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Critiques de Lianke Yan (206)
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Les jours, les mois, les années

Un conte chinois aux allures de fable africaine. Quelle beauté ce chant, ce cri de Lianke Yan ! Quelle émotion à la lecture de ce conte dédié à la ténacité ! La sécheresse est au coeur du récit, une sécheresse impitoyable.



Dans les montagnes chinoises, sévit en effet une sécheresse intense, un soleil de plomb qui brille en grappes infinies au-dessus des têtes, contraignant les habitants du village, à court d'eau et de nourriture, à fuir, longue marche afin de trouver leur subsistance ailleurs. Seul l'aïeul de 72 ans, désire rester, il le sait cette marche sous le soleil ardent lui sera fatale, et de plus, avec son chien devenu aveugle du fait d'un rituel cruel pour faire revenir la pluie, il souhaite veiller sur un unique pied de maïs apparu dans son champ. Pied de maïs bien dérisoire dans ce vaste champ mais symbole de vie, symbole de lutte, symbole même d'une force et d'une virilité retrouvée.



L'Aïeul, l'Aveugle et le Pied de maïs voici donc nos trois protagonistes. Chaque jour est une lutte, chaque jour le vieil homme, aidé de son chien, se battent et défient tous les obstacles, le soleil de plomb, les rats, les loups, pour se nourrir, pour boire et faire croître ce pied de maïs. Une force surhumaine et magique, complice et onirique les anime, comme enveloppée d'un souffle animiste. Des jours qui deviennent des semaines, puis des mois. L'espoir : en veillant sur ce plant jour et nuit, en l'arrosant, en l'aimant, en le lavant, l'espoir que ce plant fournisse des épis lors du retour éventuel des villageois, et leur donnent donc de nouvelles semences. L'attente de la maturité où les rayons du soleil pèsent plus lourd que les réserves de grains.



La chaleur est déclinée sous toutes ces formes, décrite de façon somptueuse et imagée, elle nous étouffe nous-même lecteurs : « Il sentit la chaleur d'une gifle sur le visage. A la commissure des paupières, du côté exposé au soleil, la brûlure semblait dissimuler au creux des rides un chapelet d'innombrables gouttes bouillantes ».



Chaleur tellement insupportable que le vieil homme tente de la dompter et de la cravacher, voyez comme sa rage est belle : « La lanière fine et flexible se courbait puis se redressait tel un serpent dans le ciel, on aurait dit qu'à la pointe de la cravache la foudre éclatait, frappant la couronne solaire dont les morceaux incandescents tombaient doucement pour recouvrir le sol d'une multitude de fleurs luminescentes ».



La puissance évocatrice pour parler des animaux est remarquable. Que ce soit les yeux émeraudes des loups en pleine nuit, ou le regard de son chien avec lequel il est à présent inextricablement lié : « le chien se tenait là, sans comprendre, une expression d'égarement mouillée dans les puits asséchés de ses orbites ».



Ce texte, c'est à la fois une caresse de soie et une gifle de boue, c'est la vie avec toutes ses beautés, et ses innombrables difficultés, ses espoirs et ses angoisses. C'est un message pour nous dire de vivre un jour après l'autre, en n'abandonnant jamais, en étant toujours attentif aux beautés de la nature : « L'horizon rouge du couchant se faisait de plus en plus mince et l'aïeul entendait le froissement des rayons qui se retiraient comme un pan de soie. Ramassant les grains émiettés au creux de la pierre, il songea qu'une journée encore venait de s'achever, et qu'il ignorait comment il pourrait passer la suivante ».



Un combat hypnotique universel d'une profonde humanité, une lutte pour la survie sertie d'une écriture poétique et onirique, les images sont surprenantes et d'une beauté simple à couper le souffle. La sécheresse narrée au moyen d'un texte luxuriant et foisonnant dont on ressort les yeux humides d'émotion et le coeur gros. Très gros.



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Servir le peuple

Qu'est-ce que servir le peuple pour un chinois durant la révolution culturelle ? Jusqu'où cela va-t-il ? Jusqu'au sacrifice de soi ? Jusqu'à trahir ? Jusqu'à l'absurde ? Telles sont les questions que posent Lianke Yan dans ce petit roman jubilatoire dans lequel l'auteur souvent nous interpelle directement afin de mieux souligner l'absurdité ou la cocasserie des situations engendrées par le régime communiste. Si nous nous éloignons de la poésie presque animiste qui m'avait enchantée dans « Les jours, les mois, les années » et dans « Un chant céleste », il est bon de retrouver la plume de l'auteur plus caustique, plus féroce que jamais.



