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Critiques de George Steiner (58)
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Après Babel

Georges Steiner



Humour, toujours amour de l’intelligence,

jamais la pesanteur de la science

la culture modeste toujours.



Il en est de plus connus

de plus vendus,

de plus interrogés.

Mais quand j’ai besoin de m’éperonner

avec de l’intelligence ironique,

avec des rapprochés humoristiques,

avec de salutaires rappels du tragique,

quand j’ai besoin en une page unique

de faire connaissance d’auteurs

dont j’ignorais des écrits la hauteur,

alors, je prends un livre -

n’importe lequel - il livre

des pages généreuses,

Et pendant ces heures de lecture heureuse

je deviens pour quelques instants

Comme lui intelligent et tolérant.



Dans les lieux où nous lisons Georges Steiner nous sommes protégés pour un moment des barbaries - paradoxe pour un homme qui écrit les barbaries du siècle passé; ses pages d ’intelligence et d’ humanité nous protègent de nos penchants à la médiocrité et la haine.

Nous écoutons la musique des mathématiques de l’univers en buvant la voie lactée de la culture universelle.



effleurements livresques, épanchements maltés http://holophernes.over-blog.com © Mermed
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Après Babel

Pourquoi existe-t-il des milliers de langues (phonèmes, sémantiques, syntaxes) alors qu’il n’y a pas des milliers de variantes de l’appareil phonatoire ni des réseaux neurophysiologiques ? Parce que, selon Steiner, les clans, les tribus, les nations inscrivent et protègent ainsi leurs acquis culturels. La multiplicité des langues est la conséquence d’une différentiation sans fin. Le désordre apparent de Babel est le prix à payer pour affiner le dire : « Toute langue représente le modèle le plus juste qu'on connaisse du principe d'Héraclite. Chacune se modifie à tout instant du temps vécu » (p 52). D’ailleurs, « Comprendre c'est traduire » : Il est impossible de comprendre, même dans sa propre langue, sans interpréter. Le sens profond d’un texte, sa portée, et en poésie ses ramifications et ses images, varient d'un locuteur ou d’un lecteur à l'autre : « La traduction d'une langue dans une autre est l'objet de ce livre, mais c'est aussi une voie d'accès au langage lui-même […] A l'intérieur d'une langue ou d'une langue à l'autre, la communication est une traduction (p 88-89). Un acteur interprète Racine ; un pianiste donne une interprétation d’une sonate de Beethoven […] C’est là, il me semble, que tout commence (p 64).



« La littérature, dont le génie s'enracine dans ce qu'Eluard appelait " le dur désir de durer", ne peut vivre que par le jeu d'une traduction constante à l'intérieur de sa propre langue » (p 67). Dans tout échange, la compréhension a des sources multiples : « Chacun de nous puise, délibérément ou par habitude, à deux sources linguistiques : la langue courante, qui correspond au niveau de culture personnel, et un fond privé. Ce dernier se rattache de façon inextricable au subconscient, aux souvenirs dans la mesure où ils sont susceptibles de verbalisation, et à l'ensemble singulier et irréductible que compose la personnalité psychologique et somatique […] La composante privée du langage rend possible une fonction linguistique majeure et cependant mal comprise. […] Il est évident qu’on parle dans le but de communiquer. Mais aussi pour dissimuler, omettre. Le don qu’ont les êtres humains de fausser l’information emprunte toutes les formes possibles, du mensonge éhonté au silence » (p 86-87).



C’est « Le mot contre l’objet ». Entre ce qu’on dit et ce qu’on voulait dire, il y a toujours plusieurs grilles de compréhension : « Le jargon secret des bandes d’adolescents, le mot de passe du conspirateur, les petits riens tout bêtes des amoureux, le parler bébé sont des ripostes sporadiques et éphémères à la vulgarité étouffante, à la sclérose de langue » (p 249). A l’extrême, le poète « va s’efforcer de pulvériser, ou au moins d’affaiblir, les enchaînements sans surprise de la raison et de la syntaxe, de la voie délibérément tracée et de la forme verbale (et ce sont les Illuminations de Rimbaud) » (p 252). Paraphrasant le mot prêté à Talleyrand, Steiner affirme que « Le langage est l’instrument privilégié du refus de l’homme d’accepter le monde tel qu’il est » (p 303). « Dans la langue quotidienne, il n'y a que deux classes de phrases non teintées par l'intention ou la réticence individuelle : les définitions et les réactions irréfléchies à un stimulus » (p 317). « Ambiguïté, polysémie, obscurité, manquements aux enchaînements logiques et grammaticaux, incompréhension réciproque, faculté de mentir ne sont pas des maladies du langage mais la source de son génie. Sans eux, l'individu et l'espèce toute entière auraient dégénéré » (p 324). 



En conséquence de cette complexité, il n’y a pas de place pour une traduction littérale. La traduction doit être un « mouvement herméneutique qui consiste à faire jaillir une signification et à l’acheminer par un acte d’annexion » (p 403). Le mot à mot est une illusion où « le traducteur s‘immobilise aux frontières. Il sécrète plus ou moins délibérément une « interlangue » [] Il travaille entre les lignes et la traduction interlinéaire mot à mot répond exactement à cette définition : c’est le vide intersidéral de l’espace psychologique et linguistique » (p 427).

Une seconde conséquence de cette complexité : « Que ce soit calculé ou non, l'américain et l'anglais britannique, du fait de leur diffusion universelle, sont un des facteurs de destruction de la variété linguistique naturelle. Et ce type de destruction est peut-être la plus irréversible des catastrophes écologiques qui marquent notre siècle » (dernière page).



Dans un chapitre intitulé « Langage et gnose », dont le titre laisse percer l’ironie, Steiner traite avec un irrespect perspicace ses précurseurs, logiciens et linguistes (Humboldt Whorf, Chomsky, Lévi-Strauss, etc.), et leurs querelles sur les monades ou l’universalité innée. Par exemple citant Chomsky « il n'y a aucune raison de croire que des critères opératoires sûrs se dégagent jamais en ce qui concerne les notions théoriques les plus profondes et les plus importantes de la linguistique », Steiner le reprend : « qu'on essaye d'arracher le monstre au fonds marins, et il se désintègre ou se transforme de façon grotesque » (p 154). Existe-il une science du langage ? « Chaque fois qu’on réfléchit sur le langage, que le langage contemple sa propre réflexion, on est confronté à un autisme ontologique inévitable, on tourne en rond au milieu de miroirs » (p 167-8).



