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Critiques de Ed Brubaker (522)
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Fondu au noir

Jusqu'à présent, je n'avais jamais tout à fait accroché aux lectures du duo Brubaker/Philips. Elles ont pu être tantôt agréables (Pulp) tantôt plutôt cool (Un été criminel). Mais là, on est sur autre chose, là on est sur du très lourd !



A travers ce gros et joli pavé de 400 pages, Ed Brubaker et son acolyte préféré nous emmènent dans le Hollywood d'après-guerre (fin 40's). L'époque de Clark Gable (seul vrai acteur faisant un mini passage dans le livre), de Cary Grant, Audrey Hepburn ou autres James Stewart. L'époque aussi du maccarthysme et de la chasse aux sorcières. Et enfin, une drôle d'époque pour les femmes du milieu (et d'autres aussi…) pour qui les choses n'étaient pas rose tous les jours…



On rentre dans le bain dès l'introduction, avec Brubaker nous racontant son oncle, un scénariste très réputé durant la golden area d'Hollywood. On y apprend qu'à cette époque, il y avait la liste des 10 d'Hollywood: 10 personnalités du cinéma blacklistées car accusées de pencher côté bolchevico-gaucho. Encore une fois, drôle d'époque, je ne comprendrai vraiment jamais le discours du "c'était mieux avant" 😁



En tout cas, voir Brubaker raconter comment son oncle et tante se retrouvent d'une certaine façon mêlés à tout ça, m'a immédiatement rappelé Jason Aaron qui fait la même chose (mais avec son cousin) à la fin de The Other Side. Deux histoires de famille qui ont inspiré les auteurs, pour deux réussites littéraires.



Car oui, The Fade Out (titre VO) est une franche réussite. On se retrouve dès les premières pages happé par ce monde clinquant, flamboyant mais aussi nauséabond. On suit rapidement une multitude de personnages mais c'est fluide et toutes ces personnes croisées ou rencontrées par le protagoniste (un scénariste impliqué dans la chasse aux sorcière tiens tiens) profitent toutes (ou quasi) d'un super caracter design.



Et que dire de l'intrigue ? Quand on est fan comme moi de polar noir, c'est un vrai régal. Rien de trop téléphoné ni de trop conventionnel. Alors, ca reste tout de même assez classique dans l'approche, mais la profondeur des personnages et de l'intrigue nous plonge dans un monde dont on ne ressortira que quelques minutes après avoir tourné les dernières pages.



Et c'est alors, en fin de lecture, que j'ai tout de suite pensé à l'excellent film de Robert Altman sur les vices d'Hollywood avec le génial Tim Robbins en tête d'affiche, The Player. Si l'occasion s'en fait, ne surtout pas se priver de le regarder.



Prochaine lecture du duo: les Sleeper ou les Kill or Be Killed

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Night Fever

On ne change pas une équipe qui gagne, les célèbres maitres du polar en comics (accompagnés du petit Phillips à la couleur) nous propose encore une oeuvre réussie.



Il s'agit cette fois plus d'un thriller que d'un polar et l'accent est mis sur le côté psychologique.

Nous suivons ici l'histoire d'un agent littéraire las de vendre les manuscrits des autres alors qu'il a lui-même toujours rêver d'écrire et d'être publié. Alors qu'il part en France pour un énième voyage d'affaire il succombe à la crise de la quarante/cinquantaine et, en laissant libre cours à ses envies, se retrouve embarqué dans des évènements qui le dépassent. Succombant à la fièvre de la nuit, toute raison évanouie, le protagoniste s'enivre d'émotions oubliées ou trop peu ressenties jusqu'à ce qu'il soit brutalement ramener à la réalité.



La jouissance du récit repose dans la catharsis qu'il nous offre : le laisser-aller du personnage, qui oublie presque toutes responsabilités, est exaltant et libérateur. Cela nous interroge également sur ce qui nous empêche de vivre aussi intensément ; la fin ouverte de cette histoire complète nous maintien dans ce questionnement alors que le personnage n'a pas encore eu à affronter les conséquences de ses actes.
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Gotham Central, tome 1

Du Batman sans Batman, c'est souvent ce que l'on entend quand on parle de Gotham Central.

En effet, vu le nom, vous l'aurez compris, l'action se déroule dans la ville du chevalier noir. Mais ici, pas question de suivre les aventures de ce dernier, on se concentre sur le GCPD, la police de Gotham !



Et je dois dire que c'est intéressant. Si on est habitué à cette ville malfamée, c'est avant tout par le personnage de Batman qu'on l'a connait. Et nous la présenter sous un autre angle est un pari intéressant.

Nous allons donc suivre la vie d'un commissariat dans une ville étant connue comme une des pires villes où il est possible de vivre, une ville où le taux de criminalité explose les records.

Mais comment font les policiers dans une ville où les super vilains sont omniprésent ?

Certes, ils doivent gérer la population lambda avec les crimes et délits lambdas, mais doivent aussi composer avec le Joker, Freeze ou encore Double Face...

Et s'ils pourront bien entendu compter sur l'aide de Batman pour certains cas difficile, ce dernier ne sera pas toujours la et il faudra se débrouiller dans des situations parfois bien complexes.



Ed Brubaker et Greg Rucka, des noms bien connu du comics et du polar, nous livre ici un récit DC aux allures de récit indés. Accompagnés d'un Michael Lark en forme, malgré un début de série un peu timide, cela fonctionne très bien et le niveau monte progressivement.
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Daredevil, tome 1 : Le diable dans le bloc D

L'identité de Daredevil a été révélée dans la presse, il serait l'avocat Matt Murdock. Ces ainsi que l'avocat aveugle se retrouve en prison. Prison qui bien sûr est remplie de criminels que Murdock y a envoyé lui même, que ce soit sous son identité d'avocat ou sous son identité de justicier masqué. A partir de la, son séjour s'annonce compliqué.



Si ce tome est le premier du run de Brubaker, il fait directement suite au run de Bendis (en 4 volumes) que je conseils d'avoir lu avant.

Pas forcément nécessaire, en lisant le résumé en début de volume on peut s'y retrouver, mais c'est mieux.

De plus, le run de Bendis étant de grande qualité (le meilleur sur le personnage à mon humble avis), il serait bête de se priver.

D'ailleurs, la fin du run de Bendis avait été écrite en collaboration avec Brubaker qui reprenait la série derrière. C'est ainsi que si les scénaristes ont l'habitude de ranger leurs jouets à la fin de leur run, ici, Bendis à pu se permettre de briser le statut quo et de faire finir le diable de Hell's Kitchen en prison, point de départ pas forcément facile pour un début de run, sauf si bien sûr comme ici, on s'était mis d'accord avec le scénariste précédent.



Ainsi, nous voila sur le premier tome de Brubaker, Daredevil, Matt Murdock tout du moins, est en prison. Et si ce n'est pas un point de départ facile, Brubaker avait prévu son coup, et nous offre un début de run est magistral.

Deux arcs sont présents dans ce volume, je n'en dirais pas trop pour ne pas spoiler les évènements qui vont se produire tant ils sont marquants.

Mais j'ai trouvé le premier arc tout simplement excellent, et si sur le second, j'ai trouvé que la mise en place était un peu longue, l'auteur nous prouve qu'il savait très bien où il allait avec une fin à la hauteur.



Vous l'aurez compris, pour moi c'est un gros OUI. Le run de Bendis était mon préféré, celui ci pourrait bien se glisser juste derrière, voir au même niveau, si la suite est du même acabit.
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Friday, tome 1

J'aime beaucoup les scénarios d'Ed Brubaker avec leur côté « noir » et tragique, tout particulièrement la série Sleeper. Aussi étais je très impatient de découvrir Friday. Petite déception, ce n'est vraiment qu'un début d'histoire. Mais quelle histoire!!



Sans surprise, le scénario nous entraine au delà des histoires habituelles d'ados contre les forces du mal puisque ces histoires font partie des flash-back des personnages.



Du côté du dessin et de la mise en page, on a quelque chose de très sympa. Marcos Martin capture un regard, une perspective, un paysage fondu dans la nuit avec beaucoup de talent. Il y a une scène de neige qui tombe dans la forêt qui donne une impression de longueur (Friday en a marre de suivre son ami) juste de la façon dont sont arrangées les cases. Puis zoom en diagonale sur le visage de Friday qui donne un sentiment de complicité. On ne le voit pas à la première lecture, mais ça contribue vraiment à créer un climat et un ton immersif pour l’histoire.





Délicieuse évocation des anciennes aventures à travers des couvertures et des titres comme si les héros de la fiction avaient déjà toute une collection à eux.



C'est donc une Meta-histoire qui démarre, avec de curieux trous de mémoire pour Friday, des non-dits de divers ordres de Lancelot. Prometteur mais à concrétiser!!
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Fondu au noir

Hollywood années 50, Charlie est scénariste pour un petit studio. Un matin, après une soirée très arrosée, il se réveille dans la chambre de l’actrice principale qu’il retrouve morte, étranglée.



Pris de panique, il s’enfuit et découvre plus tard que le service de sécurité du studio a maquillé le meurtre en suicide afin de ne pas salir la réputation du studio. Le poids est trop lourd, Charlie se confie à Gil, ami scénariste, qui l’aide dans l’ombre à être ses scripts.



