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Citations de Anne-Marie Garat (314)


Il faut laisser les enfants lire des livres illisibles à eux. Il faut qu'ils tombent dans l'ennui d'un été de guerre ou de vacances pour que l'abordage brutal des mots les bouleverse d'une absence, d'une plénitude obscures. Quelle opération mentale assortit aux mots le chiffre du monde, celui du coeur et du corps, de l'esprit ? Pour déchiffrer, il faut qu'il y ait du chiffre, du secret, de l'opacité, des résistances occultes. Il faut laisser les enfants tomber dans ce qui ne les regarde pas, pour que cela les regarde. Il faut qu'ils ouvrent des livres qui ne sont pas écrits pour eux, et qu'ils passent les pages illisibles, en diagonale, à l'aventure, au petit bonheur la chance. Les laisser s'égarer, traverser des pans entiers de désert sans carte, mal lire. Bout à bout anachronique, éclectique, hasardeux, on ne sait où ni quand les épiphanies adviennent, quand s'ouvrent à eux les portes de l'imaginaire qui illumine. leur vie.
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Mais, maintenant qu'elle n'était plus là pour me guider de sa voix, je me sentais dériver, envahie de la même nostalgie qu'on a en finissant de lire un livre, quand au nombre limité de pages s'annonce qu'il nous faudra bientôt le fermer, être quitté par le monde qu'il charrie, duquel nous sommes encore captifs mais déjà prévenus qu'il faudra bientôt renoncer aux êtres et au lieux, à leur existence fictive, c'est un deuil de ce que nous fûmes en imaginaire.
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Chacun cherche le bonheur, éperdument, s’y arrache les ongles, s’y casse les dents.
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Il y a des livres que l'on ne quitte de la vie parce qu'ils détiennent à notre insu le secret de notre âme (...)
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C'est que dans nos localités on a beau s'amuser à son négoce, ses trafics et ses besognes domestiques, aux fêtes publiques, aux rogations et autres processions, on est surtout abonné au désœuvrement. Aussi, pour se désennuyer, hormis un trépas irrégulier, il s'en produit parfois d'intéressants mais les crimes et les suicides sont rares, les adultères trop fréquents pour divertir vraiment, faut-il s'évertuer à enfler l'anecdote, faire des imaginations qui alimentent le commérage, broder l'accessoire, monter en œufs à la neige les petits faits compliqués de bruits d'ailleurs, si exotiques qu'ils n'ont consistance ni véritable incidence, mais même cela laisse sur sa faim.
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Les personages de théâtre sont des vampires, même ceux qui sont gais, même ceux qui font rire. Ils sucent l'acteur au cou, absorbent son sang, lui injectent le leur, chargé de tous les venins que secrète leur âme malheureuse, rien n'est si terrible qu'il ne puisse être annexé à la sienne, et ne la sacrifie.
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Quand on est tout seul avec soi pour ennemi, il y a des pensées pires que la réalité. (p.34)
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Je me débrouille pas mal pour un homme des bois, hein ? Je me fais le barbier, le coiffeur, le pressing. Jamais malade. Je n'use pas, je ne consomme pas. Ma banque, c'est la forêt. J'emprunte sans intérêt. (p.22)
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J'ai le sentiment d'un doute. Au sujet de cette famille, du temps reculé où a pu se passer mon enfance, de cet endroit peuplé d'ombres convulsives auxquels la cogitation, la pensée, la spéculation ni même le rêve ne me donnent accès, sauf en ces instants subits où, face à la trouée de mon écran, j'entrevois des séquences de temps long qui se succèdent et se raccordent, pleines de grésillements, d'étincelles, de crépitements proches, des poches d'effroi s'ouvrent une à une sur des noirs plus profonds.
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Non, elle ne rêve pas de remariage, non plus d'une vraie liaison, seulement des préliminaires. Ils se suffisent à eux-mêmes, le plaisir qu'ils donnent est une fin en soi. Séduire, flirter, se laisser courtiser, allumer le désir, se faire prier et résister, la belle petite guerre d'usure. Quant à se rendre, pas de ça, Lisette. Ou alors, il faudrait une sacrée occasion. Mais recommencer tout le tralala, quel tracas, ce cinéma. Les hommes ne se gênent pas, ils laissent les ennuis aux femmes. Les gelées spermicides fournies par les copines, très peu sûres, la preuve : Johnny. Pire, la méthode Ogino. Les ourbes de température, chaque jour se planter le thermomètre au derrière, comme si ovuler était une maladie.Les hormones sont capricieuses, les femmes ne sont pas des métronomes. Terminé le rapport.
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Et où aller dont la terre ne soit pas abreuvée de cadavres, cataclysmes, insurrections, guerres, épidémies, charniers, désastres nucléaires, exterminations, génocides.

Tous ces morts, leur infinie cohorte, où les enterrer, leur donner dignité de sépulture afin qu’ils ne nous tourmentent plus de leur plainte ? où les accueillir sinon dans le langage, où les assujettir à une conscience sinon dans celle du récit, les faire entrer dans une histoire où ils prendront place et se tiendront debout, les faire exister en fiction, c’est-à-dire en imagination, cette pitié et cette gloire de l’esprit, pour les faire apparaître, et disparaître, apaiser leurs offenses et nommer leurs crimes ? Cette allée mentale est tellement encombrée, par où commencer, le travail est immense, où donc est l’ingénieur de ce chantier ? Je pars à leur recherche, qui partira à la mienne ?