Steiner use d’une langue fluide au service d’une érudition touffue, aussi bien en philosophie qu’en littérature ou en sciences. Il distingue clairement ses thèses de celles de ses maitres et compétiteurs. Il ajoute des digressions qui peuvent disperser l’attention (cf. l'influence du second principe de la thermodynamique sur la sensibilité et le langage p 222 sq.). Son livre regorge de longues citations en grec, latin, français, anglais, allemand, qui marquent son amour pour les classiques mais sentent la note de cours, d’un cours brillant qu’on aurait aimé entendre plutôt que lire. C’est le cas des trois exemples qui ouvrent le livre, un monologue furieux de Shakespeare, un sonnet mirlitonnesque de Rossetti, et un texte chic de Noël Coward, ou encore, en fin de livre, le parallèle de la mort d’Hyppolite dans Euripide, Sénèque et Racine. Partout paraît son respect – son amour – pour les langues anciennes : "L'ambition et la portée du modèle hellénique et hébraïque étaient telles que les apports véritables et les trouvailles sont depuis restés rares. Il n'est pas de chagrin plus profond que celui de Job, pas de refus de se plier aux lois de la cité plus tranchant que celui d'Antigone [...] Pour de nombreuses cultures la cécité est la pire infirmité, le retrait du monde vivant ; dans la mythologie grecque au contraire, le poète et le prophète sont aveugles et, grâce aux antennes de la parole, voient plus loin" p 58-59.



Malgré les défauts de la longueur (Steiner a écrit sa première version en 1975 et l’a revue et augmentée en 1991 et 1998), ce livre est passionnant.

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Barbarie de l'ignorance: Juste l'ombre d'un..

Ce petit livre contient la transcriptions de deux interviews de George Steiner (1929-2020) réalisées par Antoine Spire (né en 1946) en janvier 1997 et décembre 1998.



Jeune, George Steiner devait rédiger une note après la lecture de tout livre et la remettre à son père. Ce n'est qu'à cette condition qu'il pouvait recevoir un nouvel ouvrage à lire. Ce judicieux pensum a contribué à sa culture.



Juif, son père expliqua au jeune George qu'il "appartenait à un club dont on ne démissionne pas". Métaphore efficace...



Le dialogue porte en partie sur l’État d'Israël, à propos duquel George Steiner dit avoir écrit peu après mai 1968 : "Cet état va torturer d'autres êtres humains. Il le devra, pour survivre". La discussion porte ensuite sur la question de l'amélioration (ou non) de l'être humain au fil des millénaires. La vision qu'avait le siècle de Lumières s'est trouvée totalement démentie par les destructions et barbaries massives du XXe siècle. Arthur Kœstler considérait que notre cerveau contenait une petite partie éthique et rationnelle et un énorme arrière-cerveau bestial et plein d'instinct meurtriers ; il pensait qu'il faudrait "encore des millions d'années [...] pour que l'évolution morale rattrape nos techniques de destruction et d'agression".



Le débat aborde ensuite le thème de la culture de masse versus celle de l'élite, du rap versus la musique "classique" (ce passage fait écho à l'essai "Bruits" de Jacques Attali) et pose la question de la démocratisation de la "haute culture" ?



On passe ensuite à une discussion animée sur Heidegger puis à celle du "poids sans fin de l’absence de Dieu" (référence à Kafka) : des génies tels que Michel-Ange, Shakespeare, Beethoven ou encore Picasso (qui disait en parlant de Dieu : "Cest lui le concurrent") reviendront-ils et, si oui, sous quelle forme ?



Vous trouverez dans ce recueil plein d'autres pistes de réflexion, notamment sur la fin de l'Histoire et celle du monde que d'aucuns semblent annoncer comme imminente et auxquels George Steiner répond en faisant remarquer que c'est précisément lors de la grande panique de l'an mille que l'on bâtissait de merveilleuses églises romanes et que l'on peignait d'inoubliables fresques apocalyptiques...



Si vous avez écouté plusieurs émissions de "Radioscopie", la considérable série culturelle de Jacques Chancel, vous retrouverez dans la lecture de ces entretiens la même impression d'avoir la chance d'être aspiré vers les hauteurs et le même plaisir d'entendre et d'apprendre.
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Ceux qui brûlent les livres

L'auteur aborde succinctement le rapport à la littérature depuis ses tous premiers balbutiements à son apogée - puis, ce qui semble être son déclin. Mais d'abord, il semble important de rappeler ce qu'est la littérature, ce qui la motive, et à qui elle s'adresse.



Les livres sacrés, religieux, sont le point de départ. En premier lieu, la littérature relate les exploits, les faits, la vie, elle montre une conduite, une voie, une morale. Il appartient à chacun d'en étudier la moindre lettre afin de comprendre sa place sur Terre, il appartient à chacun de s'en saouler jusqu'à plus soif, afin que ces écrits ne sombrent pas dans l'oubli - tradition qui découle de la culture orale, qui ne pouvait subsister que si quelqu'un continue de la raconter, de la partager. C'est la culture par le par-coeur, qui ne propose pas de faire travailler son imagination mais plutôt de comprendre le monde, d'en saisir les exactitudes. Tant qu'un peuple possède son Livre, il est voué à continuer d'exister.



D'ailleurs, c'est cette dominance du religieux qui a amené à la censure tout écrit qui n'est pas dédié à la grandeur d'un Dieu, à un exploit d'un homme saint. Une tendance qui tend grandement à s'inverser aujourd'hui, étant donné la multiplicité de livres - mais aussi la grande expansion d'autres formes culturelles dites de loisir. Quand on sait quel combat les amateurs de livres ont du mener tout au long de l'Histoire, il parait dérisoire de voir le nombre de littérature de moindre qualité et de moindre réflexion ou intérêt sacré qui est produite chaque année. Mais dans certains pays, la censure demeure forte.



