AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Ismaïl Kadaré (257)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Qui a ramené Doruntine ?

Dans l’Albanie médiévale et légendaire, La Bessa a été prononcée dans la respectable famille Vranaj.

La parole d’un fils donnée à une mère. Une promesse sacrée que tous ont entendu lors du mariage de Doruntine, la seule fille de la famille après neufs frères.

Dorintine est partie loin, très loin dans les contrées de Bohème. Konstantin qui aimait sa sœur d’un amour si peu fraternel avait fait le serment de la ramener, si jamais...

Mais il y eut la guerre et les neufs frères se sont vaillamment battus contre une armée de pestiférés et contre la peste il n’y a pas de vainqueurs, ceux qui sont rentrés ont péri quelques semaines plus tard.

Quand Doruntine revient dans cette nuit de brume, le village s’enflamme. Qui a bien pu ramener Doruntine ? Elle raconte que c’est son frère mais celui-ci est mort.

Troublé, le capitaine régional Stres va mener l’enquête. Si aujourd’hui il est marié, il fut un temps où Doruntine lui plaisait beaucoup.

L’enquête se poursuit, elle enfle et prend des proportions insensées au point que l’archevêque s’en mêle, il veut démystifier l’affaire. Il n’y eut qu’une résurrection dans l’histoire, il ne pourrait y en avoir une autre !

Le sujet est sensible et douloureux, l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe se sont étripées pour bien moins que cela.

Ismail Kadaré en excellent conteur épaissit la brume et nous entraine dans une enquête passionnante où se mêlent mythe et croyance, où la superstition et le fantasme se heurtent à la raison, la rationalité.

On oscille entre deux niveaux de lecture, il y a la dénonce sociale et l’histoire mouvementée des deux religions qui cohabitèrent un temps et puis la légende, le conte.

C’est à la fois intelligent, subtil et divertissant et je vous le conseille !

Commenter  J’apprécie          50
Disputes au sommet

Je connais Ismaïl Kadaré de réputation bien-sûr, et j’ai lu [Les Tambours de la pluie], mais c’était il y a bien longtemps et je n’en garde aucun souvenir. C’est donc la curiosité qui m’a poussée à solliciter ce livre auprès de l’éditeur.

En le lisant, je me suis bien aperçue que ce n’est pas le genre de livre que je lis d’habitude, un livre à la Modiano ne puis-je m’empêcher de penser (moi qui n’ai jamais lu Modiano…). Un livre où l’on revisite le passé, encore et encore, en s’interrogeant sans cesse sur le sens de petits détails, sur le jeu de dupe incessant entre les faits et la mémoire qu’on en a. Ce livre est comme un palais des glaces, on erre dans ses couloirs, dans les treize versions d’une même conversation de trois minutes entre Pasternak et Staline un jour de juin 1934, sans savoir où est le vrai et où est l’image déformée. Treize versions décortiquées dans la troisième et dernière partie du livre, qui représente la moitié du livre.

Mais ce n’est pas qu’un livre sur la mémoire, ce n’est pas non plus qu’un livre sur les parallèles entre Pasternak et Kadaré, tous deux écrivains sous un régime totalitaire, tous deux ayant approché le Nobel sans l’atteindre, ce n’est pas qu’un livre sur la façon dont la figure de Pasternak hante Kadaré, d’abord lors de son séjour à Moscou à la fin des années 50 en plein pendant la controverse sur l’attribution « bourgeoise » du Nobel à Pasternak (c’est la première partie du livre), puis lors de l’écriture de son livre [Le Pont aux trois arches] vingt ans plus tard (dont la publication est racontée dans la deuxième partie du livre), mais aussi lors d’un appel similaire que Kadaré a reçu de la part du dictateur de ce petit pays aveuglément aligné sur l’URSS de Staline, Enver Hoxha.

Et c’est un livre surtout, me semble-t-il, qui s’interroge sur les liens entre littérature et pouvoir, sur le rôle de l’écrivain dans un pays totalitaire, sur la responsabilité en tant qu’individu et en tant qu’artiste, sur le courage et la lâcheté. Le livre s’interroge plus qu’il ne répond (la fin plutôt abrupte m’a d’ailleurs surprise), mais l’auteur arrive à nous emmener dans son tourbillon d’interrogation et à nous faire partager son questionnement sans fin.