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Après quelques hésitations dédaigneuses, de Gaulle a adopté d'instinct l'arme nouvelle. Avec la caméra, il a le rapport fascinant du fauve à la gazelle, qui pour la séduire roucoule, rugit, gouaille, rocaille ; sens inné de la posture, du geste, de l'accent, du grand art. Ce théâtre le révèle photogénique. Un comble, lui de qui la trogne inspire la caricature. Pourtant, tronc coupé, c'est ingrat. De son anatomie de colosse, de son buste grand comme un buffet, de ses bras, envergures d'avirons, de sa tête, nez en promontoire, oreilles décollées, de sa lippe, il fait un avantage.
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La marche est un intéressant dispositif relationnel. Plus reposant que le face-à-face, sans cesse parasité de sondages oculaires, de mimiques de façade qui rivent au visage de l'autre afin d'y détecter les signaux informatifs subliminaux, chacun s'évertuant à ne délivrer les siens qu'au compte-gouttes.
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(...) dans la forêt, tout être se dérobe, guette à distance, se dissimule et mène sa vie animale en observant la conduite de l'homme sur son territoire. Si tu l'ignores, tu cours le plus grand risque : tout reste invisible, tu ne vois personne et tout te voit. La forêt n'est pas un jardin botanique ou un zoo, c'est un terrain de guerre, pour survivre il faut n'y avancer que rusé et masqué.
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l'esseulement m'emplit d'orgueil, une griserie des sens et du cœur, pure joie d'être. N'existe que le présent. Les choses immédiates, mes sensations, ma solitude. Étendue immobile sur les cailloux, sans battre d'un cil, uniquement attentive à inspirer l'air parfumé de résine et d'humus qui palpe mes joues, mon front, avec la légèreté de doigts musiciens.
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L'esprit de collection est regardé par d'aucuns comme une folie n'est-ce pas ? En réalité ces objets me donnent plus de satisfaction que la compagnie des êtres humains. Voilà un aveu bien scandaleux. Nous passons.La vie est fatale, elle est périssable, c'est d'un grand ennui. Je m'en console par cette possession, toute provisoire. Car la beauté reste. Pour peu que nous la reconnaissions, elle est notre éternité. Le dépassement de notre condition naturelle est dans l'art, la fabuleuse variété, la dépense inouïe des civilisations.
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Je transcris son récit de mon mieux, en m'y tenant jour après jour, mais se souvenir et inventer, raisonner et rêver n'ont pas beaucoup de différence, certaines de ses phrases persistent telles quelles, mot pour mot semble-t-il, à défaut j'en forge qui y ressemblent, du moins à mes yeux, et qui viendra me démentir ? Dès que relaté à l'oral ou couché par écrit, rien d'authentique n'est garanti, rien n'est pur ni ressemblant quel que soit le degré de loyauté déclarée ou d'insincérité assumée, s'y mêlent les manigances de l'oubli ou de la fiction, et pour finir l'imposture ; n'excluons pas le facteur sentimental, il faudrait s'abstenir de raconter. [...] Il faudrait laisser à leur inachèvement les êtres, les choses et les actions du passé, à leur silence et leur tourment, ne pas les agiter et les obliger à comparaître pour nous rendre raison, pourtant j'écris.
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Si elle n'est pas canalisée d'urgence, et d'autorité, la colère indispose, répugne, offusque. Or en elle s'origine toute résistance, insurrection, révolte, révolution, qui contrebattent un ordre des choses insupportable, par excellence l'oppression vécue comme insulte au sujet, individuel et collectif. Sentimental, émotionnel, passionnel, le désir de justice ? alors oui, j'assume que mon sujet s'indigne, s'insurge contre tout ce que l'affichette anonyme du musée d'Aquitaine véhicule de provocateur, d'insidieux mensonge sur les réalités, et, non, je ne la fermerai pas.
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Il faut laisser les enfants tomber dans les livres qui ne sont pas écrits à leur intention, comme ne le pratique que trop l'édition de jeunesse en ajustant le registre de la langue et le propos à leur entendement, et au niveau grammatical supposé de leur âge. Il faut les laisser entrer par des portes imprévues dans les labyrinthes du langage, s'y frayer le passage vers leur propre mystère, à leurs risques et périls, et aux nôtres. A ce prix, ils ont quelque chance de devenir de vrais lecteurs.
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… il se trouve que j’atteins juste l’âge, au milieu de mon siècle, d’ouvrir enfin les yeux : d’accéder à deux monstres de l’Histoire qui n’en sont qu’un, le racisme esclavagiste et le racisme antisémite dont Bordeaux a été assez excellemment le théâtre, comment l’ignorer, comment l’imputer à un accident de son histoire ? Port de la traite et de la chasse au Juif, où domine la mentalité coloniale, plaque tournante commerciale d’une Europe qui assoit sa domination sur la dégradation de l’autre en déchet, imaginaire dont le socle, comme le formule en 1950 Aimé Césaire, a une structure apocalyptique. Le colonialisme a décivilisé le colonisateur, au final l’a littéralement colonisé, l’a « abruti » au sens d’un devenir brute, régressant à un état antérieur à toute civilisation et versant, par haine démente de la vie, à une néantisation de tout principe d’humanité : « L’Europe est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire » et la démesure du massacre initié par l’esclavage trouve sa fin – sa finalité – dans l’autodestruction de l’Occident par lui-même avec les « Einsatzgruppen » et le camp d’extermination nazis. Barbarie qui ne lui est pas du tout étrangère, qu’il a au contraire cultivée, légitimée et absoute avant de la subir : « Hitler est son châtiment, dit encore Césaire, et l’Europe a tiré sur elle-même le drap de mortelles ténèbres. » (pp.219-221)
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