Bien que développée en peu de pages, c'est une grande réflexion sur l'écrit et sur son histoire. La question du rapport entre le Livre et le peuple juif prend une grande place dans ce livre, et montre à quel point la tradition de la lecture a pu dévier de son intérêt d'origine. Le regard qu'on porte sur un texte, selon qu'on le prenne au pied de la lettre ou dans son sens métaphorique a une immense importance culturelle, notamment religieuse. Et que dire de ces textes dont l'intensité est telle qu'il est difficile d'avoir la même passion pour sa propre vie ?


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Ceux qui brûlent les livres

George Steiner (1929-2020)



S'il y a des choses que je regrette de cette sapristie Covid qui nous gâchait la vie, c'est que George Steiner, le grand professeur est mort à Cambridge dans un quasi silence.



George Steiner, une voix qui me manque, une voix qui me faisait trembler d'émotion quand il parlait de Tolstoï et Dostoïevski ; je devenais frénétique, fiévreux au son de sa voix, il ne fallait pas me déranger. Il arrivait vite à galvaniser son auditoire comme un joueur de tennis qui arrive sur le court chaud bouillant après un entrainement exigeant. En fait, Il semblait dans un monde qu'il devait ne jamais quitter ! C'était cela aussi qui impressionnait.

A quoi cela était dû ? il en parlait trop bien sans doute, il avait tout lu déjà, il avait réussi je pense comme celui qui arrive avec une force insoupçonnée à se tailler une place de choix dans un arbre pour voir mieux que tout le monde l'entrée de l'artiste qui nous fascine, nous subjugue. Il s'est rapproché d'eux en fait, grâce à son éloquence et à son érudition. Comme il était doué pour apprendre, pour les langues et la littérature, la philosophie, il a tout compris de ces deux géants, il en a percé les secrets ; il ne les a pas comparés, non, il les a réunis si singuliers, si différents, dans un livre qui est une référence, ce que personne n'a réussi à faire. Il y a des réflexions, des tranches de vie côte à côte, de la sublimation. Il nous dit que ce n'est pas à lui de trancher, que c'est à chacun d'avoir sa préférence en nous donnant suffisamment de grain à moudre. Il a sa petite idée bien sûr, mais par intelligence, il se refuse à la donner car il sait très bien que quand on est sur la ligne de crête, y mettre une fausse note pourrait engendrer une incompréhension plus qu'un avantage de l'un sur l'autre.



Pour moi Tolstoï et Dostoïevski, c'est comme les Stones et les Beatles, ça n'arrive qu'une fois par siècle, et encore.. j'étais Stones, franchement Stones et ai été bercé par les deux, j'achetais leurs disques et je me demande avec le temps si je ne suis pas en train de réparer ces écarts, pour finir il ne me plairait pas de parler de l'un sans parler de l'autre. C'est ce qu'il se passe pour Tolstoï et Dostoïevski. Qui sait si l'un ne s'est pas fait à l'ombre de l'autre, même éloignée, que seuls les égos séparaient, et réciproquement ?



C'était le voeu que s'apprêtait à réaliser Alexandra Tolstoï, jeune tante de Léon Tolstoï, attachée à la cour des tsars, si jeune qu'il en était amoureux, elle fut longtemps sa confidente. Il se trouvait qu'Alexandra comptait dans ses relations Dostoïevski dont elle admirait l'oeuvre : ils étaient amis. Elle était sur le point de les réunir pour la première fois, elle n'aura pas réussi son rêve car Dostoïevski est mort entre temps.



Alors je ne sais pas si George Steiner était au courant de cet épisode, quoiqu'il en soit il a su nous restituer avec brio ce lien invisible entre les deux géants.
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Ceux qui brûlent les livres

Il y a ceux qui brûlent les livres.

Pourquoi en viennent-ils à ce geste?

Il semblerait qu'à son départ le savoir était essentiellement oral. Chacun pouvait le garder en soi grâce à sa mémoire et lui donner corps par sa propre imagination. Jésus n'avait ainsi aucun écrit mais fonctionnait par paraboles. Socrate par la maïeutique issue d'un dialogue.

La naissance de l'écrit a bouleversé la transmission du savoir.

L'analyse de Steiner a une résonnance particulière à l'heure où la culture est jugée non essentielle. L'argumentaire est très condensé.

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Dans le château de Barbe-Bleue

Extrêmement bien écrit, agréable à lire,pertinent et brillant. Pourtant, cela manque un peu de l'érudition méticuleuse des historiens,selon moi. Même si je partage son point de vue et si le texte est très agréable à lire, les Antimodernes, d'Antoine Compagnon, ou le proces des lumières,de Daniel Lindenberg, apportent des réponses plus précises.
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Dans le château de Barbe-Bleue

Cet essai de George Steiner, publié en 1986, part d’une interrogation intéressante : comment peut-on expliquer le déchaînement des atrocités et des crimes vécus au siècle dernier alors même que la Culture, censée promouvoir des idées d’esthétique, de grandeur et de progrès, était plus accessible que jamais ? Ou, comme se demande Steiner : comment est-il possible que Buchenwald ne soit situé qu’à quelques kilomètres de Weimar ?



A partir de cette interrogation, Steiner nous fait profiter d’une réflexion très intéressante sur les idéaux qui ont façonné la Culture depuis le 18e siècle, afin de nous aider à comprendre son évolution et afin d’élucider les raisons mystérieuses qui l’ont empêché de se faire le remède, entre autres, des deux grandes guerres mondiales.

Si la Culture n’a pas réussi à nous préserver de ces maux, peut-on légitimement se demander si elle n’est pas, au contraire, à l’initiative des atrocités commises au cours du 20e siècle ? Existe-t-il des choses que les hommes ne sont pas encore prêts à savoir ? La métaphore du château de Barbe Bleue est très bien choisie… Nous ouvrons les portes de la connaissance, les unes après les autres, sans nous demander s’il est bon ou non de les ouvrir, assoiffés que nous sommes d’en apprendre sans cesse davantage, et nous précipitant déjà pour ouvrir la porte suivante sitôt que nous en avons franchi une.

