des défenseurs auto-proclamés de quoi que ce soit.

Et sur un plan plus historique, je suis toujours surprise que cette thématique et cette pièce n'aient pas été plus mises en avant lors de la Révolution française et de l'attaque de la République par les diverses monarchies européennes, lesquelles attaques sont à l'origine de notre fameux hymne national. Je vous recopie des morceaux qu'on pourrait croire tout droit tirés de cette tragédie et vous affirme n'avoir pas changé plus de trois ou quatre mots par rapport à l'original (très souvent on s'arrête au premier couplet mais dans la suite de la Marseillaise, il y a des exhortations à la haine assez hallucinantes. Jugez plutôt :

« Allons enfants de Thèbes, le jour de gloire est arrivé ! Contre nous de la tyrannie, L'étendard sanglant est levé, Entendez-vous dans nos campagnes, Mugir ces féroces soldats ? Ils viennent jusque dans vos bras. Égorger vos fils, vos compagnes !

« Aux armes citoyens ! Formez vos bataillons, Marchons, marchons, Qu'un sang impur, Abreuve nos sillons.

« Quoi ces cohortes étrangères ! Feraient la loi dans nos foyers ! Quoi ! ces phalanges mercenaires, Terrasseraient nos fils guerriers ! Grands Dieux ! par des mains enchaînées, Nos fronts sous le joug se ploieraient, de vils despotes deviendraient, Les maîtres des destinées.

« Tremblez, tyrans et vous perfides, L'opprobre de tous les partis, Tremblez ! vos projets fratricides, Vont enfin recevoir leurs prix ! Tout est soldat pour vous combattre, S'ils tombent, nos jeunes héros, Thèbes en produit de nouveaux, Contre vous tout prêts à se battre.

« Amour sacré de la Cité, Conduis, soutiens nos bras vengeurs, Liberté, Liberté chérie, Combats avec tes défenseurs ! Sous nos drapeaux, que la victoire, Accoure à tes mâles accents, Que tes ennemis expirants, Voient ton triomphe et notre gloire ! »

C'est bluffant, n'est-ce pas ? Mais j'arrête là mes comparaisons oiseuses. Cette pièce se lit assez bien, même si elle réclame souvent ici ou là quelques explications. Je trouve qu'elle n'atteint pas la puissance littéraire et tragique d'un Sophocle, mais ce n'est là que mon avis à 7 contre 1, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Un texte assez court , qui permet au lecteur de remonter le temps et de savourer une pièce qui plonge dans les temps reculés de l'aube du théâtre grec , avec ici un récit tragique .

Eschyle , l'auteur , a contribué de manière capitale , à la fixation de la structure du théâtre grec et son oeuvre fut abondante et sa renommée immense ( tragédie et satire ).
Il reste très peu de ses compositions car l'histoire c'est acharnée à faire disparaitre son oeuvre , pour des raisons qui tiennent du hasard et non de la persécution .
Il est Athénien et il est né en 526 , avant l'ère commune , à Eleusis , haut lieu du théâtre grec . Il est précédé par une tradition dramaturgique ancienne , copieuse et expérimentée .

Ses textes sont assez nus , leur structure est claire et les formes sont très lisibles , personnellement je trouve que cela leur donne un caractère accessible et éloquent à la diction .
Il y a de magnifiques images dans l'oeuvre d'Eschyle et dans les sept contre Thèbes non moins que dans les autres textes de l'auteur .
Mais l'oeuvre de l'auteur en général , ne semble pas porter une grande attention aux liaisons développées , ce qui donne à ses textes un aspect scandé , un peu désossé .
Personnellement , j'aime beaucoup cette structure qui à mon humble avis ne fragilise les textes qu'à la lecture .
Avec une mise en scène épurée , le travail d'Eschyle affiche un caractère épuré et cinglant , avec des mots qui nourrissent des émotions et des images intenses , violentes et intrusives .

Les mots composent souvent donc , des images ciselées et éloquentes , même si souvent aussi , elles sont aussi éloquentes que brèves , d'où l'importance de la mise en scène et de la diction , qui viennent à point , restituer le sens , l'intensité , et le rythme.
Eschyle est un auteur poliade par excellence ( polis – citée ) qui travaille sur les formes politiques , les institutions poliades et leurs résonnances historiques , religieuses , dynastiques , affectives et populaires .
Les dieux interviennent dans le politique de milles manières . Mais la grande faille des hommes , celle qui garantit souvent le succès divin , est le manque de tempérance , flagrant chez les hommes victimes des dieux et souvent aussi du politique au sens large .

