Le récit commence avec un premier choc : le père de Clara fait un AVC et elle est obligée de gérer l’appel aux urgences, l’ambulance, les papiers car sa mère est sidérée, au sens médical du terme, scotchée sur place.
Un matin, quelques années plus tard, la voiture de Clara refuse de démarrer. Elle s’était pourtant levée, bien maquillée, tenue choisie avec soin comme tous les matins. Au bout de plusieurs tentatives, il faut bien se rendre à l’évidence, elle ne démarrera pas. C’est le petit grain qui vient se coincer et l’engrenage se met à partir à vau-l’eau.
Notre « marchande d’argent », comme elle se plaît à présenter son travail, hyperactive, qui multipliait les rendez-vous dans une société où la cheffe en demande toujours plus et n’hésite pas à lui adresser des « petites phrases assassines », quand il n’y a pas de témoin, va s’écrouler. Le burn-out l’a frappée sans crier gare, un coup de poignard dans le dos…
En fait le harcèlement au travail avait déjà bien fait son travail, et c’est souvent une pichenette qui provoque l’écroulement.
Elle est incapable, de sortir de son lit, l’appétit est parti, le sommeil devenu anarchique, plus rien ne l’intéresse, tout lui coûte, même faire un pas devant l’autre. Son amoureux, décontenancé, préfère prendre ses distances – si jamais c’était contagieux, n’est-ce pas – et la seule phrase qu’elle entend désormais c’est « secoue-toi » ou sa variante « remue-toi ».
La famille ne se comporte guère mieux, mais il y a eu de nombreux non-dits, pas de complicité affective avec son frère aîné, un artiste que le père méprise, une mère qui, un jour, a abandonné le domicile conjugal pour revenir trois mois plus tard (on avait envoyé Clara chez ses grands-parents) mais on ne saura jamais vraiment ce qui s’est passé.
Clara est la préférée de son père, et elle a mis la barre très haut ; pour se différencier de son frère, il fallait faire des études brillantes, un poste non moins brillant pour que papa soit fier, mais était-ce le bon choix ?
En tout cas, il faut tenter d’avancer, se prendre en mains, se reconstruire… arrêt de travail, médicaments, psychiatre…
La culpabilité, liée au fait de se sentir inutile, improductive, est bien analysée, l’exploration des causes, notamment des relations intrafamiliales, moins bien explorée.
Ah ! l’horrible phrase « Secoue-toi » ! comme si on ne s’était pas déjà auto-secouée, tout seul devant sa glace...
« Secoue-toi. C’est ce que lui dit Laetitia, gentiment, comme s’il s’agissait de se lever, de s’agiter comme un cocktail dans un shaker. »
Autre phrase qui tue : « Tu as tout pour être heureuse » (sous-entendu, alors ferme-là) bien culpabilisante ; c’est sûr, les enfants qui meurent de faim, c’est pire, mais quand on est usée, ce n’est pas le genre d’argument que peut faire avancer les choses.
J’ai bien aimé, dans ce roman de Gaëlle Josse, la description de la plongée dans le puits sans fond du burn-out, tout est bien analysé, cela sent le vécu en fait, et toutes les personnes qui sont passées par là se reconnaîtront. Par exemple, le perfectionnisme, l’exigence envers soi-même qui font qu’on avance, sans prendre le temps de prendre soin de soi, dopé à l’adrénaline ou autre. On s’en rend compte quand on est dans le trou.
Gaëlle Josse, évoque, non sans une pointe d’humour, les vertus du canapé, ans lequel Clara s’enfonce en regardant les séries télévisées, qu’elle regarde en continu, une bonne manière de mettre, inconsciemment son cerveau sur pause. On ne dira jamais assez les vertus thérapeutiques de certains programmes télévisés quand on est en bout de course, avec toute la culpabilité et parfois même une certaine honte, « moi, l’intello, comment j’ai pu en arriver là ».
Les termes sont très bien choisis, très adaptés à ce que vit l’héroïne, qui n’est pas (ou du moins pas longtemps) dans la victimisation :
« Ensablée. Elle se dit que oui, c’est ça, elle se sent ensablée, engluée, et il va bien falloir s’en sortir. »
Par contre, je trouve que la partie reconstruction est moins bien explorée que le burn-out lui-même. Je n’ai pas été totalement convaincue par la manière dont Clara a fait ses choix pour changer de vie. L’auteure aurait pu creuser davantage. Bien-sûr, « ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort » comme le disait si bien Nietzsche ou, tout au moins, différent.
Ce roman est bien écrit, comme toujours avec Gaëlle Josse, les mots sonnent juste, les phrases sont courtes, parfois lapidaires, mais il a manqué un petit « quelque chose » pour que je l’apprécie totalement, comme cela avait été le cas pour « Une longue impatience » par exemple. Mais, il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours facile d’aborder le sujet de la dépression.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Notablia Noir sur Blanc, qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure que j’apprécie beaucoup.
#Cematinlà #NetGalleyFrance
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