D’un point de vue personnel, cette idée me plaît beaucoup. On peut me taxer de réactionnisme, mais l’emballement des connaissances scientifiques me semble être à l’encontre d’un progrès scientifique raisonnable, qui avance par paliers, qui s’assure que chaque étape est digne d’être validée avant de passer à la suivante. La profusion et l’abondance des œuvres artistiques est aussi un phénomène que je juge négatif, non pas qu’il me fasse peur, ou que je trouve regrettable que la culture soit ainsi offerte à tous, mais parce qu’à force de saturation, il pousse au dégoût de la Culture.



Dans la première partie de son livre, Steiner décrit une période de grand ennui qui, selon lui, aurait modelé une Culture de l’impatience, du désœuvrement, marquée par une envie de retrouver la violence et l’impétuosité des grandes guerres napoléoniennes. « Plutôt la barbarie que l’ennui », comme le disait notre bon vieux Théophile Gautier. Et là où les bons sentiments semblent pâles et ternes, les esprits s’échauffent à l’idée d’un lendemain plus tumultueux.





« Après Napoléon, que restait-il à faire ? Comment des poitrines promises à l’atmosphère grisante de la révolution et de l’épopée impériale auraient-elles pu respirer sous le ciel plombé de l’ordre bourgeois ? Comment un jeune homme pouvait-il à la fois écouter les récits que son père lui faisait de la Terreur et d’Austerlitz et descendre à cheval le boulevard paisible conduisant à son bureau ? Le passé plantait ses dents aigües dans la pulpe grisâtre du présent ; il provoquait, il semait des rêves insensés. »





De là, Steiner explique la sorte de « dégénérescence » qu’aurait connue la Culture, se faisant la porte-parole d’idéaux plus sombres et meurtriers que ceux des périodes précédentes. Vison un peu manichéenne sans doute, mais je ne me hasarderai pas à tenter de faire une comparaison minutieuse des œuvres parues au cours de ces deux périodes mises en opposition.

Et Steiner de regretter ces vers de Carducci :





Salut, ô genre humain accablé !

Tout passe et rien ne meurt.

Nous avons trop souffert et trop haï. Aimez :

Le monde est beau et l’avenir est saint.





Plus loin, dans une deuxième partie de son livre, Steiner s’interroge sur le rôle des humanités. Quel avenir pour les cultures dites « classiques » dans un monde qui a perdu ses repères et qui se voit chamboulé par l’arrivée de contre-cultures qui ne se définissent que par leur opposition à ce classicisme ? L’effondrement d’un socle de connaissances de bases semble, pour Steiner, avoir accéléré la chute de l’humanité dans un monde plus instable. La culture des humanités a perdu de la vitesse devant l’émergence d’une culture scientifique de plus en plus élaborée. La scission entre les deux mondes se fait de plus en plus forte, et Steiner la regrette :





« Il est absurde de parler de la Renaissance sans connaître sa cosmologie et les rêves mathématiques qui présidaient alors à l’élaboration des théories de l’art et de la musique. Etudier la littérature et la philosophie des dix-septième et dix-huitième siècles sans tenir compte de l’essor de la physique, de l’astronomie et de l’analyse mathématique à cette époque, c’est se cantonner dans une lecture superficielle. Un panorama du néo-classicisme qui omet Linné est vide. Que peut-on dire de sérieux de l’historicisme romantique, de la temporalité après Hegel, si on laisse de côté Buffon, Cuvier, Lamarck ? Les humanités ne se sont pas seulement montrées arrogantes en claironnant leur position privilégiée. Elles ont également fait preuve de sottise. »



Steiner semble vouloir nous apprendre à nous détacher d’une Culture classique, qui a fait son temps et qui nous renvoie seulement à un passé que nous devrions cesser de considérer comme appartenant au présent, pour mieux nous enrichir des nouvelles cultures et les considérer à leur juste valeur. Grand amateur de musique, Steiner ne tarit pas d’éloge à l’égard du développement de la technologie qui permet de la rendre accessible au plus grand nombre :





« Il n’est plus de mode d’amasser ses sentiments à l’abri du silence. La musique enregistrée s’accorde parfaitement à ces aspirations. Assis côte à côte, l’attention flottante, nous sommes emportés par le son, individuellement et collectivement. Voilà le paradoxe libérateur. A la différence du livre, le morceau de musique se révèle d’emblée propriété commune. Nous le vivons simultanément sur le plan personnel et social. Le plaisir de l’un ne lèse pas les autres. Nous nous rapprochons tout en affermissant notre identité. »





Steiner nous offre également la possibilité de considérer la Culture scientifique sous un regard neuf, essayant de nous apprendre à déceler le potentiel imaginaire qui se tient en elle :





« Aux racines de la métaphore, du mythe, du rire, là où les arts et les constructions délabrées des systèmes philosophiques nous font défaut, la science reste active. Qu’on aborde à ses régions les plus obscures, et se font jour une suprême élégance, un bouillonnement et une gaieté de l’esprit. Pensez au théorème de Banach-Tarski, selon lequel on peut diviser le Soleil et un pois en un nombre fini de parties discrètes, de manière qu’elles se correspondent deux à deux. La conséquence inéluctable est qu’on peut glisser le soleil dans la poche de son gilet et que les parties qui composent le pois peuvent remplir l’univers, sans un vide ni à l’intérieur du pois ni dans l’univers. Quel délire surréaliste engendre une merveille plus explicite ? »





Malgré toutes ces approches novatrices de la Culture, malgré le regard avisé de Steiner sur les limites que le savoir ne devrait jamais franchir, cet essai me laisse dubitative…

Evidemment, on pourrait reprocher à Steiner de n’aborder que la question de la Culture occidentale. Une allusion rapide est faite aux autres Cultures, mais elle se résume à ce passage :





« C’est sur notre culture tout entière que se concentre la tension, car, comme nous le rappellent les anthropologues, nombre de sociétés primitives ont préféré l’immobilisme ou la circularité du mythe au mouvement en avant, se sont perpétuées autour de vérités immuables. »



Mais je ne pense pas que ce soit le problème principal de cet ouvrage. Il fallait bien se limiter à l’étude d’une Culture pour ne pas se perdre dans de multiples théories…

Je reproche à cet essai une forme de démagogie du progrès, qui veut se tourner vers les nouvelles techniques avec l’espoir miraculeux d’abandonner tous les démons du passé.

