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Critiques de Laurent Gaudé (3818)
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Le Soleil des Scorta

J’écris cette critique à 3 h du matin donc pardonnez d’avance le style probablement un peu spécial. Je ne suis pas insomniaque mais lorsque je laisse derrière moi une journée exceptionnelle j’aime la voir empiéter sur celle d’après. Aujourd’hui je me suis levé, j’ai pris un thé, j’ai pris un bain, j’ai pris le métro ou plutôt le métro m’a pris, j’ai enfilé mes boules quies et j’ai ouvert « le soleil des Scorta ».



J’étais entouré comme d’hab de passagers à l’air austère, qui se regardaient sans se regarder, volant les images des autres par le biais de leur réflexion dans la vitre d’en face. Soudain, derrière l’odeur de transpiration métallique j’ai perçu autre chose. L’odeur d’abord très subtile, s’est accentuée arrêts après arrêts. Un parfum d’olive. Alors les néons blancs clignotants qui éclairaient les pages se sont réchauffés. J’étais resté trop longtemps dans le métro, j’avais raté mon stop et il m’avait emmené en Italie, bien avant l’invention du métro. Je suis descendu de la rame, j’ai déposé mon sac sur la terre brulante et craquelée et j’ai regardé au loin. Une silhouette difforme et ondulante se profilait à l’horizon.



Un homme et un âne se promenaient sur des phrases magnifiques.



Ce livre est presque impossible à lire. Je m’explique. Les phrases sont tellement bien façonnées, tellement percutantes que le texte en lui-même disparaît presque complètement au profit d’images jaunes orangées trempées dans la mer. Il se voit et il se goûte. Il ne se lit pas.



Toujours pas sommeil… j’ai tous les symptômes d’une insolation.

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Le Soleil des Scorta

Mon premier Gaudé et certainement pas le dernier ! Mais quel roman ! Sublime. Merveilleux. Puissant. Brûlant.

Le soleil des pouilles, je l’ai senti dés les premières pages. Brûlant, lumineux, dangereux. Le village de Montepuccio, je l’ai vu avec ses oliviers à perte de vue, ses cailloux, sa sécheresse, le jaune éclatant sur la place, les vieilles bâtisses collées ensemble comme cette population unie dans la violence ou l’humanité.

Les Scorta, un nom pour une famille, pour des générations, un nom pour grandir, s’implanter, se nourrir, se tenir, défier le destin, narguer le temps, les regards venimeux.



Ça, c’est un roman ! Parfaitement maîtrisé, une plume subliminale où le soleil frappe de toute sa grandeur, où les personnages prennent forme devant vous pour confier leur histoire, c’est un roman-terre, un roman-solaire, c’est l’Italie du sud dans ses coutumes, ses règlements de compte, ses affaires, sa misère, sa grandeur.

Un grand roman que je ne suis pas prête d’oublier !
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Eldorado



❤️Quelle classe ! Quelle claque !

Il y a dans l’écriture de Laurent Gaudé malgré la rudesse du sujet, l’immigration clandestine, plus que de la délicatesse, de la grâce, celle des grands.

On le sait, une profonde humanité marque toutes ses œuvres et ce roman là en est inondé.

Des récits entrelacés relatent plusieurs destinées surtout celle du commandant Piracci naviguant au large des côtes siciliennes et de l’île de Lampedusa ainsi que celle de Soleiman qui fuit le Soudan pour la côte Libyenne.

Le commandant ne trouve plus de sens à sa vie son métier est d’intercepter les bateaux de clandestins en les aidant comme il peut pour au final les rediriger fatalement vers l’enfer qu’ils tentaient de fuir. Il est à la fois sauveur et tourmenteur. Bouleversé par certaines rencontres, en proie à la culpabilité, il décide d’abandonner sa fonction et d’aller à « contre- courant du fleuve des émigrants » via l’Afrique du nord vers une nouvelle vie.

L’auteur nous mène de frontière en frontière, de rive en rive, de dérive en dérive vers une terre fantasmée. A mesure que les clandestins avancent l’Eldorado recule telle une promesse irréalisable, un rêve chimérique.

Avec un récit lucide, sans pathos il nous dépeint ces destinées tragiques qui revêtent sous sa plume une dimension mythique.

Certaines descriptions sont comparables à de véritables tableaux avec des scènes dans la tempête ou lors de l’assaut des frontières, zones tendues de clivage entre espoir et désespoir qu’elles soient entravées de barbelés ou pas.

On est solidaire de ces migrants amoindris qui luttent avec acharnement et possèdent la richesse enviable de ceux « qui rêvent toujours plus loin ».

On est tenu en haleine par des revirements de situation fréquents.

L’auteur décrit avec puissance le sort de ces « déclassés » condamnés à l’errance, affamés et assoiffés luttant pour regagner une dignité.

Mais il aborde aussi la fuite de soi, de ce que l’on est devenu insidieusement.

Deux destins se détachent, deux courants tumultueux, un vers l’Eldorado, l’autre opposé, qui vont finir par confluer de manière tragique car la fin est triste symbolique et marquante.

Bouleversant d’humanité❤️

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Écoutez nos défaites

«On ne peut pas partir au combat avec l'espoir de revenir intact. Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse».



Par ces mots, on sait à quoi s'en tenir.



La destruction organisée du patrimoine culturel et religieux de Hatra, de Mossoul, de Palmyre, de Tombouctou, de Bâmiyân, ainsi que le vol d'objets d'art et les attentats internationaux revendiqués par les hommes en noir, ont certainement impressionné et inspiré Laurent Gaudé, comme chacun de nous.



Cette folie meurtrière s'arrêtera-t-elle ? Est-elle particulière au bond économique et technologique des XXe et XXIe siècles ? Quelle victoire peut être revendiquée face à la mort de dizaines de milliers de personnes ? Combien de batailles pour rien tant qu'il n'y a pas de vainqueur ? Comment continuer à vivre avec ces visions d'horreur et de peur ?



A partir de la rencontre d'Assem avec Mariam, Laurent Gaudé s'interroge sur les concepts de vainqueur, de vaincu, de défaite et d'échec. Assem, choisi par la DGSE, doit retrouver un homologue de la CIA déserteur. Mariam, archéologue irakienne, recherche les oeuvres d'art volées et dispersées à travers le monde. Tous deux sont des spécialistes lucides, compétents et sans illusion sur la finalité de leurs missions.



