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Critiques de Julian Barnes (533)
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La seule histoire

Voici un livre approché sans à priori de ma part, Barnes étant un auteur dont certains livres m'ont subjuguée, comme le perroquet de Flaubert, ou Le fracas du temps, mais d'autres déçue ou ennuyée comme Une fille qui danse ou Lettres de Londres.

Le sujet semble d'emblée être celui d'un premier amour d'un jeune garçon de 19 ans, Paul, qui restera pour lui l'Amour de sa Vie. Nous sommes dans les années 60 dans une petite ville du Surrey, dans un milieu " British middle class" très conservateur. Enserré dans un moule, chacun suit un schéma de vie préétabli, où les déviations sont à éviter . Or Paul tombe amoureux de Susan, sa partenaire de tennis, une femme de quarante-huit ans. Elle est mariée et a deux filles adultes plus âgées que lui. Ils sont tous les deux « vierges » vu que lui n'a rien connu à part l'esquisse d'une relation douteuse et elle qu'un mari, dont la fonction n'est pas allée plus loin qu'engendrer deux filles. L'inexpérience étant pourtant d'ordre différent pour les deux. Comme ce n'est pas du Barbara Cartland, le procédé narratif exquis (v.o.) de Barnes dans la forme et le fonds, en donne une histoire beaucoup plus profonde que celle du scénario du départ.



L'écrivain décortique une relation adultère et singulière, dans le cadre des failles de la société anglaise de l'époque, des débuts de “La révolution sexuelle” des années 60 acclamée dans les médias, où l'orgasme féminin fait ses débuts, et celui d'une famille et d'un mariage, celle de Susan (« Je rodais chez les Macleod,, partiellement en anthropologue et sociologue et pleinement en amant *»). Le mariage étant à l'époque, et à mon avis encore aujourd'hui plus une question d'institution que d'amour, et ayant ici une face cachée très sombre. Le mari est très présent dans le cadre, mais non dans la relation, “il n'avait rien à faire avec notre relation, vous comprenez **?”.

Barnes revient sur les failles de la mémoire ( comme dans l'excellente première partie d'Une fille qui danse, «  il reconnaissait que la mémoire était non fiable »*** ), l'histoire étant racontée par Paul 30 ans plus tard, introspecte le guet-apens de la violence domestique et touche à un fléau que je ne mentionnerais pas ici par respect pour les futurs lectrices et lecteurs.....

Une autre originalité du livre est le style narratif . Du ‘je' de la première Partie du livre, Paul passe à ‘tu' dans la deuxième, où il se distancie de la suite des événements, et assiste avec peine, presque impuissant, à la détérioration de la situation. Et dans la troisième et dernière partie, pour moi la plus poignante, prenant encore plus de distance, il fait le bilan de son passé narré à la troisième personne du singulier, l'agrémentant de nombreuses questions sans réponse....n'est-ce-pas finalement ça la Vie ?



Bref un livre complexe où l'auteur à travers la perspective d'un adolescent, mais pas tout à fait, puisque il le raconte déjà vieux ( là il triche un peu 😊 ), revenant sur son passé, parle de la Vie et de ses aléas d'une façon très juste et touchante. La difficulté de faire face aux réalités, l'impuissance de trouver une solution avant qu'il ne soit trop tard, l'imbroglio où on s'empêtre car la raison et les sentiments ne vont pas de paire, le sentiment terrible de la culpabilité, l'amour qui n'est pas éternel et qui ne peut pas tout résoudre (‘s'aimer ne mène pas forcément au bonheur ‘), et le lourd fardeau du passé qu'on traine et sur lequel on ne peut tirer un trait , même si la chance s'y présente, sont les nombreux thèmes de ce livre intense et superbe. Barnes , même si je n'est pas aimé certains de ses livres, reste pour moi un grand auteur.



“Would you rather love the more, and suffer the more; or love the less and suffer the less? “

( Voudriez vous plutôt aimer beaucoup et souffrir beaucoup ; ou aimer moins et souffrir moins ? )





*« I used to prowl the Macleod house, part anthropologist, part sociologist, wholly lover ».

** « He had nothing to do with us, do you see ».

*** « He recognized that memory was unreliable ».

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Une fille, qui danse

Dans l’esprit de Tony, la fille qui danse, prend les traits de Veronica, sa petite amie lorsqu’il était à l’université.

Un soir, dans sa chambre d’étudiant, elle s’était laissée aller à danser ; elle avait tournoyé au son de l’électrophone et il en avait conçu de la joie. Un contentement, comme une petite victoire de la sentir si proche, si pleine d’énergie, elle qui ne dansait jamais.

Veronica avait été son premier grand amour de jeunesse dans les années 1960. Ils s’étaient fréquentés pendant quelques mois, mais leur incompréhension mutuelle, leurs divergences de caractères, leur manque de confiance l’un envers l’autre avaient fini par avoir raison de cette relation dans laquelle Tony se sentait douloureusement manipulé, curieusement mal-à-l’aise devant l’assurance, l’intelligence et le niveau culturel et social de la jeune fille.

Paradoxalement, lorsqu’après leur séparation il avait appris que Veronica sortait désormais avec Adrian, l’un de ses meilleurs amis de lycée, il en avait été cruellement affecté, et dans un élan de haine puérile, mesquine et jalouse, il leur avait écrit une longue lettre pleine de fiel et de venin.

Peu après, Adrian s’était suicidé. Une démarche en accord avec la pensée philosophique et les principes idéologiques du jeune homme qui prônait la valeur du libre arbitre et « la supériorité de l’acte volontaire sur la passivité». Du moins son geste semblait-il en adéquation avec ses raisonnements et ses théories…



Alors pourquoi Tony Webster, sexagénaire placide et réfléchi, menant une vie sans surprise dans un tranquille et morne confort, se laisse-t-il brusquement assaillir par ces vieux souvenirs remontant à ses lointaines années de jeunesse ? Pourquoi ce retour dans le passé le trouble-t-il autant, jusqu’à ressentir le besoin d’entreprendre un profond travail d’introspection, une complète remise à niveau des faits anciens ?



Le prélude à cette quête de la mémoire, le détonateur qui va mettre en branle le convoi du passé sur la courbe du temps, est une lettre notariale que Tony reçoit un beau matin et qui l’avise d’un surprenant héritage : avant de mourir, la mère de Veronica - une femme qu’il n’a vue qu’une seule fois dans sa vie quarante ans auparavant - l’a fait légataire du journal intime d’Adrian !

Dès lors, pour comprendre la raison qui a poussé cette quasi-inconnue à lui léguer ce document privé, Tony revient sur son passé, remonte le cours du temps, laisse affluer les images et les situations d’autrefois.