Étudiant et serviteur modèle, servile, Wu Dawang est un homme qui a le sens du devoir, sens d'autant plus exacerbé qu'il a promis à son beau-père et à sa femme de monter vite les échelons et de devenir cadre du parti, promesse faite lors de ce mariage arrangé, aussi redouble-t-il de zèle et d'obéissance.

Il connait les citations de Mao Zedong par coeur, et récite, tels des mantras, les formules et aphorismes adéquats à qui l'interroge. A tel point d'ailleurs que si on enlevait de son cerveau les slogans peints sur les murs et les discours imprimés dans les journaux et les livres ou proclamés dans les haut-parleurs, Wu Dawang serait un homme vide qui n'a pas réussi pour le moment à trouver le bonheur conjugal, sa femme étant très froide et distante, ne désirant que son ascension sociale. Parler peu et travailler avec ardeur sans jamais se plaindre, tel était le principe qui règle sa vie. En bon élève obéissant, il redouble d'effort pour « servir le peuple » du nom du slogan maoïste de 1944. D'ailleurs ses efforts portent leurs fruits, il devient cuisinier du Colonel et de sa jeune et belle épouse Liu Lian. Il cultive leurs légumes et leur fait les repas. Liu Lian se retrouve souvent seule, le colonel étant très occupé.



« Ainsi, lorsque le colonel vaquait à ses occupations, il ne restait dans cette maison construite par les Soviétiques que Liu Lian, la femme du colonel, âgée de trente-deux ans, et Wu Dawang, l'ordonnance faisant office de cuisinier, âgé de vingt-huit ans. C'était comme si, dans un immense jardin, il n'était resté qu'une jolie fleur et un sarcloir ».



Liu Lian, sous prétexte d'avoir besoin de lui, l'attire dans sa chambre dans laquelle elle lui fait clairement comprendre ce qu'elle souhaite. Voici notre Wu Dawang tiraillé entre l'attrait pour cette femme somptueuse qui le désire ardemment et l'honnêteté qu'il se doit d'avoir vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, tiraillement décrit avec sensualité et grivoiserie par l'auteur qui atteindra un summum lorsque, d'abord luttant contre ses désirs, il apprend que Liu Lian a exprimé son mécontentement auprès des autorités, elle souhaite le renvoyer car il a désobéi et n'a pas bien « servi le peuple », ce qui compromet ses ambitions et la promesse faite à sa femme…Vaudeville à la sauce pékinoise que Lianke Yan maitrise de main de maitre, je me suis régalée…



« du coin de l'oeil, il regarda dans la direction de Liu Lian ; ce n'était plus un arc-en-ciel qu'il voyait. Ses yeux le brûlaient et la douleur devenait intolérable. Au moment où il détournait les yeux, le souffle gonfla le haut de la chemise de nuit et, pris au dépourvu, il ne put s'empêcher d'apercevoir ses seins. Ils étaient gros, blancs, aussi ronds que s'ils avaient été tracés au compas et aussi appétissants que les petits pains cuits à la vapeur dont le colonel était si friand. le colonel et sa femme étaient des gens du Sud, ils appelaient ces petits pains des mantous et ils les adoraient. Ce fut donc l'image des mantous qui vint à l'esprit de Wu Dawang lorsqu'il aperçut les seins de Liu Lian, et il faillit tendre le bras pour les saisir. Heureusement, dans sa jeunesse, il était allé au collège et l'armée avait fait de lui un homme à l'idéal élevé qui jouissait de la confiance et de l'estime du colonel et de tout le régiment, un homme résolu à consacrer sa vie tout entière au combat pour le communisme ».



