Mon premier contact avec l’écriture remonte à l’enfance. J`ai commencé à écrire très jeune : pour moi, l`écriture possédait une certaine musicalité. Ce que j’aimais par dessus tout, c`était raconter des histoires à voix haute et c’est la raison pour laquelle je me suis mis à écrire. C`était le moyen pour moi de raconter des histoires qui n`existaient pas.
Mes romans s’imprègnent du genre poétique. C`est quelque chose que je fais de façon inconsciente, mais je pense qu`il existe une musique qui est propre à chaque auteur(e). Dans mon cas, mon écriture s’imprègne de la musique que je compose quand j`écris de la poésie. Il y a un transfert de ce rythme poétique particulier vers le récit, je suppose que j`articule un peu les phrases comme j`articule les vers : j`aime les phrases courtes, j`aime l`impact et surtout j`aime travailler avec les silences, ce que je fais beaucoup quand j`écris de la poésie.
C’est en effet la matrice sur laquelle je structure, non seulement mon travail narratif, mais aussi, je crois, mon travail poétique et mon identité. Ce sont des thèmes très importants : l’absence, la famille et au fond, le bonheur. Nous recherchons tous le bonheur et il existe de nombreuses dimensions qui délimitent cette recherche, mais je préfère travailler plutôt sur le thème de la famille : je pense que c`est un micromonde dans lequel nous pouvons mettre en pratique des concepts qui seront plus tard élargis au plus grand monde.
Je pense que je suis un écrivain du “petit”, de ces choses qui sont sans éclat et qui passent généralement inaperçues. Mais je me définis, surtout, comme un écrivain du “non-bruit” : j`aime enquêter sur ce qui est silencieux, sur ces choses qui semblent ne pas exister mais dont on réalise, avec le temps, qu’elles sont fondamentales.
Ce roman a été écrit pour les adultes. Le problème est que, comme le personnage principal est un garçon de 9 ans, il a touché un public plus jeune en Espagne. Mais ce n’est pas le cas dans le reste du monde. Il existe de nombreux pays où Le petit garçon est publié dans des collections pour adultes, et ce, avec beaucoup de succès, car ces mêmes adultes se recommandent le livre entre eux. C`est une oeuvre intergénérationnelle, je dis souvent que c`est un livre pour des lecteurs entre 10 et 100 ans. Il est étudié à l’école en Espagne ou en Turquie, mais dans des pays comme l`Italie par exemple, il est surtout lu par des adultes.
C’est un roman que j`ai écrit plusieurs fois. Une première fois à 20 ans, la deuxième à 30 : deux essais soldés par un échec. Finalement, à la quarantaine, j’ai fait un dernier essai d’écriture : j’ai finalement trouvé les voix adéquates pour conter cette histoire de manière pertinente. Ce roman fut très compliqué à écrire, car c`est un roman choral où les points de vue alternent constamment. Pour écrire sous cette perspective multiple, il est nécessaire d’avoir beaucoup vécu en tant qu`écrivain, une chose qui ne peut se faire qu`avec l`âge et l`expérience.
Je voulais vraiment écrire un roman fondé sur le thème de la thérapie, mais je n`avais jamais bien su comment donner vie à ce projet avant de me remémorer mes propres séances de thérapie dans mon enfance. Ce qui me plaisait dans ce thème, c’est l’idée que l`enfant comme le thérapeute puissent avoir leur propre voix, et qu’une intrigue émotionnelle puisse se développer dans le même temps.
Être traduit dans une autre langue, surtout une langue que l`on maîtrise, est une expérience très intéressante. Bilingue français-espagnol, j’ai porté toute mon attention sur la traduction du Petit garçon, comme je l’avais déjà fait pour Une mère et Tout sur mon chien, qui ont tous deux bénéficié d’excellentes traductions. Je souhaiterais d’ailleurs féliciter le traducteur de ce roman pour son travail fantastique. Il est très difficile de réaliser un travail de traduction et rendre compte, dans le même temps, de l’authenticité des voix multiples de la version originale. En tant que traducteur, les difficultés du métier me sont familières... Chapeau bas !