Alcoolique depuis qu’il est persona non grata suite à l’affaire des dix d’Hollywood, Gil supporte mal ce secret et se lance dans une croisade entraînant avec lui Charlie. Ce roman graphique nous plonge dans l’univers sombre d’un Hollywood sans pitié. Absolument génial !
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Reckless, tome 2 : L'envoyé du diable

Ethan Reckless c’est mon nom, tu te souviens de moi ? Je t’avais dit que j’allais revenir… Me revoilà !



Quand ce qui ressemble le plus à de l’amour croise ton chemin, tu es prêt à tout…Linh Tran, c’est vraiment ce dont j’avais besoin à ce moment là. Mais je me suis pris pour un héros, prenant mon cheval pour essayer de retrouver sa sœur adoptive disparue… J’étais ce genre d’idiot, oui.



Du coup j’ai fait ce que je sais faire, le gars qui cherche,.. qui creuse dans les ténèbres pour avoir des réponses. La petite Maggie était partie faire l’actrice à L.A. On sait comment ça peut se terminer pour ces filles … Ce que je vais déterrer cet été là n’est pas bien joli, des sectes liées à Satan jusqu’aux nazillons, je vais en croiser du moche…mais c’est ma place, c’est mon chemin. Et je n’ai jamais peur de le suivre, où qu’il conduise.



Je ne sais pas comment Linh Tran va recevoir ce que j’ai à lui raconter… Où plutôt si je sais et je ne peux pas lui en vouloir.



Pour conclure, cette histoire vaut le coup d’œil, tu verras toi et moi on peut faire un bout d’chemin ensemble vu que j’en ai d’autres à raconter. Ethan Reckless, tu te souviendras ?

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Pulp

Un petit chef-d'œuvre! Une histoire intense de vieux de la vielle, de bilan de vie, de western, de justice, de monde moderne... tout ça en 67 pages au graphisme sombre et âpre.

Magnifique, comme quoi la qualité peut s’atteindre avec un nombre limité de pages.
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Pulp

L'alchimie du duo Brubaker et Phillips fonctionne sur moi depuis plusieurs titres déjà avec comme point d'orgue la série Kill or be killed terminée en 4 tomes.

Ce court one-shot d'une soixantaine de pages est efficace et d'une qualité folle dans la narration, dans la construction et dans son ambiance.

Mais il a ce défaut de trop peu qui me frustre lors de ma lecture. J'en voulais plus, aller plus loin ou développer certaines parties.

Le tout fonctionne : les personnages, l'intrigue, les dessins, l'ambiance,... Mais c'est trop vite lu pour ne pas en sortir avec un sentiment de frustration.
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Daredevil, tome 16 : A chacun son dû

Ce « Daredevil : a chacun son du » présente une intrigue complexe, dense et sombre avec l’instrumentation par un maître stratège d’une force de la nature, le Gladiateur dans un but inconnu.



Cependant je n’ai pas été séduit par le style fin de Lark et n’ai jamais trouvé que le Gladiateur, ennemi finalement assez simplet aux armes primitives était un adversaire à la hauteur de Daredevil.



J’ai donc éprouvé quelques difficultés pour me passionner pour l’intrigue.



Coté cœur, les problèmes conjugaux de DD, me sont apparus également un peu « bateaux » tant on pouvait se douter sans peine des difficultés à vivre avec un justicier menant une double vie.



La suite sera sans à mon avis plus intéressante avec l'entrée en lice de Mister Fear, ennemi beaucoup plus retors et difficile à combattre qu’une brute épaisse et limitée comme le Gladiateur.
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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Gotham Central, tome 1

Gotham Central fait partie bien entendu de l'univers de Batman mais c'est une déclinaison un peu spéciale. On se concentre en effet sur une équipe de policiers chargés de faire le ménage dans cette ville qui ressemble étrangement à New-York.



Batman n'apparaît qu'en renfort pour les aider lorsqu'ils sont dans l'impasse la plus totale. Les rapports entre la chauve-souris et la police sont parfois ambigus. L'idée de laisser le super-héros de côté paraît louable.



Cette série semble être ancrée dans une réalité du banditisme que l'on connaît mieux. Pour autant, le déroulement des enquêtes paraît intéressant. Cependant, le dénouement est un peu brutal dans la plupart des cas. Je n'ai pas aimé non plus le dessin alors que le graphisme semble beaucoup plus travaillé sur d'autres séries dérivées de Batman. C'est un peu dommage car le scénario tient le haut du pavé avec plus ou moins d'efficacité selon les différents tomes.
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Velvet, tome 1 : Avant le crépuscule

Visiblement, les deux auteurs ont réussi par le passé à ressusciter Captain America. Partis sur cette lancée, ils ont décidé de réhabiliter cette bonne vieille Velvet. C'est un peu comme si on faisait naître à nouveau Bécassine en agent secret. Je plaisante un peu sur ce dépoussiérage car ce n'est pas vraiment cela. Velvet, c'est un peu une James Bond des années 50 ou un agent OSS mais sans le blue.



Il est sans doute bon de voir une quadragénaire à l'action après 18 ans d'inactivité ou plutôt dans le rôle d'une assistante secrétaire. On remarquera qu'elle n'a rien perdu de ses talents. Le scénario utilise de grosses ficelles mais c'est habilement exploité. Et pour une fois, le rôle titre est féminin dans un monde d'espionnage dominé par la gente masculine.
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Kill or be killed, tome 1

Encore une fois je suis bluffé par le talents conjugué de cette paire d'auteurs. Que ce soit le scénario original mais surtout la façon de raconter, une voix off qui part d'un aboutissement tragique et qui relate les faits pour qu'on comprenne comment on en est arrivé à un tel résultat, j'adore ce procédé, que ce soit la profondeur psychologique des personnages imaginés par Ed Brubaker, ou bien que ce soit la finesse du dessin de Sean Phillips qui s'est encore amélioré, usant à merveille des ambiances nocturnes sombres, tout est ici brillant, équilibré, maîtrisé de bout en bout.
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My Heroes Have Always Been Junkies

Ce tome contient une histoire complète (quasi) indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissance préalable d'une autre série. Cette histoire est parue en 2018, directement sous la forme d'un récit complet, sans prépublication. Le scénario est d'Ed Brubaker, les dessins et l'encrage de Sean Phillips, et la mise en couleurs a été réalisée par Jacob Phillips. Cette bande dessinée compte 66 pages.



Quelque part sur une plage de Californie, proche de Santa Teresa (non loin de San Jose), Ellie a enlevé ses chaussures, et se tient les pieds dans l'eau. Une femme âgée approche en promenant son chien, lui faisant observer la beauté du paysage. Ellie lui adresse la parole et lui parle d'une chanson de Vic Chesnutt (1964-2009) évoquant un jeune homme nageant dans la mer et s'étant éloigné plus loin qu'il ne pensait, non pas en train d'agiter les bras pour faire signe, mais en train de se noyer. La dame se demande si Ellie va bien. Quelques jours auparavant, Ellie était admise dans un établissement de soin spécialisé dans les cures de désintoxication, un centre de réhabilitation pour drogués. Elle participait à une séance de groupe, sous la houlette de Mitch, où la parole était monopolisée par Todd. Ce dernier racontait une histoire incroyable au cours de laquelle il s'était retrouvé dans un squat pour acheter sa dose, alors qu'un rival était survenu et avait ouvert le feu. Il avait dû se cacher sous un cadavre. Elle sait pertinemment qu'il ment et que tout est inventé.



La veille au soir, Ellie s'était introduite dans le bureau des soignants et avait consulté le dossier des patients de son groupe. Elle y avait découvert que Mitch avait en fait dépensé l'argent de son ménage dans des clubs de striptease et qu'il s'était fait passer pour un drogué auprès de son épouse pour ne pas à avoir à avouer la vérité. C'est ensuite au tour de Lois de prendre la parole pour évoquer sa dépendance aux antidouleurs, puis à Ken pour son addiction à la cocaïne. Elle-même a été admise 3 jours auparavant, amenée par un oncle lui ayant bien fait comprendre que c'était sa seule chance. Skip (un charmant jeune homme) intervient pour dire que la confession est un baume apaisant pour l'âme. Mitch indique à Ellie que c'est à son tour de s'exprimer. Elle cite Keith Richards, disant que le pire qu'on puisse dire à propos de l'héroïne donnera toujours envie à quelqu'un d'essayer. Mitch ne comprenant pas très bien où elle veut en venir, elle continue pour indiquer qu'elle n'est pas sûre qu'être abstinent est désirable. Elle cite l'exemple de David Bowie, Brian Wilson, Lou Reed qui ont réalisé leurs meilleurs disques en étant sous produit psychotrope. Mitch lui planifie un rendez-vous particulier avec la docteure Patti.