Mais ce qui n’est au départ que la réminiscence de simples souvenirs (les bons copains, la relation avortée avec Veronica, les aspirations, les déconvenues, les rêves et les désillusions de la jeunesse dans les années 1960…) devient bientôt l’inventaire de toute une vie et le constat nostalgique de sa banale étroitesse.

A cela viennent se greffer les remords et la culpabilité, un questionnement sur les erreurs commises et les répercussions des actions passées, une réflexion sur la mémoire, sur le temps, sur la responsabilité, et sur ce grand trouble qui envahit un être lorsqu’il rejoue le film de sa vie sans les retouches du montage.



C’est toujours un peu triste un homme qui se retourne sur son passé, surtout quand, rétrospectivement, ce passé ne correspond plus à la représentation qu’il s’en était faite. « Combien de fois racontons-nous notre propre histoire ? Combien de fois ajustons-nous, embellissons-nous, coupons-nous en douce ici ou là ? ».

Tony pensait avoir plus ou moins réussi sa vie, du moins avait-il vécu selon les critères d’un homme moyen, et puis… Et puis brusquement, il se rend compte que tout n’est finalement pas aussi parfait que ce qu’il a tenté de se le faire croire au fil des années. Le tableau idyllique se fissure, les couleurs se délavent, l’idéal auquel l’on voulait être fidèle a pâli, circonscrit à l’arrière-plan en sfumato terni. Adieu la belle intégrité ! L’on se rend compte que l’on n’a toujours fait que transiger et que « ce qu’on appelait réalisme s’est révélé être une façon d’éviter les choses plutôt que de les affronter ».

La vie elle-même n’est peut-être rien d’autre que cela après tout, une longue et irrévocable capitulation.

La jeunesse revendique, l’âge adulte compose, la maturité pactise, la vieillesse capitule…



Beaucoup de très belles phrases qui portent, dans ce court roman en forme de bilan de vie récompensé par le Man Booker Prize 2011, beaucoup qui touchent, qui trouvent où se nicher dans le cœur et l’esprit. Nombreuses sont celles qui laissent un goût de nostalgie, une peur, un fugace mais prégnant sentiment d’impuissance. Des phrases directes, franches, effilées comme un sabre où l’émotion y est contenue, endiguée dans une délicate retenue et pourtant palpable et perceptible à chaque page, comme un dessin en filigrane, aréole discrète profondément incrustée dans les fibres de la narration.

Le ton un peu cynique, légèrement sarcastique, est de cette trempe d’ironie fine à laquelle l’on consent quand il n’est plus l’heure des détours, des petits arrangements et des louvoiements de l’esprit. Il est comme le reflet d’une vérité sans fard, sans les ornements dont Tony la parait naguère pour qu’elle colle à ses désirs.

Si le dénouement (et c’est dommage) nous laisse sceptique quant à sa justification, Julian Barnes illustre avec brio ce à quoi pourrait se résumer une existence lorsqu’elle approche de sa fin : une dernière image avant que la bobine ne saute, un dernier flash, celui d’une fille, qui danse…

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L'homme en rouge

“La belle époque”,

En 1895 ou 1900 à Paris personne n'aurait dit “nous vivons La Belle Époque, profitons en au maximum “. Cette période de paix de l'histoire située entre la défaite catastrophique de 1870-71 et la victoire catastrophique de 1914-18 de la France, ne sera mentionnée en ces termes que rétrospectivement en 1940-41, date d'une autre défaite française. Une époque dont l'adjectif « belle »semble assez surprenante, vu l'anarchie, la violence ( assassinat du président de la république Sadi Carnot en 1894, de Jean Jaurés en 1914, l'affaire Dreyfus.... ), la corruption et pour finir la colonisation brutale ( l'invasion de la Tunisie au printemps 1881 et l'organisation d'une rébellion en automne) qui marqueront la vie sociale et politique du pays. L'adjectif est uniquement justifié par le milieu florissant des Arts, avec les Impressionnistes, néo-impressionnistes, fauves et cubistes.

Barnes dans son dernier opus nous raconte cette époque, partant d'un tableau de John Singer Sargent, Dr Pozzi at Home (1881). Samuel Jean de Pozzi, chirurgien français d'origine italienne, « médecin à la mode », était le Zelig de la Belle Époque, fréquentant et côtoyant les personnages marquants de son temps,« Pozzi was everywhere », même dans les barres de chocolats Félix Pottin dans les deux premières décennies du XX iéme siècle. Il fut l'amant de Sarah Bernhardt, son « Docteur Dieu » qu'il opéra aussi, et surtout fit parti d'un cercle d'artistes et libertins de l'époque, dont le comte Robert de Montesquiou (« le professeur de beauté », comme le nommait son ami Marcel Proust), le prince de Polignac, l'écrivain scandaleux Jean Lorrain, le non moins scandaleux Oscar Wilde et James MacNeill Whistler. Il fut « l'homme sain d'une ère démente », où les dandys et les duels étaient monnaie courante.



Entre les fastes, potins et querelles d'un milieu excentrique et coloré et la personnalité curieuse et brillante du docteur mondain Pozzi, qui fut aussi sénateur, maire de sa commune, innovateur dans une profession conservatrice pour l'époque, coureur de jupons marié et père de trois enfants,....Barnes nous plonge dans les fastes et affres d'une époque fascinante, “distante, décadente, hectique,violente narcissique et neurotique “. Cette immersion dans ces vies françaises d'un passé assez lointain, dit-il est en partie une réaction de ma part au “départ masochiste et à tort de la Grande Bretagne de l'Union Européenne “, un geste envers l'insularité, une noyade salutaire pour se débarrasser de tout opinions et conceptions superficielles d'un présent qui nous est trop proche pour que nous puissions en saisir la vrai portée. « le chauvinisme est une forme d'ignorance », disait Pozzi, paroles qui illustrent mieux que jamais la situation présente des anglais, lesquels en se cloîtrant se sont condamnés à un misérable isolement. Mais l'auteur dans son épilogue termine par une note optimiste. Ses recherches sur le docteur Pozzi et le livre présent qui en découle et que je vous laisse découvrir, lui a redonné foi en l'homme. le temps nous montrera si cette foi tient la route ou non.....

Un livre brillant, original, foisonnant d'histoire et d'anecdotes intéressantes, souvent sulfureuses. Un bon cru du sieur Barnes.