Steiner est flou sur la conclusion qu’il veut apposer à cette réflexion. Sur un ton plutôt fataliste, il évoque la nécessité des hommes à en apprendre sans cesse davantage, se demandant toutefois quels bénéfices l’humanité pourrait retirer de l’ouverture de la dernière porte du château de Barbe-Bleue. Donnant l’impression de vouloir limiter la casse, il propose alors d’unir les Cultures classique et scientifique dans un élan commun vers le progrès modéré.

Belle conclusion, que d’autres avaient déjà tirée avant Steiner. Fallait-il employer une arme de la Culture pour démontrer que celle-ci doit être régulée afin que l’on en tire le meilleur parti ? Ce paradoxe presque schizophrène m’empêche de considérer cet essai avec tout le sérieux qu’il le mériterait peut-être… Mais parce qu’il est rempli de réflexions intéressantes sur le sens que l’on veut donner à la Culture et sur l’orientation qu’on veut lui faire prendre, il mérite d’être lu.
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Dans le château de Barbe-Bleue

Un livre dense qui pose vraiment les bonnes questions et auxquelles l'auteur ne répondra que partiellement. S'appuyant sur la métaphore du château de barbe-bleu ; sur cette insatiable curiosité qui nous pousse à ouvrir toutes les portes du savoir sans nous préoccuper si celles ci peuvent déboucher sur la nuit ou, bel et bien, sur un cadavre, il s'interroge par la même sur la culture occidentale et sur le fait qu'elle n'ait pas constitué un rempart contre la barbarie. La civilisation allemande était une des civilisations les plus cultivées et nombre de soutiens d'Hitler faisaient partie de l'élite.

Il analyse les prémisses de ce qui s'apparente à une défaite de la pensée à travers la culture occidentale. Le signe le plus significatif est l'ennui, consécutif aux guerres napoléoniennes, au désœuvrement et au manque d'idéal de l'ordre bourgeois. Car si celui-ci s'accompagne d'un dynamisme économique et technique il est toujours basé sur une élite et sur un immobilisme social source d'inégalité.

Puis il aborde le problème brulant de la proximité de la culture avec la barbarie et particulièrement cette haine antisémite qui survit même à son objet et a entrainé l'holocauste. « La conscience est une invention juive », ce sont les mots mêmes d'Hitler. Ce qui nous ramène — à l'invention du monothéisme et à ce dieu unique aux exigences démesurées à l'origine de l'éthique chrétienne et d'un socialisme messianique.

Il ne manque pas de faire le lien entre la production de masse et la déshumanisation.

L'après-guerre amorcera le déclin de la culture classique, la crise des valeurs, une après culture qui rompt avec le langage et avec le respect des hiérarchies communément admises et avec tout ce qui constituait l'ordre bourgeois. L'image remplace les mots, c'est la naissance d'un méta langage (l'ordinateur) et le règne de la musique pop et rock.

Seule la science assure la continuité et bizarrement l'auteur, même s'il pointe le désastre écologique et les risques qu'il fait encourir à l'humanité si celle-ci ne s'accompagne pas d'une éthique, en devient le défenseur inconditionnel.

Il n'aborde que de biais ce qui pourrait fournir une clé de compréhension, l'élitisme et la division arbitraire de la société en classe. Même si la faillite des idéologies nous empêche de trouver une solution évidente, l'impuissance patente d'un capitalisme effréné devant les désastres qu'il engendre est pourtant bien la principale problématique et aurait mérité qu'il s'y attarde.Le sujet semble devenu tabou. L'auteur préfère s'abimer dans le paradoxe et prône le retour à une culture classique accompagnant un idéalisme scientifique qui risque de déboucher sur une catastrophe finale irréversible.
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Dans le château de Barbe-Bleue

Il m'est bien difficile de faire une critique de cet essai. Tout premièrement parce que je m'attendais à autre chose en lisant cette oeuvre, qu'elle ne répond pas à mes attentes et que je suis donc déçue. Ensuite, parce que le livre est déjà ancien, écrit entre septembre 1970 et janvier 1971, et que des sujets abordés sont dépassés (ce qui touche par exemple à l'informatique). Enfin, parce qu'il s'agit d'un livre que je qualifierais d'élitiste, où je sens parfois l'esprit critique et assez méprisant de l'auteur.Il faudrait pouvoir donner une définition exacte de la Culture, et dire ce qu'il en est de l'après culture... Si la Culture s'arrête aux auteurs classiques, et que tout ce qui suit est l'après culture, ou de la sous culture, culture au rabais, c'est une façon de voir qui peut ne pas être partagée par tous. L'auteur fait référence à des écrivains ou philosophes qu'il juge importants, soit, mais il me met mal à l'aise lorsqu'il écrit par exemple, à propos d'un engouement pour la musique classique dans les années 70, "La bande magnétique, la radio, le phono, la cassette répandent une musique ininterrompue sur tous nos instants et tous nos travaux. C'est sans doute ce qui explique le succès commercial de Vivaldi et des compositeurs mineurs du dix-huitième siècle. Et la profusion de baroque et de musique de chambre pré-classique dans le catalogue du microsillon. Il s'agit souvent là, à l'origine, de Tafelmusik, d'une tapisserie sonore encadrant les affairements domestiques. Mais nous sommes aussi enclins à faire des modes nobles un bruit de fond. Rien ne nous empêche de faire tourner l'Opus 131 tout en prenant le café du matin. La Passion selon saint Matthieu est à notre disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours par semaine. Les conséquences sont, encore une fois, incertaines : une intimité jamais atteinte, aussi bien qu'une désacralisation. Nous baignons dans un sirop de sublime."... N'est ce pas une forme de dictature que d'imposer des lectures et des musiques spécifiques?