C’est un livre qui se gagne. Il faut accepter de se laisser engloutir par le déferlement d’interrogations d’Ismaël Kadaré. C’est un livre qui demande de connaître un peu le milieu littéraire russe des années 30 ainsi que la vie et l’œuvre de Kadaré (ce qui n’est pas mon cas, il m’a donc fallu plusieurs fois chercher des informations biographiques, ainsi qu’aller chercher qui était Ossip Mandelstam ou ce qu’était l’acméisme). Mais si l’on est un tant soit peu armé sur ces questions ou prêt à quelques petites recherches, ce livre procure un moment de lecture comme un tourbillon où présent et mémoire se mélangent, où vérité et perceptions se confondent, où les évidences n’existent plus et où le présent n’est plus que le théâtre d’un passé qui se rejoue sans cesse. Un livre court mais qui met mal à l’aise car il pose des questions auxquelles l’honnêteté intellectuelle ne permet pas de répondre de façon définitive.



Merci aux éditions Fayard de m’avoir permis de lire ce livre, via netgalley.
Commenter  J’apprécie          50
Novembre d'une capitale

Novembre 1944, la libération de Tirana par les partisans...ou plutôt la prise de la station de radio, point névralgique, déterminant pour contrôler les informations, influencer le peuple...passer des nouvelles éronées de l'occupant allemand honni à celles très "orientées" du libérateur héroïque bientôt tirannique, Hoxha.

Quelques jours rapportés sous trois angles :

- celui de quelques combattants albanais - hommes et femmes âpres et durs mais beaux comme leur pays,

- celui des bourgeois qui, comme des chats ont 7 vies et ont toujours retomber sur leurs pattes et rester en haut du pavé à travers les régimes - le roi Zog, la régence italienne, les allemands -

- et celui de quelques employés clés de la radio. Speakerines vedettes, techniciens ou journalistes. A double visage, ils ont servi les allemands par force et pensent avoir gardé leur âme albanaise.



Un très beau court roman qui, je pense, donne une bonne idée du chaos qui règne lors de la reprise d'une ville, rue à rue, et des intérêts divergeant d'un même peuple.

Commenter  J’apprécie          50
Le Monstre

Ce livre a été écrit en 1965 quand l’Albanie était sur le point de se détacher de l’URSS. Il a été interdit par la censure albanaise jusqu’en 1990. L’époque est annoncée sobrement à la page 16: «Peu après, on annonça que les étudiants ne repartiraient plus… Les relations entre les pays du camp socialiste devenaient de plus en plus fraîches et, quoique la radio et la presse n’en fissent point état, la tension était désormais notoire». C’est tout ce qui en est dit. On passe ensuite à une paraphrase de la guerre de Troie sans qu’il soit encore question de la situation sauf par allégorie interposée. En effet, en pleine soirée de fiançailles de Lena (Hélène) avec Max, Gent danse avec Hélène et lui propose de l’enlever comme Pâris avait enlevé Hélène. La jeune femme accepte d’emblée, ils quittent la piste de danse, et ils fuient en taxi. Furieux, Max confie à son ami Ulysse qu’il va se venger et tuer les amants. Kadaré va dès lors paraphraser l’histoire de la guerre de Troie, passant d’une époque à l’autre, d’une Hélène à l’autre, et d’un pays à l’autre. Les amants son traqués, et par exemple, les Grecs (lire les Soviétiques) qui «se considèrent comme le phare du monde» (p. 60) se livrent à la propagande, au complot, à l’intimidation. On comprend que le livre de Kadaré ait été interdit par la censure. Les amants sont traqués, et une nuit, Max tue de sa propre main le couple dont il a cru retrouver la trace dans un bois. La police descend sur les lieux et trouve une pièce d’identité. La jeune femme tuée dans la nuit noire s’appelait Ana Shundi. On retrouve dans ce roman l’absurdité de la vengeance, thème du chef d’œuvre de Kadaré qu’est Avril brisé.
Commenter  J’apprécie          50
Le Général de l'armée morte

Dans Le général de l'armée morte d'Ismail Kadaré, un général italien accompagné d'un prêtre est envoyé en Albanie, vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, pour retrouver les restes des soldats italiens tombés pendant les combats afin de les ramener dans leur pays. Il rencontrera au cours de ses recherches un lieutenant-général allemand qui accomplit le même travail de mémoire que lui.

