Citations de Christian Estèbe (182)
« Allons, pas de pessimisme. Il reste de vrais libraires, de vrais livres, de vrais lecteurs. Le monstre informatique n’a pas encore tout dévoré. «
Il a trouvé un petit hôtel près de la gare- il y a toujours un petit hôtel près de la gare, non loin d'un sex-shop et d'un marchand de kebabs. Après une douche chaude et un potage, il est sorti marcher. Il fait froid, les rues sont désertes. Les gens se sont hâtés de rentrer chez eux, pour regarder dans la lucarne le malheur des autres. Mais lui, d'où est-il maintenant ? Itinérant improbable de la littérature. (p. 135)
Il explique à une libraire que pour repousser les limites du convenu, il faut parfois, souvent, repousser les limites du convenable. La vérité d'un texte n'est pas forcément amusante, délicate, jolie.
Il lui parle des auteurs qu'il aime, Maurice Ciantar, Bernard Blangenois, Henri Calet, Belinda Cannone, Christian Garcin, Bertrand Runtz, Thierry Gillyboeuf, Perros, Cloux, Pirotte. (p. 192)
Je sais aujourd'hui que cette écriture forcenée qui a rythmé mon existence pendant ces trente-cinq ans était une tentative désespérée pour canaliser cette dépression que je sentais pulser en moi.
Mais l'écriture était-elle destinée à éviter cette confrontation avec mes failles, ou bien, comme un travail d'analyse m'a-t-elle enfin permis, en approchant mon moi profond, année après année, de me confronter à mes gouffres ? (p. 86)
Nous finissons nos consommations en silence...Je sais que dans un moment nous allons encore parler et sûrement évoquer des souvenirs, des rires, des peines, des gens que j'ai voulu oublier. Nous n'avons rien pu faire les uns pour les autres, rien qu'un peu de tendresse. Il y aura peut-être ailleurs d'autres voix, d'autres mots, plus simples, plus essentiels. (p. 156)
- Et puis, vous savez, il avait un petit côté artiste. (...)
Je le revois sous le grand parasol orange et jaune, les pieds dans le sable clair, le dos calé contre son pliant vert, pourquoi ne dessinait-il plus, ne peignait-il plus ces galets ? Cela lui était -il apparu soudain inutile, désuet, puéril ? Ma mère s'était-moquée de lui ? Voilà Jeanne qui éveille en moi tout un chant de teintes, d'arabesques, de lignes; ainsi, du fond de son silence, les yeux bleus de mon absent retracent pour moi un paysage neuf. (p. 126)
La langue même de ce pays paraissait à elle seule le murmure exact, la réplique mélodieuse de tout ce qui se vivait là : les processions, les fêtes votives, les bals, ces moments qui comme maintenant semblaient rendre le temps immobile. (p. 133)
Une question de destinée, nous dit Delphine.
- Tout aurait pu être différent. Car nous étions heureux. C'est cette guerre, cette rupture de notre vie, c'est ça qui nous a profondément marqués. (p. 100)
Vous faites la quête et vous vous croyez en quête ! Le monde s'en fout que vous écriviez ! Des millions de gens écrivent dans toutes les langues, des milliers de manuscrits s'entassent dans les officines éditoriales, et parmi eux, juste une infime poignée aura droit au qualificatif d'écrivain véritable. Ecrivez comme Varlam Chalamov, écrivez comme si vous étiez mort ! (p. 129)
Je suis allé regarder les livres chez Masséna, la belle librairie, puis à la Fnac. J'ai bu des cafés aux terrasses pour regarder passer les gens, la rue, le vrai cinéma des pauvres ! (p. 134)
Eh oui ! Le prolétaire culturel qui a voulu échapper à son médiocre milieu est bien puni : en écrivant des livres, il a contracté une maladie de bourgeois. Voilà ce que c'est : quand un fils de pauvre respire des vapeurs proustiennes, il fait une dépression. (...)
Voilà ce qui arrive lorsqu'on veut poèter plus haut que son luth des classes ! (p. 24)
Ce n'est que l'écriture qui me sauvera, comme toujours. C'est l'Art qui a fait de moi ce peu que je suis. Rien d'autre.
Je ne suis pas un intermittent du spectacle. Je pioche dans ma vie de façon continue. Mais tout le monde fait de même je suppose, attelé à sa vie, tentant de faire au mieux en évitant les horions. (p. 57)
Il nous explique que le vrai responsable de la bibliothèque, c’est lui, que c’est à lui que nous devons obéir-obéir ? Bigre, déjà ?- , nous devons écouter ses directives et ses conseils : « Vous comprenez, avec les élèves c’est une question de distance, ni trop près ni trop loin. » Vais-je lui citer Lie-Tseu : « Rien de ce que l’on peut enseigner ne vaut la peine d’être appris. » Je me contente de boire mon café. « Si tu n’as rien à dire de plus beau que le silence, tais-toi. (p. 17)
Avec eux, je n’ai pas peur des mots crus ou cuits, et au lieu de les faire taire, je les laisse dire. Bien sûr ils en profitent, sans cesse, en étude. Je commente avec eux ces mots, nous ouvrons le dictionnaire. Nous cherchons, nous trouvons, et je vois leurs petites mines étonnées de découvrir que ces mots interdits figurent à leur place dans le gros Larousse, le petit Robert. C’est la façon dont nous les employons qui change tout, c’est la façon dont nous vivons la langue qui modifie la réalité, les mots sont inertes avant d’être inouïs. (p. 57)
Chez Anne Clancier aussi, des livres comme s'il en pleuvait. Ceux de Marc, de Blanzat, de Luc Estang, ceux de Queneau, de Tortel, d'André Frénaud, des livres comme ils doivent être : poignée de main solide d'un ami revenu, gestes d'amitié d'un ami retrouvé. (p. 114)
Nos livres, nos textes les plus chers, sont ceux dont nous parlons le plus rarement, avec le plus de pudeur. Il en est de même des êtres qui escortent nos secrets les mieux enfouis. (p. 84)
"Un homme n'est rien sans ses rêves. C'est pour vivre les miens que j'ai tenté de vivre autre chose que ce qui avait été prévu pour moi, une vie d'épluchure au fond de la poubelle du quotidien."
A l’hôpital le corps tout entier est convoqué, entraîné dans ces attentes, faites de tensions et de doutes, ici, rien de tout cela. Le corps est en paix, c’est l’esprit qui cherche à s’apaiser en puisant dans le silence. Pour certains la prière joue ce rôle, pour lui qui n’a pas la foi, c’est la contemplation des montagnes, des discussions avec Lombard. Car ici, sans rien pour oublier, dans un face-à-face avec soi-même, l’esprit souffre. (p. 63)
Il marche les mains dans les poches sur la petite route qui surplombe le monastère. Silence et silence. A s'en faire mal aux oreilles, à s'en laver le coeur. Il voulait poser des questions à l'abbé sur le bien et le mal, la mort, la résurrection, il n'a pas trouvé les mots. Il lui reste la fatigue, la grande fatigue des hommes qui marchent sous un ciel muet. (p. 72)
Les moines ont le droit d'échanger quelques mots, chacun s'exprime lorsque l'autre s'est tu, leurs propos sont simples et brefs. Orme se rappelle les discussions à la ville, les caquetages qui ne disent que le mensonge, l'astuce, le contentement de soi. Le monde comme une rocaille de mots durs qui roulent sur la chair de la langue, des mots pour faire saigner le temps. (p.94)