Ce roman commence de manière tout à fait banale. En Californie, la jeune Mae Holland débarque sur le campus où le Cercle, la firme qui l’a embauchée, a installé ses locaux. Elle est éblouie tant par la modernité des lieux que par l’attention portée par l’employeur à ses collaborateurs : suivi médical scrupuleux, prise en charge totale des soins, mise à disposition de structures sportives, proposition d’activité culturelles d’une incroyable diversité, conférences, fourniture gracieuse de toutes sortes de produits dernier cri, cafétérias design et conviviales... Des groupes de rock viennent se produire, des fêtes sont constamment organisées... Pour la firme, rien n’est trop beau pour ses collaborateurs : si ceux-ci sont épanouis et en bonne santé, l’entreprise en sera la première bénéficiaire.
Tout ce qui se passe au sein du campus est publié sur les réseaux sociaux. Chaque collaborateur possède son propre compte, grâce auquel il est informé en temps réel de toutes les manifestations où il peut se rendre, peut être contacté à tout moment par ses supérieurs hiérarchiques ou les autres membres de l’entreprise et est invité à commenter les différents événements - que ceux-ci le concernent ou non. Chacun est en permanence connecté avec le reste de la communauté.
Le trio de jeunes entrepreneurs qui a fondé le Cercle est extrêmement fier de sa création. Si fier qu’il ne songe qu’à l’étendre à l’ensemble du monde. Et quels meilleurs ambassadeurs pourrait-il avoir que ses propres employés ? Ne sont-ils pas heureux de profiter de tout ce qui leur est proposé ? Le suivi médical et le système de prévention dont ils bénéficient ne leur permettent-ils pas de réduire les risques de maladie ? Leur avis n’est-il pas réellement pris en compte ? La sécurité n’est-elle pas maximale et ne permet-elle pas d’éradiquer toute forme de délinquance et de criminalité ?
Pour en faire la preuve, Mae accepte de devenir « transparente », c’est à dire de porter une micro-caméra qui permet aux internautes du monde entier de la suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans le même temps, le Cercle développe un programme permettant de numériser tous les documents et toutes les données existant sur tout et sur tout le monde : plus rien ne doit rester secret. Si tout devient accessible, plus de place à la corruption, aux malversations, aux crimes...
Sous le couvert d’une société idéale capable de protéger les individus de toute forme de menace, Dave Eggers dessine progressivement les contours d’un monde totalitaire où chacun s’expose au regard des autres. Ce faisant, il met en garde contre les effets pervers des réseaux sociaux, qui mettent à mal la sphère privée. Non sans une pointe d’ironie parfois, il souligne les excès auxquels nous invitent Facebook et consort. Qui n’a jamais perdu des heures à faire défiler des posts sans intérêt sur son fil d’actualité, likant tel ou tel message, scrutant le succès rencontré par ses propres publications ?
Poussé à l’extrême, ce système met totalement à nu les individus qui peuvent ainsi perdre jusqu’à la part la plus intime de leur être. Mais ils perdent aussi et surtout leur libre-arbitre et leur liberté.
Ce roman propose une peinture sans concession de notre société, à la fois exhibitionniste et voyeuriste, et sur les risques qu’elle engendre. Quoique avec un style sans aspérité, l’auteur développe habilement son intrigue et pointe de manière souvent pertinente nos travers contemporains.
Il me semble néanmoins que ce pavé de plus de cinq cents pages aurait gagné à être un peu élagué pour être encore plus percutant. Son propos aurait ainsi gagné encore en puissance. Un propos qui fait cependant froid dans le dos...
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