Voilà une production de Brubaker & Phillips originale à plus d'un titre. Pour commencer, ils ont choisi de publier cette histoire d'un seul tenant, sans prépublication, ce qui est exceptionnel dans le système de production américain des comics. Ils ont dû estimer que le respect du modèle économique en place n'était pas approprié pour une histoire relativement courte, mais qu'elle méritait une sortie dans un format avec couverture rigide. À la lecture, il apparaît qu'il s'agit d'un récit consistant auquel ce format sied bien. Ensuite, ils n'ont pas choisi de rattacher cette histoire à une de leur série, à part incidemment. Cela signifie que si le lecteur ne connaît pas la série Criminal des mêmes auteurs, le récit ne perd rien en cohérence pour lui. S'il connaît cette série, l'apparition de Leo le temps d'une page n'apporte pas de sens supplémentaire au récit. Enfin, la mise en couleurs n'est pas réalisée par Elizabeth Breitweiser, coloriste attitrée de Sean Pillips depuis plusieurs années. Jacob Phillips ne démérite pas. Dans un premier temps, le lecteur voit bien que la conception de la mise en couleurs diffère des œuvres précédentes de Phillips. Puis il remarque que Jacob Phillips utilise des teintes différentes de celles de la palette de Breitweiser, en particulier du rose en aplat. Il laisse aussi plus de place au blanc de la page. Il réalise une mise en couleurs adulte, sachant doser les aplats, les discrets effets de mouchetis, les débords, et la juxtaposition de 2 nuances d'une même teinte. La mise en couleurs serpente élégamment entre naturalisme et impressionnisme, apportant des saveurs aux formes détourées, sans écraser les traits de contour, sans supplanter les dessins, en harmonie avec eux.



Comme à son habitude, Sean Phillips réalise des dessins dans une veine descriptive et réaliste, avec une impression de contours qui auraient mérité d'être un peu peaufinés. Mais en y regardant de plus près, le lecteur est impressionné par la précision des tracés sous une apparence de simplicité et d'évidence. L'artiste pèse chaque élément de chaque case. Les costumes sont choisis avec soin, en fonction du protagoniste, de sa personnalité, de sa position sociale, de son occupation. Le jeu des acteurs donne l'impression d'observer des individus croisés dans la rue, réagissant normalement et sans emphase aux situations dans lesquelles ils se trouvent, à ce qui leur est dit, avec un naturel confondant, tellement évident que le lecteur éprouve la sensation qu'ils sont juste à côté de lui. Il voit la dame sur la plage, réagir à la tension de la laisse du fait des mouvements du chien. Il regarde les participants au groupe de parole, notant leur regard se porter ailleurs alors qu'ils effectuent l'effort de mémoire pour se souvenir de ce qu'ils ont vécu, pour préparer leur prochaine phrase. Il se retrouve fasciné par le langage corporel d'Ellie alors qu'elle initie le jeu de la séduction avec Skip, en notant les tensions perceptibles dans le corps de celui-ci alors qu'il réagit inconsciemment aux signaux émis par Ellie. Il voit toute l'expérience acquise par la docteure dans sa mine désabusée, sa certitude qu'Ellie et Skip ne sauront pas faire preuve d'assez de discipline pour se débarrasser de leurs mauvaises habitudes. S'il n'y fait pas attention, le lecteur n'a même pas conscience de toutes les informations portées par les dessins, tellement ils semblent évidents et faciles.



Sean Phillips est tout aussi habile et élégant dans sa manière de représenter les décors. Il sait qu'il peut s'appuyer sur Jacob Phillips pour apporter des informations de texture ou de relief par le biais de la mise en couleurs. Il ajuste donc son degré de détails en fonction des besoins de la scène, avec comme objectif une lisibilité immédiate. Ainsi s'il regarde uniquement les traits encrés dans la scène d'introduction, il n'y a que quelques traits fins et des tâches noires qui ne semblent pas figurer grand-chose. Pourtant le lecteur voit l'eau miroiter, le sable crisser et l'humidité imprégner les rochers. La complémentarité entre couleurs et traits est tellement extraordinaire qu'il est possible de ne pas s'en rendre compte. Du coup le lecteur éprouve l'impression dans chaque scène de se trouver sur les mêmes lieux que les personnages quel que soit le degré de détails. Il peut très bien y avoir une façade représentée de telle sorte à percevoir le volume du porche, des escaliers, du balcon, que de simples traits pour les plis d'un drap, la sensation d'immersion est aussi intense. En outre, alors que le récit repose essentiellement sur les dialogues et la voix intérieure d'Ellie, la narration visuelle reste diverse et variée, à la fois pour les activités des personnages, à la fois pour les différents lieux. Le lecteur a l'impression de lire un roman avec les commentaires d'Ellie, en même qu'il lit les images, tellement la coordination entre scénariste et dessinateur est élevée. À l'opposé de textes et images redondants, le partage entre les deux est si bien pensé que qu'il ne se remarque pas et que les deux s'enrichissent et interagissent avec efficience. Il ne note qu'un seul faux pas : Jean-Paul Sartre se promenant sur les Champs Élysées, au milieu des fiacres, étrange anachronisme.



Le lecteur croit immédiatement en l'existence d'Ellie car il perçoit plusieurs aspects de sa personnalité, ses contradictions, ses convictions, ses plaisirs. La narration est ainsi faite qu'elle est en est le centre, en étant à la fois présente dans toutes les séquences, et avec les cartouches de texte portant sa voix intérieure. Même si cette histoire n'est pas inscrite par ses auteurs dans la série Criminal, le titre et le flux de pensée d'Ellie ne laissent pas de place au doute : ses actions la placent du mauvais côté de la loi. Le lecteur se prête au jeu d'interpréter ses phrases, ses actions et ses émotions en supposant qu'il y a anguille sous roche. Même si Ellie ne ressemble pas à une femme fatale, il n'y a pas de doute que la fréquenter nuit gravement à la santé. En outre, elle a acquis la conviction que l'usage de drogues récréatives est de nature à améliorer la vie. Elle s'est bâti toute une mythologie personnelle à partir des musiciens, surtout des chanteurs, ayant créé sous influence, en y ajoutant quelques artistes triés sur le volet comme Jean-Paul Sartre et Vincent van Gogh. Ed Brubaker sait de quoi il parle en matière de musiciens drogués, et a même pu en faire une sélection indicative de la personnalité d'Ellie : Vic Chesnutt (1964-2009), Keith Richards, Billie Holiday, Gram Parsons (1946-1973), Elliott Smith, David Bowie, Lou Reed, Brian Wilson. Il construit ainsi son personnage, indiquant que l'élément déclencheur a été une K7 audio de sa mère, et la confirmation est venue à l'écoute de Billie Holiday at Carnegie Hall (1956). Alors qu'il est entièrement accaparé par l'intrigue (découvrir l'objectif réel d'Ellie), le lecteur apprend des bribes de son enfance et les expériences qui ont façonné sa relation avec les produits psychotropes.



Ed Brubaker s'est fixé un défi déraisonnable : parler de l'usage de drogues récréatives au travers d'un personnage ambivalent. Il lui fait même énoncer le risque avec la citation de Keith Richards indiquant qu'il est impossible de parler de drogues sans supprimer son pouvoir de séduction ou de fascination. Même si le récit commence dans un centre de désintoxication, il n'y a pas de jugement moral, pas de leçon de morale. Il n'y a pas non plus de scène de défonce, ou de bad trip, ou encore de sevrage. La dépendance reste en arrière-plan, mais elle n'est pas totalement absente. Ellie et Skip ne sont pas encore à l'étape où toute leur vie est consacrée à atteindre la prochaine dose. Dans le même temps, ces 2 personnages principaux sont dans la fuite, le lecteur ne peut pas les envier. Ils sont consommateurs de drogue pour supporter leur condition, pour vivre des moments plus heureux que ceux que la réalité leur apporte. En outre, en focalisant le récit sur Ellie, Ed Brubaker donne l'image d'une personne uniquement intéressée par elle-même, incapable de se mettre à la place de l'autre.



Ed Brubaker & Sean Phillips sont toujours aussi en harmonie entre eux, réalisant une narration qui semble avoir été pensée et mise en œuvre par un unique créateur. L'artiste raconte visuellement l'histoire avec une simplicité et une évidence telles que le lecteur trouve tout naturel et crédible. L'histoire propose une véritable intrigue, avec des personnages complexes et attachants, sans être sympathiques. Au travers de l'histoire personnelle d'Ellie, les auteurs abordent la question de la fascination vis-à-vis de la drogue, de la manière dont un individu peut concevoir ce produit comme étant une source de plaisir désirable, avec une approche psychologique subtile et convaincante. Ils ne cherchent pas à convaincre le lecteur de la dangerosité ou de l'innocuité des produits psychotropes, ni à montrer leurs effets, juste comment un individu peut le voir comme une substance désirable, au-delà de ses effets euphorisants ou psychotropes.
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Kill or be killed, tome 3

Ce tome fait suite à Kill or be killed, tome 2 (épisodes 5 à 10) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2017, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Sean Phillips, avec une mise en couleurs réalisée par Elizabeth Breitweiser.