Le général, imbu de lui-même, se sent un héros, investi d’une grande mission, entouré du respect des familles des disparus et des espoirs qu’elles placent en lui. Mais les deux années qui vont suivre, nécessaires pour mener à bien ces recherches vont se révéler une épreuve redoutable, tout aussi horrible que celle vécue par les soldats pendant le combat.



"- … C’est un espèce de duplicata de la guerre que nous faisons.

-Peut-être même pire que l’original."



Cette macabre entreprise lui enlève toute sa superbe, la guerre n’a rien de glorieux. C’est une évidence qui s’impose à lui d’une manière triviale, tels ces ossements qu’il récolte, « enfermés dans des sacs de nylon ».



Peu à peu, la mort s’impose, précède le cortège formé par le général, le prêtre, l’interprète et les ouvriers. « C’était une marche dans les ténèbres de la mort » . Elle place l’officier italien, d’une manière hallucinatoire, à la tête d’une armée morte. Elle s’attache à ses pas, elle s’insinue jusque dans ses rêves. Elle va frapper encore, en tuant un ouvrier albanais infecté par le cadavre d’un soldat italien qu’il a déterré, comme si le disparu avait attendu vingt ans pour prendre sa revanche.

Des récits racontés par des témoins, des extraits de journaux écrits par les soldats fusillés ou les déserteurs, ressuscitent des personnages parmi ceux, anonymes, qui ont perdu la vie dans ces âpres montagnes.

C’est sous la pluie, dans la boue, le froid et le vent que le général enlisé mène ses recherches morbides, recueillant les dépouilles des soldats, les identifiant à leur plaque, sous le regard plus ou moins hostile mais aussi, parfois, railleur et méprisant de la population qui n’a pas oublié les exactions commises par l’armée italienne, en particulier par le Bataillon bleu, une division punitive commandée par le colonel Z, criminel de guerre. Une scène très forte, peut-être la plus marquante du récit, est celle où le cadavre du Colonel Z est retrouvé, lors d’un repas de mariage pendant lequel le général force l’hospitalité des habitants ! C’est un grand moment du roman !



Kadaré peint son pays, l’Albanie sous des dehors farouches, inhospitaliers mais en même temps d’une grande beauté. Il montre un peuple fier que l’on « ne peut réduire par la force » comme le constate le général lui-même. Un pays « tragique », traversé par les envahisseurs, ravagé par les guerres, régi par des coutumes austères et sévères, par un climat rude et âpre. Même les chants qui ont une si grande importance dans la vie des habitants sont lugubres. Et pourtant c’est un peuple qui sait être magnanime en n’achevant pas les ennemis tombés à terre. Ainsi les Albanais n’ont pas massacré les soldats italiens vaincus et retenus dans leur pays sans possibilité de fuir. Il montre aussi que le côté belliqueux des Albanais n’est pas inné mais a été créé par des siècles d’occupation et de violence. On sent toute l’admiration de Kadaré pour son pays et le peuple auquel il appartient.



Dans Le général de l’armée morte éclate tout le talent de l’écrivain dont c’est le premier roman ! Kadaré fait de la mission du général, une véritable danse macabre dans la boue et la pluie, orchestrée par les chants du pays, lancinants, les voix des morts qui reprennent vie au cours du roman. Il montre aussi l’horreur de la guerre, et dresse une peinture satirique des officiers et, à travers le personnage du prêtre, de l’église. Le général de l'armée morte est aussi poésie de la terre, de ce pays grandiose et sauvage. Un grand livre !


Lien : https://claudialucia-malibra..
Commenter  J’apprécie          50
La ville du sud

Un recueil de nouvelles qui nous donne une idée de la vie Albanaise pendant la seconde guerre puis au début du régime communiste.

Pas de misérabilisme, tout est factuel, ou plein de tendresse voire d'une pointe de comédie.

