Ils étaient six copains, copains depuis le lycée, copains depuis qu'ils ont gagné ensemble un match de handball, ce qui leur valut quelques honneurs dans la presse. Bob, l'un d'eux les a quittés, en tombant d'une falaise, ou plutôt en se jetant d'une falaise. Il est toujours présent dans leurs mémoires.
Kol, quant à lui était salarié dans une imprimerie, qui vient de fermer. Syndicaliste et porte parole des grévistes qui voulaient sauver leur emploi, il a été licencié. Un journaliste, Pierre Ramut, écrivant dans le journal "Demain le jour" et auteur de "La France debout" s'est emparé de cette affaire de fermeture d'usine. Oh, non pas pour sauver cette affaire et aider les grévistes, mais au contraire pour l'enfoncer. Ce type qui porte nœud papillon et montre à 50 000 € prêche chaque semaine dans ses éditoriaux la baisse du coût du travail, défend l'accroissement de la durée du travail, et a été plus ou moins responsable de la mort de Bob...
Alors tous ensemble, ils décident d'enlever Ramut, et de lui faire vivre leurs conditions de travail, lui qui parle tant des conditions de travail des ouvriers sans les connaître, sans jamais les avoir vécues. Alors Pierre Ramut sera séquestré, loin du monde, dans un vieux bunker en béton...il peut hurler, personne ne l'entendra, et personne n'aura l'idée de venir le chercher là.
Ils investissent dans une perceuse et lui font percer des pièces...le travail sans élévation de l'homme, le travail ridicule de l'OS, celui qu'on fait sans âme, sans intérêt. Une tâche de robot, faite à l'occasion de postes du matin, de l'après-midi, puis de nuit ! Chaque semaine, on change d'horaire, et chaque jour, sous peine de voir ses primes réduites à néant, Ramut devra atteindre un quota...Il lui faudra plusieurs jours pour atteindre les objectifs qu'on lui a fixés et devenir le robot asservi travaillant sans réfléchir : 600 pièces par jour ...."Bac de gauche, perceuse, bac de droite" ....et aux changements d'horaires hebdomadaires. Il recevra une paye tenant compte de la réalisation de ses objectifs.
L'humour est souvent présent, la dérision aussi..tant de journaux, tant de libéraux, parlent du travail sans jamais avoir vécu des dures conditions de travail. Tant d'autres, les mêmes parfois, parlent des salaires, des salariés, du travail sans jamais avoir connu les difficultés de fin de mois, les conditions dégradantes de travail, les horaires décalés, las salaires de misère.
La critique acerbe également "Un ministre soit-disant socialiste pérorait sur les pauvres. Grâce aux réformes qu'il entreprenait, ils pourraient désormais voyager en car plutôt qu'en train : "Oui, ils pourront voyager plus facilement parce que l'autocar, c'est huit à dix fois moins cher que le train. Pourquoi? Parce qu'il y a trop de normes et qu'on a protégé le secteur ferroviaire." (P. 30)
Qu'adviendra-t-il de ce journaliste disparu sans laisser de traces, aux yeux de l'opinion, de ses collègues de travail, de la police, de sa femme ?
L'idée est séduisante, le livre comporte indéniablement de belles pages, des dialogues savoureux, mais aussi des pages beaucoup plus graves, beaucoup plus polémiques reflétant bien les vues politiques et sociales de Gérard Mordillat, ses autres combats. Tout le monde en prend pour son grade...pas de jaloux !
Mais le livre pèche, c'est dommage, par des longueurs, des redites, des pages sans intérêt, à mes yeux. Il aurait été plus percutant s'il avait été moins long, moins répétitif et moins lassant parfois. On a trop souvent envie - et on le fait- de survoler certaines pages !
En tout cas pour avoir vécu, dans le cadre de stages obligatoires intégrés à mes études, pendant deux fois deux mois dans ma vie, ces conditions dégradantes et humiliantes de travail et de vie, je peux vous assurer que les décisions de nos grands penseurs politiques, de tout poil, que celles de nos grands capitaines d'industrie, seraient totalement différentes s'ils avaient au fond de leurs tripes, ces vieux souvenirs de travail posté, d'objectifs à atteindre, de retenues sur salaires, cette fatigue...décrits par Gérard Mordillat.
Une expérience indéniablement formatrice.
"Bac de gauche, perceuse, bac de droite !"
"Bac de gauche, perceuse, bac de droite !"
"Bac de gauche, perceuse, bac de droite !"
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