Les sept contre Thèbes est un texte accessible et assez entrainant . le choeur se lamente avec constance sur l'imminence de l'assaut contre les sept portes de la Polis thébaine .
Les frères potentiels roi légitimes de la famille royale décèderont en conformité avec les termes de la malédiction d'oedipe .
Une armée argienne qui soutient un des protagonistes thébain , se masse aux portes de la ville qui n'est finalement que la victime de ses dirigeants et de leur gout démesuré pour le pouvoir .

Je souhaite insister sur le choix de l'auteur ( de l'Age d'or classique ) de se situer à l'époque royale et à ce que l'on appelle le moyen Age hellénique , pour colorer son récit d'une aura mythique et lui conférer ainsi une efficacité tragique.
Cette époque de royauté où le roi est le garant sacré et mécanique des destinées poliades , rend aussi son réquisitoire contre l'hybris ( démesure invasive et possessive de l'individu , aveuglé ) plus percutant .

Sept portes , sept duels héroïques annoncés . La cité est sauvée par le sacrifice conscient et volontaire d'un membre de la famille royale qui décide de laisser s'accomplir la prophétie .
Le tragique et la démesure sont poussés dans leurs retranchements spectaculaires et symboliques avec le refus de sépulture pour Polynice par Créon , mais Antigone en décidera autrement dans un geste absolument dramatique et public de rébellion contre une décision politique nocive et irraisonnée .
Le passage d'Antigone est peut-être un ajout au texte qui serait postérieur , c'est une question aussi intéressante que insoluble .
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C'est l'histoire d'une ville assiégée. A l'extérieur des remparts, le frère, celui à qui on avait promis le trône une année sur deux. Déjà, dans cette promesse intenable se lovait le conflit à venir.

A l'intérieur, l'autre, le même, frère donc, celui qui n'a pas cédé et tient Thèbes, ses femmes éplorées, ses vieillards cacochymes et ses enfants innocents.

De rage, le premier est parti faire alliance ailleurs et le voilà revenu avec ses nouveaux compagnons auxquels il s'est rallié pour conquérir sa ville à la force de son fer.

Est-on encore sûr de son droit lorsque, pour le revendiquer, on s'avance armé aux côtés d'étrangers qui tireront un profit illégitime de la querelle ?

A l'intérieur, Etéocle veille tandis que les femmes pleurent. Il est le roi, son devoir est de défendre les siens : les dieux seront avec lui. Les invoquer, c'est exhorter les valeureux guerriers à trouver le courage de se battre et de mourir pour leur cité. Les dieux sont du côté du coeur et de la justice.

Mais aux côtés de Zeus préservateur, se tient la puissante et vengeresse Erinys. Elle porte la malédiction d'un père outragé, la malédiction d'un vieil homme aux yeux crevés qui s'est cru souillé par ses deux fils sans respect pour son rang. Et bien avant lui, bien avant ses imprécations impies, déjà soufflait la vengeance d'Apollon. Car c'est l'histoire d'Oedipe, de Jocaste et de Thèbes, de Laïos, l'impie et de la sphinge énigmatique qui précède le drame d'à présent. Une longue lignée de défis, de rupture orgueilleuse avec l'ordre attendu.

Ainsi donc, Thèbes et ses deux rois, Etéocle et Polynice, sont voués à disparaitre et la malédiction d'Apollon à poursuivre les descendants de Laïos sans relâche. Que peut alors le courage d'un homme, sa supplique d'épargner au moins la cité ? Que peut le choeur priant qu'on le laisse sauf ?

Mais voici qu'un messager annonce qu'à chacune des portes de Thèbes un guerrier s'est planté, attendant de défier en duel celui qu'Etéocle lui enverra.

Alors qui des dieux miséricordieux, des dieux de justice ou des dieux de vengeance faut-il invoquer ? Et quelles prières seront les mieux reçues, celles des femmes affolées et pieuses ou celles des combattants harnachés ? Etéocle n'a que faire de cette question, il fait brutalement taire les femmes qui se lamentent, hurlent à la clémence divine et passe un marché avec les dieux : il faut bien que ces derniers soient de son côté s'ils souhaitent encore une ville qui puisse les honorer. Ce n'est pas dans le champ de ruines et de désolation promis par Polynice et les siens que les rites pourront être accomplis. Les dieux sont-ils logiques ?