La plus longue et la plus belle des nouvelles donne son titre au livre. La ville du Sud c'est Gjirokastër cette magnifique ville de pierre avec sa citadelle accrochée à la montagne. Par le yeux d'un enfant on suit la vie quotidienne dans une maison traditionnelle, puis les péripéties de l'occupation italienne, puis allemande. Moment magique lorsque l'enfant s'éprend d'une belle locataire de son grand-père. Moments intenses lorsque la cave de la maison devient capharnaüm en servant d'abris contre les raids aériens, ou lorsque la citerne trop pleine menace l'équilibre de l'habitation. Moments presque comiques lorsqu'un vieil artilleur tente en vain d'abattre des avions italiens ou lorsque la famille tente de se protéger contre les sorts jetés par des voisines.

Commenter  J’apprécie          50
Avril brisé

Gjorg se promène. Il a le temps. le temps de la reprise du sang. Il a de la chance : le foulard noir noué au bras, tout le monde l'observe. Tout le monde sait de quoi il s'agit. Où qu'il aille, le silence s'installe, s'étale, les langues se durcissent.

Gjorg a le temps. Il laisse son regard vaquer au firmament. Il sait qu'il doit mourir. Lui-même ne sait plus trop comment a commencé cette histoire. Elle date de plusieurs décennies, c'est certain. Un voyageur qui se serait abrité chez ses ancêtres. Or, l'hôte est roi. Dans ces régions d'Albanie, il y a l'hôte, puis Dieu, puis les habitants de la maison. L'hôte s'est fait tuer. C'est à l'habitant de le venger. Des décennies plus tard, c'est à Gjorg de laver l'affront d'avoir eu à enterrer son frère. C'est parti d'un malentendu. Or, tout est d'une logique implacable. le Kanun (jus canonicum des montagnes du Nord de l'Albanie) le précise.

Ça se passe au XXe siècle, on ne sait pas exactement quand. Avant les Italiens, avant Enver Hoxha.



Il est brumeux, Gjorg, l'ombre s'acharne autour de lui. L'infâme logique le poursuit surement, mais il reste impassible. Un couple arrive. le voit. La femme demande à son mari. Il trouve ça sublime. Elle ne comprend pas. La mort qui rode, c'est splendide.

Que ce soit l'invisible Skanderberg qui attaque l'armée Turque à la nuit tombée dans Les Tambours de la pluie, ou les vengeances chez Shakespeare, on est dans le dos crawlé, lent, lourd.

On est dans Hamlet. En dehors de ce je-ne-sais-quoi (en français dans le texte) de pourri au royaume du Danemark, de la brume, du poison qui, insidieusement, contamine le royaume, tout le monde est responsable et tout le monde doit payer (ça pourrait être du Alceste, tenez. On rit moins).



Un mois. C'est ce qu'il reste à Gjorg. Une vie à comprendre, c'est ce qui reste à la mariée. Tout est d'une logique implacable, c'est écrit. On vit ainsi, on meurt comme ça. Bientôt, ces terres se dépeupleront. Il ne restera que des femmes. L'arme de Gjorg, à quoi sert-elle ? C'est injuste, ne pas se laisser tuer. Ce n'est pas tant qu'il le mérite, c'est que c'est écrit.



Ce qui est écrit justement. Ce qui est dit, ou plutôt ce qui est dit sans être montré : on navigue dans l'ombre de Gjorg, dans l'ombre des murailles, des villages escarpés, des flancs de montagne, des tours de claustration, où l'on espère que Gjorg y aura un répit supplémentaire, le répit du lâche, dans le noir. Chez les rebuts de la société, qui refusent de se laisser tuer, seuls les prêtres ont le droit de pénétrer.



Une femme, un condamné, un homme qui étudie (comme un entomologiste, il laisserait faire la nature, n'en déplaise à son épouse), et la mort, anonyme ou presque ; peut-être plusieurs frères en embuscade, peut-être personne. Mais elle est lourde, la mort, pesante. Elle tricote sa toile autour de Gjorg. Lui, il a le temps. Il s'y habitue. Avec son arme.

C'était écrit. Depuis plus de six décennies, c'était son destin. Il aura du sang sur les mains, dans le coeur, et il ne connaitra peut-être pas les beaux jours de fin Avril.



PS : Kadaré est un prodige. Avril Brisé est peut-être son magnum opus, même s'il a cette méchante manie d'enchainer les chefs-d'oeuvre.
Commenter  J’apprécie          50
Avril brisé

C'est une histoire dure que nous raconte Ismail Kadaré dans 'Avril brisé'.