Lianke Yan détourne le slogan maoïste et « servir le peuple » devient de façon très drôle le devoir de satisfaire les désirs sexuels de la femme du colonel. La fable prend peu à peu une allure féroce : pour alimenter ce brasier et entretenir le désir, pour éloigner le spectre de l'ennui et de l'habitude dans lequel cas il n'aurait pas réussi à « servir le peuple », le couple illégitime s'aperçoit que plus ils détruisent et saccagent des symboles liés à Mao Zedong (portraits et sculptures cassés, livres d'aphorismes déchirés…), plus la peur terrifiante que cela provoque alimente un désir se faisant incandescent…



C'est hilarant, jubilatoire, c'est satiriquement drôle ! Vous imaginez bien que ce livre a été, et est toujours, interdit en Chine. Quelle insolence et quel courage de la part de l'auteur d'avoir écrit avec autant d'originalité et de liberté de ton cette satire contre l'ordre social ubuesque provoqué par la révolution culturelle et le maoïsme, et contre les mariages arrangés.



J'imagine Lianke Yan rire en écrivant ce livre. Et son rire aurait eu « le bruit d'un glaçon tombant sur la braise »…



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Les jours, les mois, les années

"Quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants. C'est toujours mieux de vivre que d'être mort..."



Vivre oui. La vie nous est offerte pour un jour, pour un mois, pour des années. Qu'importe pour combien de temps, l'important c'est ce qu'on transmet aujourd'hui pour demain et ça l'aïeul l'a compris il y a longtemps déjà.



L'aïeul a 72 ans, il connaît la terre et ses secrets, toute sa vie durant il l'a cultivée. Il vit dans un petit village perdu dans les montagnes en Chine, l'auteur ne donnant que peu de précisions quant au lieu et à l'époque je me suis donc plu à imaginer les décors majestueux des monts Balou si chers à son coeur. L'aïeul a pour seule compagnie un chien qu'il a rebaptisé "l'aveugle" quand il l'a recueilli après qu'il a eu les yeux atrocement mutilés par la stupidité et les croyances infondées des hommes et des femmes de son village qui ont tous fui vers des contrées plus hospitalières après qu'une sècheresse des plus terribles se soit abattue sur le village.



L'aïeul est vieux (du moins il l'est pour la vie qu'il mène) mais il a le coeur d'un jeune homme, un coeur bon et humble aussi il n'a pas hésité à recueillir le chien après que les villageois l'aient attaché entre deux jarres remplies d'eau l'obligeant à faire face à un soleil de plomb pendant des jours et des jours dans l'espoir de faire venir la pluie sur les semences d'automne, la pluie tant espérée... Mais la pluie n'est jamais venue, les prières des villageois sont restées vaines avec pour seuls échos les aboiements du chien qui a hurlé encore et encore face à l'astre ingrat dont les rayons toujours plus accablants ont transpercé les couches de nuages sombres. Alors la terre s'est fissurée, crevassée, desséchée, elle est devenue un ventre stérile, vide de tout engrais, incapable de donner la vie, la vie qui elle a complètement disparu au dix-neuvième jour de la sixième lune. Et c'est ainsi que le vieil homme est resté seul comme le gardien qui ferme la porte, seul avec l'aveugle auprès du pied de maïs planté dans le champ en contrebas du village, y installant sa couche et celle du chien, y passant désormais ses jours et ses nuits, lui prodiguant un soin méticuleux comme s'il en allait de sa vie, lui offrant ses urines ainsi que celles du chien chaque matin, s'émerveillant comme un enfant de le voir grandir, s'épanouir, chaque nouvelle pousse comme un miracle de la vie qui continue malgré tout dans un milieu hostile bientôt envahi par les vents et par une horde de rats aussi affamés que l'aïeul et son chien contre lesquels ils vont devoir mener un ultime combat s'ils veulent récupérer les graines semées dans les champs par les villageois avant leur départ. Un ultime combat pour leur survie comme l'aïeul le fera héroïquement contre les loups pour libérer la source d'eau.



"Les jours, les mois, les années" c'est le temps qui passe, qui s'effrite, qui fait son oeuvre. C'est le temps que prend l'aïeul pour observer, écouter, comprendre la nature. C'est le temps de la regarder croître, de lui parler doucement comme on berce un enfant. C'est l'amour qu'il porte à son chien, c'est le regard bienveillant, c'est la main qui caresse pour apaiser la douleur. C'est donner sans rien attendre d'autre en retour que la vie qui renaît dans un pied de maïs et c'est surtout le courage et la détermination d'un homme qui sait qu'il arrive au bout de son chemin.