La culture se compose de strates déposées au fil des époques, des modes. Le meilleur subsistant, le reste étant oublié ou archivé car étant l'objet d'études pour des spécialistes. Le champs de connaissance étant si vaste, il est de plus en plus difficile de posséder une culture universelle, il nous faut une spécialisation pour approfondir, sinon nous sommes condamnés à tout survoler.

Autre point. Le livre est divisé en quatre chapitres.

- Le grand ennui

- Une saison en enfer

- Après-culture

- Demain

A différentes reprises l'auteur aborde l'horreur des camps d'extermination du régime nazi, et je m'étonne de certaines de ses réflexions : "Nous comprenons maintenant que les sommets de l'hystérie collective et de la sauvagerie peuvent aller de pair avec le maintien, et même le renforcement, des institutions, de l'appareil et de l'éthique de la haute culture. En d'autres termes, les bibliothèques, musées, théâtres, universités et centres de recherche, qui perpétuent la vie des humanités et de la science, peuvent très bien prospérer à l'ombre des camps de concentration. (...) Nous savons aussi - et cette fois-ci les preuves sont solides, bien que la raison s'obstine à les ignorer - que des qualités évidentes de finesse littéraire et de sens esthétique peuvent voisiner, chez le même individu, avec des attitudes barbares, délibérément sadiques. Des hommes comme Hans Frank, qui avait le haute main sur la "solution finale" en Europe de l'Est, étaient des connaisseurs exigeants, et parfois de bons interprètes, de Bach et Mozart. On compte parmi les ronds-de-cuir de la torture ou de la chambre à gaz des admirateurs de Goethe ou des amoureux de Rilke. Il est trop facile de dire que "ces hommes ne comprenaient rien aux poèmes qu'ils lisaient où à la musique qu'ils possédaient et interprétaient si bien." Rien ne permet d'affirmer qu'ils étaient moins ouverts que quiconque au génie humain, aux forces morales qui modèlent la littérature et l'art."... Ce qui signifie simplement que l'homme est complexe, imprévisible, et qu'il peut être monstrueux tout en étant instruit, et Bach, Mozart, Goethe ou Rilke (et beaucoup d'autres, Wagner compris) ne sont pas responsables! Et je ne vois pas pourquoi malheureusement un haut lieu de l'Histoire ou de de la Culture, ou un site admirable, ne pourrait pas être irrémédiablement souillé par un charnier ou un centre où se sont commis les pires atrocités, cela me semble relever du hasard et pas d'une volonté délibérée.

Un ouvrage, assez confus et complexe utilisant un vocabulaire soutenu, qui ne m'aura pas vraiment séduite, mais qui me fait quand même m'interroger.

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Dans le château de Barbe-Bleue

Un court essai sous-titré « Notes pour une redéfinition de la culture ». Sa faible ampleur est un leurre car Steiner y ouvre un nombre incroyable de pistes de réflexion sur ce sujet .Partant du constat de la déréliction de la culture classique , il en analyse les causes et s'efforce de se projeter dans l'avenir pour imaginer ce qui pourra en tenir lieu. Ce n'est pas toujours optimiste mais en aucun cas ce n'est infecté du négativisme ronchon d'un Finkielkraut .L ‘essai date de 1971 et pourtant la plupart de ses constats restent justes.
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Dialogues : sur le mythe d'Antigone, sur le..

Dialogues entre deux serviteurs de la pensée



C'est avec émerveillement que j'ai lu les dialogues entre George Steiner et Pierre Boutang, ces deux ardents serviteurs de la Pensée au verbe haut et clair.

Leurs ferraillements métaphysiques font naître des feux au plein coeur de l'épaisse obscurité.



Leurs mots dévoilent tout autant qu'ils voilent : c'est là sans doute le secret d'un échange véritable ; la vérité de toute parole humaine.



En lisant leurs dialogues, j'ai pu entrevoir ce que c'est que le travail de deux âmes tendues tout entières vers la connaissance. Dans ces entretiens, Boutang et Steiner questionnent avec ferveur des textes anciens, ils interrogent en profondeur le mythe d'Antigone et le Sacrifice d'Abraham.



Dès les premiers mots, on sait que ces deux penseurs ne plaisantent pas : ils savent toute l'importance de leur tâche d'être hommes, toute la difficile grandeur que revêt leur vocation de servir au mieux la Pensée.

Car cette dernière ne doit pas rester lettre morte. Il importe à ces deux hommes de porter la Pensée comme un grain, un semis, afin d'ensemencer les terres de la Parole pour accéder à une possible vérité.



Steiner et Boutang pressentent jusqu'à quels questionnements vertigineux vont les mener leur discours. Sur une ligne de crête, ils vont chercher ensemble à comprendre, à relire au plus près du sens premier ces textes fondateurs de la civilisation occidentale. Leurs mots s'aiguisent pour trouer de lueurs la nuit de l'entendement. Par la parole, ils tranchent au coeur du mensonge.



On n'en finit pas de creuser au sein de l'Être ; l'Ontologie est une recherche sans fin qui nous mène en définitive au seuil d'une aporie ; en bas d'une palissade qui monte au plus loin de tout regard et de toute pensée humaine.



À rebours d'une certaine opinion, Antigone n'est pas un élément factieux : elle ne porte aucun message anarchiste. Et Créon n'est pas le digne dépositaire de la Loi, le garant de l'ordre qui instaure une forme de paix au sein des murs de la cité.

Tout au contraire, c'est bien Créon le véritable fauteur de troubles, l'anarchiste ; car il va à l'encontre d'un principe sacré : celui qui dit au coeur de l'homme qu'un cadavre ne doit pas rester sans sépulture et pourrir sous un soleil assassin, dévoré de nuées de mouches. Par sa décision inique de ne pas enterrer le cadavre de Polynice – le frère mort d'Etéocle et d'Antigone –, Créon expose la cité de Thèbes à l'opprobre. Il souille et sape les fondements essentiels du Sacré.



Cette lecture intense m'a inspiré quelques mots sur la compassion, dont le sujet est au coeur de cet ouvrage comme une sorte de dénominateur commun et primordial :



Si la compassion existe, c'est parce qu'on ne peut pas, qu'il n'est pas permis – pour la dignité humaine –, de regarder la souffrance de l'autre sans sourciller.