Malgré son engagement à faire silence, le choeur ne peut taire son effroi et voilà que sa terreur fait advenir par les mots le massacre, les cavales, les vêtements en lambeaux. Pour les Athéniens qui écoutent, voient les danses et les entendent ce lamento, la menace s'est fait corps, les pillards émergent des phrases comme les sanglots des captives « encore novices à la souffrance ». Admirable capacité du théâtre à rendre vrai, sous nos yeux, ce qui promet d'advenir.

Le messager entreprend alors de décrire chacun des guerriers qui attendent ceux de Thèbes, leur résolution, leur armement et surtout la scène qui orne chacun de leur bouclier. Image dans l'image sous nos yeux, voilà que s'insèrent sept boucliers, sept discours revendiquant la conquête et la victoire. Sept guerriers qui, tous, se prétendent au-dessus des dieux pour ainsi les défier et inscrire leur triomphe avant même le premier coup porté. A chacun, Etéocle choisit d'envoyer celui qu'il convient. Dignité et discernement vaincront-ils démesure et chaos ?

Où se situe l'hubris des hommes ? du côté des fils d'Oedipe, héritiers d'une malédiction qui les rend à leur sang et ne leur donne aucune liberté individuelle ? Des guerriers qui assiègent, haranguent, jactent et professent leur toute-puissance ? D'Etéocle, prêt, crime suprême et dument puni, à tuer son frère ? de Polynice qui a trahi les siens, dont le fer veut se planter dans la terre maternelle, dans des coeurs fraternels ?

Sur la scène s'entrechoquent les visions, les occasions de se perdre, de noyer son destin dans une parole impie, couarde ou orgueilleuse.

Le théâtre d'Eschyle pourrait paraître statique ou ennuyeux : seulement un choeur et deux personnages, pas beaucoup d'action et une histoire qu'on connaît par coeur. Pourtant, ce qui se joue est d'une profondeur, d'une vérité qui défie l'éternité. Interrogeant la place de l'homme dans le cosmos, la loyauté qu'il doit à ses ancêtres et la liberté qu'il aurait à se mouvoir parmi tous ces impératifs, la pièce met en scène les tensions, les conflits, les chagrins qu'engendrent ces devoirs contradictoires. Comment se gouverner dans le tiraillement de nos allégeances respectives, dans le cours d'un destin qu'il serait outrancier de défier ?

Avec une économie de moyens impressionnante, les tensions se dessinent. On ne verra pas de batailles mais leur récit, alors même que certaines n'auront pas même lieu, aura déjà de quoi vous glacer. La parole convoque les souvenirs de combats antérieurs, condense les enjeux, les conséquences, fait advenir, là, sur scène, pour que chacun les éprouve blessures, sanglots et carnages.

Ce que sont les femmes et leurs devoirs, ce que doit un roi à sa cité, les atermoiements d'un homme pieux cherchant néanmoins la place pour son destin, l'interstice où sa valeur infléchira peut-être le sort, voilà à quoi assistent les spectateurs de cette tragédie, la troisième qui clôt l'histoire des Labdacides. Avec le double meurtre fratricide, c'est un cycle qui prend fin, une ville qui se trouve libérée de sa malédiction. La vengeance d'Apollon est assouvie, l'ordre est revenu et Athènes, spectatrice à qui ce cycle est offert, fortifiée dans cette épreuve éprouvée sur scène et collectivement dépassée, peut désormais se concentrer sur l'unité retrouvée.

Bien sûr le lecteur moderne n'a pas tous les effets des chants, des danses, des variations rythmiques opérées par le changement de mètre au sein des vers déclamés. Et il a, en surplus sinon superfétatoire, au moins importun, les vers de Racine et ceux de Corneille en tête, un rapport au mythe où Giraudoux, d'autres auteurs du 20e siècle philosophant auront mis leur patte. Quelque chose qui confronte l'homme à son destin quand le monde grec parlera davantage d'harmonie cosmique et de lignées, de rites et d'inscription collective. Il n'empêche, malgré toutes ces couches qui ajoutent un sens anachronique, malgré tous ces manques qui obscurcissent une intention politique et religieuse certaine, reste la sublime grandeur d'une assemblée en recherche d'elle-même et de sa place dans le monde.

