Il y a ceux qui sont touchés, comme Iakov ou comme Ksenia la fille de Gouri ; ceux qui ont vécu de près l’horreur et, s’ils s’en sortent indemnes physiquement, ont été détruits intérieurement, comme Kouzma qui a vu son univers s’effondrer littéralement devant lui, devant ses yeux incapables de pleurer tant la douleur était grande. Ils ont tous dû abandonner leur maison, leur vie d’autrefois pour survivre ailleurs, en attendant de voir si la catastrophe nucléaire a laissé des stigmates sur eux.
« La bête n’a pas d’odeur
Et ses griffes muettes zèbrent l’inconnu de nos ventres. » (p.72)
Ils forment un groupe uni dans la détresse, une entité soudée, même si Gouri a choisi d’aller vivre ailleurs, plus loin, à Kiev.
Ce court roman nous parle de l’horreur de Tchernobyl, mais il chante surtout l’amour, la fraternité, l’importance des souvenirs et des témoignages, capitales pour ne pas oublier ces êtres démunis, perdus dans un no man’s land anéanti. Gouri poète écrit un poème chaque jour sur la catastrophe parce que « c’est déjà quelque chose » :
« Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter à ceux qui reviendront
Les enfants enlaçaient les arbres
Et les femmes de grands paniers de fruits
On marchait sur les routes
On avait à faire
Au soir
Les liqueurs gonflaient les sangs
Et les colères insignifiantes
On moquait les torses bombés
Et l’oreille rouge des amoureux
On trouvait le bonheur au coin des cabanes
Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter
Et s’en souvenir nous autres en allés. » (p. 71)
Un très beau texte, poignant, simple, direct, essentiel.
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