Citations de Elie Wiesel (315)
Après quelques minutes de course folle, nous arrivâmes devant un nouveau block. Le responsable nous y attendait. C’était un jeune Polonais, qui nous souriait. Il se mit à nous parler et, malgré notre lassitude, nous l’écoutâmes patiemment :
- Camarades, vous vous trouvez au camp de concentration d’Auschwitz. Une longue route de souffrance vous attend. Mais ne perdez pas courage. Vous venez déjà d’échapper au plus grand danger : la sélection. Eh bien, rassemblez vos forces et ne perdez pas espoir. Nous verrons tous le jour de la libération. Ayez confiance en la vie, mille fois confiance. Chassez le désespoir et vous vous éloignerez de la mort. L’enfer ne dure pas éternellement....
Et maintenant, une prière, plutôt un conseil : que la camaraderie règne parmi vous. Nous sommes tous des frères et subissons le même sort. Au-dessus de nos têtes flotte la même fumée. Aidez-vous les uns les autres. C’est le seul moyen de survivre.
Il faut s'armer de patience, petit frère, me dit-il. Songe aux Anciens. La nuit vient ? Le jour viendra. L'obscurité porte la promesse de la lumière.
Vous qui qualifiez les étrangers d'"illégaux", vous devez comprendre qu'aucun être humain n'est "illégal". C'est un contresens. Les êtres humains peuvent être beaux, voire très beaux, ils peuvent être gros ou minces, ils peuvent avoir raison ou tort, mais "illégal", comment un être humain peut-il être "illégal" ?
Les affres de la faim, les délires de la soif, les blessures de la mémoire : j'ai tout noté; Ce qu'il y avait de pire ? Le silence [...]
L'épreuve du silence, le supplice du silence, je me demande qui les a inventés. Un fou ? Un poète de la folie, du châtiment ? [...]
Aucun maître ne m'avait prévenu que le silence pouvait devenir une prison.
A l'époque, j'ignorais encore, citoyen magistrat, que le silence peut aussi ce muer en torture. [...]
Le silence comme source et potentiel d'hostilité et de péril. L'épaisseur du silence, la pression du silence, sa violence - elles me semblèrent familières.
Quelqu'un se mit à réciter le Kaddich, la prière des morts. Je ne sais pas s'il est déjà arrivé, dans la longue histoire du peuple juif, que les hommes récitent la prière des morts sur eux-mêmes. - Yitgadal veyitkadach chmé raba... Que Son Nom soit grandi et sanctifié ... murmurait mon père. Pour la première fois, je sentis la révolte grandir en moi. Pourquoi devais-je sanctifier Son Nom? L'Éternel, Maître de l'univers, l'Éternel Tout-Puissant et Terrible se taisait, de quoi allais-je Le remercier?
Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n'oublierai cette fumée.
Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi.
Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre.
Jamais je n'oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais.
Je réfléchissais ainsi lorsque j'entendis le son d'un violon. Le son d'un violon dans la baraque obscure où des morts s'entassaient sur les vivants. Quel était le fou qui jouait du violon ici, au bord de sa propre tombe? ou bien n'était-ce qu'une hallucination?
Ce devait etre Juliek.
Il jouait un fragment d'un concert de Beethoven. Je n'avais jamais entendu de sons si purs. Dans un tel silence.
Comment avait-il réussi à se dégager? A s'extraire de sous mon corps sans que je le sente?
L'obscurité était totale. J'entendais seulement ce violon et s'était comme si l'ame de Juliek lui servait d'archet. Il jouait sa vie. Toute sa vie glissait sur les cordes. Ses espoirs perdus. Son passé calciné, son avenir éteint. Il jouait ce que jamais plus il n'allait jouer.
Je ne pourrai jamais oublier Juliek. Comment pourrais-je oublier ce concert donné à un public d'agonisants et de morts! Aujourd'hui encore, lorsque j'entends jouer du Beethoven, mes yeux se ferment et, de l'obscurité, surgit le visage pale et triste de mon camarade polonais faisant au violon ses adieux à un auditoire de mourants.
Je ne sais pas combien de temps il joua. Le sommeil m'a vaincu. Quand je m'éveillai, à la clarté du jour, j'aperçus Juliek, en face de moi, recroquevillé sur lui-meme, mort. Près de lui gisait son violon, piétiné, écrasé, petit cadavre insolite et bouleversant.
J'ai vu d'autres pendaisons. Je n'ai jamais vu un seul de ces condamnés pleurer. Il y avait longtemps que ces corps desséchés avaient oublié la saveur amères des larmes.
La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime.Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté.
( Discours de remise du Prix Nobel de la Paix 1986)
Nuit. Personne ne priait pour que la nuit passe vite. Les étoiles n'étaient que les étincelles du grand feu qui nous dévorait. Que ce feu vienne à s'éteindre un jour, il n'y aurait plus rien au ciel, il n'y aurait que des étoiles éteintes, des yeux morts.
Il n'y avait rien d'autre à faire qu'à se mettre au lit, dans le lit des absents.
