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Citations de François Jullien (142)


Concevant tout réel comme un dispositif, les Chinois ne sont point conduits à remonter la série, nécessairement infinie, des causes possibles ; sensibles au caractère inéluctable de la propension, ils ne sont pas portés, non plus, à spéculer sur des fins, seulement probables. Ne les intéressent ni les récits cosmogoniques ni les suppositions téléologiques. Ni de raconter le début ni de rêver un dénouement. Il n’existe, depuis toujours et pour toujours, que des interactions à l’œuvre, et le réel n’est jamais autre que leur incessant procès. Ce n’est donc point le problème de l’ « être » que les Chinois se posent selon sa conception grecque, opposé à la fois au devenir et au sensible, mais celui de la capacité de fonctionnement : d’où procède l’efficacité que l’on constate partout à l’œuvre au sein du réel et comment peut-on mieux en profiter ?
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On ne voit pas le blé mûrir, mais on constate le résultat : quand il est mûr et qu'il faut le couper.
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Ce qui caractérise la véritable force, en définitive, est qu’elle ne (se) force pas. La pensée chinoise ne se lasse de revenir sur ce motif : il est dans la nature de l’eau de couler vers le bas ; si elle peut charrier jusqu’aux pierres sur son passage, c’est en se contentant de suivre la pente qui s’offre à elle. L’eau est l’image de ce qui ne cesse de chercher une issue, pour poursuivre son chemin, mais sans faire violence à son inclination, en suivant sa propension (…). Le stratège, comme l’eau, contourne les obstacles et s’insinue par là où la voie est libre devant lui ; comme l’eau, il ne cesse d’épouser la ligne de moindre résistance et de trouver, à tout moment, par où c’est le plus facile de progresser."
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Dans le mémorable "Longtemps, je me suis couché de bonne heure", la première phrase de Proust, tout, définitivement, n'est-il pas déjà avancé ? Les dés de La Recherche y sont jetés ; et les proustiens n'en finiront pas de déceler, à plaisir, tout ce qu'elle engage. Comme un parasol ou un dais qu'on ouvre, et sous lequel on restera à couvert, ce "longtemps" fait d'emblée prévaloir, sans attendre et posément, l'ordre souverain de la durée. Face à l'extension de quoi, la qualité du je qui pointe et lui répond est celle d'un sujet singulier, mais débordant déjà par là de son exiguïté : fragilement anecdotique, mais inscrivant en vis-à-vis la forme creuse, disponible, où tout viendra se recueillir et se mouler. Surtout débuter par le coucher, c'est prendre déjà le contre-pied, mettre en route une conversion qui n'en finira pas : c'est commencer de faire apparaître sous l'expérience diurne, journalière, dissipée tôt oubliée, la dimension intérieure, autrement dit nocturne, où, dans le silence et le refus d'agitation, les avènements et les sentiments pourront enfin dégager un son clair, en se décantant ; où les impressions égrenées à la suite n'en finiront plus de percer souterrainement des tunnels entre elles, à travers le "Temps", pour sortir de leur dispersion et se rejoindre - en quoi l'oeuvre entière trouvera sa révélation. Aussi, après le coup de gong du "longtemps", l'octosyllabe qui suit commande une pause qui le fait résonner - suspens-silence ; mais le cadre est déjà posé, la trame est prête.

Chapitre IV - La première phrase, p. 42
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On vit ensemble pour se tenir conjointement hors de la faille inhérente à l'être, de l'enlisement de l'être-là aboutissant à l'enfermement dans la clôture du monde et de ses intérêts, et proprement "ex-ister".
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Car ce n'est pas parce que notre société s'est déclarée officiellement laïque qu'on s'est déchargé de cette "chose", si difficile à saisir aujourd'hui, du christianisme. Ce n'est pas parce que massivement on ne "croit" plus, en tout cas qu'on ne "pratique" plus (il y a tant de chrétiens passifs), qu'on s'est affranchi de ce dont il a marqué la pensée. Cela, certes, on le sait, mais jusqu'où "veut-on le savoir" ? Ne s'agirait-il là que d'un reliquat, faut-il encore se demander ce qui ne s'y dépasse pas. Et même un tel évitement, je me demande si on ne le retrouverait pas aujourd'hui jusque dans l'Eglise, plus à l'aise avec l'écologique ou l'humanitaire qu'avec cette question que je ne vois pas avancer : qu'est-ce que le christianisme "a fait à la pensée "?
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Non seulement ce qui est reconnu comme "beau", ou comme "bien", et qui sert à leur définition, est déjà en route vers son étiolement, mais même il est ce contre quoi, déjà, un nouveau beau, de nouvelles valeurs, sans être complètement énonçable, identifiables, sont en train de s'inventer. Tous ceux qui participent au renouvellement de l'art ou de la pensée le savent.
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L''auprès, ce qui ne manque ni ne lasse, donc ne s'abîme pas dans la durée. Or cet "auprès" s'analyse : parce que dans l'intime, du Dehors s'y découvre aussi le plus dedans ou, disons, que son immanence s'y trouve toujours habitée de transcendance, de l'intime, quant à lui, ne s'épuise pas. Il est sans fin et sans fond.
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Dense ce livre. Il contient des passages complexes pour un lecteur peu familier de la "philosophie" taoïste, malgré les efforts de F. Jullien.