Lianke Yan nous offre un récit bouleversant dans lequel il célèbre la vie cruelle mais la vie quand même, dans toute son essence et dans ce qu'elle comporte de plus pur, de plus essentiel : l'eau, la terre, les éléments. Un texte empreint d'une belle poésie qui nous remet à notre place d'humain et qui nous rappelle les vraies valeurs qui font que la vie est possible. Chaque larme que le chien a versé de ses yeux mutilés m'a brisé le coeur ; chaque juron, chaque réflexion souvent pleine de malice de l'aïeul m'a fait sourire et une chose est certaine c'est que dans la lente agonie, la souffrance, la faim, la soif de l'aïeul et de son chien, Lianke Yan y a mis toute la beauté du monde de demain car finalement l'essentiel réside dans ce qui part, dans ce qu'il reste de nous et rien n'est jamais vain. Quelques grains de maïs et c'est la vie qui renaît quelque part sur le flanc d'une montagne en Chine ou ailleurs...







* Mes remerciements à Sandrine qui a permis cette lecture, à Mh pour ses partages réguliers sur l'auteur. Je vous invite à lire les belles critiques de HundredDreams, MH17, HordeduContrevent, Croquignol, gonewiththegreen, Osmanthe, Annette55 et toutes les autres que je n'ai pas encore eu le temps de lire.





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Les jours, les mois, les années

Un vieillard, que ses forces déclinantes ont empêché de partir avec les autres habitants du village, se retrouve seul pour affronter la sécheresse et la famine. Avec son chien aveugle, il tente de survivre, quelques jours, des semaines, puis des mois, luttant contre un soleil de plomb, une invasion de rats et même une horde de loups. Son seul gage d’avenir est de réussir à faire pousser, coûte que coûte, son ultime pied de maïs.





Le vieil homme, le chien et le pied de maïs : tel aurait pu être le titre de cette fable, que, connaissant la dissidence politique de Yan Lianke en Chine, il n’est pas très difficile de deviner lourde de sens.





Au premier degré, le récit est un conte tragique, aux consonances presque fantastiques. Deux pauvres créatures, de plus en plus exsangues, se retrouvent en butte à une série d’épreuves et de calamités d’une ampleur absolument inédite et dévastatrice. Quand tout le monde a fui, tous deux résistent avec l’énergie du désespoir, compensant leur faiblesse par leur détermination et leur ruse, repoussant jour après jour une échéance que tout désigne pourtant inéluctable. A la stérilité soudaine de leur terre, asséchée par l’implacabilité quasi surnaturelle d’un astre chauffé à blanc, s’ajoutent les féroces attaques d’ennemis organisés en bandes : sournoise marée de rats peu ragoûtants, dévastant tout son son passage ; sanguinaire horde de loups resserrant inexorablement son machiavélique et terrifiant encerclement. Luttant pied à pied dans un combat de chaque instant qui les emmène insensiblement vers demain, le vieillard et le chien unissent leurs efforts pour sauver la fragile pousse verte qui doit laisser une chance à l’avenir, si ce n’est le leur, peut-être au moins celui de la génération suivante, si jamais elle revient un jour au village.





C’est ainsi que derrière la silhouette du vieil homme solitairement obstiné à sauver son pied de maïs pour de futures semences, finit par s’imposer l'image de l’écrivain, s’évertuant à préserver de l’étouffement la modeste pousse de liberté qu’est sa parole dans le chaos et la violence de l’oppression, avec l’espoir qu’elle essaime et trouve un jour une relève, pour peu que tous les intellectuels de Chine osent faire de même.





Acte de foi en l’inaliénabilité fondamentale de la liberté, ce texte magnifique d’espoir et de poésie, porté par une langue de toute beauté, est un bouquet d’émotions sur l’autel de l’humanité bafouée par l’oppression. C’est aussi une œuvre admirable de courage, qui par bien des aspects, m’a fait penser à celles d’Ahmet Altan. L’un comme l’autre, ces deux écrivains continuent à faire entendre leur voix, malgré l’oppression subie dans leur pays respectif. Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les jours, les mois, les années





"Le vent meurt –

les herbes

s'habillent de deuil"

(Aioigaki Kajin) 



***



Dans une région reculée de haute montagne 

sévit une sécheresse impitoyable rendant incultes les terres autrefois nourricières. Fuyant la famine, les habitants ont pris tour à tour le chemin de l'exode. 