Tout se passe au début du siècle dans le nord de l'Albanie où 'le Kanun de Lek Dukagjini', permet aux habitants de ces régions reculées de venger la mort de quelqu'un.

L'un d'eux nous est présenté lorsque son chemin croise celui d'un jeune couple citadin qui se trouve là-bas, en voyage de noces.

On suit le couple qui s'installe et découvre une région qui réserve des surprises, mais aussi le jeune Gjorg qui a une mission à accomplir. On pense bien que leurs chemins vont se croiser encore, mais on n'imagine pas dans quelles circonstances.

L'auteur prend le temps pour mettre les choses en place. Il nous laisse surveiller, découvrir... Et peu à peu le rythme s'accélère pour nous amener jusqu'au bout.

Un livre marquant.
Commenter  J’apprécie          51
Le Général de l'armée morte

Dans le Général de l’armée morte, Ismaïl Kadaré écrit l’histoire d’un général qui vient en Albanie récupérer les corps des soldats italiens tués, lors de la seconde guerre mondiale, sur le sol albanais. Le roman se déroule dans les années 60 et l’Albanie est alors dirigée par un régime communiste, en froid avec l’URSS.



Ismaïl Kadaré joue, tout le long du roman, sur les oppositions et les confrontations. D’un côté, le peuple albanais fier et vivant, et de l’autre un général qui, en récupérant les morts, reconstitue des régiments de cadavres. Ce général, très fier au départ de sa mission, va perdre ses certitudes et sa morgue, miné lentement par son macabre travail. C’est le désespoir qui l’envahit, insidieusement, dans un environnement montagneux rugueux, comme ses habitants, et une météo des plus défavorables.



Plus qu’une opposition entre les vivants et les morts, c’est une allégorie du peuple albanais dont la principale caractéristique est l’esprit de résistance, ce qui lui a permis de combattre les italiens pour conserver son indépendance, et qui refuse le blocus soviétique, contemporain de l’écriture du roman, en développant les moyens de sa propre subsistance. C’est l’honneur d’un peuple face au déshonneur d’une nation qui a émaillé son occupation de crimes de guerre. C’est un paysage montagneux froid, distant, refuge historique des albanais, qui s’oppose à la mer, origine de toutes les invasions dont celles des italiens en 1939. C’est ainsi qu’Ismaïl Kadaré présente son peuple, louant ainsi sa force de caractère.



Ce qui est fait est fait disent les albanais. Si la récupération des morts a une valeur purificatrice pour la terre, des céréales sont plantées sur les anciens cimetières pour ne plus dépendre de celles des russes, pour Kadaré, il ne sert à rien de remuer le passé. Cela ne changera ni le présent, et encore moins le futur.
Commenter  J’apprécie          50
Froides fleurs d'avril

Roman choisi un peu pour sa couverture - Les amants de Magritte - et un peu pour l'auteur que j'apprécie en général.



Début des années 2000 en Albanie, Mark est peintre. En rentrant à son atelier, il pense à son ami Zef qu'il n'a pas vu depuis 15 jours, à sa maîtresse et modèle (son prénom n'est pas cité), à l'ancien régime communiste qui était en place en Albanie il y a une dizaine d'années. La voiture du commissaire le double à vive allure. Un peu après son amie arrive, se déshabille (elle est modèle, et Mark est en train de réaliser un nu ), elle lui raconte l'histoire d'un braquage de banque qui vient d'avoir lieu.



Voilà un livre étrange : intéressant mais étrange. L'écriture est belle et imagée, avec une alternance de chapitres (ancrés dans le réel) et de contre-chapitres (des contes ou des mythes revisités comme par exemple l' Histoire de la femme qui avait épousé un serpent ou le mythe de Tantale)



Mark "tourne en rond" dans sa vie : il est inquiet de la disparition de son ami Zef mais pas vraiment à sa recherche (un reste de fatalisme du régime communiste où les gens disparaissaient sans laisser de traces?). Il est aussi inquiet à l'idée que sa petite amie envisage de  le quitter : Elle est plus jeune que lui et semble en ce moment plus coquette et distante (aurait-elle un amant ? )



En toile de fonds se déroule un Kanun (sorte de vendetta très codifiée). L'auteur pousse l'absurde jusqu'à faire demander à un personnage si l'Etat peut mener lui même un Kanun...