« I was drawn to Dr Pozzi by the Sargent portrait, became curious about his life and work, wrote this book, and still find the picture a true and dashing likeness. »

( J'ai été attiré par le docteur Pozzi à travers son portrait de Sargent, devint curieux de sa vie et de son travail et ai écris ce livre, et je pense encore et toujours que le tableau reflète une vérité fringante du personnage )









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L'homme en rouge

Les Dandys dandinent à la « Belle Epoque ».

Il est plutôt jouissif de vagabonder parmi les bons mots des mauvais esprits. Esprit, Esprit es-tu là ? Et où veux-tu que je sois, pas dans ta tête en tous les cas. Tourne ces pages pour renifler l’écume de notre érudite décadence.

Julian Barnes fait les présentations avec un beau panel de mauvaises fréquentations. Enchanté, Oscar. Désenchanté le monde. Vivote la III ème République.

L’Homme en rouge donne son titre à l’ouvrage et sa silhouette à John Sargent en 1881 qui le peint dans une sorte de robe de chambre écarlate du meilleur effet. Un vêtement qui n'irait pas à tout le monde et pas à moi en particulier.

Il s’appelle Samuel Pozzi, pionnier de la gynécologie, pas avare de travaux pratiques, sauveur et tombeur de ses dames, homme poli et politique, collectionneur d’art et d’aventures, meilleur amant que mari, savant brillant mais père médiocre. Le tout en seul homme. Comme quoi, certains bonhommes arrivent à faire deux choses à la fois.

C’est son goût pour le gratin et sa popularité dans le beau monde qui font de lui l’ami des esthètes sapés comme Cedric Villani. Julian Barnes se détourne rapidement de son sujet, énervant de perfection, pour s’intéresser aux saillies de toute nature qui chroniquent l’époque. Agrémentés des portraits photographiques qui firent la renommée des tablettes de chocolat Félix Potin et de tableaux de l’époque, l’auteur fait l’inventaire des flamboyants : Oscar Wilde, Robert de Montesquiou, Jules Barbey d’Aurevilly, Jean Lorrain, le comte de Polignac, Leon Daudet. Sarah Bernhardt s’octroie le premier rôle féminin, patiente et impatiente du docteur Pozzi. Les duels s’enchainent, les réparties sont cinglantes, les jalousies et course à la renommée sont sans merci ni s’il vous plait.

Ce livre est un bel objet mais c’est plus un délicieux concentré de citations et d’anecdotes à relire pour étaler sa culture dans les diners qu’une histoire romancée, plus un essai carné de ce microcosme qui glorifiait ses excès que la biographie d’une figure aujourd’hui méconnue mais pourtant illustre à l’époque.

Au milieu de ces aimants à scandale, Pozzi aurait mérité de conserver le monopole du récit. Les passages où il entre en scène, ainsi que sa femme et sa fille sont les plus intéressants du roman, les plus profonds, ceux qui sonnent juste et je regrette qu’au terme de cette lecture, ce personnage reste pour moi un mystère. Il était bien plus pourtant que l’homme à la robe de chambre rouge.

Ceux qui veulent connaitre le tout Paris de l’époque, la mode des duels, les courants contraires du scientisme et le Who’s who de sexualités affichées en auront pour leur sesterce.

Randonnée plaisante mais un peu trop futile, comme un bon mot glissé à l’oreille d’un sourd.

Julien Barnes n’a pas perdu son humour mais ce n’est pas son meilleur roman.

Une petite citation pour tirer le rideau de ce Paris fin de siècle :

« Le dandy doit aspirer à être sublime sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir. » Baudelaire

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La seule histoire

J’aurai bien aimé apprécier cette histoire mais je suis passée littéralement à côté. La seule histoire, je m’attendais à découvrir une histoire d’amour, me plonger dedans et dans tous ses contours.



Paul a dix-neuf ans lorsqu’il rencontre Suzanne qui en a quarante-huit. Il a tout à apprendre et tout à donner.

Je ne l’ai pas ressentie cette histoire d’amour, j’avais cette impression que même les personnages ignoraient le fond de leur histoire. Trop de distance. Trop de discours sur tout ce qui est extérieur à l’histoire du couple.

L’écriture est pourtant soignée. C’est sur le fond que je bloque. Si après cent pages je n’apprends toujours rien des personnages, de leurs sentiments, leurs envies, à quoi bon.

Après cent pages, j’ai capitulé...
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Le fracas du temps

Un livre où l'humiliation d'un génie musicale par un système totalitaire qui règle tout par la terreur, est portée à l'extrême. De quoi vous sentir humilié, frustré et impuissant en tant que lectrice ou lecteur.



Dmitri Chostakovitch, un des plus grands compositeurs russes du XX éme siècle, avec son opéra "Lady Machbeth de Mtsensk" aux succès retentissants de NewYork à Cleveland, de Suède à l'Argentine, de Moscou à Leningrad, se voit tomber en disgrâce suite à une représentation à Moscou auquel assiste Staline. " Le petit père des peuples " et ses fayots du Politburo quittent la salle avant la fin du spectacle, et un article dans la Pravda, quelque jours plus tard porte le coup de grâce au jeune Chostakovitch.... Voici le prélude à une vie apolitique, où l'intimidation a débuté bien avant.

Marié, père d'une petite fille,afin d'épargner à sa famille la vue d'une arrestation, pendant une dizaine de jours, il attend chaque nuit, dans la cage d'escalier, sa valise prête, qu'on vient le chercher et l'arrêter.......et dans son esprit agité, qui lutte contre ses démons, il voit défiler sa vie .



Il sera épargné......par chance ? On n'en sait rien, car même les lèches bottes comme le poète Boris Kornilov, furent arrêtés et fusillés. En tout cas il se pliera à "leurs" exigences, se laissera dicter "le bon chemin" en composant des musiques de film selon leurs directives pour être le "Chostakovitch optimiste" de leur désir.

A-t-il était un lâche ? Et la question plus difficile, qu'aurait-on fait à sa place ?

Dans un système totalitaire le rôle de l'artiste, de l'écrivain est l'un des plus difficiles.

Cet homme qui vénérait Stravinski en temps que compositeur, le même Stravinski qu'il attaqua malgré lui à sa plus grande honte, en lisant un texte de propagande à NewYork imposé par le parti, n'a pas été, à vrai dire, des plus courageux. Mais je ne suis pas d'avis qu'il peut être considéré comme un lâche, et Julian Barnes en est du même. D'ailleurs l'écrivain s'acharne sur le propos jusqu'à la fin .