Seul l'aîné du village, trop affaibli pour suivre des jours durant le cortège, est resté avec son chien surnommé l'aveugle pour veiller sur l'unique et ô combien précieux pied de maïs qui pousse dans son champ. 



"J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche, je tomberai épuisé. N'importe comment,  je vais mourir,  je préfère mourir ici."



*



Symbolisant le triomphe de la Vie face à l'adversité, la plantule se dresse timidement vers les cieux et déploie une à une ses feuilles. 



Tel un parent aimant, l'aïeul prend soin de ce germe d'espoir pour le futur. Il lui parle, écoute ses besoins, surveille sa croissance, et surtout le protège contre les rayons brûlants et  meurtriers du soleil. 



"L'aïeul pensait que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme des semences lorsqu'ils reviendraient (...). Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau (...) des champs et des champs de maïs à perte de vue."



*



Chaque jour est une lutte acharnée contre les éléments, l'amenuisement des ressources vitales et les nombreux dangers  qui rôdent alentour. 



Si les hommes ne sont beaux que des décisions qu'ils prennent, l'aïeul lui, resplendit par son courage, son obstination, et son sens du sacrifice qui forcent l'admiration. 



Au crépuscule de sa vie, fort de la sagesse accumulée avec les ans, il a saisi l'importance de poursuivre un objectif plus élevé que soi : transmettre le fruit de son savoir et de son labeur pour construire l'avenir.



"(...) quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants."



*



Pour son dernier combat, il peut compter sur la présence, le dévouement et la fidélité sans faille de son animal. Ce sont deux solitudes qui se sont trouvées et communient au-delà des mots. 



Compagnons d'infortune mais aussi de réflexions existentielles, ils partagent une relation complice des plus tendres et touchantes. 



"L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là,  ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux. Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord? Avec un compagnon,  la vie est plus savoureuse.(...) Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort."



*



Coup de cœur immense pour ce conte à la fois intemporel et universel que nous offre  l'écrivain chinois Yan Lianke. Nimbée de poésie, sa prose envoûtante et  subtilement évocatrice, caresse l'émotion. C'est  avec le cœur serré et les yeux humides que j'ai tourné la dernière page. 



Aussi bref que puissant, ce récit bouleversant d'humanité constitue une véritable ode à la vie exhalant ce qu'elle a de plus beau, de plus fort, de plus fragile et de plus triste aussi. 



Une petit joyau littéraire riche en sens à ne surtout pas manquer…

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Un chant céleste

« le bruit qu'elle faisait lui sembla aussi doux que la poussière, quand elle s'élève et retombe ».



Telle est la sensation de douceur et de sérénité éprouvée après avoir lu « Un chant céleste » de Lianke Yan. Quelle merveille que la littérature chinoise ! Deuxième récit de Lianke Yan lu et, comme pour « Les jours, les mois, les années » ce conte m'a envoutée. Quelle poésie dans l'écriture, quel dépaysement, quel décalage avec notre culture ! La force de cette fable tient en l'entrelacement étonnant d'une très belle poésie des sens, mêlant l'infiniment grand à l'infiniment petit, d'une truculence dans le ton employée par l'héroïne, de sentiments à la fois très pragmatiques et d'une grandeur extrême, du fantastique lorsque le fantôme d'un mari défunt vient errer auprès de sa femme, et enfin ajoutons une vision sans concession mais somme toute tendre de la mentalité des campagnards chinois. Un mélange savoureux qui fait de ce récit une petite pièce d'orfèvrerie.



Nous retrouvons dans ce livre la campagne chinoise et la culture du maïs si emblématique dans « Les jours, les mois, les années », où il était presque un personnage à part entière. « Sur les champs, à l'infini, tiges vertes et feuilles sèches faisaient un couvert, on y pénétrait comme dans une mer (…) Les soies pourpres des épis se désagrégeaient, poussière bondissante qui dans la lumière se balançait, oscillant dans un sens puis l'autre sur le chemin de crête ».