L'Histoire d'hier rejoint celle d'aujourd'hui avec ses fracas, ses triomphes et ses erreurs. Elle laisse les traces de ceux que les siècles appelleront héros, même s'ils sont responsables de la mort de centaines de milliers de personnes. Peut-être au nom d'un idéal comme le général Grant lors de la Guerre de Sécession. Peut-être au nom de la liberté de son peuple comme Hannibal. Peut-être pour dénoncer la lâcheté de la Société des Nations comme Haïlé Sélassié. La conclusion, pas neuve hélas !, c'est que L Histoire a beau démontrer les horreurs de la guerre et les générations successives ont beau répéter « Plus jamais ça », l'orgueil, la démesure et la violence emportent toujours les hommes.



Cinq personnages principaux sont confrontés aux victoires et aux défaites :

Hannibal, guerroyant et gagnant ses batailles contre les Romains pendant plus de vingt ans, rencontre la défaite et la trahison dans ses alliances avec le vainqueur.

Ulysses Grant gagne la guerre civile américaine et est élu deux fois à la présidence des Etats-Unis. Sa défaite a été de garder le surnom de « boucher » pour le restant de ses jours et d'avoir vu la corruption ronger son administration.

Haïlé Sélassié sait que son armée, abandonnée par les grandes puissances, ne résistera pas à la mitraille implacable des Italiens de Mussolini. Sa défaite a été sanctionnée par l'exil mais il eut le courage d'accuser de lâcheté l'attitude de la SDN qui tourna le dos à l'Ethiopie quand elle subit les agressions de l‘Italie.

Assem Ghraïeb ne remporte aucune victoire lorsqu'il participe à l'assassinat du président libyen Kadhafi. Il accomplit une mission et sert sa patrie. La suivante est d'analyser si son homologue américain, qui a tué Ben Laden, est « récupérable » ou s'il doit être « neutralisé ». Sa défaite est de ne trouver aucun sens aux missions urgentes qui lui enlèvent chaque fois un peu de son humanité.

Mariam, l'Irakienne au service de l'Unesco, anéantie par les dynamitages des trésors de Libye, de Syrie ou d''Afghanistan, éprouve sa réussite chaque fois qu'elle retrouve des oeuvres volées à travers le monde. Sa défaite est sa rupture sentimentale et l'annonce de la maladie qui ramène tout être vivant à l'état de poussière d'où sont sorties les pièces exposées dans les musées.



Ce qui mène ces cinq personnages, c'est le fait de tenir, d'aller de l'avant, de ne pas lâcher. Même s'il y a défaite, ne jamais renoncer. C'est une formidable leçon de vie.



La force de Laurent Gaudé réside dans l'illustration des états d'âme de ses personnages. Sa virtuosité est de rendre son récit haletant, émouvant et passionnant. Plus la bataille fait rage, plus l'impact est violent, plus les pertes sont lourdes, plus les paragraphes sont courts et les phrases percutantes, ce qui crée une tension intense dans la lecture. le questionnement lancinant au fil des pages accroît la réflexion, abolit les époques et les frontières, accélère la dynamique de l'action.



L'amertume de Mariam et d'Assem trouve un répit dans une nuit d'amour. L'une raconte les rites égyptiens consacrés à la mort des Taureaux Apis et le mythe du dieu Bès, l'autre récite des vers de Constantin Cavafy et de Mahmoud Darwich. L'art et la poésie résistent à toutes les horreurs de l'Histoire. Comme elles, ils sont sans cesse recréés.



Sûrement une gageure que de mélanger ces différentes périodes de l'Histoire, de choisir les héros significatifs, vainqueurs et vaincus à la fois, mais pour moi, c'est une réussite entière. Un livre à recommander.





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Salina : les trois exils

Salina les trois exils ou les bienfaits du recyclage.

Le théâtre ayant probablement encore moins d’adeptes que la poésie chez les visiteurs de librairies, Laurent Gaudé et Actes Sud ont fait de cette pièce un roman. Excellente idée, comme si souvent chez l’auteur et l’éditeur.

Je n’ai jamais aimé qu’on me raconte des histoires. Tout petit déjà, pour m’endormir, ce n’était pas mon truc. Ca ne s’est pas arrangé avec l’âge bien que… si on y met quelques formes…

Bon, Laurent Gaudé a cette écriture qui me parle associée aux indignations qui me chatouillent. Je pense qu’il pourrait me lire ou me réécrire les pages jaunes de la Creuse en réussissant à me captiver. Mon objectivité est donc mise à rude épreuve, c’est vrai. Bref, Gaudé, c’est top.

Ai-je besoin de préciser que j’ai adoré ce bouquin ? Ai-je besoin de préciser que j’aime que Laurent Gaudé me raconte une histoire ?



J’ai aimé avoir cette impression d’être au coin du feu à écouter l’ancien, d’avoir la sensation que le temps s’est arrêté pour laisser à la nuit, le temps qu’il faut à une vie pour se répandre. Et puis ce sentiment que chaque virgule est une apnée, chaque point un sursis, quel pied !!!

En fait d’ancien, dans Salina c’est plutôt un ancien depuis moins longtemps que d’autres qui raconte mais le résultat est le même. L’Afrique, ce continent qui m’a toujours attiré, m’a happé dès la première page. Entre conte et légende, l’envoutement a été total. Je me suis vu sur une barque de pêcheur, écoutant parmi les autres, l’histoire de Salina racontée par Malaka. Malaka, lui « fils de l’énigme » en route pour porter sa mère vers sa dernière demeure sur l’île cimetière.



« Moi, Malaka, fils élevé dans le désert par une mère qui parlait aux pierres, je vais raconter Salina, la femme aux trois exils. Je vais dire ma mère qui gît là au fond de la barque, et le monde qui apparaîtra sera fait de poussière et de cris. »



« Moi, Malaka, venu de si loin pour vous porter ma mère, je dois raconter maintenant le temps qui passe, inutile. Les heures de désœuvrement et d’errance. Salina n’est plus rien pour personne. C’est de ce jour qu’elle commence à parler aux pierres, à haranguer les serpents. C’est de ce jour l’éclipse de son esprit, parfois, qui lui fait maudire les étoiles. »



Entre ces deux citations, une vie, la condition féminine, des traditions, une vengeance, le tout porté par une écriture qui correspond à mes attentes. Le sujet est dur, violent mais rien n’est gratuit. Chaque mot est nécessaire, chaque mot est à sa place. Ce texte est empreint de poésie, comme un baume apaisant la rage de Salina.

Trois exils, trois ex ils… encore une perle.



S’il te plait Malaka, dessine-moi encore Salina.

S’il te plait m’sieur Gaudé, dessine-moi d’autres lettres sur d’autres pages.

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Le Soleil des Scorta

Me revoilà dans les pas de Laurent Gaudé, sur la piste pesante du Soleil des Scorta.