Pour autant, il apporte des éclairages intéressants,...même si personnellement je les trouvent parfois peu circonstanciés et donc peu convaincants.

Le titre est prometteur et provocateur: "nourrir sa vie à l'écart du bonheur".
Et c'est bien ce que développe F Jullien:
- nourrir sa vie : la sagesse passe par entretenir un process, le nourri, et non se fixer des buts
- le bonheur est une illusion parce qu'un but. Très précisément, le "bonheur est une niaiserie philosophique"....!

Ceci est développé en mettant en relief plusieurs points intéressants:
- pas d'immortalité pour les chinois, et donc pas d'audela ou il soit possible de s'évader
- détachement de la vie: ne pas chercher ni à allonger sa vie
- " le Sage ne laissera pas sa conduite ni s'embarrasser dans les savoirs, ni s'engluer dans les accords, ni s'enliser dans les vertus, ni s'entraver dans les succés".
- pas d'âme en Chine, pas d'ontologie puisque pas de monde des essences,
- la Chine a conçu l'amour seulement comme émotion ou jouant son rôle sexuel dans la "régulation cosmique"

Mais cela n'arrive pas à me convaincre sur la conclusion définissant le Sage: "limpide et vide, tranquille et calme, il réduit l’intérêt qu'on porte à soi même et diminue ses désirs...Délaissant la vie, il est en mesure de sauvegarder sa personne".
Manque de sagesse de ma part?
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Toute l'attention stratégique est donc à reporter à ce stade initial, en amont de l'" occasion ", moment discriminant bien que non encore patent, qui fait imperceptiblement pencher la situation, et d'où découlera progressivement le succès. Là est le premier déclenchement, secret mais commandant l'autre, où se " tranche " de la façon la plus subtile ce qui fera ensuite tout basculer. En même temps que l'occasion se dédouble, la notion de "crise" (krisis au sens de "décision") est donc elle-même à repenser. Car le moment critique ne correspond plus au stade de la manifestation (cf. dans la médecine hippocratique où la crise est le moment où la maladie se "juge "), mais se déplace en amont jusqu'au stade le plus infime - celui de l'amorce - où commence à s'opérer le clivage et qui est " décisif". Il n'est plus lié au spectaculaire, comme dans l'action théâtrale, mais au plus discret. Mais sait-on le détecter, on peut alors prévoir l'évolution et la gérer; et la " crise " peut être désamorcée.
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Changeons de scène - cela se répète encore; et même nous voyons que ce concert de transformation silencieuse en vient à miner la fonction du Sujet jusqu’au sein de ce qui semblerait d'abord son apanage: dans l'ordre, qu'on croirait lui revenir en propre, et former son dernier retranchement, du sentiment et du psychologique. Elle et lui "ne s'aiment plus". Ce qu'ils n'auraient auparavant pas même pu imaginer leur est pourtant bel et bien arrivé: ils n'ont rien de mieux à faire désormais que de se quitter. Or, sous l'éclat de la rupture, n'est-ce pas là encore une transformation silencieuse qui n'a cessé de travailler? Car peuvent-ils oublier ces premiers silences, ces premiers évitements, ou même seulement les premiers frôlements non amoureux qui ont produit, au fil des jours, sans qu'ils aient songé à s'y arrêter, cette érosion affective semblable à l’érosion géologique qui a fait s'ébouler soudain tout un pan de la falaise sur leur rivage? Mais, comme c'est "tout" qui peu à peu s'est modifié entre eux et que rien n'y échappe, que tous ces infléchissements sont allés de pair jusqu'à l'inversion - à la fois des intonations, des regards, des gestes d'impatience - comme dans une symphonie bien ordonnée, rien ne s'en est distingué et l'évolution, ambiante, leur est demeurée invisible comme une atmosphère. Puis un jour, et même à propos d'un rien, trait purement anecdotique, ils se sont soudain rendu compte que leur relation est morte: que leur connivence s'est muée en indifférence, ou même en intolérance, et que, en dépit de l'effort qu'ils font encore pour se cacher cette évidence, ils n'ont plus d'avenir commun devant eux.