C'est l'histoire de You Sipo, femme énergique, déterminée, au caractère fort, très dur parfois, et mère de quatre enfants…tous simples d'esprit ! les « quatre idiots » comme tout le monde les nomme. Elle travaille comme une forcenée dans les champs pour subvenir aux besoins de sa famille depuis que son mari, You Shitou, désespéré par la situation tragique des siens, s'est jeté dans la rivière, « tué par la peur de l'avenir ». Il faut dire qu'ils n'ont pas de chance, alors qu'ils avaient tout pour être heureux, leurs trois premières filles sont nées simples d'esprit et le petit quatrième, né sain, est devenu idiot suite à une forte fièvre alors qu'il avait un an et demi. Les enfants ne seront jamais nommées et toujours appelées la Première, la Deuxième, et ainsi de suite même lorsque leur mère les interpelle. On sent chez You Sipo une certaine colère envers son mari qui non content d'être à l'origine de ce fléau pense-t-elle (l'un des membres de sa famille était épileptique) les a lâchement abandonnés. « La mère des tarés », comme ils l'appellent au village, se bat comme elle peut, et a déjà réussi tant bien que mal à marier ses deux premières filles à des hommes esseulés de villages reculés. Mais il y a urgence, il lui faut marier la Troisième, la plus idiote de ses trois filles, elle a des envies croissantes et le dernier ne pense qu'à la tripoter, pour le plus grand plaisir de la jeune femme de vingt-huit ans désormais.



« Elle se retourna, et effectivement vit le Quatrième en train de courir après une Troisième à la chemise déchirée dont les seins gonflés et blancs comme des têtes de lapin brinquebalaient aussi allègrement que s'ils avaient voulu s'échapper. Bouche bée, elle constata que sa fille se les laissait empoigner par son frère sans que la moindre honte, la plus petite gêne s'affiche sur son visage ».



Cela ne sera pas simple, d'autant plus qu'elle ne veut pas la marier à un idiot mais à quelqu'un de sain d'esprit, un «gens- complet ». Il va falloir user de persuasion pour lui prouver qu'il fera une bonne affaire, peut-être même donner tout ce qu'elle possède, à moins de trouver un remède miracle…et il semble que la solution qui permettrait de soigner ses enfants soit une décoction d'os humains et de cervelle…Je ne vous en dit pas plus mais cette courte histoire est passionnante.



L'écriture est une merveille, Linke Yan met à l'honneur tous les sens de façon subtile et utilise métaphores et images à foison :



« Dans les champs, les pousses du blé donnaient l'impression d'avoir en une nuit tapissé l'univers, elles verdoyaient avec vigueur, presque noires dans la campagne, au dos des arêtes et dans les ravines. Un parfum limpide flottait dans l'air ».



Concernant l'entrelacement évoquée en préambule, voyez un peu l'antagonisme entre ces deux passages, cette virilité face à la femme devenue objet dans le premier (ce sera elle en fait qui va se servir de lui de façon très rusée), et la somptuosité de la nature dans le second :

« Je vais te labourer ce champ mieux qu'un boeuf ne le ferait, te briser les mottes aussi menu que si elles avaient été passées à la meule, mais toi, tu vas rester comme ça, et tu me laisseras tourner la tête ou la lever pour que je puisse te voir. - Vas-y , avait répondu You Sipo. - Quand j'aurai fini, avait repris l'homme, je t'ensemencerai le champ pour l'automne, et tout ce que je te demanderai, ce sera de coucher avec moi sur l'arête cette nuit. - Epargne ta salive et dépêche-toi de te mettre au travail. »



« Les étoiles étaient assez rares, mais la lune si ronde et pleine qu'on l'eût dit sur le point d'exploser. Et sa lumière si blanche qu'on aurait distingué la moindre fourmi aventurée dans la nuit ».



Il y a de la magie chez Lianke Yan, poésie élevée au rang d'art, humour dans la crudité qu'il ose aussi employer… C'est un travail d'orfèvrerie qu'il nous offre, quelque chose de rare et de précieux mais également de surprenant, de pimenté. A me demander à présent avec quel livre poursuivre ma découverte (grande, la découverte) de cet auteur !

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Les jours, les mois, les années

Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus lu un roman asiatique. Quel plaisir de renouer avec cette écriture à part, teintée d’onirisme, effleurant l’âme et le cœur. Merci à @HordeDuContrevent de m’avoir encouragée à m’aventurer loin de ma zone de confort. Sa chronique a fait mouche !



