Anthony Burgess

L'homme semble prédestiné au mal. En même temps il est libre. Comment concilier libre arbitre et prédestination ?

Que veut Dieu ? Le Bien ? Ou que l'on choisisse le Bien ? L'homme qui choisit le Mal est-il, peut-être, en un sens, meilleur que celui à qui on impose le Bien ?

J'avais dix-huit ans à présent, juste passés. Et dix-huit ans, ce n'est plus la jeunesse. A cet âge là, ce vieux Wolfgang Amadeus avait composé des concertos, des symphonies, des opéras, des oratorios et tout le gouspin - non pas gouspin mais toute une musique céleste. Et il y avait aussi le vieux Félix M. avec son ouverture pour le Songe d'une nuit d'été. Sans compter les autres. Y compris ce genre poète français mis en musique par le vieux Benjie Britt, et qui avait écrit toute sa meilleure poésie avant l'âge de quinze ans, O mes frères. Arthur, de son petit nom. Donc, dix-huit ans, c'était pas si jeune que ça. Cela dit, qu'allais-je faire ?

- Les Chrétiens ont raison lorsqu'ils veulent rendre leur dû à César et à Dieu, mais insistent pour que ces deux tributs soient nettement séparés. Il ne saurait être de gouvernement que séculier. Dès l'instant où il se mêle de politique, Dieu se transforme en son contraire. Ça ne date pas d'hier et ne cessera pas demain.

La traduction, ce n'est pas seulement une question de mots: il s'agit de rendre intelligible toute une culture.

La situation se présente actuellement de la façon suivante.
Je me suis embarqué comme prévu à Venise pour la croisière gastronomique. A l'heure qu'il est, le Polyolbon vogue dans l'Adriatique, cap au sud-est. Temps radieusement estival. A Pulj, tout est en ordre. D.R. est arrivé il y a trois jours pour prendre ma succession. Nuit bachique passé à évoquer nos anciennes aventures. Ce fut bien sympathique. Je suis en bonne forme, frais comme un gardon, abstraction faite de mes deux maux chroniques, ma boulimie et mon priapisme qui, d'ailleurs, persistent à s'annuler réciproquement. Je n'aurai guère l'occasion de sacrifier ni à l'une ni à l'autre pendant la première partie du voyage (après-demain, nous serons en mer Noire) mais l'eau me vient à la bouche quand je songe à la semaine de franches ripailles que je m'octroierai à ventre déboutonné, l'esprit libre et mission accomplie, lors du retour. Istanbul, Corfou, Villefranche, Ibiza, Southampton. Et puis, ce sera la délivrance. Tout sera fini. Pour moi, en tout cas. Mais quid du pauvre Roper ?

Midi un jour de mars. Ciel d'Europe centrale plein non seulement de grisailles galopantes, mais d'avions du IIIè Reich dansant le ballet menaçant de la victoire pour célébrer la consommation des fins hautement bénéfiques de l'Anschluss : paix, ordre, uniformité, protection contre la liberté de penser, etc. Comme l'appareil de ligne était près de se poser, le Dr Jones fit cliqueter son Kodak pour prendre une photo de l'aérogare avec le mot WIEN peint sur le toit, puis une autre d'une escadrille de chasseurs rangés au sol dans un ordre d'une exquise symétrie. Peu après, en compagnie des cinq autres passagers, il descendait l'étroite passerelle pour être accueilli par une hôtesse blonde, un grand vent et, là-haut, le bourdonnement des moteurs. On les fit entrer dans un terminal, bâtiment trop petit pour suffire aux désolations gutturales des réfugiés surchargés de bagages, à l'oppression de la longue attente précédant le droit de gagner la sortie, et aux facéties et ricanements des fonctionnaires en tenue. Des oriflammes à la croix crochue pendaient partout. A côté de la douane et de l'immigration, au mur, avec un air de Parsifal mystique et renfrogné, Adolf regardait. Un personnage portant brassard au svastika aidait le policier autrichien à se gausser des passeports qu'on lui tendait. De celui de Jones il ne se moqua pas ; il dit avec une belle politesse : "Darf man sich erkundigen warum Sie Wien besuchen wollen ? Pourquoi voulez-vous venir à Vienne ?
- Dies, répondit Jones, ist zum ersten Mal dass ich gefragt werde WARUM ich nach Wien komme. Ich komme nach Wien weil ich Wien liebe. Première fois de ma vie qu'on me demande POURQUOI. J'aime l'endroit, voilà pourquoi.
- Sie sprechen gut Deutsch für einen Engländer. Ihr beruf wird hier als Doktor der Medizin angegeben. Was tut ein Englischer Doktor hier ? Parlez bien pour un Anglais. Passeport dit "docteur". Que vient faire docteur anglais ici ?