Facile de juger quand on se trouve pas soi-même dans un pareille pétrin absurde et révoltant. Lutter dans son cas n'aurait amené pas plus que sa mort et la misère de sa famille, et nous aurait privé du reste de son oeuvre. Il était plus indispensable à la musique classique vivant que mort. Le reste concerne son éthique personnelle qu'il payera d'ailleurs très chère de son âme et de sa conscience, bien que, comme il le dit lui-même, le manque d'honnêteté personnel ne contamine pas nécessairement l'honnêteté artistique. La fin sublime le confirme !





L'histoire est intéressante, mais elle est ce qu'elle est, on peut le lire aussi sur Wiki. C'est la structure en trois mouvements et l'indiscutable élégance de la prose (v.o.) de Julian Barnes, qui en font un magnifique roman glaçant.

On le lit comme une histoire au passé, mais malheureusement la même histoire se répète en ce moment même aux portes de l'Europe, au vu et au su de tout le monde.....et certains paragraphes entiers dans le texte sont terriblement d'actualité......comme quoi rien ne change.....que dire, la chose la plus humiliante au monde est l'impuissance face à des tyrans qui n'ont aucune conscience, aucune humanité.







Genius and evil

Are two things incompatible.

You agree?

(Pouchkine)

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Le fracas du temps

Selon que vous soyez né à l'Est ou à l'Ouest, votre vie sera ce qu'elle est plutôt que ce qu'elle aurait pu être.

Etre un compositeur talentueux dans la Russie de Staline pouvait ressembler à une malédiction, cette évocation de la vie de Dmitri Chostakovitch va nous en donner la confirmation, car appartenir à une élite dans un régime totalitaire, c'est vivre selon des règles absurdes et non écrites, c'est plaire puis déplaire selon des critères incompréhensibles, c'est craindre pour soi, mais plus encore pour ses proches ce qui est profondément angoissant.

Ce livre m'a beaucoup impressionné, on sait ou l'on croit savoir ce qu'a pu être la vie de l'autre côté du rideau de fer, les purges contre les militaires, les intellectuels, l'arbitraire au quotidien pour tous.

On pourrait croire que les porte-drapeaux du régime étaient privilégiés et à l'abri, protégés par leur talent, l'évidence est que ce n'est pas le cas, enfin pas si l'on s'imagine pouvoir garder un minimum d'indépendance.

Concernant mon ressenti de lecture, j'ai souvent été impressionné par certaines évocations comme les attentes devant l'ascenseur une valise à la main (impossible d'en dire plus sans spolier), les cas de conscience liés aux compromissions incontournables ou encore cet échange avec Staline en personne que j'ai lu en apnée.

Je ne vais pas résumer ce livre qui mérite vraiment d'être lu pour comprendre ce que peut être la vie encore aujourd'hui sous certains régimes. Il y a beaucoup de questions que l'on pourra se poser sur le sens d'une vie, sur la chance ou la malchance de naître ici ou là, sur les compromissions que l'on est prêt à accepter pour protéger les siens et biens d'autres sujets.

Cette biographie se décompose en trois phases distinctes qui détailleront trois périodes phare de la vie de Chostakovitch et l'évolution de sa pensée intime, bravo à l'auteur pour avoir su matérialiser cet aspect, de l’insouciance des premiers jours à l'extrême maturité de la dernière partie de sa vie.

J'ai beaucoup aimé le scénario proposé et sa structure, beaucoup apprécié le style, car l'auteur a su parler du compositeur avec tant de justesse que nous l'avons côtoyé "corps et âme" tout au long de cette biographie, écrite de telle façon que l'on oublie justement que c'en est une.

Pour conclure c'est une lecture qui m'aura instruit et passionné, mais aussi bien fait réfléchir par sa profondeur d'analyse avec, entre autres sujets, l'aversion du compositeur pour les dissidents.
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Une fille, qui danse

Triste constat pour Tony : Veronica lui a préféré son brillant copain Adrian. Vengeance, lui susurre une petite voix intérieure. Une lettre vraiment pas gentille est envoyée aux traîtres. Le temps passe, Tony apprend qu'Adrian s'est suicidé. Y a-t-il un rapport avec son courrier, Adrian a-t-il exercé son libre arbitre auquel il tenait tant ou est-ce la faute de Veronica ?



Les souvenirs remontent. Tony se souvient de Veronica, une fille intelligente et sûre d'elle qui le mettait mal à l'aise, du moins c'est ce qu'il ressentait au moment de leur séparation. Avant la jalousie de la savoir avec Adrian. Avant la mort d'Adrian. Avant que la mère de Veronica lui lègue, bizarrement, le journal intime d'Adrian.



Avec cette histoire pénétrante qui tient en peu de pages, Julian Barnes traite de la mémoire, du danger du passé quand il resurgit dans une vie que l'on croyait réglée, entraînant des remises en cause et des remords pour des actes longuement occultés. Voilà un beau sujet, abordé avec ironie, cynisme et brio, qui a valu à son auteur le Man Booker Prize.

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Elizabeth Finch

Se considérant à cinquante ans comme le « roi des projets inachevés » après une carrière de comédien et une vie sentimentale aussi peu réussies l’une que l’autre, Neil se souvient de l’exceptionnelle et si peu conventionnelle enseignante universitaire qui a littéralement bouleversé son existence deux décennies plus tôt.





Cette « lettrée indépendante » de vingt ans son aînée, parmi « ces hommes et ces femmes de la plus haute intelligence qui se penchaient en privé sur leurs propres sujets d’intérêt » alors que « l’argent leur permettait de voyager et de chercher au bon endroit ce qu’il leur fallait, sans obligation de publier, sans collègues à surpasser ou chefs de département à satisfaire », dispensait alors à des adultes des cours de Culture et Civilisation, avec pour ambition d’aider ses élèves « à réfléchir et argumenter, et à penser par eux-mêmes. » Pris d’un amour platonique pour cette intellectuelle qui l’initiait à la libre-pensée, Neil est resté vingt ans en contact avec elle, au rythme de quelques déjeuners par an, jusqu’à ce qu’il hérite de ses livres et papiers. Alors, pour lui rendre hommage, il décide d’entreprendre la rédaction d’un essai historique et philosophique sur l'empereur romain Julien II, dit Julien l'Apostat, figure centrale dans l’enseignement d’Elizabeth Finch.