Superstition ? Manipulation ? j'ai aimé retrouver des thèmes déjà évoqués dans le "palais des rêves" (les rêves justement, le poids de la société sur les choix d'un individu...).



En tout cas intéressant même si je n'ai pas du tout compris la fin qui m'a laissée dubitative...et même un peu déçue...
Commenter  J’apprécie          52
Qui a ramené Doruntine ?

Un objet littéraire non-identifié...voilà ce qui vient à l'esprit en refermant ce court roman.

Un policier ? un conte ? une étude de mœurs ? un essai philosophique ?

Déroutant donc ..mais très agréable. Un roman qui donne envie de mieux connaître l'Albanie...et les Albanais.

Même si l'action semble se dérouler au moyen-âge, on pourrait tout aussi bien se trouver au début du 20siècle ...la méfiance de "l'Autre", la manipulation des Eglises (ici orthodoxe vs. catholique), les dangers de la Rumeur, les dégâts de la Jalousie.

Et tous ces éléments déchaînés pour essayer de savoir qui a bien pu ramener Doruntine !!
Commenter  J’apprécie          50
Avril brisé

C'est une relecture.



J'avais été éblouie, foudroyée par cette tragédie. J'en avais gardé une immense envie d'aller voir ce pays des Aigles, survivance  du monde antique, Homère ou Sophocle, Shakespeare d'Hamlet ou de Macbeth....



Nous revenons d'Albanie. Certes, je n'ai pas vu ces tours de claustration qui m'avaient tant impressionnée dans le roman. C'est plutôt en Grèce dans le Magne que je les ai imaginées. En revanche, des maisons fortifiées avec meurtrières et abris souterrains, nous en avons visitées et on peut les imaginer comme lieux de ces vendettas sans fin.



La relecture a été aussi impressionnante que la découverte.



Dans une époque intemporelle, qui ressemble au Moyen Age,  un avion d'une ligne régulière  relie Tirana à une capitale étrangère.  Les références au roi Zog permettent de situer l'action dans les années 1930.



Pendant de nombreux siècles, du temps des Ottomans, un code avait réglé la vie des montagnards albanais: le Kanun.  Il fixait aussi bien des détails de la vie quotidienne comme la politesse en entrant dans une maison étrangère, la transmission et le bornage des propriétés, le devoir d'hospitalité que le prix du sang dans les cas d'homicides, de blessures et de vendetta.



Avril Brisé est l'histoire d'une vendetta. Le 16 mars, Gjorg tue Zef, dans les règles et obtient une trêve de 30 jours. Le 17 avril, la bessa expirera et il sera alors poursuivi par la famille de Zef. Voici l'explication du titre : le mois d'Avril sera ainsi coupé en deux:



"dehors régnait mars, mi-souriant, mi-glacé avec cette dangereuse lumière alpestre qui n'appartenait qu'à lui. Puis viendrait avril, ou plutôt sa première moitié seulement. [...]Avril, dès maintenant, s'enveloppait pour lui d'une douleur bleutée....Son avril inachevé...."



Pendant le mois qui lui reste à vivre normalement, le meurtrier doit payer le Prix du sang à un prince mystérieux, régler ses comptes, terminer les travaux en suspens...Gjorg ira à la découverte du monde, à pied, sur le Plateau autour de chez lui. En route il rencontre un couple de la ville, un écrivain et sa femme en voyage de noces. L'écrivain s'intéresse aux traditions, au folklore, liés au kanun. Leur voyage leur semble romantique.



"Ses amis l'enviaient en lui disant : tu vas t'évader de l'univers de la réalité pour gagner celui des légendes, l'univers de l'épopée proprement dite que l'on trouve rarement dans notre monde. Puis venait l'évocation des fées et des oréades, des rhapsodes, des derniers hymnes homériques du monde et du Kanun, terrible mais si majestueux...."



Bessian, l'écrivain explique à sa femme que dans ces contrées l'hospitalité est sacrée, l'hôte a le statut d'une semi-divinité?



Apercevant le ruban noir qui marque les meurtriers, ils leur semblent arriver dans le pays de la mort:



"Oui, reprit-il, nous sommes entrés dans le royaume de la mort comme Ulysse, à cette différence près qu''Ulysse dut descendre pour l'atteindre, alors que nous devons monter."