Nous retrouvons là le ton pesant, lourd de sens, si intense, qui était déjà présent dans La Mort du roi Tsongor. L’auteur décrit la destinée particulière des Scorta, clan bâtard du fin fond de l’Italie du XXe siècle. Si le pitch n’est pas des plus bandants, le style estampillé Gaudé nous fait remonter la barre plus haut que je ne l’espérais au vu des premières pages, je l’avoue. J’avoue aussi que cette dernière phrase sonne un peu sale, mais j’ai finalement l’impression de rester dans l’ambiance chaude, sensuelle et tendue que dépeint l’auteur. Par l’entremise de cette contrée, de cette Montepuccio et de ces familles que l’auteur semble si bien connaître, il nous délivre de fortes réflexions sur la mort, le sens de la famille et l’importance de la transmission entre les générations : d’une certaine façon, comme dans La Mort du roi Tsongor, c’est sur le poids de l’héritage familial que Laurent Gaudé nous fait intensément réfléchir. Si intensément qu’à l’image de la mort pour la plupart des Scorta, la fin du Soleil des Scorta survient comme une délivrance exutoire, où le malaise côtoie une forte envie de transmettre, nous aussi, ce que nous avons pu apprendre de la vie jusque là.



Un roman qui m’a touché donc, et il me semble bien que c’est, par la même occasion, le premier Goncourt que je lis (il faut bien un début à tout) ! Mérité, il faut le reconnaître.



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La Mort du roi Tsongor

Je poursuis tranquillou l'oeuvre de Gaudé...Au menu , ce coup-ci , La Mort du Roi Tsongor .

Homérien en diable dans sa trame , ce récit épique épique et colégram me conforte dans l'idée que ce Gaudé s'affirme réellement comme étant un magistral conteur !



Le vieux Tsongor , roi incontesté et incontestable de Massaba , s'apprete à marier sa fille Samilia . Sonnez hautbois , résonnez musettes ! Le récit s'annonce festif et jovial , n'était ce leger contre-temps en la personne de Sango Karim qui , fort d'une promesse lointaine échangée avec la belle , s'en revient alors , en ce jour de bombance et de ripaille , quémander sa main ! Léger hic , le prince Kouamé , nouveau prétendant attitré , ne l'entend absolument pas de cette oreille – ni de l'autre d'ailleurs . De là à dire que Kouamé n'est pas préteur , il n'y a qu'un pas...Oula , oula , m'est avis que le festin annoncé pourrait tres vite se transformer en rivalité larvée . Il y a désormais quelque chose de pourri au royaume de Massaba ! Aussi avisé que les rois Arthur et Dagobert ;) réunis , le sagace souverain décide alors de se donner la mort pensant alors annihiler toute vélléité guerriere ! Ouiinn ! Fatale erreur votre Majesté puisque les deux promis , habités par un orgueil et un égo aussi démesurés , décident finalement de conquérir Miss Maisjvousaimetouslesdeux à coups de combats et de massacres récidivants !

Tsongor , à la veille de pousser son dernier soupir , fait mander son plus jeune fils , Souba , afin de lui exprimer ses dernieres volontés ! De tes oripeaux princiers tu te dévetiras , sept tombeaux inégalables tu construiras , chacun portant l'empreinte de ce que fut ton pere pour toi...Le sauvant ainsi lucidement d'une mort certaine...

C'est ainsi qu'incognito , Souba missionné par son défunt pere , quitta le royaume de Massaba appelé à ne devenir que ruine et désolation . Vint donc le temps de la solitude opposé à celui du chaos . I'm pooor lonesome fils de roi qui doit le dire à persoooonne...



Gaudé oppose une quete mystique au bruit et à la fureur !

Deux récits concomitants de force et d'impact bien distincts . Car si l'on suit le jeune Souma avec grand plaisir dans sa recherche de vérité et de spiritualité , les combats incessants venant se fracasser telles les vagues sur la greve peuvent constituer un leger bémol , voire un petit fa diese à la longue ! La plume est toujours aussi évocatrice et immersive seulement , les affrontements se succédant inlassablement pour , au final , laisser les deux bélligérants sur leurs positions , peuvent susciter à la longue un brin de lassitude lassante . Absolument rien de rédhibitoire tant l'intensité des batailles transpire à chaque page ! Véritable cours magistral de stratégie guérriere , Gaudé inscrit son récit sur la longueur en prenant le parti de compter par le menu ce suicide collectif sur plusieurs années . Un roman dévastateur n'épargnant rien ni personne si ce n'est l'humain borné incapable de transiger avec son moi profond , n'hésitant pas à sacrifier toutes ces vies au profit d'un idéal personnel qui n'a d'autre limite que son triste égo démesuré...

Pour toutes ces raisons et bien plus encore , je déclare Gaudé comme étant mon chouchou - sans oublier les 3 suisses , bien sur – 2012 !



Le Roi est mort , vive le Roi !
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Chien 51

Pas très obéissant le toutou du futur.

Laurent Gaudé transforme en or littéraire tout ce qu'il touche et la dystopie n'échappe à son alchimie. C'est quoi comme maladie, la dystopie ? Il s'agit d'un pessimisme pathologique qui augure du pire pour aspirer au meilleur. Nos oracles n'ont pas le moral et anticipent les emmerdements.

Chien 51, c'est Zem Sparak, un policier grec qui n'est pas au meilleur de sa forme. Son pays a fait faillite. Encore.... Oui. La dette de la Grèce est antique mais, ce coup-ci, accuser l'Europe de ses propres turpitudes et demander aux habitants de payer leurs impôts n'a pas été suffisant.

Le climat n'a pas aidé. Avec les pluies acides et des chaleurs de rôtissoires dominicales avec un soleil qui chauffe plus que celui des Scorta, le touriste a eu moins envie d'aller danser le Sirtaki à Mykonos avec sa chemise ouverte en lin, un verre d'ouzo à la main.

La Goldtex, multinationale gloutonne, sauvage comme une Amazone, a racheté le pays, privatisé les Hellènes, garçons et filles compris. Il ne faut plus parler de citoyens mais de Cilariés. Tout un programme.

Zem Sparak, dans sa jeunesse étudiante et révoltée, avait essayé de résister mais une répression sanglante avait anéanti le mouvement de protestation.

Depuis, la population est répartie dans les 3 zones d'une mégalopole baptisée Magnapole.

Dans la première zone, une classe de privilégiés et de dominants, dans la seconde, la classe moyenne qui trime et qui consomme, et dans la troisième, c'est le remake de New York 1997 de John Carpenter avec sa cohorte de miséreux et sa violence. Zem Sparak officie dans ce no man's land. Une loterie permet à certains chanceux de gagner le droit de changer de zone. Cela s'appelle entretenir le désespoir. Les checkpoints entre chaque zone sont plus hermétiques que les frontières de la Corée du Nord. Ce n'est pas la douane qui chasse la bouteille de Pastis et les cartouches de clopes à la sortie de l'Andorre.