Elevé dans la foi chrétienne, Julien II tenta pourtant, sans en avoir le temps au cours des deux seules années de son règne (361 à 363), de rétablir le polythéisme hellène, et est resté, au cours des siècles, un symbole largement polémique de l’opposition entre paganisme et christianisme. Ses positions religieuses ont notamment inspiré les humanistes de la Renaissance comme Montaigne, puis les philosophes des Lumières comme Montesquieu et Voltaire, autour des thèmes de la liberté de conscience, du stoïcisme, de la tolérance éclairée. A travers lui, ce sont mille débats auxquels, dans les pas d’E.F, Neil nous invite, pointant l’autoritarisme et l’intolérance du monothéisme chrétien, ses préventions contre la science, son goût pour le martyre, et se plaisant à nous interroger sur ce que le monde serait devenu si Julien avait vécu plus longtemps et si les platoniciens l’avaient emporté sur les chrétiens : plus besoin de Renaissance ni de Lumières pour sortir de l’obscurantisme, plus de guerres de religion, et peut-être aussi davantage de joie sur terre puisque non sacrifiée à « quelque absurde Disneyland céleste après notre mort. »





Autant tenu en haleine par le portrait romanesque, tout en mystères et en fantasmes, de cette professeur hors pair, si admirablement dédiée à l’éclosion chez ses élèves d’une pensée libre qui, pour sa part, la marginalise totalement dans le microcosme intellectuel d'aujourd'hui, que fasciné par la portée si contemporaine de cette monographie d’un empereur romain resté étonnamment symbolique depuis des siècles, l’on se régale de l’érudition de ce livre, surprenant mais éloquent plaidoyer pour la liberté de pensée, de conscience et de religion. Un ouvrage aussi original qu’intelligent dans sa construction et dans son propos non dénué d'ironie.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Metroland

Ce premier roman de Julian Barnes nous narre des faits probablement largement autobiographiques mais sa portée est universelle. Sa ‘marque de fabrique’ : trois grandes parties et des thématiques qui seront reprises dans ses oeuvres ultérieures.



Nous allons suivre ici Christopher, un adolescent originaire du quartier de Metroland (banlieue de Londres), pendant une quinzaine d’années.

Généralement accompagné de son meilleur ami Toni durant son temps libre, Christopher explore le monde qui l’entoure, jauge les gens, et fait différentes expériences en parcourant les quartiers de la ville et en particulier la National Gallery. Que vous réserve la vie, quels choix pouvons-nous faire, qu’est ce qu’être un petit bourgeois ? Son grand problème : savoir ce qu’est l’amour alors qu’il n’en connait que ce que les écrivains classiques en disent. Les choses changent lorsqu’il se retrouve seul pendant quelques mois à Paris durant l’année 1968. Les événements politiques sont complètement occultés. Julian Barnes s’attache ici à nous montrer la vie de dilettante en terre étrangère d’un Anglais qui découvre enfin l’amour physique. Mais où mènent le mariage et la fidélité ? Le roman se clôt sur l’adulte qu’il est devenu et les choix qu’il a faits, bien loin de ceux de son ami Toni.



Julian Barnes, le plus Français des Anglais, sait évoquer les rencontres, les choix de vie que nous pensons avoir, en les teintant d’humour et de drôlerie.

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Une fille, qui danse

Voyage dans la mémoire de Tony Webster, voilà à quoi nous invite Julian Barnes avec son dernier opus. Si cette introspection peut vous paraitre un peu légère pour en faire un roman, faites confiance au plus français des auteurs britanniques. Tony donc, voit resurgir un passé vieux de quarante ans. Un flash back qui transforme bien des certitudes en questionnement. En abordant de nombreux thèmes tels la mémoire, les souvenirs et les regrets aussi comme l’a écrit un célèbre poète, tout cela a un charme grand breton du meilleur effet. Mais sous l‘apparente légèreté, Barnes s‘interroge en profondeur sur nos vies et nos petits arrangements pour les rendre supportables. Le tout avec intelligence et brio. « Une fille, qui danse » mérite largement un tour de piste.

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La seule histoire

Paul se penche sur son passé, un seul mot en tête : Susan. Il se souvient comment âgé de 19 ans il a rencontré puis vécu pendant une dizaine d’années une passion avec Susan Macleod qui aurait pu être sa mère.



Il égrène pêle-mêle les souvenirs passés au tamis de la mémoire. Comment les moments éphémères et joyeux des débuts ont peu à peu laissé place au mensonge, à l’aveuglement, au déni, à la colère, à la fuite, à la lucidité. Pour ce qui constitue à ses yeux sa seule histoire d’amour.



Julian Barnes nous livre ici un texte fort sans faux semblant, bouleversant de justesse.

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Une fille, qui danse

C’est l’image d’un pont que m’évoque ce récit. Les deux piliers sont reliés par la passerelle aléatoire de la mémoire, infidèle et affabulatrice.

C’est une lettre officielle, adressée au narrateur sexagénaire, qui vient perturber son quotidien tranquille et monotone. Il est en effet légataire de la mère de Veronica, une petite amie sulfureuse et compliquée, fréquentée au cours de son adolescence.

C’est toute la fougue et la passion de ces années de jeunesse qui remonte à la surface, ainsi que les questions restées sans réponse : pourquoi Adrian, l’ami brillant et fantastique s’est-il suicidé après avoir eu une relation avec la même Veronica?

De souvenirs en suppositions, d’hypothèses en fulgurances, c’est l’édifice bancal de ces années décisives qui façonnent le destin irrémédiablement que nous relate Tony.



Le temps qui passe est le fil conducteur du récit :



« Il suffit du moindre plaisir ou de la moindre peine pour nous faire prendre conscience de la malléabilité du temps. Certaines émotions l'accélèrent, d'autres le ralentissent ; parfois, il semble disparaître – jusqu’à instant fatal où il disparaît vraiment, pour ne jamais revenir. »



Le constat est amer : les erreurs passées n’offrent pas de seconde chance. Cependant, il est probable que l’avénement de la vérité constitue une sorte de catharsis qui pourrait apaiser les tourments de la fin du parcours. Si tant est que la vérité soit réellement révélée (les révélations ultimes n’expliquent pas totalement le sens du legs).



Aucune prétention dans le style : l’intrigue est le support de révélations et de confidences qui semblent sincères. Pas d’apitoiement non plus, juste la connotation d’une irréversibilité des choses, et de l’issue fatale, d’un chemin que l’on tente d’embellir au prix d’un fardeau d’autant plus lourd qu’il reste ignoré.


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L'homme en rouge

La postérité est certainement redevable d'une lorgnette mal ajustée à l'égard de Samuel Pozzi, chirurgien talentueux titulaire de la première chaire de gynécologie spécialement créée pour lui. Mais en se lançant sur les traces de cet homme qui a introduit les bonnes pratiques et l'hygiène à l'hôpital, Julian Barnes préfère jouer les chroniqueurs mondains.