Dylan se tient dans la même villa que dans la scène d'ouverture du premier tome. Il a toujours son sweat à capuche, sou foulard rouge et un fusil à pompe avec qui il abat tous ceux qui apparaissent sur son chemin. Sa voix intérieure continue de relater les événements comme s'il les racontait à un interlocuteur invisible, se moquant de lui-même en traitant son récit de plus long flashback de l'histoire. Puis il évoque les 2 principaux événements du dernier tome : il ne prenait plus ses médicaments, et il était devenu obsédé par l'image d'un démon apparaissant dans plusieurs peintures de son père. Après 5 pages de carnage, le récit revient dans le passé, alors que Dylan est en consultation chez son médecin traitant, le docteur Mathers. Dylan promet de prendre régulièrement ses médicaments, et le médecin le prévient qu'il va surveiller qu'il aille bien les chercher. Après être sortie du cabinet, Dylan se fait la remarque qu'il ne pouvait pas tout lui dire, en particulier pas ses activités de vigilant.



Dans le même temps, Dylan a écrit une lettre ouverte à la presse pour indiquer qu'il cessait ses activités de vigilant à New York. Il a effectivement pu constater que le dispositif policier déployé s'était progressivement allégé jusqu'à disparaître. Il a renoué de manière amicale avec Kira, et laissé tomber Daisy suite à son utilisation non consentie des peintures de son père. Le mois de septembre est ainsi passé, sans exécution sommaire, sans apparition du démon. Mais en souffrant d'une violente crise de maux de ventre avec vomissement en octobre, Dylan s'est remis à repenser aux peintures avec ce démon, à s'interroger sur la raison pour laquelle il n'en avait aucun souvenir, à se demander s'il ne lui était pas apparu en septembre parce qu'il avait tué 2 personnes en août. Loin de se tasser, les choses ont empiré quant à l'occasion d'Halloween, il surprend un individu à l'accent russe poser des questions sur un certain Dylan dans un bar où il se trouve.



Dès la première séquence, Ed Brubaker continue de jouer avec le lecteur. L'histoire revient donc à la séquence d'ouverture du premier tome comme si de rien n'était, comme si rien ne s'était passé, reprenant même des plans à l'identique. Pendant ce temps-là la voix intérieure de Dylan indique qu'il s'agit certainement du plus long flashback de l'histoire de la narration, mettant en avant l'outil narratif utilisé, le tournant en dérision, s'en moquant, comme une forme de commentaire narquois sur ce principe. Effectivement, les auteurs prennent soin de commencer chaque épisode par une scène d'action plus ou moins conséquente et généralement bien violente. En fait ce truc narratif est présent dès les couvertures de ces 5 épisodes. Chacune représente Dylan avec son hoodie et son foulard lui masquant le visage, en train de faire feu dans des directions différentes, avec en arrière-plan des immeubles et un fond rouge pour attiser l'excitation. Les peintures de Sean Phillips donnent l'impression de contempler un gros excité qui tire à tort et à travers, complètement enivré par le fait de manier une arme à feu.



Les auteurs conservent donc cette étrange forme narrative dans laquelle le personnage principal rend le lecteur complice de ce qu'il raconte. Ils continuent également à faire usage de mises en forme sortant de l'ordinaire, sans en abuser. Ainsi le lecteur retrouve la construction de page sous la forme d'un partage en 2 colonnes, l'une occupant le tiers de la largeur de la page et comportant plusieurs phrases tout en restant aérée, les 2 autres tiers comportant des images soit sous forme illustrative, soit constituant une séquence. Il s'agit la plupart du temps d'un moment où Dylan est en train de réfléchir en même temps qu'il absorbe des informations (par exemple en lisant) ou après en avoir assimilées. Le nombre limité de pages concernées évite que cela ne devienne un artifice systématique, lui conservant tout son sens. Dans ce tome, les auteurs utilisent un dessin en pleine page, essentiellement constitué du texte que Dylan envoie au média pour annoncer l'arrêt de la carrière du vigilant. À nouveau cette forme particulière s'insère naturellement dans la narration. Phillips & Brubaker utilisent également à nouveau un dessin pleine page sous forme de peinture, pour reproduire l'un des tableaux réalisés par le père de Dylan pour servir d'illustration à un roman de genre bon marché. Cette forme s'avère parfaitement intégrée et appropriée pour produire le décalage nécessaire entre le récit au temps présent et cette œuvre à la portée troublante. Phillips est également amené à réaliser quelques dessins au crayon d'une femme en peau de bête laissant sa poitrine à l'air une lance à la main, comme s'il s'agissait de ceux du père de Phillips. Brubaker réussit un moment d'humour très pénétrant, lorsque la mère de Dylan lui annonce que c'est elle qui a servi de modèle pour son père. Phillips & Brubaker s'amusent également avec le déguisement (assez basique) de Dylan lors d'Halloween : il porte un masque de Richard Nixon.



Comme dans les tomes précédents, la mise en couleurs d'Elizabeth Breitweiser traduit un parti pris artistique qui vient compléter les dessins. Le lecteur retrouve les couleurs verdâtres pour la nuit, des utilisations de teintes rose ou orangée inattendues, mais qui ne se remarque que si l'on y prête attention. Avec discrétion, elle joue sur les nuances pour installer une couleur dominante (mais discrète) par scène, renforçant ainsi leur unité. Le lecteur n'en prend réellement conscience que lors de la scène dans boîte de nuit avec un rose orangé très pop. Sean Phillips épate à nouveau le lecteur par la fluidité de sa narration qui rend toutes les scènes évidentes. Pourtant, en prenant un peu de recul, Ed Brubaker ne lui facilite pas le travail, et Phillips se montre un metteur en scène de grande expérience pour rendre visuellement intéressant aussi bien une scène de tuerie à l'arme à feu pendant 5 pages d'affilée, une visite chez le médecin, une scène de dialogue dans le milieu confiné de l'habitacle d'une voiture, ou encore Dylan en train de farfouiller dans les cartons des affaires de son père, dans le grenier du pavillon de sa mère. Sean Phillips met toutes ses compétences au service de la narration, proscrivant toute image de type posée, ou spectaculaire. Il n'empêche que le lecteur ressent toute la force d'évocation des images dans différents types de scène. Il a l'impression de se tenir aux côtés de Kira et Dylan quand ils se promènent dans Central Park. Il se concentre comme s'il était Dylan assis dans sa voiture en train d'observer les va et vient une épicerie spécialisée dans les fruits & légumes. Il ressent la conviction intime de Dylan gagner en force, au fur et à mesure qu'il discute avec le parrain russe, dans son salon luxueux. Les dessins de l'artiste apportent une rare conviction à l'histoire.



Au fur et à mesure des séquences, le lecteur se rend compte qu'il attend beaucoup de ces nouveaux épisodes. Il guette attentivement les références culturelles approximatives de Dylan. Il n'est pas déçu quand le personnage évoque de manière imprécise le film The Edge : À couteaux tirés (1997) de David Mamet, quand il découvre le déguisement de Kira pour Halloween, ou encore quand il essaye de formuler approximativement l'un des principes de L'art de la guerre (VIème siècle avant Jésus Christ) de Sun Tzu. Le lecteur compte bien avoir sa dose de violence ; il est comblé avec le carnage perpétré par Dylan contre les russes. Il espère que Dylan devra faire preuve d'anticipation pour commettre ses meurtres. Là encore Brubaker a préparé un plan en plusieurs étapes qui dépasse les attentes du lecteur. Il guette le développement de la vie personnelle de Dylan. Comme amorcé dans le tome précédent, Kira et lui entame un nouveau mouvement de rapprochement, mais en prenant des précautions.



Ce rapprochement affectif entre Kira et Dylan participe également à l'évolution de Dylan. À l'évidence, Mason ne peut pas se réjouir en se rendant compte que son ancienne amoureuse se met à la colle avec son colocataire, et qu'elle va revenir pour partager quelques nuits agitées avec lui, remuant le couteau dans la plaie de s'être fait larguer par elle. C'est l'occasion de montrer comment Dylan réagit quand Mason essaye de lui imposer que Kira ne vienne plus dans l'appartement. Bien sûr le lecteur attend également de savoir comment la santé mentale de Dylan va évoluer maintenant qu'il reprend ses médicaments. Effectivement il retrouve une forme de stabilité, et de capacité de réflexion qui le conduit à reconsidérer la nature de ce démon, avec une approche plus rationnelle. Dylan se demande donc comment il a pu oublier qu'il avait vu ce démon dans les illustrations réalisées par son père. Le lecteur sent que Brubaker oriente donc son récit dans un sens : Dylan a commis une partie de ses forfaits sous l'emprise d'une forme de démence provoquée par l'absence de la prise de ses médicaments. Il s'attend donc à assister à une révision des faits à la lumière de cette forme de trouble mental. C'est bien mal connaître le scénariste qui assène une révélation qui remet tout en cause à la fin du tome, avec la mention d'un autre membre de la famille de Dylan.