Une sécheresse impitoyable s’abat sur un petit village en Chine contraignant tous les habitants à fuir à la recherche d’eau et de nourriture. L’aïeul, lui, refuse de partir d’autant plus que dans son champs un pied de maïs survit. Avec l’aveugle, le chien, ils vont ensemble braver le soleil harassant pour tenir un jour de plus, par la seule motivation de ce pied de maïs. L’aïeul va le chérir avec les moindres moyens disponibles, usant d’imagination pour qu’il grandisse jusqu’à l’automne. Mais la faim, la soif et les rats, féroces tenaillent l’espoir et les maigres forces.



La relation de l’aïeul avec son chien est très bien rendue. Même si le vieil homme n’est pas toujours tendre avec l’aveugle, le chien semble, à défaut de voir, comprendre à la perfection les attentes de son maître qu’il gratifie de caresses et de fidélité.

L’épilogue m’a émue, je ne m’attendais pas à une telle fin. Cette osmose entre l’aïeul et son chien, fruit d’une solitude redoutable m’a cueillie le cœur lourd.

La description onirique mais fluide du soleil est aussi de toute beauté. J’ignorais qu’il était possible de peser le soleil…

Il y a aussi ces passages haletants face à ces milliers de rats prêts à tout pour survivre.



Yan Lianke avec Les jours, les mois, les années signe un petit livre sous forme de conte ou de fable. Il met en exergue l’ambiance particulière de cette histoire nous faisant ressentir la soif , la faim et la solitude avec une force imagée et sensorielle surprenante. En lisant ce livre, on bénit l’eau qui coule à flot, nos garde-manger bien rempli et on prie pour que le dérèglement climatique ne nous plonge pas dans un tel monde hostile et apocalyptique.
Lien : https://coccinelledeslivres...
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Les jours, les mois, les années

À lire la jaquette, je m’attendais à un récit poétique un « hymne à la beauté », mais c’est plutôt l’horreur réaliste que j’ai trouvée dans ce court roman chinois.



Il y a la misère de la sécheresse et de de la faim, la préoccupation terre-à-terre de l’arrosage et de la protection de son plant de maïs, mais surtout l’horreur des rats qui dévorent tout, leur odeur répugnante, leurs excréments qui recouvrent les rues du village, leur corps gonflé qui pourrit dans le puits.



La beauté est quand même présente : l’amour du vieillard pour son pauvre chien aveugle et le dévouement de l’animal pour son maître, la volonté de préserver une plante qui représente l’avenir, le désir et le courage de survivre coûte que coûte.



Un beau texte, mais un texte dur, des mots de souffrances et de mort.

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Les jours, les mois, les années

Les jours, les mois, les années est un conte aux allures intemporelles que nous délivre ici l'écrivain chinois Lianke Yan.

Une terrible sécheresse contraint les habitants d'un petit village de montagne à fuir vers des contrées où la terre est plus verte. Ici, plus rien ne pousse, l'eau se fait de plus en plus rare. Tous sont partis sauf un vieil homme, il a soixante-douze ans, il se sent désormais incapable d'accomplir un tel exode, car il semble qu'il faille partir loin ; tout autour c'est un décor de désolation où le sol est brûlé par un soleil implacable.

Ce vieil homme qui se nomme lui-même l'aïeul déambule sur ce paysage de crêtes avec un chien, qu'il appelle l'aveugle, parce qu'il l'est, ou plutôt parce qu'il l'est devenu à la suite d'un rite religieux que l'on pourrait qualifier de stupide ou de fou, une superstition comme si s'en remettre aux prétendus dieux du ciel et de la terre pouvait empêcher le soleil de brûler un peu moins, à l'eau de revenir, à l'herbe, au blé, au sorgho de pousser de nouveau...

Le soleil a brûlé les yeux du chien et laissé place à deux trous noirs dans ses orbites, deux trous d'où ne cessent de s'écouler des larmes. C'est un chien fidèle, le vieil homme va le protéger et la bête va protéger l'aïeul, ensemble ils déploient une attention l'un à l'autre mais aussi à l'unique pied de maïs qui survit encore. L'aïeul a toujours été un paysan réputé dans son village, on lui accorde un immense respect pour cela, il connaît les gestes qu'il faut. À présent, il s'agit de survivre...

Le contrepoint de ce paysage aride se tient dans l'immanence de ces instants ténus, fragiles, où presque rien ne se dit, dans l'obstination forcenée de l'homme de faire germer ce pied de maïs, l'entretenir, épier chaque jour la couleur des feuilles... Survivre, transmettre.