La difficulté à reconstituer le passé de cet homme mondialement connu à l'époque n'y est pas étrangère. Mais c'est surtout la toile de fond, foncièrement romanesque qui intéresse l'auteur. Samuel Pozzi peint en 1881 avec des doigts fins et délicats et revêtu d'un manteau rouge qui lui donne une magnificence digne des princes de la Renaissance, est semble-t-il une figure incontournable de la Belle Époque. Barnes en fait l'épicentre d'une vaste fresque parisienne qui mêle esprit de salon et péchés baroques. Nous contemplons alors le vaste réseau des relations de Pozzi avec le beau monde, entraînant d'autres histoires faîtes de rumeurs, d'anecdotes piquantes et de bons mots caustiques. Et l'auteur semble se délecter de ces intrigues de boudoir, n'hésitant pas à se rendre visible dans son travail d'écriture, entre réflexions personnelles et analyse témoignant de sa fine connaissance de ce qui agite l'époque.

Si l'auteur anglais s'égare parfois, c'est peut-être parce qu'il n'y a pas de véritable chemin pour percer les mystères qui entourent ce scientifique rationnel et progressiste vivant au milieu d'une société décadente, narcissique aux aventures trépidantes mais un peu vaines. On peut aussi considérer que l'auteur a envisagé ce livre comme un immense moment de liberté, les lacunes historiques l'ayant conduit à renoncer au récit pur ou à l'illusion d'une continuité naturelle susceptibles de constituer une biographie romanesque. La seule oeuvre de fiction présente ici est À rebours de Huysmans, incarnation de la transgression et qui agit comme un miroir des personnes qui peuplent cet objet littéraire.

C'est une oeuvre qui se déguste comme une sucrerie que l'on s'autorise parfois. Pour le plaisir de lire l'érudition d'un auteur francophile.
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Le fracas du temps

Julian Barnes choisit de nous montrer la vie sous l'ère soviétique par le prisme de la musique en suivant les pas de Chostakovitch. Il s'attarde plus particulièrement sur trois événements qui ont bouleversé la vie de ce compositeur.

"Du Fratras en guise de Musique", cet article daté de 1936 de la Pravda au lendemain de la représentation de Lady McBeth de Mzenzk, qui interdit toute représentation officielle de l'oeuvre.

Son voyage officiel à New York au Congrès de la Paix en 1948 durant lequel Chostakovitch doit annoner des discours rédigés par le Parti et dénonce toute déviance - notamment celle de son ami Stravinsky.

L'espoir que tout change à la mort de Staline, remplacé par Khroutchev - moment où le Parti choisit en 1960 de l'honorer de la présidence de L'Union des Compositeurs de l'URSS et l'oblige à prendre sa carte au Parti.

Au-delà du rappel de ces événements, Julian Barnes nous interroge sur la question de la survie dans un monde totalitaire. Qu'est ce qu'un héros ? Celui qui choisit le suicide, ou brave les autorités en entraînant dans sa mort celle de sa famille et de ses amis ? Ou plutôt celui qui tente de survivre tout en continuant de produire une oeuvre. Qui accepte toutes les compromissions imposées par le Parti avec une apparente complaisance. Qui ose se regarder mourir de l'intérieur à petit feu. Qui ne réagit pas à l'enthousiasme des Occidentaux éblouis par la Révolution.

Un livre dérangeant et indispensable sur la rééducation mentale des masses.
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Le fracas du temps

« L’art appartient au peuple », cette citation de Lénine est sur tous les frontons…



Comment tuer un homme, musicien reconnu, sans attenter à sa vie, simplement en le persécutant psychologiquement, c’est ce qu’a vécu Dmitri Chostakovitch au temps de l’URSS.



Julian Barnes raconte les interrogatoires menés par Zakrevsky, uniquement parce qu’il a été en contact avec Toukhatchevsky suspecté d’avoir fomenté un « complot contre Staline », telle est la formule consacrée pour éliminer quelqu’un, pourtant héros, maréchal, car il a cessé de plaire au tyran, et au passage, on élimine tous les membres de la famille, les proches, ceux qui lui ont parlé une fois dans leur vie…



Dmitri Chostakovitch préfère attendre dans le couloir, sa valise à la main, pour ne pas être arrêté devant sa famille et être emmené en pyjama à la « Grande Maison » :



« Un de ses cauchemars éveillés persistants était que le NKVD leur prendrait Galya et l’emmènerait – si elle avait de la chance – dans un orphelinat spécial pour les enfants des ennemis de l’Etat. On lui donnerait un nouveau nom et où on ferait d’elle une citoyenne soviétique modèle – un petit tournesol levant son visage vers le grand soleil appelé Staline ». P 27



L’interrogateur change du jour au lendemain, car tombé en disgrâce, lui aussi, éloignant temporairement les soupçons, desserrant un peu l’étau.



Le seul tort de cet homme a été le fait que sa musique ait déplu à Staline : « du fracas en guise de musique » a dit celui-ci qui a assisté à la représentation dans sa loge, caché derrière un rideau, tandis que ses sbires baillaient ou grimaçaient ostensiblement, les musiciens ayant moins bien joué car il était là. Et le lendemain, la phrase faisait la une de « la Pravda »…



Il va devoir apprendre à composer la musique qui plaît au peuple puisque « l’art appartient au peuple », comme si c’était possible, sous la coupe de gens qui n’y connaissent rien ou des musicologues à la botte du régime.



Quand il se rend l’Étranger, il doit lire les discours qu’on a écrit pour lui, démolir Stravinski par exemple, et faire l’apologie du régime. Il ne se laisse pas tenter par l’exil, lors de son passage aux USA car cela retomberait sur sa famille.



On voit la vie de musicien basculer, la peur qui s’installe, on ne l’a pas exécuté certes, mais il aurait préféré la mort physique à cette mort psychologique. Il se trouve lâche, se méprise de plus en plus, sa vie étant devenue un enfer et, peu à peu, il s’en sort par l’ironie. « Il aimait à penser qu’il n’avait pas peur de la mort. C’était la vie qu’il craignait, pas la mort ».



On aurait pu penser que les choses changeraient à la mort de Staline, mais Khrouchtchev ne vaut guère mieux : certes on a dénoncé les purges, rendu leur honneur à certains, mais on est passé « d’un Pouvoir carnivore à un Pouvoir végétarien » comme le dit Anna Akhmatova, on ne tue plus, mais on manipule plus subtilement : Dmitri est obligé de prendre sa carte au parti, alors qu’il avait toujours refusé mais on ne l’aurait pas laissé tranquille…



Une image forte : Chostakovitch demande à une étudiante à qui appartient l’art (la phrase est écrite sur le mur en face d’elle, et affolée elle est incapable de lui répondre, même quand il lui tend la perche en lui demandant ce qu’a dit Lénine à propos de l’art!