Que continuent à résonner ces interrogations et qu'on ne cesse de délibérer ensemble, de peser nos intentions à l'aune de nos loyautés, de nos engagements et, loin de toute outrance égoïste et fanfaronne, de ce qui nous parait bon pour ce que nous partageons.
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Très mauvaise idée d'avoir choisi Les Sept contre Thèbes pour me frotter à Eschyle, pour des tas de raisons qui n'ont sans doute pas grand-chose à voir avec le talent d'Eschyle - encore faudrait-il que je sois capable de mesurer ce talent après avoir lu la traduction d'une telle pièce. J'aurais évidemment dû m'attaquer directement aux trois tragédies de L'Orestie, mais j'ai voulu faire le lien avec Antigone de Sophocle, qui était la dernière pièce grecque antique que j'avais lue et critiquée, et mieux connaître par le biais d'Eschyle les événements mythologiques précédant ceux de la pièce de Sophocle. Voilà qui ne m'aura strictement servi à rien, et certainement pas à apprécier apprécier Eschyle ; j'aurais mieux fait de consulter un bouquin sur la mythologie grecque.

Vite fait, je résume : après l'exil d'Oedipe, ses fils Polynice et Étéocle se partagent le pouvoir pour régner sur Thèbes, chacun restant tour à tour un an sur le trône. Alors, en général, on vous dira que Les Sept contre Thèbes débute au moment où, Étéocle ayant refusé de rendre le pouvoir, son frère Polynice prend les armes cntre lui (et contre sa ville) avec six alliés. Il faut préciser que Polynice avait lui-même refusé de rendre le trône auparavant, que le peuple le détestait car il se comportait en despote, qu'il avait été chassé de la cité et qu'il était allé demander la bénédiction de son père, lequel avait fini par maudire ses deux fils en leur souhaitant de s'entretuer, et que Polynice décide tout de même de reprendre Thèbes par la force (les versions peuvent cependant varier). Les Sept contre Thèbes démarre donc bien au moment où Thèbes va être assiégée par Polynice et ses alliés. Bref, tout ça paraît passionnant. Ça ne l'est pas.

Premier problème : j'ai lu la pièce dans une une traduction qui rendait très mal à mon oreille la rythmique et la mélodie de la pièce. Vous me direz que je ne lis pas le grec ancien, que je n'ai jamais lu le texte original, et que n'ayant pas assisté à une représentation des Sept contre Thèbes au Vème siècle avant notre ère, ou d'une autre pièce de la même époque, je suis très mal placée pour juger du rendu de la traduction d'une tragédie grecque antique. Vous n'aurez pas tort. N'empêche que j'ai lu d'autres traductions (d'ailleurs j'ai fini par aller comparer celle que j'avais sous le nez avec une autre) de pièces grecques antiques, et que, quand même, quand on ne ressent pas un tant soit peu la mélopée des lamentations du choeur (le choeur se lamente beaucoup dans les tragédies grecques, c'est une constante qu'on ne saurait nier), c'est gênant.

Second problème, et de taille : Eschyle pratiquait la trilogie liée. Il composait des ensembles de trois pièces (plus une satire) qui, si elles étaient distinctes les unes des autres, n'en n'étaient pas moins indissociables, car le projet du dramaturge visait à mettre en avant une destinée collective (familiale, civique, etc.) à laquelle les personnages ne pouvaient échapper. Pas de chance, il nous reste sept pièces d'Eschyle, dont trois seulement constituent une trilogie liée : c'est L'Orestie. Une seule pièce, Les Perses, ne relève pas du concept de tragédie liée. Quant aux autres, elles font bien partie de trilogies liées, mais on a malheureusement perdu les textes des deux autres tragédies qui leur étaient associées. Donc adieu la cohérence et le projet eschylien, adieu la compréhension directe de la pièce en elle-même, à moins d'avoir une édition très complète sous la main - avec préface, notice, dossier et tout cette sorte de choses à la clé -, ou à moins d'avoir suivi des cours, des conférences ou je ne sais quoi d'autre qui puisse éclairer la pièce. Les Sept contre Thèbes étant la dernière tragédie d'une trilogie liée, même si on connaît l'histoire des Labdacides, on est coupé de toute la destinée familiale et des pièces qui précédaient la nôtre - un Laïos et un Oedipe, si je ne m'abuse -, et on perd tout le fil déroulé patiemment par Eschyle.