L'horizon d'attente du lecteur ne s'arrête pas là ; il espère également revoir d'autres personnages. Kira est bien présente, ainsi que la mère de Dylan, mais il se demande pourquoi Lily Sharpe (inspectrice de police) n'apparaît que le temps d'une case. D'un autre côté, ces 5 épisodes contiennent tellement de choses qu'il ne peut pas en vouloir aux auteurs de ne pas en avoir mis encore plus. Dès le premier tome, l'histoire est racontée du point de vue de Dylan, un jeune homme avec un regard pessimiste sur l'humanité et la société. À nouveau ce tome est l'occasion de découvrir d'autres facettes de sa façon de penser. Cela commence avec une leçon sur le fait que ce qu'un homme peut faire, un autre homme peut le faire, en particulier tuer quelqu'un. Cela continue avec le poids psychique que représente le fait qu'un ou plusieurs membres de sa famille se soit suicidé, de s'interroger pour savoir si cela relève d'un défaut psychologique inscrit dans les membres de la famille. Tous les constats ne sont pas noirs. Dylan a également pris conscience que chaque moment de la vie est précieux, car ils sont tous éphémères. Il s'amuse lui-même que son enquête l'amène dans un club de striptease. Il sourit intérieurement quand Tino s'avère être un piètre dragueur et qu'en plus il essaye de séduire une femme que Dylan identifie comme étant une lesbienne.



Régulièrement, le lecteur se rend à quel point cette histoire de vigilant comporte des éléments subtils à côté desquels il est possible de passer. L'état d'esprit pessimiste de Dylan semble bien s'être nourri de ce qu'il a pu observer au cours de sa vie, en particulier quand il était encore enfant. Ainsi une anecdote sur le racket subit par son père quand il avait ouvert un studio d'artistes semble nourrir l'histoire personnelle de son père, mais elle sert aussi à alimenter la conception de la vie de Dylan. Dans le dernier épisode, Phillips et Brubaker montrent Kira et Dylan confortablement installés dans la chambre de ce dernier, avec une proximité physique. Ils montrent aussi que l'un et l'autre tout en se parlant, pensent à des choses totalement différentes et ne s'écoutent pas vraiment, ne sont pas attentifs l'un à l'autre. La mise en scène montre avec élégance cette éloignement des êtres, même s'ils sont physiquement proches.



Ce troisième tome déstabilise au départ, avec la narration qui semble se moquer d'elle-même, tournant en dérision les procédés narratifs comme le flashback utilisé, se moquant presque du lecteur qui s'est ainsi laissé embarquer. Mais ce dernier oublie bien vite cette particularité, totalement embarqué par une narration visuelle aussi sophistiquée et habile que discrète, et par un scénario qui comble ses nombreuses attentes. Il se rend compte que plus le récit avance, plus il s'attache aux 2 personnages principaux, l'intrigue devenant presque secondaire.
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Velvet, tome 3 : L'homme qui vola le monde

Ce tome fait suite à The secret lives of dead men (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Il faut impérativement avoir commencé par le premier tome pour comprendre l'intrigue et les relations entre les personnages. Il comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2015/2016, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Steve Epting, avec une mise en couleurs réalisée par Elizabeth Breitweiser. Ce tome conclut l'histoire commencée dans le premier tome de manière satisfaisante.



Ce tome commence par 4 pages consacrées à Maximillion Dark, un agent secret américain plus cool que James Bond : il tire à bout portant sur des gardes, il s'enfuit à bord de son coupé, il passe ses vacances sur une plage paradisiaque, il emballe de magnifiques mannequins. Pas de bol : c'est lui que Velvet Templeton a choisi de contacter. Elle lui explique qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des espions, et qu'elle recherche toujours le coupable du meurtre de l'agent Jefferson Keller (X-opérateur 14). Elle lui demande de lui récupérer le dossier de Frank Lancaster.



Avant de prendre contact avec lui, Velvet Templeton a travaillé pendant 3 mois dans un cabinet comptable parisien pour retrouver la trace d'une entreprise appelée Titanic Holding, sur laquelle ont enquêté Keller et Lancaster. À partir de là, elle en a retrouvé le comptable qu'elle a manipulé pour pouvoir revenir à New York bien qu'elle soit recherchée par les services secrets. À New York, elle retrouve Maximillion Dark et commence un jeu de dupes, le manipulant en sachant qu'il la manipule. Colt, l'agent anglais, est également à sa recherche. Damian Lake est toujours dans la nature.



Suite et fin de la première histoire mettant en scène Velvet Templeton : elle et Ed Brubaker continuent de jouer un jeu dangereux. Le scénariste reste dans le genre espionnage dans les années 1970, en en utilisant les codes et les conventions. Les différents agents secrets clopent à raison d'au moins un paquet par jour, et le plus class fume le cigare. Ils voyagent en avion (un moyen de transport moins accessible à l'époque), ou dans des voitures haut de gamme, et peuvent séjourner sur un yacht privé. L'alcool ne coule pas à flot, mais il est consommé régulièrement. Il arrive que les hommes portent des costumes de marque et que les femmes portent de belles toilettes.



Une partie de l'attrait du récit réside donc dans la recréation de cette époque, par le prisme déformant des déplacements et des actions de ces espions. Comme dans les 2 tomes précédents, Steve Epting apporte un grand soin à représenter les éléments d'époque. Cela se voit immédiatement dans les modèles de voiture, en particulier une belle Pontiac, ou la Triumph de Maximillion Dark. Comme dans le tome précédent, l'intrigue fait en sorte que ces espions se déplacent dans différents endroits du globe. L'artiste s'en donne à cœur joie pour les décrire avec quelques clins d'œil. Il y a par exemple Maximillion Dark étendu sur sa serviette de plage, avec une dame en bikini blanc qui sort de l'eau, comme Ursula Andress dans James Bond contre Dr No. À plusieurs reprises, un agent secret pointe une arme à feu, le bras tendu, vers son interlocuteur pour le tenir en respect, parfois en pointant son arme directement vers le lecteur. Velvet Templeton fait à nouveau usage de sa combinaison avec des ailes pour planer dans le ciel.



Steve Epting apporte le même soin à représenter les différents endroits, avec réalisme. Le lecteur peut ainsi bronzer sur une plage de sable clair, apporter des documents au patron du cabinet comptable, se promener dans Grammery Park, déambuler dans une rue en admirant les affiches pour Aladdin Sane, prendre un repas dans un restaurant de luxe, marcher dans une voie de métro, papoter dans la bibliothèque d'un grand appartement. Ces endroits sont représentés avec des détails les rendant aussi spécifiques que concrets, sans que les dessins ne soient pour autant surchargés. Ils bénéficient de la mise en couleurs naturaliste d'Elizabeth Breitweiser. De manière discrète, elle rend compte de la couleur réelle de chacun des éléments. Elle n'ajoute pas des dégradés pour accentuer le relief de chaque surface (les traits encrés d'Epting étant suffisant), mais elle travaille tout en retenue avec quelques nuances pour rendre compte des variations lumineuses. Elle utilise plutôt des teintes sombres, la majeure partie du récit se déroulant le soir ou de nuit.



Toujours pour rester dans cette veine réaliste, Steve Epting dessine des personnages adultes, dans des postures maîtrisées, sauf bien sûr lors des scènes d'action. Dans ces dernières, il prend soin de représenter des positions possibles et cohérentes avec les mouvements effectués. Velvet Templeton dispose d'une silhouette de personne en bonne forme physique, avec des traits de visage un peu durs, sauf lorsqu'elle est dans une opération de séduction. Elle effectue des gestes mesurés de professionnelle, sans énergie perdue. Elle en impose par son sérieux et ses capacités. En fonction des séquences, l'artiste peut insister un peu sur les traits de son visage ou sur des expressions plus dures pour attester de son âge, un peu plus de la quarantaine. Le lecteur n'éprouve ainsi aucune difficulté à croire dans l'existence de cette femme remarquable. Les autres protagonistes sont traités avec le même sérieux et le même professionnalisme. Epting fait attention à montrer que Rachel Tanner est plus jeune, avec une peau de visage plus lisse, et que Damian Lake est plus âgé, avec des rides apparentes. La richesse des dessins n'en obère pas la lisibilité et présente, à la vue du lecteur, un monde bien réel et concret en cohérence avec la nature du récit.



Pour cette troisième partie, Ed Brubaker montre comment Velvet Templeton essaye de démêler le vrai du faux, dans ce monde d'agents secrets, d'agents doubles et d'agents triples, sans parler des supérieurs hiérarchiques aux motivations troubles, et des organisations aux objectifs indiscernables. Pour ce faire, elle n'a d'autre moyen que d'utiliser ceux de ses opposants : la manipulation et la désinformation, en s'appuyant sur des opérations clandestines. Le lecteur attend donc d'être mené en bateau, de devoir se méfier de chaque déclaration pour essayer de deviner les objectifs réels sous-jacents, tout comme la protagoniste. Mais il veut également pouvoir comprendre et suivre l'intrigue sans que sa lecture ne se transforme en un exercice intellectuel ardu qui exige de prendre de notes et de faire des diagrammes, en intégrant les variations de ce que savent les personnages au fil du temps passe, sans compter que ce qu'ils savent peut être vrai ou faux. Le scénariste réussit à satisfaire les attentes du lecteur, et à conserver un caractère divertissant à son récit, sans devenir fastidieux. Pour ce faire, le lecteur a accès aux pensées de Velvet Templeton dans des phrases brèves présentées dans des petits encadrés. Ainsi il peut comprendre la stratégie de l'espionne, savoir comment elle a évalué la situation (par exemple la fiabilité de Maximillion Dark), et pourquoi elle agit comme elle le fait. Il partage également ses doutes, et son incertitude sur un certain nombre de variables qu'elle ne maîtrise pas.