La découverte d'un corps dépecé va troubler l'équilibre des forces et Chien 51 va devoir collaborer avec une inspectrice ambitieuse de la zone 2, parfaitement intégrée à cette société privatisée.

L'auteur nous projette dans un futur pas si lointain et à priori, faire pipi sous la douche, interdire les barbecues et baisser d'un degré la température du jacuzzi n'a donc pas suffi à sauver la planète.

Si le roman reprend les recettes du héros fatigué, revenu de tout pour aller nulle part, le récit de Laurent Gaudé transcende le genre et je me suis laissé entièrement absorbé par ce polar de SF qui aborde les crises sociales, migratoires, économiques et écologiques de l'époque sans tomber dans le pamphlet caricatural. L'intrigue est une réussite, certaines idées sont vraiment originales comme le Loveday ou celle du dôme climatique et le dénouement peu prévisible. Cette escapade dans le lendemain n'a pas raturé le style très fluide du Goncourisé. Un auteur américain en aurait fait 300 pages de plus mais Laurent Gaudé sait aller à l'essentiel.

Pour un tel coup de coeur, il est difficile de trouver quelque chose à redire mais si je cherche la petite bête, je dirai que le personnage féminin manque un peu d'épaisseur par rapport à Zem Sparak et que l'auteur fait un peu trop l'impasse sur de potentielles évolutions technologiques et leurs conséquences. Je ne m'attendais pas à un remake de Star Trek ou à des combats au sabre laser, mais il est difficile d'imaginer un tel statu quo en la matière.

Dans cette rentrée littéraire, jusqu'à présent, je n'ai pas trouvé mieux mais je ne sais pas ce que me réserve le futur.







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Le Soleil des Scorta

Depuis quelques temps j'avais perdu l'envie de lire les auteurs français. J'avais l'impression de tourner en rond, les thèmes ne m'inspiraient pas , bref un manque d'envie.

Après avoir lu " Profanes " de Jeanne Benameur, j'ai redécouvert la joie de lire français.

Le hasard m'a fait rencontrer la plume de Laurent Gaudé et son immense roman " le soleil des Scorta ".

Ce récit est l'histoire d'une famille italienne dans la région des pouilles au sud de l'Italie.

Laurent Gaudé nous fait rencontrer grâce à la vieille Carmela quatre générations d'hommes et de femmes, leurs joies leurs peines, leurs secrets.

Venez découvrir ce petit bijou de tendresse, de sensibilité, cette ode à la famille et à ses valeurs.

Venez découvrir le petit village de Montepuccio, ce soleil écrasant, ces parfums de tomates séchées et d'olives....

un grand moment de lecture et une belle réconciliation avec la littérature française.
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Ouragan

Voilà c’est dur de prendre la parole devant vous comme cela, une certaine honte me taraude. Voilà (tête basse, pour ne pas croiser de regard) je suis addict. A Laurent Gaudé. Vous me direz, ça aurait pu être pire, bien pire. Il m‘aura fallut finalement peu de livres pour en arriver là. « Ouragan » m’a définitivement fait basculé. J’ai résisté, mit du temps entre deux lectures, mais rien à faire. Accro (codile).

Une dizaine de personnages pour subir le déchainement des cieux. Tous au bord de la rupture, de la folie, dans un décor apocalyptique. Gaudé raconte ça d’une façon magistrale. Avec un sens du tempo qui densifie son récit. Passant d’un personnage à un autre par de courtes strophes. Efficacité garantie.

Comment ne pas être touché par Joséphine Linc. Steelson négresse de plus de cent ans chantant la douleur pour mieux repartir au combat ! Fière et droite. Rien que pour elle « Ouragan » mérite cinq étoiles.



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Écoutez nos défaites

Laurent Gaudé a ouvert une faille en moi. Ses mots puissants qui touchent le cœur de l’âme, qui écoutent l’intime, qui révèlent la part cachée qui est en moi, qui est en chacun, ses mots vulnérables et tranchants m’ont mise à nu. Et je me reconnais humaine, très humaine, reliée à tous, qu’ils me soient contemporains ou qu’ils soient morts depuis longtemps.

Car tous, nous avons en commun ceci : arrive un moment où la vie s’engloutit, où la défaite s’étale. Le corps s’incline, les passions passées s’éloignent.

Car tous, nous sentons intimement que, même au cœur de la victoire, une petite faille s’ouvre et nous susurre que celle-ci n’est jamais complète. Nous sommes toujours victorieux au détriment d’autres. La victoire pleine, réelle, éternelle, n’existe pas. Interrogez-vous comme je me suis interrogée, et vous verrez que Laurent Gaudé a raison.



Que ce soit les victoires lors des batailles – là où le sang imbibe la terre jusqu’à plus soif, là où l’humiliation des vaincus empêche de lever la tête en humain vainqueur fier de l’être -, que ce soit les victoires sur le Temps – lorsque les archéologues déterrent avec fracas les objets qui s’étaient cachés, nichés pour l’Eternité afin de reposer en paix -, que ce soit les victoires sur soi-même et sur la vie - mais ô combien précaires - , toutes ont en commun ceci : elles ne durent pas. Et donc la victoire n’existe pas.



Il nous faut accepter cela, et pourtant, c’est ce qu’on ressent obscurément depuis longtemps, non ?

Et pourtant, le fait de l’accepter ne nous rend pas plus malheureux. Paradoxalement, il nous rend plus heureux, plus détachés de l’effervescence souvent sans objet de la vie.



Laurent Gaudé est arrivé, dans cette histoire mêlant le passé et le présent, à trouver le sens commun à tous les hommes, en entrant dans le cœur d’hommes ayant participé aux convulsions de l’Histoire, à ces moments où elle hésite, où elle penche dangereusement d’un côté puis de l’autre, pour finir de toute façon par être vaincue elle aussi. D’Hailé Sélassié à Hannibal, de Grant et Lee pendant la Guerre de Sécession au saccage du musée de Mossoul par des obscurantistes, de la mort de Khadafi à celle de Ben Laden, l’Histoire se brasse, s’embrasse et se tue. Elle finit par se taire, aussi.

Car finalement, même si le poète dit « Ne laissez pas le monde vous voler les mots », on doit bien reconnaitre « qu’il n’a été question que de gestes. L’action, qui s’empare de tout, ne laisse plus de place à rien ».



Merci à Claire qui m’a offert ce livre puissant hanté par l’Homme, par son désir de victoire inséparable de sa part d’ombre, par son acceptation de la défaite qui le rend, enfin, humain.