Troisième problème : c'est très ennuyeux à lire. C'est le souci quand on est habitué à Sophocle et Euripide, qui manient avec pas mal de verve les dialogues, et qu'on n'est franchement pas familier d'Eschyle, qui pratique une forme de théâtre plus axée sur le rôle du choeur. Même si Eschyle avait introduit dans le théâtre grec un second protagoniste (un second acteur, alors qu'auparavant il n'y en avait qu'un seul qui échangeait avec le choeur et le coryphée), dans le but, j'imagine, de donner plus de corps aux dialogues, le texte reste plus ou moins figé à mes yeux. Bon, dans le cas des Sept contre Thèbes, il faut bien dire qu'en plus, les répliques du messager, qui vient avertir Étéocle des positions prises par tel ou tel guerrier, c'est pas folichon. Et que j'explique que le premier guerrier est Machin devant la première porte, avec tel armes et tel bouclier, et ceci, et cela, et ensuite même chose avec le second guerrier, et comme ça jusqu'au septième, Polynice. Les précédentes lamentations du choeur et les engueulades d'Étéocle à son encontre passaient quand même mieux. Enfin, quand on entend parler de Polynice, on se dit qu'il va se passer quelque chose, vu que les deux frères vont se battre et s'entretuer comme la malédiction paternelle l'exige. Eh ben même pas. Donc il faut attendre les répliques alternées d'Antigone et d'Ismène devant les corps de leurs frères pour que ça devienne accrocheur. Sauf que c'est la fin. le reste (très court) a été ajouté beaucoup plus tard, pour faire le lien avec l'Antigone de Sophocle. Ce qui est vache, soit dit en passant, vu que le personnage d'Antigone défiant l'autorité, c'est très probablement une idée originale de Sophocle ; du coup, là, on fait comme si c'était une idée d'Eschyle, et donc on trahit les deux auteurs en même temps ; allez hop, d'une pierre deux coups !

Je suis donc incapable de donner un point de vue objectif et intelligent sur Les Sept contre Thèbes, vous l'aurez compris : tout s'est ligué contre moi pour que je ne sois pas en condition d'apprécier cette pièce. Non seulement j'ai trouvé ça emmerdant à lire, mais je n'ose même pas imaginer ce que ça pourrait donner sur scène... Je déconseille vivement à qui serait aussi peu habitué que moi à Eschyle de l'aborder avec cette pièce.
Il est probable que lire Les Perses ou, mieux, Agamemnon (première tragédie de L'Orestie), aurait constitué pour moi un meilleur départ. Je vais tâcher de réparer ça du mieux que je pourrai dans un proche avenir, en espérant ne pas avoir été dégoûtée d'Eschyle à tout jamais ; c'est pas gagné, je me suis endormie récemment en essayant de lire Les Suppliantes. J'entends encore le bruit du livre tombant sur le parquet tandis que je sombrais dans l'inconscience après n'avoir même pas atteint dix pages...