Ed Brubaker se montre tout aussi adroit dans la narration de son intrigue. Il avait dévoilé dans le tome précédent l'existence d'une conspiration de grande ampleur. Il arrive à la mener jusqu'à son terme, sans qu'elle ne vire au grand n'importe quoi. Le lecteur comprend enfin pourquoi il a situé son récit en 1973, avec une explication limpide et évidente. Il écrit son récit avec la froideur voulu par cet environnement cynique et pragmatique des espions poursuivant chacun leur mission, sans trop se poser de question sur leur moralité, ou sur le but final. Il écrit des scènes de dialogue où chaque mot cache forcément 2 ou 3 autres intentions et a pour objectif de manipuler. Les personnages deviennent des pions dans le jeu auquel ils jouent, perdant leur identité, n'ayant plus de valeur, pour les autres comme pour eux-mêmes, que pour leur compétence. L'intrigue est sinueuse à souhait et imprévisible. Les conventions du genre espionnage sont présentes dans toutes leurs caractéristiques, et complètement intégrées au récit le servant plutôt que d'être des fins en soit. Le dénouement est intelligible, à la hauteur du suspense, de grande envergure tout en restant parfaitement logique et proportionné au récit.



Ces 15 épisodes forment une histoire complète délicieuse, un hommage aux premiers films de James Bond, avec moins de gadget et avec un personnage principal moins stéréotypé. Ils embrassent toutes les conventions du genre espionnage en les utilisant à bon escient. Steve Epting réalise des planches réalistes, avec une ambiance crépusculaire et des personnages avec un excellent jeu d'acteur. L'intrigue emmène le lecteur dans un monde où tout le monde joue au moins double jeu, toujours plus profond dans un complot aux ramifications mondiales, sans jamais perdre le lecteur, avec des scènes d'action réglées au millimètre près. Du grand art !
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Avengers VS X-Men

Cette histoire a été publiée sous plusieurs formats. L'édition AvX Marvel Comics (ISBN 0785163174, 568 pages) regroupe les épisodes 0 à 12 de la série AvX, ainsi que les épisodes AvX infinite 1, 6 et 10, et les épisodes 1 à 6 de la minisérie "AvX : Vs.". L'édition AvX Panini (ISBN 1846535182, 372 pages) comprend la série mère (épisodes 0 à 12). Le tome Avengers Vs. X-Men : Vs. (ISBN 0785165207, 160 pages) contient les 6 épisodes de la minisérie "Vs.".



AvX 0 à 12 - Nova (Sam Alexander, une nouvelle incarnation du personnage dont c'est la première apparition) est en route vers la Terre pour prévenir les superhéros que la force Phénix se dirige également vers la Terre. Scarlet Witch (Wanda Maximof) est de nouveau une superhéroïne active, mais les retrouvailles avec les Avengers sont peu chaleureuses. Sur Utopia, Hope refuse d'être cantonnée au rôle de futur messie à choyer, à protéger et à surentraîner. Les Avengers prennent conscience du retour de la force Phénix vers la Terre et Wolverine leur apprend que Scott Summers est persuadé que Hope est destinée à être la prochaine récipiendaire de cette force. Captain America se rend sur Utopia pour demander à Cyclops de confier Hope aux autorités pour prendre toutes les précautions nécessaires afin d'éviter la destruction qui accompagne le phénix. Scott Summers est persuadé que le retour du phénix annonce plutôt une phase de renaissance, en particulier la revivification du gène mutant. Il estime qu'Hope est le seul espoir pour que de nouveaux mutants apparaissent sur Terre, pour la survie de la race des mutants. Le conflit est inévitable.



C'est le grand aboutissement de plusieurs années d'événements éditoriaux dans l'univers Marvel. Tout a commencé avec Avengers disassembled en 2004. Puis les bouleversements se sont enchaînés : House of M en 2005, X-Men: Messiah Complex en 2007, Second coming en 2010, The Children's crusade en 2011, et Schism en 2011. C'est l'apothéose du mode de rédaction en comité. Les responsables de publication de Marvel organise chaque année 1 ou plusieurs réunions de travail avec les scénaristes responsables des séries les plus importantes, pour définir les grands événements à venir dans l'univers Marvel, qu'il s'agisse de crossover ou d'une histoire ayant des répercussions dans plusieurs séries. Jusqu'alors la rédaction d'une série événementielle impactant tout l'univers partagé Marvel était confiée à 1 scénariste, et la coordination avec les séries régulières était assurée par les responsables éditoriaux. Ici, ce modèle est abandonné au profit d'une coordination plus ambitieuse. La série AvX est écrite par Brian Michael Bendis (épisodes 0, 1, 8 et 11), Jason Aaron (épisodes 0, 2, 9 et 12), Ed Brubaker (épisodes 3 et 10), Jonathan Hickman (épisodes 4 et 6), et Matt Fraction (épisodes 5 et 7), soit 5 scénaristes différents.



De la même manière, la série est illustrée par plusieurs équipes : Frank Cho (0), John Romita junior (dessins, en abrégé JRjr) et Scott Hanna (encrage) pour les épisodes 1 à 5, Olivier Coipel (dessins) et Mark Morales (encrage) pour les épisodes 6, 7 et 11, Adam Kubert (dessins) et John Delle (encrage) pour les épisodes 8 à 10 et 12).



La surprise : le récit se tient très bien et présente plusieurs épisodes qui laissent le lecteur accroché à son siège. Durant les épisodes 1 à 4, le récit peine à décoller du fait de l'ampleur de l'intrigue. Les scénaristes font de leur mieux pour mettre en branle une histoire qui met en jeu 28 Avengers, 47 X-Men, et 5 superhéros aux allégeances délicates (à commencer par Wolverine et Beast qui sont dans les 2 équipes). Le temps de remettre en place les morceaux de continuité depuis "Disassembled" et de placer chaque personnage sur l'échiquier, 4 épisodes sont déjà passé. JRjr effectue un découpage de planche très clair et efficace, très aéré pour que chaque personnage ait sa place, que personne ne se marche sur les pieds. Il insère les scènes spectaculaires de destruction massive attendues. Par contre il semble dessiner très vite et les postures des personnages ressemblent à des cases qu'il a déjà dessinées de nombreuses fois.



Passé ces épisodes introductifs, une fois l'inertie vaincue, le récit offre une cohérence impressionnante, des scènes d'action remarquables, plusieurs moments intenses, et l'aboutissement satisfaisant de plusieurs évolutions. Pour n'en citer qu'un, il faut parler de Scott Summers, chef de la nation mutante depuis plus années qui voit enfin la possibilité de sauver son peuple. Si vous avez suivi (et accepté) la maturation de ce personnage depuis Manifest destiny, vous aurez le plaisir de lire la résolution de ses prises de position et de responsabilités.



Du point de vue des créateurs, il est difficile de mettre en avant l'un ou l'autre dans la mesure où chacun se retrouve avec un bout d'histoire plus ou moins facile à écrire. Certains épisodes sortent du lot malgré tout, comme ceux écrits par Hickman (qui profite de toute la mise en place réalisée par ceux d'avant). De la même manière, parmi les dessinateurs, certains sont plus percutants que d'autres (Coipel et Kubert). Une fois passé les dessins peu agréables à l'oeil de JRjr, la suite se lit toute seule, avec de très belles pages de Coipel et quelques visuels très réussis de Kubert.



Si le décollage du récit est poussif, l'atterrissage manque également un peu de surprise dans les résolutions majeures, à savoir le devenir de la force Phénix, les rôles de Scarlet Witch et Hope. Par contre, pour le reste, c'est-à-dire les changements apportés aux Avengers, aux X-Men, ils sont significatifs et crédibles, et le statu quo a vraiment changé. 4 étoiles.



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AvX : versus (dans l'édition Marvel) - Il s'agit donc de 6 épisodes consacrés uniquement aux batailles entre superhéros, rien de plus (2 par épisode, réalisées par des scénaristes et dessinateurs différents). À ma grande surprise, ces épisodes sont très agréables à lire car ils prolongent le plaisir de la lecture et les auteurs y introduisent un léger second degré qui apporte juste ce qu'il faut de recul par rapport à ces récits régressifs. Le lecteur a également le plaisir de constater que ces affrontements ont été confiés à Aaron, Kathryn Immonen, Kieron Gillen, Loeb, Chris Yost, Rick Remender, Fraction, Bendis, pour les scénaristes. Coté dessinateurs, il découvre les planches d'Adam Kubert, Stuart Immonen, Steve McNiven, Salvador Larroca, Ed McGuinness, Terry Dodson, Brandon Peterson, Leinil Francis Yu, Jim Cheung, etc. Par contraste les 3 épisodes estampillés Infinity font pale figure et n'apporte pas grand-chose.



Le tome édité par Marvel se termine avec la reproduction des couvertures variantes en quart de page (43 couvertures au total), un article sur la coordination des dessinateurs avec plusieurs crayonnés et des tableaux de score pour chaque bataille entre superhéros.