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Eldorado

Le merveilleux , le fantastique , l'incontournable , le légendaire - j'en fais trop là , peut-etre ? - Le Soleil des Scorta , je l'avais trouvé...correct tendance grose baffe sur le coin de la truffe ! La chance du débutant qui en était , quand meme , à son troisieme roman , que je m'étais dit ! Que nenni , Eldorado vient confirmer le talent de ce tout jeune auteur Français en traitant d'un sujet d'actualité toujours aussi récurrent avec une justesse de ton ébouriffante ( dixit Kojak ) assortie d'un regard distancié ( dixit Dalida) propre à le crédibiliser !



L'émigration clandestine , une statistique globale objet de bon nombre de fantasmes irraisonnés pour certains ( Hortefeux , Besson...) . Un sujet puissant ou l'humain y aurait enfin toute sa place pour d'autres ! Piracci , Soleiman et Jamal , Boubakar ( rien à voir avec France Gall , merci !) , sont les héros désenchantés de ce conte crépusculaire . Quatre destins uniques , quatre trajectoires distinctes tendant vers un ailleurs sublimé , quatre brutales désillusions confrontées aux murs d'une réalité politique bien trop pragmatique pour leurs reves idéalisés!

Piracci , capitaine de frégate solitaire , se rend compte du non-sens de sa vie ! Sauveteur patenté de ces forçats de la mer Nord-Africains toujours plus nombreux à vouloir rejoindre l'ile de Lampedusa , véritable sésame pour l'Europe , il n'en reste pas moins celui qui les confie aux divers centres de rétention , synonymes de retour au pays assuré , une fois sa mission accomplie . Sa seule échappatoire , démissionner pour tenter d'expier ses fautes passées et renaitre en ce pays qu'il ne connait que par les diverses nationalités qu'il arraisonne : l'Afrique !

Soleiman et Jamal sont freres . D'origine Soudanaise , ils prennent le parti d'un déchirant déracinement au profit d'une vie meilleure , ailleurs...Leur union fusionnelle fait leur force et leur donne le courage nécéssaire à ce périple qu'ils savent dantesque , à défaut d'etre mortel !

Gaudé , d'une plume simple , sensible et évocatrice , place l'humain au cœur de ce drame magnifique et cruel . En véritable conteur fictionnel se basant sur une réalité avérée , il narre magistralement avec force détails le terrifiant voyage de ces otages en devenir ! Otages de passeurs indélicats ; de capitaines de navire n'hésitant pas à les abandonner en pleine mer apres les avoir spoilés de tous leurs biens ; de ces carabiniers frontaliers , beaucoup plus zélés qu'humanistes , toujours prompts à ouvrir le feu sur ces fantomes haves , dépenaillés et affamés mais cependant déterminés comme jamais lorsque vient le temps de l'ultime épreuve !

Leur chimere a un prix qui a souvent le goût du sang...

Un récit coup de poing présentant deux trajectoires diamétralement opposées appelées à se croiser sur fonds de croyance Africaine . Le propos est douloureux mais le ton jamais larmoyant ! Gaudé fait dans le factuel vériste en nous brossant magistralement le portrait de ces doux utopistes , véritables aventuriers des temps modernes !

Un beau et grand bouquin à mettre entre toutes les mains afin d'appréhender ce fléau non plus comme un chiffre abstrait mais comme une tragédie concrete mortellement ancrée en l'Humain !



Eldorado , tout ce qui brille n'est pas or...
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Le Soleil des Scorta

Au p'tit bonheur chantait J'Veux du Soleil . Celui des Scorta me laissera le souvenir indélébile d'un pur moment de lecture ! Pourtant , le pari était loin d'etre gagné : style de l'auteur totalement inconnu , bandeau «  prix Goncourt 2004 «  fierement arboré sur la couverture ce qui aurait plutot tendance à me freiner qu'autre chose , habituellement . Au final , le constat est sans appel , j'ai tutoyé le bonheur , je me suis vautré dans la félicité et l'extase en espérant méchamment que tous les romans de l'auteur soient du meme acabit !



Bienvenue en Italie du sud , à Montepuccio plus précisement . Petit village brulé par un soleil de plomb considéré comme le plus grand tueur en série de la région ! Luciano Mascalzone est de retour apres de nombreuses années d'exil , bien décidé à prendre , de force s'il le faut , ce qu'il estime lui revenir de droit ! Ambiance à la Sergio Léone avec cet homme solitaire , déterminé , prêt à en découdre avec quiconque se dresserait sur son chemin ! Une vie traversée d'orages , une mort éclair sur un dernier coup du sort , un ultime pied de nez du destin aliénant à jamais les Scorta en devenir à cette région oubliée des Dieux .



Alors à tous ceux s'imaginant un récit prenant des airs du Parrain , oubliez ! La Famille d'Ettore Scola s'en rapprocherait beaucoup plus...Et de famille , il n'est question que de cela ici ! Trois générations de Scorta confessées par la matriarche , Carmela , au curé de son village , avant de pousser son dernier soupir . Un magistral récit sur l'héritage , la filiation , l'appartenance viscérale à une terre aride n'offrant que misere et tourment et ce , malgré tous les efforts pour s'en émanciper .

Un récit haut en couleurs dans ce petit village des Pouilles ou le curé , figure emblématique , participe activement , de façon fortuite ou pas , à la destinée de cette famille marquée par le sceau du malheur . Paradoxalement , les protagonistes sont bourrés de défauts – voleur , meurtrier , aliéné – mais dégagent une telle solidarité , un tel amour familial qu'ils ne peuvent que susciter la sympathie et l'attachement du lecteur ! Ici , point d'action mais la méticuleuse description de tranches de vie intergénérationnelles d'une beauté saisissante ! Gaudé maitrise le verbe , pourtant simple , et va droit au cœur ! Il ne s'embarrasse pas d'effets stylistiques parasitants en évoquant , avec un réalisme saisissant , ce pays gorgé d'astre solaire sous lequel se démenent ces forçats de la vie . Il nous transporte en Italie , nous integre à cette famille liée par les liens du sang mais surtout par les liens de l'ame ! Pauvres , malheureux , mais toujours transcendés par ce sentiment prégnant d'appartenir à une famile , celle des Scorta ! La puissance de ce lien indestructible est une source de fierté et d'envie à laquelle ils s'abreuvent inlassablement . Rien ne compte plus que la volonté de transmettre cela aux générations à venir , garantes toutes désignées de la pérennité patronymique !

Les déboires s'enchainent , les déconvenues foisonnent mais ne sont jamais rien au regard de l'amour qu'ils se portent .

Je m'attendais à tout sauf à etre séché ( encore que sous un tel soleil...) de la sorte ! Une «  saga « familiale aboutie et touchante pronant des valeurs en passe de devenir collector en un siecle glorifiant la réussite jusqu'au boutiste et l'individualisme forcené...