On ne peut, sans perdre son âme, se boucher les oreilles face aux cris déchirants de la détresse humaine.



La compassion fonde en partie l'humanité, elle en est une sorte de principe sacré.

Privé entièrement d'elle, l'être humain serait la pire ordure qui soit, le plus dégueulasse salaud qui ne se soit jamais pu concevoir ; et je crois même qu'aucun mot ne serait assez fort pour dire cette terrible éventualité.

Vraiment, en pareil cas l'homme ne mériterait plus qu'une chose : être anéanti totalement, déraciné comme une herbe mauvaise du monde des vivants – et ce à tout jamais.



Que la compassion puisse ne plus être, c'est contresigner la mort de tout ce qu'il peut y avoir encore de noble dans l'être humain.

Et c'est laisser le dernier mot à Satan, cet "adversaire" infatigable de l'homme, ce négateur de toute vie.



© Thibault Marconnet

le 25 juillet 2013
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Éloge de la transmission : Le maître et l'élève

Un très beau livre humain, à découvrir, sur l'accompagnement, la présence et la transmission à l'autre. Il faut dépasser les premières pages...qui ne sont pas très digestes, et aller plus loin pour découvrir les merveilles de ce livre. A prendre et à reprendre, des paroles essentielles.
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Éloge de la transmission : Le maître et l'élève

Un ouvrage très intéressant sur la transmission du maître à l'élève. Il souligne l'importance du savoir et met en valeur toute la sensibilité, toute l'intelligence, toute la passion nécessaires au sachant pour transmettre un savoir vers des apprenants en particulier lorsque ceux-ci ne sont pas forcément dans des conditions favorables sur le plan de l'environnement et de la réceptivité.

Il s'agit, dans cet ouvrage très court, d'un dialogue entre deux "sachant". Dialogue riche, aux termes choisis, empreint de la passion de l'Autre, persuadé du potentiel de création de chacun pour peu que l'enseignant sache faire raisonner le savoir à transmettre. Très loin du nivellement par le bas que connaissent nos établissements d'enseignement depuis 1968. Immanence d'un savoir qu'il appartient à l'humanité de savoir conserver à travers le temps et de léguer aux générations présentes et futures.

Bien que reposant sur un style fluide, cet ouvrage de par la nature de son propos et la qualité de ses démonstrations reste réservé à un public averti. Initié.
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Entretiens

Fin de mes relectures de Steiner (RIP) avec ce petit livre d’entretiens qu’il a accordés à Ramin Jahanbegloo . Une partie passionnante sur sa biographie qui donne une idée de l’immense réservoir d’expérience qui vient s’ajouter à l’érudition du personnage. De remarquables réflexions sur la lecture et le rapport au livre , un survol en forme de commentaire de son œuvre , des considérations sur notre époque (peu flatteuses) et quelques projections vers l’avenir ( pessimistes). Les passages proprement philosophiques m’ont , je le reconnais un peu échappé , mais dans l’ensemble , comme toujours chez Steiner , une lecture stimulante.
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Entretiens

George Steiner, le maître à penser !
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Errata

'Il se trouve que l'étude, l'argument théologico-philosophique, la musique classique, la poésie, l'art, tout ce qui est difficile parce que c'est excellent.. sont l'excuse de la vie.'



C'est ce postulat qui règne en maître tout au long du dernier livre de Georges Steiner.

C'est un homme qui sait que la vraie vie est la vie de l'esprit, et il éblouit donc ses lecteurs avec la raison d'être de son existence passionnée.

Chaque chapitre est un essai séparé, et chaque essai est plein d'esprit et enrichissant.

C'est une plaidoirie en faveur de l'éducation classique, de la grammaire…

C'est aussi un peu autobiographique - instantanés d'une enfance bourgeoise à Vienne, Paris et New York, éloges pour des professeurs trop zélés,

clins d'œil froids à des universitaires jaloux d'Oxford et de Chicago.

Aussi une description de sa propre vie trilingue qui l'amène à une discussion sur le mythe de Babel,

le pouvoir du langage et le rôle important du futur dans le drame de l'humanité .



Entrer dans la vivacité de l'esprit de Steiner,

être inondé de son érudition, et de son humour,

est-il besoin d'autre chose dans une lecture?
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Fragments (un peu roussis)

De page en page, la vivacité de l'écriture défie la proximité de la mort.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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Fragments (un peu roussis)

Critique de Bernard Fauconnier pour le Magazine Littéraire



D’abord le titre : les « fragments un peu roussis », qui composent l’en-tête de chacun des chapitres de cet essai, proviendraient d’un rouleau retrouvé à Herculanum, dont l’auteur ne serait autre qu’Épicharne d’Agra, auteur du IIe siècle avant Jésus-Christ. Rouleau en mauvais état, « un peu roussi » en effet, et déchiffré à grand-peine. Cet Épicharne-là, avouons-le humblement, nous est inconnu. Vérité ou fiction ? Tel est le jeu, sinon le savant canular, auquel nous convie George Steiner dans ce bref volume. Compacité, réduction à l’essentiel des thèmes qui hantent depuis un demi-siècle les livres de ce polyglotte érudit, grand prêtre de la religion du livre, heideggérien mélancolique universellement connu et célébré, passeur autant que penseur : une manière de testament où Steiner cherche encore, dans ses racines juives autant que dans la métaphysique du Verbe ou les grammaires perdues, le sens du sens et la vérité de l’être. Et qui pose indéfiniment cette question : d’où vient le mal tapi au coeur de l’humain, à plus forte raison quand il est le produit de la plus haute civilisation ? Quelques belles âmes trouveront sans doute à s’agacer, entre autres de certaines pages provocatrices sur les « souris » qui composent la majeure partie de notre imparfaite espèce et se vautrent dans la servitude : le « vieux maître » n’a plus grand-chose, ni grand monde, à ménager. Réactionnaire ? Si vous le dites...