Quand ils rencontrent Gjorg, porteur du ruban noir, livide, il leur semble rencontrer Hamlet



"Hamlet a été poussé à al vengeance par le fantôme de son père, poursuivit Bessian, enflammé. Mais sais-tu quel fantôme terrible se dresse devant le Montagnard pour le pousser à se venger."



Cependant Kadaré ne se contente pas d'écrire une version moderne d'une tragédie antique. Il livre aussi par l'intermédiaire de personnages comme l'Intendant du Sang, chargé de prélever l'impôt du sang, ou du médecin  qui expertise les blessures, une analyse économique, marxiste, de ce sombre commerce. Il n'est plus seulement question d'honneur de famille mais aussi d'une sinistre comptabilité. La vendetta comme le règlement d'une dette.



"en d'autres termes, comme je vous l'ai dit au début, souvent derrière le décor quasi-mythique, il faut rechercher l'élément économique. Vous m'accuserez peut être de cynisme, mais à notre époque, le sang, comme tout le reste, a été transformé en marchandise"



L'arrivée de la jeune femme de l'écrivain dans un monde strictement masculin est un élément de déstabilisation. On sent que le monde millénaire des montagnes est bientôt gagné par la modernité des villes.




Lien : http://miriampanigel.blog.le..
Commenter  J’apprécie          50
Un climat de folie (suivi de) La Morgue (et..

Trois micro-romans, annonce l'éditeur.



Ce recueil est du point de vue chronologique hétéroclite, Un climat de folie, le premier a été rédigé en 2004 tandis que Jours de beuverie est une oeuvre de jeunesse publié en 1962.



J'ai lu, il y a maintenant bien longtemps Avril Brisé que j'ai tellement aimé que je l'ai offert, Le Palais des rêves, Le Pont aux trois arches, Le Général de l'armée morte sont toujours en bonne place sur mes étagères. A la veille d'un voyage en Albanie, j'ai voulu découvrir d'autres oeuvres de Kadaré.



Un climat de folie ne m'a peut être pas éblouie comme les précédents mais j'ai beaucoup aimé les deux premiers micro-romans, peut être moins Jours de beuverie.



Un climat de folie est un livre très personnel puisque l'auteur - enfant au regard naïf - raconte un épisode de la vie de sa famille. C'est un roman burlesque. Chaque personnage est affligé de sa folie douce spécifique dans une Albanie communiste où règne une folie politique : le Parti Communiste est à la fois au pouvoir et interdit donc clandestin. Le roman se déroule au moment précis où le parti émerge au grand jour. J'ai retrouvé le même comique burlesque dans les romans roumains, et peut être n'est-ce pas un hasard. Dans l'interview télévisé d'Un livre Un jour, (voir ci-dessous) Kardaré dit :



"dans l'empire communiste le tragique et le grotesque vont ensemble"



La Morgue est aussi un roman exploitant cette veine. Un sous-lieutenant au physique rébarbatif, épouse la fille noble de la beyleresse, ci-devant reléguée dans une province reculée. Ce mariage va entraver la carrière du marié, comme une tache sur son dossier. Renvoyé de l'armée, employé comme simple comptable dans un entrepôt de bois de chauffage, le héros va tenter de regagner les faveurs de la hiérarchie au prix de compromissions, faveurs en nature, flatteries... une critique encore grotesque de cette société albanaise sous le communisme.



J'ai moins accroché au Jour de beuverie, les beuveries des deux étudiants à la recherche d'un manuscrit bien innocente mais qui éveille les soupçons. 15
















Lien : http://miriampanigel.blog.le..
Commenter  J’apprécie          50
Clair de lune

Ismaël Kadaré est un écrivain albanais et ce livre fut interdit dans l'Albanie communiste en 1984.Il décrit les mécanismes de destruction d'un être par la calomnie. Marianne travaille dans un laboratoire dirigé par le Parti Communiste. Elle est un jour la cible d'une cabale menée par un couple. Tout s'enchaîne dans un terrible engrenage : brimades, persécutions, cabale. L'histoire de cette jeune fille peut être perçue comme une métaphore de l'écrivain, de l'intellectuel en général sous une dictature communiste (ou autre).
Commenter  J’apprécie          51
La Pyramide

