Citations de Jorge Luis Borges (1184)
Dans Tlön les choses se dédoublent ; elles ont aussi une propension à s'effacer et à perdre leurs détails quand les gens les oublient.
Chaque écrivain crée ses précurseurs. Son apport modifie notre conception du passé aussi bien que du futur.
J'ai pensé et écrit tellement sur le temps... Mais je vais vous raconter une anecdote : un philosophe argentin et moi, nous conversions au sujet du temps et le philosophe dit : - dans ce domaine, on a fait de gros progrès ces dernières années... Et moi j'ai pensé que si je lui avais posé une question à propos de l'espace, sûr qu'il me répondait : - dans ce domaine, on a fait de gros progrès ces derniers cent mètres.
Tel que relevé pour "Les fils de la pensée" https://filsdelapensee.ch/
Que chaque homme construise sa propre cathédrale. Pourquoi se contenter des œuvres des autres et de celles du passé ?
Les mille et une nuits ne sont pas quelque chose qui a cessé d’exister. C’est un livre si vaste qu’il n’est pas nécessaire de l’avoir lu car il est partie intégrante de notre mémoire…. (traduction de Françoise Rosset)
Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.
Le présent est indéfini, le futur n’a de réalité qu’en tant qu’espoir présent, le passé n’a de réalité qu’en tant que souvenir présent.
Ce qui importe ce n'est pas de lire mais de relire.
Nous sentons la poésie comme nous sentons la présence d'une femme, ou comme nous sentons le voisinage d'une montagne ou d'une baie.
On dit que tous les hommes naissent aristotéliciens ou platoniciens. Cela revient à dire qu'il n'y a point de débat d'un caractère abstrait qui ne soit un moment de la polémique d'Aristote ou de Platon ; à travers les siècles et les latitudes, les noms, les dialectes, les visages changent, mais non les éternels antagonismes.
THINGS THAT MIGHT HAVE BEEN
Je pense aux choses qui purent être et ne furent pas.
Le traité de mythologie saxonne que Bède n'écrivit pas
L'œuvre inconcevable qu'il fut peut-être donné à Dante d'entrevoir.
une fois corrigé le dernier vers de la Comédie
L'histoire sans soir de la Croix ou le soir de la ciguë.
L'histoire sans le visage d'Hélène
L'homme sans les yeux, qui nous fait don de la lune.
Aux trois journées de Gettysburg la victoire du Sud.
L'amour que nous ne partageons pas.
Le vaste empire que les Vikings ne voulurent pas fonder.
Le monde sans la roue ou sans la rose.
Le jugement de John Donne sur Shakespeare.
L'autre corne de la Licorne.
L'oiseau fabuleux d'Irlande , qui est en deux endroits à la fois.
Le fils que je n'ai pas eu.
Un livre
À peine une chose parmi les choses
mais tout autant une arme. On la forgea
en Angleterre, l'an 1604;
on la chargea d'un rêve. Elle renferme
bruit et furie et nuit et rouge ardent.
Ma paume la soupèse. Qui dirait
que l'enfer est en elle : ces sorcières
barbues que sont les Parques, les poignards
à quoi l'ombre ordonne d'exécuter
ses décrêts, l'air délicat du château
qui te verra mourir, la délicate
main capable d'ensanglanter les mers,
l'épée et la clameur de la bataille.
Et ce silencieux tumulte dort
au cœur de l'un des livres de la calme
bibliothèque. Il dort et il attend.
J‘eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu‘aucun homme n‘a regardé : l‘inconcevable univers.
Le jardin aux sentiers qui bifurquent
Je me rappelai aussi cette nuit qui se trouve au milieu des Mille et Une Nuits, quand la reine Schéhérazade (par une distraction magique du copiste) se met à raconter textuellement l'histoire des Mille et Une Nuits, au risque d'arriver de nouveau à la nuit pendant laquelle elle la raconte, et ainsi à l'infini.
On ne peut pas écrire un livre. Je déclare
Que pour qu'un livre soit, il y faut les levants,
Les nuits, le choc des fers, les plaines et les vents,
Les siècles - et la mer qui joint et qui sépare.
Il y a des défaites qui ont plus de dignité qu'une victoire.
Parler, c'est tomber dans la tautologie.
J'éprouvai ce que nous éprouvons tous à l'annonce d'un décès : le regret, désormais inutile, de penser qu'il ne nous aurait rien coûté d'avoir été plus affectueux.
Il doit exister un livre qui est la clé et le résumé parfait de tous les autres : il y a un bibliothécaire qui a pris connaissance de ce livre et qui est semblable à un dieu.
UN POÈTE DU XVIII SIÈCLE
Il corrige les brouillons incertains
De son sonnet sans titre, le premier,
Cette page arbitraire où sont mêlés
Des tercets imparfaits et des quatrains.
Lent il les cisèle, plume à la main
Et s'arrête. Lui est-il arrivé
De l'avenir et son horreur sacrée
Une rumeur de rossignols lointains ?
Qu'il n'est pas seul : l'a-t-il senti, au fond,
Que le secret, l'incroyable Apollon
Vient de lui révéler un archétype,
Un avide cristal où tout est pris
De ce qu'ouvre le jour ou clôt la nuit :
Dédale, labyrinthe, énigme, Œdipe ?