Le livre est donc fait d’un commentaire très personnel de chacun de ces fragments énigmatiques : « Quand l’éclair parle il dit ténèbre » ; « Amitié tueuse d’amour » ; ou encore : « Réfute l’Olympe si tu peux » ; « Mort amie », ce dernier fragment donnant lieu à un véritable petit traité de stoïcisme moderne, et à une utile réflexion sur l’obscénité des efforts qui cherchent à prolonger des vies condamnées.

Il y a sinon une « méthode » Steiner, dont Réelles présences , l’un de ses essais majeurs (rééd. Folio Essais), avait livré le cheminement, du moins une démarche : oser des questions qui n’attendent pas de réponse parce qu’elles la contiennent, dans leur sagesse contemplative ; contester le délire contemporain du commentaire, cette nouvelle scolastique, l’arrogance d’une critique obsédée par les déterminismes historiques, sociaux ou psychanalytiques, pour tenter une approche réellement ontologique ou métaphysique, des oeuvres d’art notamment - au risque parfois de la tautologie. « L’être est, le non-être n’est pas » : comment dire le néant ? Dans cet espace où s’arrête le langage, le dicible, l’articulé, dans la musique par exemple, n’est-il pas un au-delà bien proche de l’hypothèse de Dieu... ou du Nichts heideggérien ?

Le premier « commentaire » de ces Fragments est à cet égard foudroyant... comme son titre : l’éclair peut-il dire l’obscur ? « Y a-t-il un trou noir au coeur de l’être ? » En reprenant le questionnement premier de la métaphysique et en résumant ses enjeux, l’auteur administre comme une première leçon de ténèbres. La suite en procède, dans des variations souvent savoureuses, et des formules délectables, empruntées aux meilleurs des aphoristes, de La Rochefoucauld à Oscar Wilde, mais surtout dans des réflexions sur l’amitié, qui est une « critique de l’amour », sur l’argent, la musique, et même sur Dieu et l’athéisme, avec un coup de griffe à Pascal, dont le pari fleure l’opportunisme...

Ces fusées sont l’écho d’un pessimisme fondamental, qui trouve sa consolation dans l’infini de Babel et la fréquentation des élus, en tout cas de leurs oeuvres. Car, pour le commun des mortels, le mal existe, et l’humanité selon Steiner, qui semble lorgner parfois vers Nietzsche, souffre de quelques défauts de fabrication : « Entre l’esprit d’un génie et celui d’un débile, quelles égalités ? [...] quel signe d’égalité entre Newton et un crétin, mes ressources intellectuelles et celles d’un Dostoïevski ? »

Telle est la mélancolie lucide de George Steiner, dans ce précieux petit livre de sagesse et de savoir qu’on referme avec une gratitude apaisée : dans le banquet du premier cercle où il a parfois son couvert, parmi les génies de l’humanité qui le protègent et l’inquiètent, il est lui-même hôte de passage, consolateur inconsolé de n’être pas du club, un peu Cassandre, un peu Alceste. Et beaucoup Orphée, dans sa quête des beautés de la musique, cet ultime mystère, sur lesquelles il écrit ses plus belles pages.
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George Steiner

Dans ce livre, on lit ceci (qui laisse perplexe) :

« [Ramin Jahanbegloo] : Je pense à cette phrase de Flaubert sur son lit de mort, disant que Madame Bovary va rester…

[George Steiner] : Cette phrase, que je cite souvent est atroce : "Je meurs comme un chien et cette pute de Bovary va rester." Cette phrase manifeste le paradoxe de l’angoisse d’un artiste face à la survie mystérieuse du personnage. On aimerait quelque chose de moins dramatique ; on voudrait de temps à autre que sa citation soit falsifiée. La citation fausse est souvent celle qui fait perdurer un texte.»



Ce "mot de la fin" prêté à Flaubert semble apocryphe. On en trouve d'ailleurs, sous d'autres plumes, au moins deux variantes (mais toujours avec le mot "pute" qui n'était pas dans le vocabulaire de Flaubert), ce qui le rend d'autant plus suspect ; George Steiner l'aurait-il inventé ou en connaissait-il une source (qu'il ne cite pas) ?

L'auteur de "Madame Bovary" est décédé brutalement et, ne voyant donc pas la mort arriver, n’a pas pu avoir le temps de la commenter. Elle fut inattendue et foudroyante puisque provoquée par ce que l’on appelait à l’époque une «apoplexie», c’est-à-dire un arrêt fonctionnel d'un organe vital, vraisemblablement dans son cas une hémorragie cérébrale.

Le seul témoignage crédible sur les derniers mots de Gustave Flaubert se trouve dans une lettre de Guy de Maupassant à Ivan Tourgueniev, datée du 25 mai 1880 ; il les tient de Suzanne, la bonne qui se trouvait à Croisset ce funeste samedi 8 mai 1880 :

« [...] il appela sa bonne, se sentant un peu indisposé ; comme elle ne montait pas assez vite, il cria par la fenêtre d’aller chercher M. Fortin [ami médecin] qui, justement, venait de partir par le bateau. Lorsque la bonne fut près de lui, elle le trouva debout, fort étourdi, mais sans aucune inquiétude. Il lui dit : "Je vais avoir, je crois, une espèce de syncope, c’est heureux que cela m’arrive aujourd’hui, ça aurait été bien embêtant demain dans le chemin de fer." Il déboucha lui-même une bouteille d’eau de Cologne, s’en frotta les tempes, se coucha doucement sur un grand divan, murmura : "Rouen..., nous ne sommes pas loin de Rouen... Hellot..., je les connais les Hellot..." se renversa tout noir, avec les mains crispées, la face gonflée de sang et foudroyé par la mort qu’il n’avait pas soupçonnée une seconde.

Sa dernière phrase que les journaux ont interprétée par une pensée au père Hugo qui habite avenue d’Eylau, me paraît devoir indiscutablement rétablie ainsi : "Allez à Rouen, nous ne sommes pas loin de Rouen, et ramenez le docteur Hellot, je les connais les Hellot."»

Depuis ce livre de George Steiner et Ramin Jahanbegloo, cette phrase peu crédible de Flaubert est partout reprise et donnée pour vraie, par exemple chez les écrivains Roger Grenier, Martine Bacherich ou Sébastien Lapaque.





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