Citations de Gilbert Sinoué (943)
La cuisse du sergent John Kneller était fendue sur toute sa longueur. On pouvait entrevoir dans la béance un amas de débris, des lambeaux de chair et du sang. La gangrène avait commencé son travail de sape et de puanteur. [...]
Pris d'une soudaine quinte de toux, le chirurgien expectora un crachat glaireux vers le sol. Il s'essuya la bouche du revers de sa veste maculée avant de donner un nouveau coup de scie, cette fois dans le cœur même du fémur. [...]
Sous les dents métalliques, l'os se fendit.
Alors le visage de Kneller ne fut plus qu'une grimace, effrayante, hallucinée. Son corps entier se cabra. Aussitôt, des mains le plaquèrent contre la table.
- Qu'est-ce qu'il gigote, ce con !
- Comme si cela servait à quelque chose ! grommela un aide-soignant. Il est foutu de toute façon !
Le femme jeta un regard circulaire, fixant les personnages, un à un, avant de revenir vers John Kneller.
Plus jamais... Plus jamais elle ne permettrait que l'on affiche autant de mépris pour la souffrance des hommes...
La bonne entente entre le chat et la souris ruine l'épicier.
Lorsque la bêtise gifle l'intelligence, l'intelligence a le droit de se conduire bêtement.
La pire des attitudes qui soient n'est pas de porter tel ou tel vêtement, ou de vivre de telle ou telle manière, non, la pire des attitudes est de chercher à imposer à autrui son mode de pensée. C'est de nos différences que doit naître le lien qui unit les hommes, car c'est ainsi que Dieu les a voulus : différents.
A quelques pas d'eux, un homme au visage buriné se mit à jouer d'un saroh ; c'était un instrument rare dans cette région qui par sa forme en losange faisait songer à une raie. Celui-ci avait une particularité : à l'extrémité du chevillé, un oiseau, un bengali, taillé dans le bois, semblait tenir les huit cordes dans son bec.
Chose rare, le mua’dhine de Gurgandj était aveugle ; car, s’inspirant d’une ancienne coutume, le souverain avait imposé que cette charge fût attribuée exclusivement aux êtres frappés de cécité ; cela, afin que de leur situation élevée ils ne pussent épier ce qui se passait sur les terrasses ou dans les cours des maisons voisines du minaret.
- L'âge commence à gagner ton corps, mais il n'a toujours pas réussi à maîtriser ta déraison. Tu es toujours un enfant, fils de Sina. (Yasmina)
- Tu me voudrais un vieillard perclus et repoussant ?
- Je te voudrais plus sage.
Il eut un petit rire mélancolique.
- Si tu savais le nombre de gens qui se disent sages alors qu'ils ne sont que fatigués.
- Quoi qu'il arrive, n'oublie jamais ceci : notre existence s'écoule en quelques jours. Elle passe comme le vent du désert. Aussi, tant qu'il te restera un souffle de vie, il y a deux jours dont il ne faudra jamais s'inquiéter : le jour qui n'est pas venu, et celui qui est passé...
(Ali Ibn Sina (Avicenne))
Je préfère de loin la haine à l'indifférence. Elle a ceci de favorable qu'elle laisse entrevoir des chances de dialogue.
Et les rumeurs ont ceci de pernicieux qu'elles font croire à l'ignorant qu'il sait.
L'os dit au chien: " Je suis dur." Le chien répond: " J'ai le temps."
Proverbe arabe;
L'érudition d'un être se mesure parfois à l'ignorance des autres.
En arrivant à Alexandrie, César avait rencontré en Cléopâtre une jeune fille fascinante, espiègle et rieuse ; Antoine, une reine mûrie par l'expérience et parvenue au faîte de sa beauté. Mais pour Octave - qui n'a que trente-trois ans - elle n'est qu'une femme vieillissante, aux charmes flétris pour laquelle il n'éprouve que répulsion.
-Celui qui ne respecte pas le toit qui l’accueille n'est pas digne d'y rester.
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- Mais, mon petit, l'Arménie n'est pas uniquement un espace géographique, c'est une identité. Réfléchis un peu. As-tu essayé d'imaginer le nombre de peuples qui nous ont traversés ? Occupés ? Tyrannisés ? Ces envahisseurs ont pu raser nos maisons, dévaster nos champs, mais ils ne seront jamais parvenus à éradiquer notre mémoire. La mémoire arménienne, sache-le, est immortelle. Souviens-toi que nous avons été le premier royaume officiellement chrétien de l'Histoire, un îlot de foi dans un océan de paganisme. C'était il y a plus de mille six cents ans. Et que vois-tu aujourd'hui ? Nous sommes toujours là, ancrés plus solidement que jamais dans notre religion. Et la sainte cathédrale d'Etchmiadzine, la reine de nos cathédrales, est toujours debout. Souviens-toi que c'est dans nos vignobles que le patriarche Noé s'est enivré ! Que ce même Noé, en débarquant de son arche au sommet du mont Ararat, s'est exclamé : Yerevants ! "c'est apparu !"
Yerevants = Erevan
Rêve ou réalité, l'essentiel réside dans la fidélité à soi.
"...Mon nom est Vivant; mon lignage, fils du Vigilant; quant à ma patrie, c'est la Jérusalem céleste. Ma profession est d'être toujours en voyage : faire le tours de l'univers au point d'en connaître toutes les conditions. Mon visage est tourné vers mon père, et mon père est Vigilant. J'ai appris de Lui toute science, les clefs de toutes les connaissances m'ont été données par Lui. Vers les extrêmes plages de l'univers, c'est lui qui m'a montré les chemins qui sont à parcourir, de sorte que par mon voyage en embrassant le tour, c'est comme si tous les horizons de tous les climats se trouvaient rassemblés devant moi."
Ibn Sina interrompit l'écriture de son récit et fit quelques pas en direction de la fenêtre en serrant contre sa poitrine les pans de son manteau de laine. Ses doigts couverts de gerçures s'enroulèrent autour des barreaux et il se laissa aller à fixer le paysage noyé d'aurore qui s'étirait à perte de vue. En deux mois, il avait eu le temps d'apprendre le moindre recoin, le contour des gorges rocheuses découpées en cicatrices sanguines au pied de la montagne. Il pouvait dire de mémoire l'ombre des pierres ocres et mauves engravées sur le flanc des collines et les respirations de la nuit.
Le temps passa. Ibn Dakhdul avait enseigné au cheikh un jeu passionnant : Le Jeu du brahmane*, qui consistait à l'aide de pions d'ivoire représentant des cavaliers, des ministres, des tours et des soldats, à livrer bataille sur un damier. La légende voulait que ce jeu fût inventé par un brahmane hindou pour divertir un jeune prince arabe. C'était un divertissement très populaire dans la région ; mais vu sa complexité les bons joueurs étaient rares.
— Est-il vrai que le Prophète haïssait les poètes ? interrogea el-Jozjani.
— Absolument. Il disait d'eux : "Ces êtres qui errent comme des insensés par toutes les vallées et disent ce qu'ils ne font pas..." En vérité il n'y avait rien d'étonnant à ce mépris. Il en est souvent ainsi lorsque l'on est soi-même un grand poète.
Il s'était toujours rêvé en patriarche, entouré de filles et de garçons. Peut-être estimait-il que, de la sorte, son souvenir eu plus de chance de se perpétuer. Car, finalement, qu'est ce que la mort, la vraie, si ce n'est d'être oublié des êtres que vous avez aimé ?