Citations de Jean Dutourd (208)
La civilisation agraire et littéraire s'est métamorphosée en civilisation scientifique et industrielle.
C'est curieux, cette rage qu'ont les imbéciles à vous accuser d'être bête !
Les livres réveillent les idées endormies .
Vingt-huit ans est l'âge fatal où l'on est placé devant le choix déchirant des pantoufles ou des pieds nus.
L'exactitude est la politesse des montres. (31 janvier 1965, "Proverbe".)
Quand je dis que je suis gaulliste, que le général me plaît, que sa politique me captive, on se moque généralement de moi. Il y a quelques mois, dans le train, je bavardais avec un voyageur de rencontre. Notre conversation en vint à de Gaulle. Mon interlocuteur prit un air mélancolique, fronça les sourcils et proféra :
- Il est intelligent, mais c'est un homme dangereux.
- Ma foi, lui répondis-je, il me paraît bien moins dangereux que M. Laniel, M. Mollet et le président Lebrun.
Il me fallut un quart d'heure au moins pour lui expliquer ce que je voulais lui dire. Encore ne le convainquis-je pas.
Jusqu'au 13 mai 1958, rien n'était plus plat, plus ennuyeux, plus prévisible que la politique française. Pendant trente ans, nous avions été à la remorque du monde anglo-saxon. Trente ans ! Une génération ! Cela suffit pour prendre des habitudes, surtout de mauvaises habitudes. "La servitude abaisse les hommes jusqu'à s'en faire aimer", dit Vauvenargues. Notre servitude nous était douce, comme toutes les servitudes d'ailleurs, et toutes les abdications.
Puis de Gaulle est revenu, et il s'est mis à faire des choses imprévues, audacieuses, amusantes, il a agi en homme libre. L'opinion publique française est si habituée à la servitude qu'elle n'imagine pas qu'il pratique une politique indépendante. Lorsqu'elle le voit s'éloigner un peu de l'Amérique et s'approcher un peu de la Russie, elle croit qu'il veut changer de protecteur.
Puisque je suis dans les moralistes, je citerai Chamfort : "Il est des temps où l'opinion publique est la plus mauvaise des opinions." (11 avril 1965, "Gaulliste".)
L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé.
Montesquieu
Page 9
Les clichés sont des formules de politesse qui n’ont pas besoin d’être inédites pour réjouir les personnes auxquelles elles s’adressent ; au contraire, plus elles sont anciennes, plus on y trouve d’agrément.
De quelle justice peut-il s’agir quand toute l’industrie de nos maîtres consiste à nous prendre la majeure partie de ce que nous gagnons à la sueur de notre front ?
Le cadavre de la gauche commence à sentir. Les fraudes électorales lui donnent une odeur qui ne trompe pas.
Pour l’humanité courante, la vie est une espèce de grand jeu d’échecs, dont on respecte plus ou moins les règles. Rosine ne connaissait aucune règle : s’il y avait un roi à prendre, il posait tout simplement la main dessus et le mettait dans sa poche, moyennant quoi, il gagnait toutes les parties et les gagnait vite.
La survie de la politesse par-delà la mort est un phénomène psychologique qui mériterait une thèse.
[...]
J'avais été si bien élevé par mes parents, dis-je, que l'amabilité, la civilité, la délicatesse, l'altruisme, la litote et les sous-entendus s'étaient pour ainsi dire incorporés à mon caractère. Dès l'âge de dix-huit ou vingt ans, il m'était impossible de dire crûment à quelqu'un qui m'assommait le mal que je pensais de sa personne ou de ces actions et, par la suite, l'écarter définitivement. Ainsi ai-je traîné derrière moi toute ma vie des gens qui ne me plaisaient pas, pour la simple raison qu'il me semblait malséant de le leur signifier avec netteté.
Rivarol dit qu'un homme qui a raison vingt-quatre heures avant tout le monde, passe pour un fou pendant vingt-quatre heures. Les gens qui ont raison toute leur vie passent pour des fous pendant toute leur vie, même si l'on s'aperçoit périodiquement que, sur tel ou tel sujet, ils ne s'étaient pas trompés.
Un des enseignements sibyllins qu'apportent les années est qu'une idée juste devient fausse à partir du moment où elle est adoptée par le plus grand nombre. Quand on est jeune, c'est-à-dire ligoté par la logique, il est difficile d'admettre une aussi scandaleuse métamorphose : ce qui a été vrai une fois pour une personne et qui lui valait des persécutions ou au moins des sarcasmes, ne peut pas cesser de l'être parce que des milliers ou des millions de personnes peu à peu acceptent cette vérité, s'y convertissent, la proclament, l'érigent en dogme. Et pourtant cela se passe de la sorte. Une idée juste est un trésor. L'homme qui possède ce trésor est riche ; mais si le trésor est partagé par une foule d'héritiers, chacun de ceux-ci n'a que quelques liards. Cela ne suffit pas à changer la vie, à faire d'un pauvre un prince.