Tu ne hairas point:car hair,c'est tuer au fond de son coeur

Je ne peux te prier puisque tu n’existes pas.
Une bagatelle. Je contiens à la fois l’existence et son contraire.
Tu t’annules toi-même. Tu absous trop de meurtres commis en ton nom.
Je n’absous rien. Je suis au-dessus de ces choses. Mon nom n’est pas mon être. Quand les hommes usent de mon nom, cela signifie qu’ils ne me connaissent pas.
Que dois-je faire ?
Ce que tu es forcé de faire.
Et si je refuse de croire en toi ?
Mon existence ne dépend pas de ta croyance.
Donc tu es détaché des hommes. Que signifie alors l’amour de Dieu ?
L’acceptation passionnée de moi-même comme mon plus haut accomplissement, tel qu’il se manifeste à des sensibilités nées ou à naître dans cet univers tenu pour mon vêtement palpable. Les hommes sont un brin de ce vêtement.
Pourquoi es-tu descendu sur terre en tant qu’homme ?
Je fais ce que je veux. Les hommes doivent apprendre. La communauté humaine d’amour doit être l’image de la perfection de l’ordre divin.
Les hommes n’ont rien appris. Est-ce que cela ne prouve pas un défaut dans la substance divine ?
Quand les hommes auront accompli leur totale destruction, il en subsistera un qui, lui, aura appris. Cela suffira. Et je puis attendre.
Ce n’est pas toi qui parles. Tu n’es qu’une voix parmi toutes celles qui, comme flèches de vent, soufflent par les fissures de ma cervelle.
T’attendais-tu à ce qu’il en fût autrement ?

J'éprouvai de la satisfaction à ressentir du mépris Surtout quand celui-ci se changea en fureur.

Je ne pouvais faire confiance en ma mémoire pour deux raisons : j'étais un vieillard, et j'étais un écrivain.

Ça n'avait rien eu comme qui dirait d'édifiant, sûrement pas, d'être dans ce trou d'enfer grassou genre zoo bourré d'homos çapince, et ça deux années durant à se faire botter le cul et toltchocker par de grosses brutes de matons et à rencontrer des criminels vonnants genre ricanocheurs, parmi lesquels de vrais pervers prêts à baver partout sur un délicieux jeune maltchick genre celui qui vous conte cette histoire.
P. 126

Dans l'avenir, avec le recul du temps, 1922 apparaîtrait assez comme une année capitale pour la littérature, entre des productions telles que l'Ulysse de Joyce et La terre vaine de T.S. Eliot, mais sans qu'il soit question, bien entendu, de mes Vergers de l'orage. Que ç'ait été une année importante dans le domaine du gouvernement des peuples, était pour certains déjà une évidence. Mussolini, ou plutôt ses séides, avaient marché sur Rome - lui-même fit son entrée à la gare Termini dans un wagon-lit. Le pape Benoît XV, ce grand prélat pacifique que ni les Allemands ni les Alliés ne voulaient écouter, Giacomo della Chiesa, Jacques de l'Eglise, homme de loi, diplomate et aussi financier déplorable, dont l'aide prodigue aux nécessiteux avait mis les comptes du Vatican en rouge, était mort. Lui avait succédé Pie XI, Achille Ratti, né à Dieso près Milan, archevêque de cette dernière ville durant une année, ami, à ce que je comprenais, de la famille Campanati. Monsignore? J'aurais dû m'attendre que Carlo eût sa part de nouvelles nominations.

