Citations de Camille Laurens (802)
Je ne pense pas que la création d'un faux compte sur Facebook soit un élément suffisant pour porter plainte. D'une part, si cela était, il faudrait inculper les dizaines, les centaines de milliers de gens qui, de par le monde, sur tous les sites de rencontre et les réseaux sociaux, se font passer pour ce qu'ils ne sont pas, truquent leur âge, mentent sur leur profession, leur statut familial, voire leur sexe, postent des photos vieilles de vingt ans et se créent une existence plus libre, plus excitante que la leur.
Ce n’est pas pour rien que ça s’appelle la Toile. Tantôt on est l’araignée, tantôt le moucheron. Mais on existe l’un pour l’autre, l’un par l’autre, on est reliés par la religion commune. À défaut de communier, ça communique.
Le désir veut conquérir et l’amour veut retenir, dit-il. Le désir, dit-il, c’est avoir quelque chose à gagner, et l’amour quelque chose à perdre. Mais pour moi, il n’y a pas de différence, tout désir est de l’amour, parce que l’objet de mon désir, au moment où je le veux, où je tends vers lui, je sais que je vais le perdre, que je suis déjà en train de le perdre en le poursuivant. Mon désir est à la fois puissance vitale et mélancolie folle – folle à lier, folle à enfermer. Il me semble que j’ai toujours été ainsi, que c’est une force terrifiante, en un sens : je ne peux rien perdre, je ne peux pas perdre, puisque tout est déjà perdu. Alors je peux m’affronter à tout, il n’y a pas de risque puisqu’il n’y a pas d’enjeu, puisque je n’ai rien à perdre.
... nous ne sommes pas sur Facebook à nous payer de mots, nous sommes là et c’est l’amour, l’amour c’est être là. Son sexe dur est mon trophée, je le caresse à travers l’étoffe de son pantalon que je déboutonne. Un homme qui bande, c’est merveilleux pour une femme, c’est son sceptre, je me demande si les hommes le savent – bon, OK, Louis, tu n’es pas obligé de répondre – pour moi c’est une ivresse, un règne et une abdication, le point d’évanouissement de toute méfiance, je deviens reine et rien.
Sur ce point au moins, mon propos a été clair dès l’origine, la forme de la non-fiction s’est imposée aussitôt, tout comme le projet de ne pas séparer le modèle de l’artiste, d’attraper si possible un peu de leur lien, d’où est née l’une des grandes œuvres modernes.
Déranger pour donner à penser, assurer à l’art une fonction critique, le mettre au service de la vérité, fût-elle cruelle : telles sont les visées d’Edgar Degas, et son extrême modernité.
Ce que montre Degas, en effet, ce n’est pas la danseuse mythique, c’est la travailleuse ordinaire ; pas l’idole sous les feux de la rampe, mais la besogneuse de l’ombre, une fois les quinquets mouchés ; pas l’objet de divertissement et de plaisir, mais le sujet aux prises avec la sinistre réalité.
Et soudain j'étais là, parmi mes pairs - ah ah, ils portaient bien leur nom, tous, mes pairs, mes perdus, mes perdants -, j'étais là démunie, lâchée comme une pierre au fond d'un puits.
(Oui, je sais, Louis , je devine ton sourire. Mais là, les limites étaient dépassées : le caméléon se débattait sur une couverture écossaise).
Qui excusais-je sans cesse à travers lui ?
rentrer dans le silence comme dans un moulin sans paroles
Déranger pour donner à penser, assure à l’art une fonction critique, le mettre au service de la vérité, fut elle cruelle : telles sont les visées d’Edgar Degas, et son extrême modernité.
Surtout ne répondez pas. C'est inutile. Nous ne pouvons pas correspondre, il n'y a pas de correspondance possible entre nous. Vous êtes loin, vous êtes l'autre, vous êtes l'homme. J'ai accepté cette distance qui flotte entre nous comme le trajet d'une lettre qui voyage. Je n'écris pas pour que vous répondiez, et cependant je vous écris. N'en soyez pas étonné : j'ai renoncé à vous saisir, mais pas au geste de vous saisir. L'écriture est ce geste ; j'écris vers vous. C'est comme la main qu'on agite quand le train est parti : inutile, sans être vain.
Nous n'épiloguerons pas sur les affreuses injustices du monde de l'art et de l'argent, on sait combien de peintres sont allés à la fosse commune, dont les oeuvres dorment à présent au fond de coffres-forts.
Il me semblait que dans l'union des corps toutes les contradictions qui m'angoissaient si fort se volatilisaient, qu'alors, et la seulement, les questions avaient leur réponse: la vérité venait du corps, le corps était la vérité.
Il n'a jamais souffert comme d'autres n'ont jamais vu la mer, en quelques heures ça peut s'arranger.
Les yeux exercent un contrôle permanent qui adoucit la souffrance d'amour, et l'angoisse ne revient vraiment qu'avec l'absence. Loin des yeux, près du coeur.
Mais un écrivain? Tous les hommes ne rêvent-ils pas d avoir un écrivain à leur bras, autant pour poser dans le siècle que pour féconder les nuages? Pensais-je. (Je me trompais, bien sûr : les hommes rêvent seulement d'écrire.)
Venez, viens, je, tu, je vous, j'avoue, je tue, prenez, ceci est mon corps, je suis l'amante religieuse, je me dévoue à vous, je vous tue, ceci est ton sang, je pourrais si je voulais, j'aurais pu, si j'avais voulu.
Écrire, c'est traduire en mots des pensées, des faits, des sentiments, des sensations, le corps, la chair, le silence. La vie est la langue étrangère de l'écrivain. Il y a d'excellents traducteurs, certes. Mais traduire, c'est trahir, tout le monde connaît la formule.