L' homme s'élève vers Dieu par les questions qu'il lui pose, [...]. L' homme interroge et Dieu répond. Mais, ses réponses, on ne les comprend pas. On ne peut les comprendre. Parce qu' elles viennent du fond de l'âme et y demeurent jusqu'à la mort.
En d'autres termes, la guerre que Hitler et ses acolytes livraient au peuple juif visait également la religion juive, la culture juive, la tradition juive, c'est-à-dire la mémoire juive.
[Préface d'Elie Wiesel]
Autrefois, le jour du Nouvel An dominait ma vie. Je savais que mes péchés attristaient l'Eternel, j'implorais Son pardon. Autrefois, je croyais profondément que d'un seul de mes gestes, que d'une seule de mes prières dépendait le salut du monde.
Aujourd'hui, je n'implorais plus. Je n'étais plus capable de gémir. Je me sentais, au contraire, très fort. J'étais l'accusateur. Et l'accusé : Dieu. Mes yeux s'étaient ouverts et j'étais seul, terriblement seul dans le monde, sans Dieu, sans hommes. Sans amour ni pitié. Je n'étais plus rien que cendres, mais je me sentais plus fort que ce Tout-Puissant auquel on avait lié ma vie si longtemps. Au milieu de cette assemblée de prière, j'étais comme un observateur étranger.
(p. 178)
Un groupe d'ouvriers et de curieux s'était rassemblé le long du train. Ils n'avaient sans doute jamais vu un train avec un tel chargement. Bientôt, d'un peu partout, des morceaux de pain tombèrent dans les wagons. Les spectateurs contemplaient ces hommes squelettiques s'entretuant pour une bouchée.
Un morceau tomba dans notre wagon. Je savais d'ailleurs que je n'aurais pas la force nécessaire pour lutter contre ces dizaines d'hommes déchaînés ! J'aperçus non loin de moi un vieillard qui se traînait à quatre pattes. Il venait de se dégager de la mêlée. Il porta une main à son cœur. Je crus d'abord qu'il avait reçu un coup dans la poitrine. Puis je compris : il avait sous sa veste un bout de pain. Avec une rapidité extraordinaire, il le retira, le porta à sa bouche. Ses yeux s'illuminèrent; un sourire, pareil à une grimace, éclaira son visage mort. Et s'éteignit aussitôt. Une ombre venait de s'allonger près de lui. Et cette ombre se jeta sur lui. Assommé, ivre de coups, le vieillard criait :
- Méir, mon petit Méir ! Tu ne me reconnais pas ? Je suis ton père... Tu me fais mal... Tu assassines ton père... J'ai du pain... pour toi aussi... pour toi aussi...
Il s'écroula. Il tenait encore son poing refermé sur un petit morceau. Il voulut le porter à sa bouche. Mais l'autre se jeta sur lui et le lui retira. Le vieillard murmura encore quelque chose, pourra un râle et mourut, dans l'indifférence générale. Son fils le fouilla, prit le morceau et commença à le dévorer. Il ne put aller bien loin. Deux hommes l'avaient vu et se précipitèrent sur lui. D'autres se joignirent à eux. Lorsqu'ils se retirèrent, il y avait près de moi deux morts côté à côte, le père et le fils. J'avais seize ans.
Je crois en l’Homme malgré les hommes
-C'est fini.Dieu n'est plus avec nous.
Et,comme s'il s'était repenti d'avoir prononcé ces mots,aussi froidement,aussi sèchement,il ajouta de sa voix éteinte:
-Je sais.On n'a pas le droit de dire de telles choses.Je le sais bien.L'homme est trop petit,trop misérablement infime pour chercher à comprendre les voix mystérieuses de Dieu.Mais que puis-je faire,moi?Je ne suis pas un Sage,un Juste,je ne suis pas un Saint.Je suis une simple créature de chair et d'os.Je souffre l'enfer dans mon âme et dans ma chair.J'ai des yeux aussi et je voit ce qu'on fait ici.Ou est la miséricorde divine?Ou est Dieu?Comment puis-je croire,comment peut-on croire à ce Dieu de miséricorde?
On marchait.Des portes s'ouvraient,se refermaient.On continuait a marcher entre les barbeles electrifies.A chaque pas,une pancarte blanche avec un crane de mort noir qui nous regardait,une inscription:"Attention!Danger de mort!.Derision:y avait-il un seul endroit ou l'on ne fut pas en danger de mort?
Parfois l'on me demande si je connais "la réponse à Auschwitz" [...] Lorsque l'on parle de cette époque de malédiction et de ténèbres, si proche et si lointaine, "responsabilité" est le mot-clé.
Si le témoin s'est fait violence et a choisi de témoigner, c'est pour les jeunes d'aujourd'hui, pour les enfants qui naîtront demain : il ne veut pas que son passé devienne leur avenir.
[Préface d'Elie Wiesel]
Les Juifs n'oserons pas .Vous les connaissez : ils crient , ils pleurent , ils prononcent des paroles dont le sens même leur fait peur .