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AvX constituent l'aboutissement d'années de continuité, d'évolution de personnages et de la position de la communauté des mutants dans l'univers partagé Marvel. D'un coté il peut s'agir de ce que les comics de superhéros peuvent offrir de plus hermétique : que des superhéros qui se battent entre eux (pas de supercriminels, pas de civils) pour des motifs quasi incestueux compréhensibles uniquement par des lecteurs initiés maîtrisant plusieurs années de continuité au travers de plusieurs séries. Évidement comme dans les autres "événements" de cette ampleur, une case peut parfois résumer un épisode d'une série annexe, et certaines transitions sont fort abruptes dans la mesure où les événements intermédiaires se sont déroulés dans un épisode d'une série mensuelle. Ces lecteurs ne verront dans ce crossover qu'un prétexte marketing destiné à relancer plusieurs séries avec un nouveau numéro 1 artificiel sous l'appellation "Marvel NOW !".



D'un autre coté, cette histoire profite pleinement du dispositif d'univers partagé et de la riche mythologie qui y est associée pour proposer un grand spectacle aux effets spéciaux illimités, et aux ressorts dramatiques très classiques (à commencer par le recours à la maxime de Lord Acton). En fonction de ce que le lecteur est venu chercher, il pourra être rebuté par cette guéguerre incestueuse entre gugusses déconnectés de toute réalité, ou au contraire emporté dans ce tourbillon d'énergie et de résolutions de conflit par la force pour un récit de grande ampleur s'appuyant sur une mythologie développée sur plusieurs années.
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Sleeper, Tome 2 : Tous les faux mouvements

Ce tome fait suite à Seul contre tous (épisodes 1 à 6) et il constitue la deuxième moitié de la première saison. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement paus en 2003/2004.



Holden Carver (Conductor) est maintenant bien installé dans l'organisation de Tao (un de ses 3 seconds les plus proches) et il a noué une relation durable (un peu particulière) avec Gretchen MacDonald (Miss Misery). Mais un soir, près d'un de ses lieux de résidence, il découvre le signal que quelqu'un d'IO (le service de contre-espionnage pour le compte duquel il a infiltré l'équipe de Tao) souhaite prendre contact avec lui. Impossible ! La seule personne au courant de sa mission (John Lynch) est toujours dans le coma. Carver se rend au rendez-vous, sans se montrer pour découvrir l'identité de ce contact inespéré (à moins qu'il ne s'agisse d'un piège tendu par Tao). Au sein de l'organisation, il doit toujours se défier de Peter Grimm convaincu qu'il cache quelque chose. Or l'une des taupes de Tao (au sein d'IO) apprend qu'il y aurait une taupe dans l'organisation de Tao.



Ed Brubaker se montre d'une habilité surnaturelle pour raconter son histoire. Il continue d'utiliser avec modération le flux de pensées intérieur de Carver pour faire passer les sentiments et les émotions du personnage, et expliciter les risques qu'il estime courir. La force de Brubaker réside dans sa capacité à concocter un récit d'espionnage, avec agent double (ou peut-être triple), incertitude quant à l'allégeance réelle de quelques uns, motifs indiscernables de Tao, plan de secours, situations intenables, sans jamais perdre le lecteur. Dans ce monde d'agents secrets, le lecteur n'a jamais besoin de retourner en arrière pour se souvenir de qui est quel personnage, ou quelle est son allégeance réelle ou feinte. Le récit reste toujours intelligible et d'une limpidité exemplaire. Les personnages n'ont pas besoin de se parler à eux-mêmes et à haute voix pour expliquer la nature des risques potentiels qu'ils encourent.



Tout aussi remarquable, cette narration limpide n'est pas synonyme de superficialité ou de simplisme. L'histoire est dense, le suspense aussi. Ed Brubaker intègre les machinations des uns et des autres dans des intrigues directement liées à la position intenable de Carver, mais aussi aux agissements de Tao. Alors que le lecteur serait en droit de craindre que l'absence de lisibilité dans les objectifs de Tao rende cette partie du récit artificielle ou absconse, elle permet au contraire de montrer que Carver est un simple exécutant sur un échiquier, déplacé puis abandonné comme un pion par Lynch. Carver continue également de s'interroger sur ce qu'il est vraiment. Il ne fait plus qu'exécuter les missions (y compris les meurtres) commanditées par Tao. Il doit accepter qu'il soit devenu ce qu'il voulait combattre, sans espoir de pouvoir s'en sortir. Comme dans les meilleurs romans d'espionnage, Brubaker montre comment le personnage principal est changé par les actions qu'il effectue, comment l'écart se creuse entre ce qu'il est vraiment (par ses actions), et la façon dont il se conçoit (dans son esprit). Les amateurs de l'univers partagé Wildstorm auront le plaisir de retrouver un personnage connu : Marc Slayton (Backlash), superhéros ayant fait partie de Team 0, Team 1 et Team 7, et apparu pour la première fois dans la série Stormwatch.



Il revient à Sean Phillips de donner corps à cette ambiance paranoïaque, de rendre intéressant visuellement les dialogues et de créer des endroits plausibles pour ces rencontres clandestines. Il utilise un style sans fioriture à destination des adultes. Il ne cherche pas à faire joli, les visages sont mangés par des zones de noir anguleuses, représentés par quelques traits grossiers et rapides. Les rares lignes bien courbes sont celles qui délimitent la silhouette de Gretchen MacDonald. La violence est sèche et rapide, sans glorification, sans attrait romantique. Les scènes d'acquisition de superpouvoirs (pour Byron Jones et Tao) sont dans un style plus simple, sans aplats de noir, créant une distance sarcastique avec ce que raconte le personnage. Alors que les visages donnent l'impression d'être esquissés vite fait, le lecteur se rend compte que les traits de Phillips sont précis puisqu'ils arrivent à bien transcrire les émotions des personnages, ajoutant des informations visuelles sur leur état d'esprit. Il reste quand même quelques scènes de dialogues où Phillips n'est pas loin de se cantonner à des cases comprenant uniquement des têtes parlantes. Mais globalement, l'ambiance noire et oppressante est bien là, rendant compte de l'impossibilité pour les protagonistes, de savoir vraiment ce que pense ou ce que va faire son vis-à-vis.



Cette deuxième moitié de la première saison est à la hauteur de la première et elle ne déçoit en rien. Ed Brubaker sert de guide épatant pour une plongée dans les eaux troubles du contre-espionnage à haut risque, avec une évolution inéluctable de l'état d'esprit du personnage principal dont les convictions sont mises à mal. Sean Phillips utilise un vocabulaire visuel qui permet au lecteur de s'enfoncer dans le quotidien anxiogène d'Holden Carver, entouré de personnages aux motifs indiscernables, à l'animosité masquée mais indubitable. Les épreuves d'Holden Carver se poursuivent dans Une ligne brisée (saison 2, épisodes 1 à 6).
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Fatale, tome 5 : La Malédiction du démon

Ce tome contient les épisodes 20 à 24, initialement parus en 2014, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Sean Phillips, avec une mise en couleurs d'Elizabeth Breitweiser. Il s'agit du dernier de cette série qui constitue une histoire complète.



La séquence d'ouverture se situe en janvier 2014 : Jo abat froidement 3 membres du culte satanique, puis s'en retourne à son motel. Elle se souvient de sa première tentative de suicide en 1935. Elle réussit ensuite à récupérer Nicolas Lash et l'emmène chez un vieil homme prénommé Otto disposant d'une bibliothèque ésotérique de grande ampleur.



Une autre séquence permet de découvrir les origines de l'aveugle à la tête dudit culte, en 1906 à San Francisco. Enfin le conflit opposant Jo au culte trouve une résolution.



Comment ça, c'est déjà fini ? Avec les 3 précédents tomes, Ed Brubaker et Sean Phillips avaient mis en scène avec une habilité diabolique le poids de la séduction de Josephine. Certes, cette femme dispose d'une beauté à couper le souffle, rehaussée par un sort magique, mais en filigrane, il s'agissait bien de la condition féminine, et de la propension des hommes à regarder les femmes comme autant de conquêtes sexuelles potentielles. C'est donc avec un petit pincement au cœur que le lecteur prend conscience que le temps de la résolution est déjà venu.



Cela ne veut pas dire que le thème de la séduction a disparu. Jo fait usage à plusieurs reprises de son ascendant sur la gente masculine, à la fois pleine de remords pour ces vies brisées, mais aussi fermement décidée à mettre un terme à ces horreurs. Au fil de l'histoire de l'ascension du Maître du culte, le lecteur contemple la toute puissance masculine en action, conquérante par la force, et expansionniste au mépris des autres. De son côté, Josephine n'est pas mal non plus dans l'abus de son pouvoir de séduction, laissant derrière elle des épaves, des hommes devenus dépendant de l'intensité de leur relation à cette femme.



Ed Brubaker relie ses différents fils narratifs avec fluidité, levant le voile sur les différents mystères subsistant depuis le début du récit. La résolution est claire et nette, satisfaisante. Il écrit plusieurs scènes mémorables, divertissantes et inattendues. Le lecteur retrouve ce mélange d'action, d'horreur, de crime, et de séduction. Brubaker continue de jouer un peu avec le type de narration, en particulier pour le début du dernier chapitre qui se présente sous la forme d'un conte avec un hibou blanc et des dragons.