(...) il [Stendhal] savait que les confidences des âmes sensibles sont toujours interprétées de travers par les âmes vulgaires qui les surprennent, et que ce qui n'est que vérité curieuse, exaltante ou instructive, devient, en passant par elles, exhibitionnisme, cynisme, remords ou fanfaronnade.
Il [le Conseil municipal de Paris] avait déjà débaptisé plusieurs rues (...) en moins d'un an, nos plus anciens ennemis, nos plus écrasants désastres remplirent les indicateurs des rues de Paris.
(...) Le plus curieux est que tout le monde, à part quelques grincheux, trouva cette initiative remarquable. Le président de la République expliqua à la télévision que la France était enfin devenue un "pays adulte", ce dont il fallait grandement se réjouir. Or, qu'est-ce qui caractérise l'adulte ? L'objectivité, l'équité, la sérénité, la largeur d'esprit. Il regretta notre chauvinisme borné qui, autrefois, nous avait poussés à siffler les opéras de Wagner. Un pays adulte se doit d'honorer le génie où qu'il se trouve, et eût-il eu, à une époque ou l'autre de son histoire, à en pâtir. Bismarck, dans son genre, n'était-il pas un aussi grand homme que Beethoven ou Rembrandt ? Ne faisait-il pas autant honneur à l'humanité ? Ce n'était pas parce que ses talents, par la faute des circonstances, s'étaient tournés contre nous, que nous devions le priver de figurer dans le Panthéon idéal qu'était notre capitale. (...) Quant à nos défaites, le président eu de nobles paroles sur la réconciliation planétaire et l'"exorcisme définitif des vieux traumatismes". La France, une fois de plus, conclut-il, donnait l'exemple, enterrait l'antique hache de guerre, manifestait une hauteur morale unique. Unique en effet, car si mes renseignements sont justes, nul ne la suivit dans cette voie. On pourrait épiloguer longuement là-dessus, montrer comment une nation qui en vient à mélanger sa fierté et son abjection, à préférer secrètement celle-ci à celle-là, se renie, n'a plus de visage ni d'âme et ne donne qu'un exemple au monde : celui de la bêtise suicidaire...
Je conçois parfaitement que Stendhal fût "blessé au vif" par les personnes qui voulaient lui imposer des opinions. A l'égard d'un homme comme lui, qui en avait d'excellentes, c'était d'une extrême impertinence. Car enfin, il ne faut pas renverser les rôles : celui de Stendhal était précisément de faire connaître ses opinions éprouvées par une sensibilité infaillible et une intelligence sans faiblesse, et non pas d'écouter celles, vacillantes et temporaires, d'autrui, fruit du hasard ou de l'occasion.
Ce qui exaspérait le plus les Conventionnels, c'était cette idée insensée que Mascareigne avait de la France. Ils la ressentaient comme une injure personnelle. Qui aujourd'hui, à part ce dément, cet illuminé, se souciait de la France ? La France était à la retraite, comme un vieillard. L'hexagone était un fauteuil d'infirme. C'était exquis. Nous ne faisions plus rien, nous attendions tranquillement la mort, nous regardions avec un mélange de bienveillance et d'ironie les autres peuples s'agiter, s'entre-tuer, mettre leur empreinte sur le monde. Il y avait longtemps que nous avions dépassé ces vanités, nous autres. Nous nous prélassions dans le renoncement comme dans un cocon. Nous ne parlions même plus notre langue, car elle était trop compliquée pour ce que nous étions devenus. Le temps des patries était fini. Le temps planétaire arrivait ; nous nous apprêtions à nous fondre dans le grand magma humain qui était l'avenir.
Saint-Exupéry est un bon compagnon pour l'homme d'aujourd'hui qui refuse la triste civilisation matérialiste de l'Occident et à qui le totalitarisme communiste fait horreur. Il lui rappelle cette vieille vérité si oubliée que, pour s'accomplir, il faut être un ''individu'', c'est-à-dire quelqu'un qui a pour guide sa propre conscience, et non pas les mots d'ordre qu'on donne aux ''masses''.
(Chapitre ''UN TYPE EPATANT : Saint-Exupéry, Oeuvres complètes)
Le courage, comme l'inspiration artistique, s'engendre lui-même.