Je n`ai pas d`enfants ni de neveux et il n’y a pas d’enfants dans mon entourage, j’ai donc dû recourir à mes souvenirs. Je suis redevenu l’Alejandro que j’étais à 9 ans : le registre linguistique, l’état d’esprit ou le processus mental de Guille sont les miens à son âge. Ce fut un véritable retour en arrière : je me suis retrouvé plus jeune, j’ai retrouvé mon grand ami d`enfance (sur lequel Nazia est basé), je suis retourné dans des lieux difficiles liés à mon enfance pas très heureuse... Retrouver ma voix d’enfant m`a beaucoup aidé sur le plan personnel.
Le problème n`est pas qu’il n`est pas suffisamment valorisé, le problème est qu’il ne l’est pas du tout. Je dois avouer que je n`accordais pas trop d`importance à leur travail jusqu’à l`écriture du Petit garçon. Depuis, j’ai été en contact avec de nombreux enseignants de tous âges, y compris des professeurs d`université, et j`ai réalisé que le travail des enseignants n’est pas du tout reconnu. Dans de nombreux cas, ils travaillent pratiquement 24h/24, pensent constamment à ce qui est bon ou non pour leurs élèves, ramènent du travail à la maison… C’est une implication de leur part qui n`a pas de prix.
Je n`ai jamais eu d`intention particulière. Je n`écris pas pour dénoncer, je n`écris pour rien de plus que communiquer avec l`extérieur. Au fond, on écrit pour être aimé : j`écris pour séduire, pour attirer l`attention de celui qui est de l`autre côté du livre, pour me sentir accompagné... Écrire, c’est être à la recherche de l`harmonie et de sa place dans le monde.
Je travaille sur plusieurs projets : un roman qui sortira en 2021, un album illustré qui sortira en novembre et un recueil de poésie qui sortira en septembre. J’écris aussi l`adaptation théâtrale du Petit garçon, dont la première représentation aura lieu probablement au Chili, plutôt qu`en Espagne.
Le livre qui m`a encouragé à écrire professionnellement, c’est La Passion de Jeanette Winterson.
Aucun. À l`inverse, à chaque fois que je découvre une excellente plume, cela me donne davantage envie d`écrire.
Il y en a eu plusieurs, mais celle qui m’a le plus impacté est Bomarzo de Manuel Mujica Lainez.
Je n`en ai pas honte, mais on considère le fait de ne pas l’avoir lu comme un défaut : Don Quichotte.
Kramp, de Maria José Ferrada (publié en Espagne chez Alianza) est mon livre préféré du moment. C`est le premier roman d’une auteure chilienne, qui, je pense, va devenir une voix importante de la littérature hispanophone.
Je ne comprends pas ce qui fait qu’une réputation est surfaite ou qu’un classique est un classique. Qui dicte ce qu`est un classique, et pourquoi ? Je pense que beaucoup de ces ouvrages ont été surévalués, mais je ne veux pas porter de jugement de valeur.
Je n`ai pas de citation fétiche mais j’utilise une citation qui me plaît beaucoup dans mon roman Une mère, tirée du film Les Heures, lui-même adapté du roman éponyme de Michael Cunningham : "On ne trouve pas la paix en évitant la vie."
Le dernier recueil de poésie d’Ángelo Néstore (Pretextos) et des livres de la maison d’édition chilienne Kingberg ; en particulier Umami de Laia Jufresa.
Découvrez Le petit garçon qui voulait être Mary Poppins d`Alejandro Palomas aux éditions du Cherche-Midi
Entretien réalisé par Lucia Moscoso, traduit par Pierre Fremaux et Solène Spiguelaire
Payot - Marque Page - Alejandro Palomas - le petit garçon qui voulait être Mary Poppins
... au bout de la nuit ?