Le lecteur retrouve également les dessins faussement esquissés de Sean Phillips, en fait des compositions savantes réalisées avec un coup de crayon donnant une sensation de spontanéité. Phillips a lui aussi l'occasion de jouer avec la forme, qu'il s'agisse de quelques pages avec des cases de la hauteur de la page, ou en forme de parallélogramme. Il illustre le conte, avec des dessins évoquant vaguement des vitraux. Il joue également avec la couleur, pour 2 ou 3 cases dans lesquelles les couleurs sont pixellisées (avec l'aide d'Elizabeth Breitweiser). À chaque fois ce changement d'apparence participe à la narration pour accompagner ou montrer un changement d'environnement. Il insère également un ou deux clins d'œil visuels, telle Josephine se tenant sur le rebord d'une fenêtre pour sa septième tentative de suicide (évoquant Harold Lloyd).



À nouveau la composante sexuelle est présente de manière naturelle dans le récit, que ce soient les relations de Josephine avec quelques partenaires, ou même une partie fine. Ed Brubaker intègre des nuances dans ces relations : le plaisir dépourvu de culpabilité du tome précédent a disparu, laissant la place à des relations plus calculées. Sean Phillips alterne le mode de représentation en fonction des scènes. Josephine apparaît nue à plusieurs reprises (et représentée de face), mais avec un érotisme moindre que dans le tome précédent. Pour une raison indiscernable, Phillips choisit de masquer les tétons et les poils pubiens des autres femmes dans la scène d'orgie de l'épisode 21. Ce choix déroute dans la mesure où il ne semble pas imposé par la nature de la séquence, et où il ne fait pas sens par rapport à la nudité entière de Josephine dans d'autres scènes.



La lecture du premier tome laissait supposer qu'Ed Brubaker et Sean Phillips allaient se contenter de rendre hommage aux monstres lovecraftiens et aux femmes fatales, dans un récit sophistiqué, maîtrisant les conventions narratives de ces 2 genres, avec une maestria impressionnante. La presse spécialisée comics s'est faite écho de la décision de Brubaker d'étendre son histoire au-delà de la dizaine d'épisodes prévus initialement. Cette extension a permis aux 2 créateurs de développer le personnage de Josephine et les conséquences de sa condition de femme fatale, bien au-delà des conventions du genre pour explorer une composante de la condition féminine complexe, devoir vivre avec la pression d'être d'une conquête sexuelle potentielle. Ils ont exploré cet axe avec sensibilité, allant jusqu'à des extrémités terrifiantes (le traumatisme de l'enfant soumis à la séduction irrépressible de Jo).



Cette dissection de la pression de la séduction physique devient tellement prégnante et perspicace qu'elle finit par prendre le pas sur l'intérêt de l'intrigue. Du coup, ce dernier tome peut paraître légèrement plus fade au regard des 3 précédents.
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Fatale, tome 3 : À l'Ouest de l'Enfer

Ce tome fait suite à La Main du Diable (épisodes 6 à 10). Il contient les épisodes 11 à 14, parus en 2013, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Sean Phillips, mis en couleurs par Elizabeth Breitweiser et Dave Stewart.



Épisode 11 - En 1936 au Texas, un officier de police attend Joséphine dans un bar. Elle est partie rendre visite à un écrivain appelé Alfred Ravenscroft. Dans une de ses nouvelles, elle a découvert des descriptions évoquant pour partie sa situation et ses sensations. Épisode 12 - En 1286, en France, Mathilda, une sorcière, est mise au bûcher, par un étrange ordre religieux. Elle survit et s'enfuit dans la forêt où elle est recueillie par Ganix un ermite. Épisode 13 - EN 1883, dans le Colorado, Joséphine est chef d'une bande de desperados. Elle est capturée par Milkfed (un indien) qui l'amène à Waldo Smythe, une sorte de bonimenteur itinérant. Épisode 14 - En 1943, en Roumanie, le sergent Walter Booker découvre une carte qui le mène sur la piste d'un groupe d'individus se servant de la guerre mondiale pour nourrir la terreur. Joséphine bénéficie des enseignements de Mirela, une bohémienne disposant d'un savoir occulte.



Il est possible de commencer la lecture de la série par ce tome, sans rien perdre de l'histoire. Toutefois Ed Brubaker et Sean Phillips continuent bien de développer les thèmes abordés dans les 2 tomes précédents. Dès le premier tome La mort aux trousses, il était évident qu'ils souhaitaient rendre hommage au concept de Femme Fatale telle qu'il a pu être dépeinte dans les polars de type "hardboiled". Joséphine est donc l'incarnation de la femme fatale, cette séductrice irrésistible. Mais comme le tome précédent commençait à le montrer : Joséphine n'a pas toujours été une beauté fatale menant les hommes par le bout du nez. Ici Brubaker et Phillips montrent que dans les premiers temps ce pouvoir de séduction a plus été un fardeau, une malédiction qu'autre chose. Tout d'un coup, ils dépassent l'utilisation adroite et sophistiquée d'un cliché, d'une convention du polar, pour faire exister leur personnage de manière admirable, et pour évoquer la solitude qui peut être celle des femmes belles au point que les individus mâles sont incapables de les voir autrement que comme un objet de désir. La connivence existant entre les 2 créateurs leur permet de rendre évident cet état de fait en 1 seule case, avec peu de mots et juste 2 hommes se battant pour payer un verre à Jo. Avec cette simple case, Joséphine passe du statut de garce à celui de victime.



Contrairement à ce que l'éclatement du tome sur 4 périodes différentes pourrait laisser croire, la narration présente une forte cohérence. Brubaker entremêle avec élégance les phases d'apprentissage de Jo, avec des éléments venant aussi bien apporter un éclairage complémentaire sur des informations précédentes, ou ouvrir d'avantage l'horizon de la mythologie de cette série. Phillips joue avec l'image de la femme forte pour un magnifique portrait de Joséphine en poncho, encore plus séduisante que d'habitude. Le scénario alterne les visions de Joséphine, entre féminité épanouie en tailleur ou robe blanche virginale, et tenue adaptée à l'effort physique (le jean & poncho, ou encore pantalon & bottes de cuir). Les créateurs se donnent comme objectif de montrer que Joséphine est l'incarnation de l'idéal de beauté féminine, dans tous les champs du possible.



Le thème de la femme fatale n'est pas le seul qu'ils continuent de développer. Il y a bien sûr le cœur de l'intrigue avec ces monstres, et ces mystérieuses organisations secrètes, ainsi que les individus qui ont pu percevoir ce niveau de réalité, soit en le recherchant activement comme source de pouvoir, soit en y assistant par hasard. Ils continuent également de rendre hommage à différents genres littéraires (ou sous-genres). À ce titre le premier épisode est un régal pour les connaisseurs. Joséphine est donc à la recherche d'un auteur de nouvelles et romans fantastiques, habitant avec sa mère dans un coin paumé du Texas. Il est possible de prendre la vie d'Alfred Ravenscroft au premier degré et de ne pas y prêter plus attention. Il est possible aussi d'y voir un hommage au créateur de Bran Mak Morn, et tant d'autres héros hors du commun. Le deuxième épisode dispense des effluves de Robin des Bois (parmi d'autres), le troisième est un hommage au western, et le dernier aux missions périlleuses pendant la seconde guerre mondiale. Ces hommages s'intègrent naturellement à l'intrigue, et sont rendus aussi bien par le scénario que par les dessins (pour ces derniers en particulier pour cette image de Joséphine l'arc à la main dans la forêt).



Brubaker et Phillips continuent d'élargir l'horizon du récit en introduisant de nouveaux personnages disposant tous d'une apparence unique (le policier Nelson, Alfred Ravenscroft et sa mère, Ganix et Mathilda, Milkfed et Waldo Smythe, Mirela), tout en consolidant la structure déjà établie avec des personnages déjà croisés (Walter Booker ou Mister Bishop). Ils élargissent également l'horizon de manière littérale en situant l'action dans de nouveaux endroits. Phillips est impressionnant dans sa capacité à donner corps à chaque environnement, de la petite maison de Ravenscroft envahie de livres et de manuscrits (il y en a jusque sur les marches de l'escalier), aux escarpements rocheux du Colorado. La proportion de cases disposant d'un arrière plan dessiné en bonne et due forme est élevée, plus des 2 tiers des cases. La mise en couleurs permet d'installer une ambiance différente par séquence et de servir de rappel visuel de l'environnement lorsque l'arrière plan est vide. S'il n'est pas possible de déterminer qui s'est chargé de quelles couleurs (entre Beitweiser et Stewart), il est parfois possible de se dire que dans telle case, le traitement est un peu plus grossier que ce qu'aurait fait Dave Stewart tout seul (un coucher de soleil dans l'épisode 13 par exemple).



À la fin de ces 4 épisodes, le lecteur en ressort avec le sentiment inattendu d'avoir lu une histoire complète et consistante, variée et intelligente, avec un point de vue sur le fardeau de la beauté, et plusieurs hommages respectueux et élégants sur la fiction de genre. Il a découvert 4 récits avec des personnages complexes et fascinants, et une intrigue à base de complot occulte de plus en plus palpitante. Il a voyagé aux côtés d'individus singuliers, dans des endroits uniques et dangereux.
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