J'ai été un peu déçue par ce livre, je ne m'attendais pas tout à fait à ça. Le style est lourd, ce qui correspond bien à ce que l'auteur veut transmettre, mais ça ralentit pas mal la lecture. On n'a pas de mal à imaginer que cette pyramide à fait couler beaucoup de sang, tout comme le régie albanais à l'époque de l'écriture de ce livre. Les régimes totalitaires se ressemblent tous.
Commenter  J’apprécie          50
Avril brisé

Je ne m'y attendais pas mais j'ai été absolument séduite par ce roman très particulier. Son point fort: un décors planté et une ambiance froide , fantomatique limite terrifiante. Ne cherchez pas l'action, ce livre est une fresque qui vous aspire dans un univers cruel . Malgré cet aspect glacial, il raconte une histoire très humaine et explore les sentiments d'une manière inédite. Il m'a fait me poser pas mal de question dont une que je me pose assez souvent au final: que ferais-je s'il ne me restait plus qu'un mois à vivre?

Bouquin extrêmement intéressant donc. A lire absolument!!
Commenter  J’apprécie          50
Le Successeur

Lu dans la version littérature étrangère de Fayard, 2003

C'est un roman étrange ,fort, non linéaire . Les chapitres tournent autour de la mort brutale du Successeur désigné du Guide vieillissant.

Assassinat ou suicide ? Suicide naturel ou forcé?

Hypothèses ,supputations vont bon train; Qui a pu entrer dans la trop belle villa tout juste rénovée par un architecte de talent? "Les portes étaient fermées de l'intérieur".



Ce livre dénonce le régime totalitaire albanais, la peur de chaque membre du Parti, la servilité face au tyran.

Avec un air de tragédie grecque: nul n'est maître de son destin.
Commenter  J’apprécie          50
Qui a ramené Doruntine ?

Un thriller hors d'âge : Doruntine mariée en Bohême revient une nuit chez elle en Albanie, elle prétend que c'est son frère Constantin qui l'a ramené conformément à  la parole donnée, la bessa, le jour de son mariage. Là  elle découvre que tous ses frères sont morts à  la guerre ou de la peste y compris Constantin...Alors qui a ramené Doruntine ?
Commenter  J’apprécie          50
Le palais des rêves

Peut-on imaginer dictature plus oppressante, empire plus totalitaire, que celui dont chacun des sujets est tenu, au matin, de raconter aux fonctionnaires du palais des rêves, le rêve qu'il a fait la nuit précédente ? Et c eci jour après jour, jusqu'à ce que le rêve soit interprété par les experts, et que d'éventuels ennemis soient démasqués. Très fort, n'est-ce pas ? Même Orwell n'y avait pas pensé.
Commenter  J’apprécie          50
Le Pont aux trois arches

Le Pont aux trois arches est un court roman écrit en 1978. C'est plutôt un conte.

Vers 1377, un moine décide d'écrire l'histoire du pont de pierre aux trois arches.

Quelques décennies plus tard, les Ottomans se serviront de ce pont pour envahir et occuper l'Albanie. Ils y resteront plus de 400 ans.



Ismail Kadare, écrivain engagé, utilise très habilement le conte pour nous montrer le danger qui plane. L'Ancien Ordre, ce sont des petits seigneurs qui se chamaillent sans prendre conscience des conséquences géo-politiques. Une étrange légende accompagne un Nouvel Ordre des constructeurs de pont et permet de manipuler les esprits.

Ce pont, une fois achevé, est une porte ouverte dont on n'a pas la clé.

Kadare fait-il référence à des événements plus contemporains ? Ce n'est pas impossible.



Une belle histoire qui interpelle.
Commenter  J’apprécie          40




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Ismaïl Kadaré (1564)Voir plus

Quiz Voir plus

LES ROMANS DE KADARE

L'arrivée de deux Irlandais new-yorkais, Max Roth et Willy Norton, dans la ville de N., au coeur de l'Albanie, fait l'effet d'une bombe dont les intéressés auraient bien étouffé l'explosion. Le sous-préfet de N. partage bien sûr l'avis de son ministre : il n'est pas exclu que les deux étrangers soient des espions...

Le grand hiver
Le général de l'armée morte
L'année noire
Le dossier H

10 questions
9 lecteurs ont répondu
Thème : Ismaïl KadaréCréer un quiz sur cet auteur

{* *}