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Somme toute, ces quelques cheveux blancs de plus ne sont qu'un indice accidentel, un peu plus saillant, de la "transformation silencieuse" qu'on ne voit pas s'opérer.
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Mencius : ce par quoi l'homme de bien est différent des autres est qu'il maintient sa conscience en train d'exister (p88)
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... la médecine occidentale se fie à l'action impérieuse et décidant de ses effets. Il suffit d'écouter notre vocabulaire: on vous "opère", il s'agit d'une "intervention". Or la médecine chinoise, sait-on, ne vise pas tant à soigner la maladie qu'à entretenir la santé. (Chapitre 12, régulation versus révélation)
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Et d"abord, pour faire émerger ce vivre, apprenons à ne plus en diluer la présence dans un temps étale où nous ne vivons jamais.
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Le pli, désormais, est pris : s’impose à nous ce couplage – théorie / pratique – dont nous ne songerions même plus à contester le bien-fondé (et nous aurons beau retravailler l’articulation de ces termes, c’est sans en sortir). J’y vois même un des gestes les plus caractéristiques de l’Occident moderne (ou du monde – si c’est d’après l’ "Occident" qu’il se standardise ?) : tous en chambre, et quels que soient les rôles, le révolutionnaire trace le modèle de la cité à construire, ou le militaire le plan de la guerre à conduire, ou l’économiste la courbe de croissance à réaliser… Autant de schémas projetés sur le monde, et marqués d’idéalité, qu’il faudra bien ensuite, comme on dit, faire entrer dans les faits. Mais qu’est-ce ici que "faire entrer", quand c’est dans le réel qu’on prétend le faire ? D’abord, l’entendement concevrait "en vue du meilleur" ; puis s’investit la volonté pour imposer ce modèle à la réalité. Imposer, c’est-à-dire placer sur, comme pour décalquer, mais aussi y soumettre de force. Or cette modélisation, nous sommes tentés de l’étendre à tout, elle dont le principe est la science ; car on sait bien que la science (européenne, du moins la science classique) n’est elle-même qu’une vaste entreprise de modélisation (et d’abord de mathématisation), dont la technique, comme application pratique, en transformant matériellement le monde, est venue attester l’efficacité.
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Car, comme le laissait entendre le commentateur chinois, il ne peut y avoir d'immanence si on se restreint au "moi individuel", conçu en agent indépendant (ne relevant que de sa propre initiative) et dans la limite de ses seules facultés (car comment comprendre sinon ce qui "me revient", indirectement, en tant qu'effet?) : pour rendre compte de sa possibilité, il faut renoncer à la catégorie du sujet pour celle du procès; de même, c'est parce que "cela" se constitue en fonds, non en objet (et pas plus en objet d'intuition que de connaissance), qu'on peut l'"habiter", "se reposer" en lui, et tomber dessus à tout instant comme une source intarissable.
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...Tant il faut de vigilance pour maintenir l'autre dans sa capacité d'autre, au lieu de l'aliéner à soi.
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La vie ne se laisse jamais « croquer » – et même se laisse-t-elle aborder ? – dans ce qui serait son immédiateté présente. On dit aussi qu’il faut « profiter de la vie »… « Tant qu’on est en vie… » Mais on ne peut « profiter » de la vie, car la vie n’est pas quelque chose comme un « bien », même temporairement possédé, dont on puisse ainsi directement, l’ayant sous la main, tirer parti ; dont on puisse « cueillir » le fruit, selon la formule familière : comme si l’on pouvait consommer la vie.
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En somme, l'amour est équivoque et l'intime est ambigu.
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