Gaudé jeu , set et match ! A noter que l'application d'une petite creme solaire , indice 100 - 110 , est fortement conseillée à la lecture de ce roman au risque de froler les brulures au 12e degré en le refermant :)



Le Soleil des Scorta , plus qu'un coup de cœur , un coup de poing !

Il ne reste plus qu'à espérer que son Ouragan soit aussi dévastateur...
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La porte des enfers

Voici un livre d’amour et de violence, de vie et de mort, de souffrance et de rédemption …

Livre fort, lourd de tout l’inconscient collectif, de toutes les peines humaines, de tous les liens qui nous attachent, nous, êtres humains.



Accompagner le héros de l’histoire aux Enfers, ça ne m’arrive pas tous les jours et forcément, ça laisse une trace.

Matteo veut accomplir la supplique insensée de sa femme Giuliana : ramener leur enfant mort de là où il croupit. Celle-ci ne rend pas compte de ce qu’elle demande ! Car l’Enfer est digne de nos pires représentations : le labyrinthe souterrain, la porte de bronze, le fleuve des âmes en peine, la spirale vers le Néant. C’est tout à fait « l’Enfer » de Dante !

Moi-même me suis sentie aspirée, je m’anéantissais au fur et à mesure de la lecture, mais c’est pour mieux revivre. Accompagnée pendant cette lecture (et encore après !) du cortège de mes morts, je suis ressortie de ce livre soulagée et heureuse de vivre.

Je quitte peu à peu cet habit de souffrance que j’ai revêtu tout au long des pages et je ne pense plus qu’à l’amour qui peut faire accomplir des miracles. Oui, je sais, c’est le plus éculé des clichés, mais il s’agit bien de ça, ici. Cette histoire est traversée de part et d’autre par un amour violent, celui d’une mère et d’un père pour leur enfant.



Poignant, ténébreux et lumineux, fort de cette force qui gronde en nous, fleuve souterrain qui coule en l’Homme depuis la nuit des temps, ce roman, « La porte des Enfers », s’est refermé avec un bruit de tonnerre qui m’ébranlera encore longtemps.

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Chien 51

Les auteurs qui osent se renouveler en abordant des styles dans lesquels on ne les attend pas forcent le respect. Ces auteurs prennent le risque de déstabiliser leur lectorat habituel et de s'attirer les fourches caudines des aficionados du style abordé, c'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'un style clivant comme peut l'être la science-fiction. Mais c'est en même temps pour un écrivain c'est une façon de se remettre en cause, de relever un défi, de trouver de nouvelles sources de motivation et de créativité.



Laurent Gaudé a osé, « Chien 51 » est en effet un livre de science-fiction, sa première dystopie dans laquelle, une fois le décor planté, il fait vivre avec efficacité une enquête policière. Je trouve le pari totalement réussi tant le livre est bien construit, intéressant et prenant. Il faut dire que Laurent Gaudé n'a pas fait preuve d'une imagination totalement farfelue pour planter le décor de son livre, il s'est appuyé sur notre réalité et a poussé le curseur juste un peu plus loin.



Imaginez un peu…



Imaginez qu'un pays en faillite, comme la Grèce il y a quelques années, soit purement et simplement racheté par une grosse firme multinationale en contrepartie d'en assurer la gestion, de faire travailler ses habitants, devenus des « cilariés », mélange de citoyens et de salariés. Une privatisation au cours de laquelle l'État disparaitrait. Farfelu ? Pas tant que ça lorsque nous voyons le pouvoir croissant que certaines grosses entreprises planétaires ont et dont elles abusent pour influencer de façon de plus en plus inquiétante les États.



Imaginez un monde dans lequel le climat soit totalement déréglé de sorte que des tempêtes terribles puissent se déchainer subitement, de sorte que les températures soient extrêmes, et où la pluie soit une pluie acide et jaune sous laquelle il n'est pas bon de chanter de façon primesautière. Farfelu ? Cela se passe de commentaire.



Imaginez, dans un tel pays géré par une firme multinationale, la mise en place d'une politique de zonage. Les rares personnes les plus éminentes (hommes et femmes politiques notamment) vivraient dans la zone 1, zone idyllique et luxueuse protégée totalement de l'extérieur par un dôme climatique, les personnes diplômées (ingénieurs, médecins, cadres par exemple), elles, seraient immédiatement invitées à signer un contrat d'embauche pour une durée de dix ans renouvelables. Ils auraient ainsi le fameux statut de « cilariés » et vivraient en zone 2, zone au calme relatif protégée de l'extérieur elle aussi par un immense dôme climatique. Les personnes non qualifiées mais qui avaient un travail dans le pays racheté seraient invitées à rejoindre la zone 3, une immense zone suburbaine ouvrière où les immeubles délabrées côtoient les nouvelles constructions à logement intensif. Une zone pauvre, sans végétation, truffée de terrains vagues à la chaleur écrasante. Une zone 3 sans dôme climatique. Quant aux chétifs, aux délinquants, aux prisonniers, eux seraient tout simplement rejetés de la mégalopole, déportés on ne sait où. Des zones bien délimitées séparées par des check-point. Farfelu ? Pas tant que ça, ce serait ramener au niveau local l'existence des inégalités que nous avons déjà tant et tant exploitées au niveau mondial, faisant des peuples les plus pauvres des cobayes pour les plus riches.



Imaginez un jeu de loterie qui promet à un résident de la zone 3 de devenir habitant de la zone 2. Ce jeu appelé « Destiny » permettrait de maintenir l'espoir des plus démunis, n'empêchant pas cependant des périodes d'émeutes revendiquant la fin des zones, l'addition des zones 2 et 3, la disparition des check-points.



Imaginez enfin une technologie médicale permettant à quelques rares élus de la zone 1, les Honorables, de bénéficier d'une greffe permettant de vivre plus longtemps, de n'avoir pas de maladie, d'usure lié à l'âge. Une technologie qui vaudrait de l'or et qui susciterait quelques convoitises. Pas si farfelu, n'est-ce pas ?



Voilà le décor visionnaire planté par Laurent Gaudé dans lequel nous allons rencontrer Zem Sparak, un « chien », à savoir un policier déclassé de la zone 3. Il vient De Grèce et a vécu ce moment terrible où son pays, qui n'existe plus, a été racheté par la firme GoldTex. C'est une personne amère et sombre qui a tout perdu, famille, amis, amour, qui n'a pas réussi à empêcher la dislocation de son pays malgré son engagement, et qui vit avec la honte d'une terrible trahison faite juste avant son départ. Un matin, en pleine zone 3, il découvre sur un terrain vague un corps retrouvé ouvert le long du sternum, éventré tel un poisson vidé de ses entrailles. L'homme mort venait de la zone 2. Placé sous la tutelle d'une inspectrice de la zone 2, Salia, il se lance dans une longue investigation.