Ernest Hemingway :
Son attitude envers la plupart des gens qui l'ont aidé ( Gertrude Stein , Fitzgerald ) fait douter . Il buvait trop et sans doute est-ce la conscience de sa déchéance physique , sexuelle et mentale , qui l'a poussé au suicide .
Sophia Loren :
La première fois que j'ai rencontré Sophia , j'ai voulu me prosterner sur le tapis , mais son humanité me l'a interdit . Elle n'est pas une déesse , mais une femme élevée à une dimension supérieure . Elle demande à être admirée plus qu'à être adorée . Mais l'admiration ne semble jamais suffire . Pourquoi pas l'amour ? Un amour particulier , peut-être ... public et universel plutôt que personnel et intime . Elle reçoit de ce premier type d'amour en abondance , et il est d'abord adressé à une image sur un écran de cinéma .....
Fitzgerald :
Fitzgerald savait atténuer l'idiosyncrasie du style à l'intention de lecteurs qui n'avaient jamais entendu parler de Henry James
: personne n'avait besoin de lire une phrase deux fois pour en comprendre le sens , ni de faire appel à un dictionnaire . En même temps il apportait une note distinctive : son nom signifiait quelque chose . Ecrire pour le Post , cela ne voulait pas dire écrire médiocrement , ni appliquer des formules toutes faites .
Simenon :
Les buts recherchés par Simenon sont loin d'être littéraires . Il soulage son cœur de choses qui auraient mieux fait de rester où elles étaient , ou encore , puisque Simenon a toujours été considéré comme un écrivain remarquable , d'être digérées et transformées en de nouveaux exemples remarquables de cette fiction tant appréciée de jean Cocteau ou d'André Gide .

Ce qui s'est passé ensuite , c'est qu'un de ces vecks en blouse blanche m'a sanglé le Gulliver à un genre appui-tête , en se chantonnant tout ce temps un vague air pop vonneux et merdskoï .
- Pourquoi vous faites ça ? j'ai demandé .
Et le veck a répondu , en interrompant un instant son espèce de chanson , que c'était pour FORCER mon gulliver à rester tranquille et moi à regarder l'écran .
- Mais , j'ai dit , moi je ne demande que ça , de le regarder , votre écran . On m'a fait venir ici pour relucher des films , et je les relucherai, vos films .
Là-dessus , l'autre veck en blouse blanche ( ils étaient trois en tout , dont une dévotchka genre assise devant la batterie des compteurs , à tripoter des boutons ) , l'autre veck , donc , c'est vaguement bidonské . Et il a dit :
- On ne sait jamais . Oh non , on ne peut pas savoir . Fais-nous confiance , mon vieux . C'est mieux comme ça .
Puis je me suis aperçu qu'on me sanglait des roukeurs aux bras du fauteuil et que j'avais les nogas comme qui dirait collés au repose-pieds . Ça m'avait l'air un peu bézoumni , mais je les ai laissés faire ce qu'ils avaient envie de faire . Vu que j'avais une chance de redevenir un jeune maltchick libre , d'ici une quinzaine

- Bon sang, mais t’as toute la vie devant toi.
-Oui, j’ai dit amèrement. Autant dire une paire de faux groudnés.

- Une femme c'est comme un instrument de musique.
- Je sais, je sais, chérie. Joue de moi comme d'un violon, fais de moi de la belle musique. c'est vieux comme le monde, ton truc, ma douce, vieux chapeau comme disait Rodney; Reprends un peu de porto.
-Plus comme un piano qu'un violon, dis-je.
Non, dit-elle en me resservant. On ne garde pas un violon dans son salon pour que le premier venu se mette à le tripoter. Il est dans un étui, un truc qui ferme avec une petite clé; Le piano, tout le monde peut se mettre à taper dessus.

L’histoire de l’humanité est celle de sa victoire sur l’environnement

J'étais souvent consterné par l'élection de l'ignorance. Je suis moins consterné maintenant.

- J'appellerai cela, je crois, dis-je, Confabulations.
- C'est un titre cucul.
- Tout de même, réfléchis. En psychiatrie, selon ce dictionnaire que tu vois, cela signifie le remplacement des lacunes provoquées par le désordre de la mémoire, par les souvenirs imaginaires d'expériences que l'on croit être vraies. Cela dit, je n'y vois guère de différence. Toutes les mémoires sont en désordre. LA vérité, quand elle n'est pas mathématique, est ce que nous croyons nous rappeler.