Cette pièce a été jouée pour la première fois en 1985. Un petit peu d'histoire, même si elle est récente. Tito est mort, mais la Yougoslavie n'a pas encore éclaté (la Slovénie, la patrie de l'auteur sera indépendante en 1991). 1985 marque aussi l'arrivée au pouvoir d'un certain
Mikhaïl Gorbatchev, qui va impulser par la suite les changements que l'on sait. Mais avant l'éclatement de l'Europe sous domination soviétique, les débuts des années 80 du siècle dernier sont marqués par les événements de Pologne : Solidarnośċ, les accords de Gdańsk, l'état de siège, avant les accords de la Table ronde de 1986, qui aboutiront au premier gouvernement non communiste dans un pays de l'Europe de l'Est. Je crois qu'il est important d'avoir ces éléments en mémoire pour mieux appréhender la pièce de Drago Jančar.
Simon Veber, le personnage principal de la pièce, est un historien, ses derniers travaux portent sur un certain Drohojowski, un insurgé polonais de le révolution de 1830, qui après bien des vicissitudes, est venu mourir en Slovénie. Mais les choses se présentent mal pour Simon, suite à une nuit de cuite, il se réveille dans un hôpital psychiatrique. D'après sa femme Klara, fille d'un membre important du parti, ce n'est que pour un mois, le temps qu'il soigne ses excès divers. D'étranges patients habitent l'hôpital, des artistes pour nombre d'entre eux. le pouvoir dans le lieu glisse de plus en plus dans les mains de Volodia, dit la Nuque, un infirmier brutal, qui terrorise les pensionnaires, et qui prend progressivement complètement l'ascendant sur le Docteur, censé être le directeur. Volodia se montre de plus en plus sadique et manipulateur, Simon tente de lui résister.
Une pièce très forte. Au-delà de la métaphore du pouvoir communiste, la pièce s'attache à démonter toute sorte d'emprise sur les âmes. Volodia arrive à imposer sa domination, sa force brute, sa folie, parce que le monde dans lequel se passe la pièce est en quelque sorte fou, vit sur le mensonge, sur un faux-semblant. Dans le clair-obscur des vérités incertaines, à force de ruser avec le(s) pouvoir(s), à tenir des discours ambigus, les personnages perdent la notion de leur identité, leur capacité à distinguer l'inacceptable et à s'y opposer. La plongée dans la folie et dans une identité de substitution peut apparaître comme une échappatoire ironique. Mais ne fait qu'accélérer la déliquescence générale.