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Thèbes est protégée par sept portes, auxquelles se pressent sept guerriers valeureux venus la conquérir. A l'intérieur des murailles, les vierges prient et s'inquiètent.
Il y avait de quoi écrire une pièce pleine de bruit et de fureur, de larmes et de sueur. Mais il y a, selon moi, un problème de dramaturgie. Au moins un tiers de la pièce est consacré aux prières du choeur féminin, et aux réprimandes du roi Etéocle : il veut qu'elles prient pour la victoire de la cité, pas pour éviter les malheurs éventuels en cas de défaite. S'il semble normal qu'un chef de guerre veuille éviter que ses troupes perdent le moral, son argument principal pour que les lamentations cessent est : "femmes, taisez-vous, je le veux"... On a connu plus féministe. Je sais bien qu'il ne faut pas faire d'anachronisme, mais cela m'exaspère. Il lance même une malédiction : "Ô Zeus, pourquoi as-tu créé cette race de femmes !". En revanche, les craintes des femmes sont réelles et émouvantes, et font écho aux souffrances des femmes lors des guerres, de l'Antiquité à Boutcha, ville ukrainienne-martyr : viol, torture des enfants, massacre.
Ensuite, un tiers de la pièce est une liste de combattants, une liste de chacun des "Sept" avec leurs qualités et les descriptions de leurs armes, et le choix d'Etéocle qui décide quel héros lui opposer. Les Grecs devaient apprécier ces passages épiques, bourrés de références mythologiques ; pour nous, c'est juste une longue liste répétitive.
Enfin, un tiers de la pièce concerne les rites funéraires à accomplir autour des cadavres d'Etéocle et de Polynice, les deux fils d'Oedipe, avec l'arrivée de leurs deux soeurs, Ismène et Antigone. Ce passage apparaît comme une transition avant une pièce consacrée à Antigone. L'une des dernières répliques est d'ailleurs "que va-t'il arriver ?".
Les thématiques centrales sont donc celles du destin et de la malédiction divine, ainsi que la vengeance. Mais elles sont un peu noyées au milieu de cette liste de sept noms.
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Que de maux, en effet, s'abattent, hélas ! sur une ville conquise ! Tel emmène un prisonnier ou le tue, tel autre sème l'incendie. Toute la ville est souillée de fumée. (...) Le guerrier tombe sous la lance du guerrier. Les vagissements sanglants des enfants s'élèvent du sein des mères qui les nourrissent. Puis c'est le pillage avec les courses en toute la ville. Un homme chargé de butin croise un homme chargé de butin ; un homme aux mains vides appelle un homme aux mains vides, afin d'avoir un complice ; aucun ne veut une part plus petite ni même égale. Que ne peut-on pas conjecturer d'après cela ?
Des fruits de toute espèce jonchent le sol, spectacle affligeant et qui contriste l'œil des ménagères. Maints présents de la terre sont emportés pêle-mêle en torrents où ils se perdent. De jeunes captives qui n'ont jamais connu la souffrance se voient, les malheureuses, réservées au lit d'un soldat heureux, d'un ennemi qui est leur maître, et n'ont d'autre perspective que de servir à cet office nocturne et de voir ainsi croître leurs inconsolables douleurs.
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Je pense en effet à la faute ancienne, sitôt punie, mais dont l'effet dure jusqu'à la troisième génération, à la faute de Laïos sourd à la voix d'Apollon, qui, par trois fois, dans son siège fatidique de Pythô, nombril du monde, avait déclaré qu'il devait mourir sans enfants, s'il voulait sauver la ville.
Mais, cédant à un désir insensé, il engendra sa propre mort, Œdipe le parricide, qui dans le sillon sacré d'une mère, où il avait été nourri, osa planter une racine sanglante. Le délire avait uni ces époux en folie.
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ÉTÉOCLE : Il faut dire ce que les circonstances exigent, lorsqu'on tient le gouvernail de la cité et qu'on veille sur la chose publique, sans laisser le sommeil fermer ses paupières. Si le succès nous favorise, on l'attribue aux dieux ; si, au contraire, (...) un malheur arrive, seul, Étéocle sera décrié dans toute la ville par les citoyens, qui éclateront en bruyants reproches et en lamentations.
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Furie terrible ! épargnez, épargnez une ville qui parle la langue de Grèce ! Qu'ils ne s'écroulent pas sous les coups de l'ennemi vainqueur, ébranlés jusque dans leurs fondements, dispersés jusqu'à la dernière pierre, ces foyers domestiques qui vous sont consacrés! Que, libres à jamais, la terre et la ville de Cadmus ne subissent pas le joug de l'esclavage ! Soyez notre défense : nos intérêts, j'ose le croire, sont les vôtres; car c'est au jour de la prospérité qu'une ville honore les dieux.
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ÉTÉOCLE : Ah ! le mauvais présage qui associe un homme juste à des mortels impies ! En toute entreprise, il n'y a rien de plus funeste que de mauvais associés ; le fruit n'est pas bon à cueillir. Dans le champ de l'erreur on ne récolte que la mort. (...) Qu'un homme juste s'accointe à des citoyens inhospitaliers et oublieux des dieux, il est pris, malgré son innocence, dans le même filet, et il succombe frappé du fouet divin avec tous les autres.
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"Les Sept contre Thèbes" et "Les Suppliantes"" d'Eschyle "Traité théologico-politique" de Spinoza "Le Temps de l'innocence" d'Edith Wharton
Ancienne élève de l'École normale supérieure (Ulm), agrégée, et docteur en philosophie, Muriel van Vliet enseigne en classes préparatoires scientifiques et littéraires.
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Thèmes : littérature française , roman , culture générale , théâtre , littérature , livresCréer un quiz sur ce livre

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