J’ai beaucoup aimé ce roman biographique qui envoie un uppercut au lecteur et le fait réfléchir sur le pouvoir, la tyrannie, la persécution morale, l’interdiction de penser par soi-même, devenant l’ombre de lui-même pour survivre et protéger sa famille. Bien-sûr, on peut faire le lien avec les dictateurs actuels qui persécutent toujours autant les dissidents, les méthodes n’ont pas changé…



Je connaissais la chasse aux sorcières contre les écrivains dissidents, ou Noureïev pour la danse, mais pas trop celle exercée contre les musiciens…



Je pourrais parler de ce livre pendant des heures, tant il a suscité d’intérêt, d’émotions, j’ai littéralement vécu avec Dmitri pendant quelques jours, alors j’espère avoir été assez convaincante pour donner envie de lire ce livre.
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Le fracas du temps

Chostakovitch est un compositeur que j'apprécie et sa vie ne m'était pas inconnue. Allais-je donc lire un énième document à son sujet, je ne l'aurais pas fait si je n'avais reçu ce livre...

Disons d'emblée qu'après lecture, j'ai été ravi de ce cadeau !



Il ne s'agit pas à proprement parlé d'une biographie mais plutôt d'une version romancée de la vie réelle du compositeur car Julian Barnes s'attache surtout aux réflexions et pensées de Dimitri Chostakovitch, réflexions et pensées bien évidemment imaginées par l'auteur. Il en va de même pour les quelques dialogues du roman.



Le roman s'articule en trois parties :

- Sur le palier : nous sommes en 1936 et le compositeur attend là, près de l'ascenseur, ceux qui vont certainement l'arrêter pour ensuite soit le déporter soit l'éliminer... Alors qu'à 31 ans, sa renommée est grande, Joseph Staline est venu écouter son opéra Lady Macbeth de Mzensk et est sorti pendant sa représentation et le lendemain la Pravda dénonçait l'oeuvre “Du fatras en guise de musique “. S'ensuit un arrêt brutal de sa carrière, il tente d'obtenir des supports mais à cause de l'un d'eux il se voit convoqué à la KGB et réalise qu'il risque d'être arrêté Attendant cela sur le palier afin de préserver sa famille, le compositeur se remémore ses parents et sa jeunesse, ses débuts brillants. Par chance, son interrogateur est lui Même déchu et Chostakovitch survit.

- Dans l'avion : douze ans plus tard, Staline lui demande de représenter l'URSS au Congrès Culturel et Scientifique pour la paix dans le monde à New York, le régime profite de sa renommée et lui fait lire des discours auxquels il n'adhère pas. Lui faisant même attaquer son idole, Stravinsky.

- En voiture : à nouveau douze ans se sont écoulés, le petit père des peuples est mort, et Khrouchtchev lui a succédé. Plus d'exécutions mais le pouvoir est toujours aussi oppressant “Il savait qu'on allait le laisser vivre, et recevoir les meilleurs soins médicaux.Mais dans un sens, c'était pire. Parce qu'il est toujours possible d'avilir un peu plus les vivants. On ne peut en dire autant des morts.”: on le force à s'inscrire au parti et à prendre la direction de lUnion des compositeurs. On lui apporte des articles à publier dans la Pravda qu'il doit signer alors au'il ne les a pas écrits

Toutes ces parties sont relatées sous forme de pensées intérieures, les digressions, comme dans toute pensée, sont nombreuses et donnent au roman tout son relief.

Nous découvrons son caractère profondément pessimiste dans une URSS où l'optimisme le plus total est de rigueur, son aversion pour les occidentaux amoureux de son pays (Rolland, Shaw, Sartre) mais aussi contre les sympathisants des anti-communistes ”Ils veulent des martyrs”, sa passion pour la musique, ses subterfuges pour introduire dans sa musique ses pensées en déguisant la vérité, l'ironie “qui lui permet de préserver ce qui le plus de valeur, alors que le fracas du temps devient aussi fort”, le rôle que doit jouer l'art dans la société, ce ne sera pas ce que disait Lénine (l'art appartient au peuple” mais bien “l'art appartient à tout le monde et à personne. L'art appartient à celui qui le crée et à celui qui l'apprécie.”



Julian Barnes a une empathie certaine pour son personnage qui tente de garder un peu de respect envers lui-même, mais qui se sent de plus en plus lâche. Un homme est-il un lâche quand il doit faire des compromis pour sa propre sécurité et surtout celle de ses proches ? Barnes ne le condamne pas, même après avoir relaté certains faits odieux (ses condamnations de Stravinsky, Soljenitsyne et Sakharov).



Je terminerai par une dernière citation : “Ce qu'il espérait, c'était que la mort libérerait sa musique: la libèrerait de sa vie. le temps allait passer, et les musicologues auraient beau poursuivre leurs débats, son oeuvre commencerait à exister par elle-même.”



Son espoir s'est accompli !

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La seule histoire

Julian Barnes et moi c'est une relation de quoi... trente ans ? Oui, déjà... Depuis Le perroquet de Flaubert. Ses livres couvrent une pleine étagère de ma bibliothèque, je les aime trop pour m'en séparer. Toujours profond, jamais ennuyeux. Avec cette petite touche britannique que sa francophilie rend encore plus réjouissante. Une pointe d'ironie mordante, toujours intelligente. Mais depuis quelques livres, depuis Pulsations, son très joli recueil de nouvelles qui faisait suite au décès de sa femme, il y a chez l'auteur un voile de nostalgie. Ses héros - comme lui certainement - se retournent désormais sur leur vie, tentent de mettre de l'ordre dans leurs souvenirs, essayent de mettre en phase leur mémoire avec leurs sensations. Pulsations, Une fille, qui danse... étaient les prémices de ce qui s'avère être à mon sens son plus grand roman : La seule histoire.



"Un premier amour détermine une vie pour toujours : c'est ce que j'ai découvert au fil des ans. Il n'occupe pas forcément un rang supérieur à celui des amours ultérieures, mais elles seront toujours affectées par son existence. Il peut servir de modèle, ou de contre-exemple. Il peut éclipser les amours ultérieures ; d'un autre côté il peut les rendre plus faciles, meilleures. Mais parfois aussi, un premier amour cautérise le cœur, et tout ce qu'on pourra trouver ensuite, c'est une large cicatrice."