Durant ses seuls moments de répit, la nuit, Zem va retrouver les images chéries de sa Grèce natale grâce à la technologie Okios, aussi addictive que l'opium.

Le binôme va peu à peu remonter la piste du meurtrier, au prix de leur santé, au prix de leur vie.



« C'est ce soir-là qu'il avait eu, pour la première fois, l'impression d'être un oeil. Il était immobile et laissait venir à lui toutes ces ombres, petits travailleurs, vieillards alcooliques, enfants mal lavés, femmes éreintées par la course des jours. Il les regardait et il lui sembla qie c'était pour être là, parmi eux, qu'il avait fait ce long chemin depuis la Grèce : arriver jusqu'à cette place des Feux et être celui qui contemple ceux qu'on ne voit pas. Peut-être était-ce à cela qu'il était destiné : être l'oeil qui voit les masses éreintées ? Non pas pour les protéger mais pour que l'oubli ne tombe pas sur leur vie. Pour que lorsqu'un d'entre eux mourrait assassiné, il soit fait promesse de trouver le meurtrier, de réparer le scandale. C'est à cela qu'il allait donner sa vie ».





Pays privatisés, sélection et zonage des cilariés, technologies invasives, dérèglement climatique, c'est dans ce décor glaçant que Laurent Gaudé déroule de main de maître une enquête policière haletante et sombre, empreinte de nostalgie pour ce qui fut, souvenirs précieux et lumineux telles des étoiles porteuses d'espoir en ce monde menacé devenu menaçant. L'écriture est belle, fluide. L'intrigue est bien menée et les personnages, notamment Zem Sparak, de plus en plus attachant. Une très bonne surprise que cette intrusion dans le monde de la SF, du polar SF, par un Laurent Gaudé bien inspiré !

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Chien 51

Chien 51 est une troublante dystopie, un fabuleux polar d’anticipation dans lequel Laurent Gaudé scrute le présent, ses maux et ses dérives.

Lorsque les dirigeants de GoldTex ont annoncé le rachat de la Grèce après sa faillite, tous ses habitants après s’être insurgés vainement ont tenté de fuir sachant que leur pays allait être démembré, que leur terre deviendrait une terre d’esclaves.

Zem Sparak, combattant pour la liberté, arrêté, a trahi ses camarades d’armes et a fui ayant reçu un ordre d’évacuation personnel.

Expatrié, il est cilarié, (citoyen réduit à sa fonction de salarié) et n’est qu’un vulgaire « chien », c’est-à-dire un policier déclassé à Magnapole, une immense mégalopole. Celle-ci est divisée en trois zones avec des check-points pour passer de l’une à l’autre. Lui, opère en zone 3, zone qu’il a choisie après les Grandes Émeutes et où il arpente la crasse des bas-fonds depuis des années.

Il vit dans la culpabilité et la nostalgie d’un monde qu’il ne reverra plus, son pays ayant été rendu volontairement inhabitable, il sait qu’il ne sera plus jamais grec.

Son seul réconfort, il le puise dans une salle sombre d’une boîte de nuit du quartier RedQ, où il passe la plupart de ses nuits. Là, il peut retrouver l’Athènes de sa jeunesse, grâce aux visions que lui procure la technologie Okios, aussi addictive que l’opium.

Un cadavre éventré et la rencontre avec Salia Malberg, ambitieuse inspectrice de la zone 2, avec qui il a été verrouillé, c’est-à-dire avec qui il a obligation de mener l’enquête vont rompre son renoncement, faire ressurgir le passé et ébranler son fragile équilibre.

Chien 51 est un roman noir, inquiétant, à l’atmosphère singulière qui décrit un futur imaginaire pas si loin de notre présent. Comment, en effet, ne pas voir dans son récit, déjà beaucoup de choses qui font hélas, partie de notre monde, à un degré certes un peu moindre.

On y évolue dans une société ultralibérale, dans un monde effarant où de grandes sociétés se battent pour racheter des pays endettés pour organiser ensuite la vie comme elles le souhaitent. Un monde dans lequel l’injustice sociale est à son paroxysme, où règnent le cynisme et la violence. Un monde hyperconnecté, déshumanisé.

Le dérèglement climatique avec ses pluies acides, ses phénomènes imprévisibles et désastreux y fait des ravages sauf pour les privilégiés qui bénéficient au-dessus de leur zone d’un dôme de protection contre ces aléas climatiques.



Chien 51 aborde également un thème essentiel qu’est celui de la mémoire. Le réalisme avec lequel Laurent Gaudé peint ce sombre futur nous ramène effectivement au présent.

Chien 51, ce roman d’anticipation très psychologique conjugué à une intrigue policière savamment menée a réussi à m’emporter et à me tenir en haleine du début à la fin.

Un roman sombre, très sombre, certes, mais fascinant, où une note de poésie de toute beauté vient réchauffer le cœur avec cet homme qui ne quitte pas la Grèce mais part à Delphes.

Bien qu’effrayée par cette société inégalitaire dans laquelle l’indifférence est de mise, je me suis attachée à ce personnage de Zem, souffrant avec lui lorsqu’il revit les tourments de son passé. J’ai été conquise par cet aller-retour entre passé et présent de ce roman très psychologique servi par une magnifique écriture fluide et précise.


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La Mort du roi Tsongor

Que dire de plus sur ce petit roman parfaitement ciselé de Laurent Gaudé après une soixantaine de critiques de qualité et plus ou moins longues ? Peut-être déjà que Laurent Gaudé a réussi son coup : La Mort du roi Tsongor, on l’attend tout d’abord, on la pleure par la suite, on se la dispute pendant un moment homérique, et enfin on l’honore.



Comme c’est son but avoué, à l’instar de la Guerre de Troie dans l’Illiade, La Mort du roi Tsongor exprime toute la force des serments, quintessences de l’honneur par-delà la mort et les combats, ces serments qui parcourent des vies, en ravagent d’autres et emportent celles qui restent. Dans ces six chapitres d’une rare intensité, Laurent Gaudé exprime la face tragique de la fidélité sous toutes ses formes : du simple conflit de palais à la guerre ouverte, du conflit psychologique en chacun de nous à la haine vivace qui dure toute une vie, la fidélité, la passion et la haine sont plus que jamais présentes dans ce roman. Court roman d’ailleurs, environ deux cents pages (cinq heures et demie d’écoute en livre audio pour ma part), La Mort du roi Tsongor brille par ses six chapitres très bien découpés, où la situation est sans cesse bouleversée, une situation qui avance vraiment et cela apparaît même dans l’enchaînement et l’alternance des personnages principaux, chacun ayant son moment de gloire, ses monologues, ses décisions à prendre.