A 19 ans, Paul est tombé amoureux de Susan sur un court de tennis alors que, le temps d'un été il s'est trouvé par hasard être son partenaire de double. Susan a 48 ans, un mari, deux filles. Dans cette petite ville au sud de Londres, dans l'Angleterre des années 60, tous les ingrédients du scandale sont réunis. Mais à la britannique, sans bruit. La relation dure, les deux amants s'installent ensemble à Londres où ils vivront une dizaine d'années avant de se séparer, l'addiction de Susan à l'alcool ayant raison des efforts de Paul. Pourtant, Paul n'a jamais réellement quitté Susan...



Ce que nous raconte Julian Barnes, c'est la façon dont "la seule histoire" continue à vivre en nous longtemps après qu'elle s'est terminée. Dans la première partie, à la première personne du singulier, Paul, cinquante ans après sa rencontre avec Susan raconte les débuts de leur amour, comme il s'en souvient, avec ce que la mémoire veut retenir en priorité. Il dit magnifiquement l'amour du jeune homme pour cette femme qui "avait appris la vie avec la vie" tandis que lui "l'apprenait dans les livres". La deuxième partie bascule à la deuxième personne du pluriel, ce vous qui interpelle le lecteur pour mieux le prendre à témoin et lui donner à voir l'envers du décor... l'alcool qui envahit la vie de Susan alors qu'elle ne buvait pas une goutte lorsque elle vivait avec son mari, le déséquilibre psychiatrique qui brouille peu à peu son cerveau, Paul qui s'interroge sur son incapacité à empêcher cette dégringolade. La troisième partie, de nouveau à distance adopte la troisième personne du singulier pour raconter l'après. La vie de Paul sans Susan et pourtant toujours, quelque part, avec elle. Et cette partie, croyez-moi, est poignante.



"Il lui semblait qu'une des dernières tâches de son existence était de se souvenir d'elle correctement. (...) c'était son ultime devoir, envers elle et lui-même, de la garder en mémoire comme elle avait été dans leurs premières années ensemble. De se souvenir d'elle au temps de ce à quoi il pensait toujours comme étant son innocence : une innocence de l'âme".



Tout ceci est d'une beauté à tordre le cœur. Parce que l'amour ici n'a rien d'anecdotique, n'est entaché d'aucun cliché. Parce que ce qui vit dans l'esprit de Paul est si fort, si riche, si perturbant, si contraignant aussi qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'on est très loin de l'amour jetable dont les romans contemporains se font habituellement l'écho.



La seule histoire est un roman qui se déguste lentement, dans lequel on se love et dont on n'a pas envie de sortir. Un roman qui rassure, encourage, console peut-être. Beau à pleurer.



"Une citation dans son carnet, qui avait survécu à plusieurs relectures : "En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c'est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité" (Chamfort). Il avait aimé cette remarque depuis qu'il l'avait découverte. Parce que, pour lui, elle ouvrait sur une pensée plus large : celle que l'amour lui-même n'est jamais absurde, ni aucun des participants. Toutes les sévères orthodoxies de sentiments et de comportements qu'une société peut chercher à imposer, l'amour les esquive. On voit parfois, dans la cour de ferme, d'improbables formes d'attachement - l'oie éprise de l'âne, le chaton jouant sans crainte entre les pattes du molosse enchaîné. Et, dans la cour de ferme humaine, il existe des formes d'attachement tout aussi improbables ; et pourtant jamais, aux yeux des participants, absurdes."
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Arthur et George

J'aime de temps en temps lire un Julian Barnes. Les derniers en date, - Une fille, qui danse - et - Rien à craindre - m'ont plutôt permis de passer quelques heures agréables.

Cette fois-ci, c'est le thème qui m'a paru attractif : un "polar" non fictionnel mettant en scène Sir Arthur Conan Doyle, alias Sherlock Holmes, enquêtant dans une sombre affaire "de maltraitance animale" pour laquelle le fils d'un pasteur parsi, George Edalji, est injustement condamné à sept ans de travaux forcés...

Surprise !... C'est la structure narrative plus que le "polar" en lui-même qui m'a séduit.

Quelle heureuse idée que celle de Barnes que d'alterner des chapitres "Arthur" et "George" pour nous permettre, sans l'effet lassant du genre, de découvrir les biographies "respectées" de ces deux hommes que tout opposait ( Arthur Conan Doyle et George Edalji) et d'y insérer ce qui sera le trait d'union, la raison de leur rencontre : l'affaire précédemment mentionnée !

Deux plaisirs en un donc dans cet ouvrage : deux biographies pleines de vie, de relief, extrêmement bien contextualisées, et une enquête... avec des temps forts... et d'autres moins. Mais le lecteur n'est jamais perdant.

Le bémol se situe, à mon sens, dans la comparaison totalement déraisonnable entre l'affaire Edalji et l'affaire Dreyfus. J'ajouterais quelques libertés prises par l'auteur dans les dates et les circonstances qui ont rapproché ces deux hommes.

C'est un travail littéraire d'honorable facture... auquel il manque cependant l'intensité dramatique qu'auraient méritée ces deux destins et les épreuves auxquelles la vie les a confrontés.
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Une fille, qui danse

Alors qu’il pensait son existence apaisée, loin des turpitudes de sa jeunesse, Tony, la soixantaine, retraité et divorcé, reçoit un étrange héritage qui le replonge quarante ans auparavant. Dès lors, il nous entraîne dans ces années 1960 submergées d’illusions et de frustrations, de grandes théories, de littérature et de poésie, d’histoire d’amitié plus forte que tout. Il dit l’amour et les déceptions, de celles qui conduiront au suicide son meilleur ami. Nous invitant à refaire le chemin à l’envers, Tony dépeint le jeune homme qu’il a été et l’adulte qu’il est devenu.



Tony est le seul narrateur et nous embarque pour un long voyage dans la mémoire, tentative de comprendre le passé. Aucun autre témoin n’est appelé. Le lecteur ne dispose donc que du seul point de vue de Tony qui s’efforce de livrer un récit objectif de sa remémoration. Mais peut-on se fier à sa mémoire ? Le récit que Tony s’était construit du passé va peu à peu se fissurer, se briser. La vérité qui l'attend sera terrible…



Roman tenu d’un bout à l’autre et remarquablement maîtrisé, Une fille, qui danse est donc un roman sur la mémoire mais aussi et avant tout une véritable réflexion sur nos propres existences, sur nos désillusions, sur nos responsabilités, sur ces petits mensonges que l’on se fait à soi-même et qui s’avèrent en définitive insupportables à porter. Thèmes maintes fois abordés en littérature me direz-vous, mais magnifiés ici par un ton, un humour "british", une intrigue captivante, qui nous bouscule du début à la fin. On referme le livre troublé, ébranlé. C’est d’une grande subtilité.

Un beau roman saisissant et poignant.
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