Merci donc aux éditions Thélème et à l’opération Masse Critique de Babelio qui m’ont permis d’acquérir ce livre audio (au passage, le petit mot qui accompagne désormais l’envoi est toujours apprécié) ; en effet, les mots de ce roman, précis et pesants (plutôt bien rendus par le voix du comédien Pierre-François Garel), expriment toute la force de l’épopée par excellence, et le fait que tout cela se déroule dans une Afrique ancestrale, pour certains imaginaire, mais somme toute plausible, n’enlève rien, bien au contraire, à l’intérêt de lire La Mort du roi Tsongor !



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Le Soleil des Scorta

J’avais déjà lu et apprécié des romans plus récents de Laurent Gaudé, tels que « Salina, les trois exils » ou « Nous l’Europe, banquet des peuples », mais pas encore ce roman ayant méritoirement remporté le prix Goncourt 2004.



Tout débute sous un soleil de plomb en compagnie de Luciano Mascalzone, brigand de retour à Montepuccio, petit village aride perdu dans le sud de l’Italie. Après de nombreuses années d’exil, l’homme est de retour, bien décidé à récupérer ce qui lui revient de droit, à n’importe quel prix. Un passage indélébile qui liera à jamais la destinée des Scorta à ce petit village des Pouilles…



« Le Soleil des Scorta » est une saga familiale qui invite à suivre les déboires des Scorta sur quatre générations, dévoilant progressivement leurs secrets, leurs méfaits et leurs peines et, à l’occasion, parfois leurs quelques bonheurs. Le tout emmené par des personnages hauts en couleur, allant de cette famille condamnée à la pauvreté à quelques figures ecclésiastiques pour le moins emblématiques.



Dès les premières pages, « Le Soleil des Scorta » est synonyme d’une immersion totale du lecteur dans cette région inhospitalière où seules les olives et les êtres humains parviennent à se reproduire. La plume particulièrement imagée de Laurent Gaudé restitue à merveille la chaleur suffocante et l’ambiance poussiéreuse de ce petit village de Montepuccio. Une chaleur qui se retrouve également au niveau des personnages et au sein de cette famille à laquelle on finit inévitablement par s’attacher.



« Le Soleil des Scorta » est un gros coup de cœur. Une lecture percutante et vivement conseillée qui aborde intelligemment des thèmes forts, tels que la mort, la pauvreté, le bonheur, l’entraide, les origines, les valeurs familiales et la transmission au fil des générations.
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Pour seul cortège

Laurent Gaudé ne déçoit jamais ! Je n’ai pas tout lu de cet auteur mais La mort du roi Tsongor, La porte des enfers, Eldorado, Écoutez nos défaites et Salina m’avaient passionné. Alors, quand j’ai aperçu Pour seul cortège sur les rayons de ma médiathèque, je n’ai pas hésité et je ne l’ai pas regretté. Voilà encore un roman vraiment réussi écrit dans un style précis et emphatique qui fait rêver et frissonner en même temps.



Pour seul cortège m’a plongé au temps d’Alexandre le Grand et j’ai apprécié que l’auteur me permette de connaître davantage cette époque si lointaine, même s’il romance l’histoire. En fait, le célèbre conquérant est mourant et ses guerres, ses expéditions reviennent en mémoire comme la quantité incroyable de morts qui ont jalonné son passage. Nous sommes en 323 av. JC.

Dryptéis, fille de Darius, sœur de l’épouse d’Alexandre, est la femme d’Hephaistion le favori mort l’année précédente. Elle est réfugiée dans un monastère avec son fils mais des cavaliers viennent la chercher pour qu’elle décide Sisygambis, sa grand-mère, « diseuse de mort », à venir au chevet du mourant.

La fièvre ronge Alexandre et son agonie lui permet de faire défiler l’empire et l’on sent bien que ses plus fidèles lieutenants vont s’entredéchirer dès qu’il sera mort. En même temps, l’auteur fait suivre Ericlops envoyé en Inde, jusqu’au Gange, contrées qu’Alexandre voulait conquérir, son appétit de territoires n’ayant pas de limites.

Dryptéis accompagne le corps du Conquérant qui devrait être mené jusqu’à Pella, en Grèce (royaume de Macédoine), dont il est originaire. L’auteur donne ici la pleine puissance de son talent, mêlant imaginaire et réalité. Il met en scène un cavalier sans tête et décrit une bataille fantastique entre cinq cavaliers et cinquante mille hommes appuyés par deux mille éléphants.

Je n’oublie pas la Tour de silence, formidable allégorie qui rend ce livre encore plus fabuleux, tellement réaliste et tellement poétique.



Cette fin du règne d’Alexandre le Grand m’a passionné et j’ai dévoré ce livre avec plaisir, angoisse et délectation devant tant de richesse littéraire. Pour seul cortège, un livre épique, légendaire et magnifiquement réaliste.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Écoutez nos défaites

Un très beau roman, malgré des thèmes âpres et difficiles. Un roman à la construction complexe, qui mêle les histoires, victoires et défaites de nombreux personnages, et qui pourtant livre des messages limpides. Quelle guerre mène vraiment à une victoire ? Toute guerre ne porte-t-elle pas en elle la défaite ? Que sommes-nous prêts à sacrifier à une guerre ? En nous contant des passages de la vie des personnages principaux, Assem un agent des services secrets et Mariam une archéologue passionnée, mais aussi des trames de la vie de Grant, de Hannibal et de Hailé Sélassié, Laurent Gaudé nous embarque dans des histoires multiples, qui font l'Histoire, chacune à sa façon.

J'ai d'abord été déconcertée par ces différents personnages, et je ne sais pas exactement quels critères ont présidé au choix de l'auteur, pourquoi ces personnages et pas d'autres. Puis je me suis laissé prendre au jeu, et j'ai continué, avancé, chapitre après chapitre. L'écriture est belle, et la magie opère. Le souffle romanesque est là. On a envie de suivre ces différentes histoires, de comprendre les personnages, de les accompagner. Malgré la thématique de la guerre, dans ce qu'elle a de plus violent, de plus dérangeant, de plus terrible, il me semble qu'il y a aussi des messages d'espérance dans ce livre. Je retiens par exemple les figures de Mariam, de Shaveen, du vieux monsieur qui reste à Palmyre envers et contre tout, jusqu'à la destruction. Dans ce monde menacé par l'obscurantisme, l'amour, l'humanité et le patrimoine universel restent des lumières, des phares, qui guident et qui éclairent.
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