Le contrepoint de cette terre asséchée se tient dans le coeur de cet homme, dans l'amitié qui le lie à ce chien aveugle. Cela dépasse la pitié... Chacun a besoin de l'autre pour survivre, mais à force, des liens intimes et indéfectibles se tissent entre l'homme et la bête.

Se battre chaque jour pour trouver de l'eau, ce bien commun le plus précieux de notre planète... Comment ne pas voir dans cette fable intemporelle l'esquisse d'un récit pré-apocalyptique sur ce que pourrait nous réserver le monde d'après ?

Tendre la main dans le vide, quêter l'impossible parmi les rayons brûlants de l'astre fou. Sentir sous la brûlure de la peau le silence de la terre et le coeur épris d'un espoir furieux. Tenir debout. C'est comme un chant...

Ce récit qu'on pourrait qualifier de fable est un merveilleux et puissant hymne à la vie, à la fragilité de la vie. À la volonté obstinée d'un seul homme qui ne baisse jamais les bras, qui se bat contre les éléments irrémédiables, qui se bat pour les autres, pour la survie du village et de ses habitants lorsqu'ils reviendront...

Dans ce un huis-clos presque intemporel, c'est un balancement incessant comme celui du vent dans les crêtes brûlées, un va-et-vient entre la beauté de la vie et l'horreur de la fatalité qui peut la broyer. Ici l'homme est un fétu de paille et l'écriture de Lianke Yan sert avec sobriété et une émotion tout en intériorité un texte d'une beauté magistrale.

C'est un livre qui m'a touché au coeur.
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Les chroniques de Zhalie

C’est sous la dynastie des Song que se forma, après une éruption volcanique qui se poursuivit durant plusieurs mois et vit s’enfuir des foules, à plus de cent lis du cratère du volcan, dans les monts Balou, un village qui fut nommé « Zhalie, « explosion », en mémoire de leur exode quand la terre s’était fendue (lie) et avait explosé (zha) ».

Toutes les chroniques de Zhalie résonnent des explosions successives qu’entraînent l’évolution au triple galop de la Chine contemporaine qui veut rattraper l’Europe et les Etats-Unis et les dépasser.



(…) Cette vieille terre d’un milliard quatre cent mille habitants… devient le théâtre d’un chaos confus où de la beauté et de la laideur, de la bonté et de la cruauté, du bien et du mal, de la fiction et de la réalité de ce qui a de la valeur ou ne fait pas de sens, il n’y a plus moyen de juger, pas plus que de démêler ce qui relie entre eux ces faits et ces incidents» p 5-6(préface de l'auteur)



Ces « Chroniques de Zhalie » sont celles de l’ascension de deux membres de clans rivaux les Kong et les Zhu et autour d’eux de la plupart des habitants de ce petit village qui se transformera rapidement en une ville tentaculaire sous la férule d’une seule génération de Kong et plus particulièrement d’un de ses membres Kong Mingliang, dévaliseur de train qui va permettre aux villageois de s'enrichir. Ce dernier pour garder son pouvoir et parvenir à rester maître de la mégapole que va devenir le village de Zhalie va commencer par s’allier à la fille du clan rival, Zhu Ying en acceptant de l’épouser.



Tous les membres du clan Kong vont voir leur vie chamboulée par le développement de Zhalie et pourrie par l’introduction dans la famille de cette Zhuying ambitieuse tenancière d’une maison de plaisir « Le ciel hors du ciel » qui va réussir à pervertir les frères Kong en utilisant « ses filles », et jusqu'à son beau-père, le vieux Kong Dongde.

Le passé, la vie, est toujours là comme une rivière souterraine même si, aveuglés et pris dans le tourbillon de leur ascension vers toujours plus de développement et de richesse, ils veulent en faire abstraction et provoquent la décomposition des liens ancestraux et des valeurs qui les accompagnent. Tout baigne dans une beauté crépusculaire avec des intermèdes débridés, loufoques et drôles.



La résurgence de la vie et aussi sa désintégration se manifeste dans la nature omniprésente, dans sa métamorphose fantastique et poétique ce que l’auteur appelle mythoréalisme et qui permet d’atteindre « ces noyaux atomiques enfouis qui font exploser la vie et la réalité » (préface de l’auteur)



J’ai pris plaisir à la découverte de cet auteur chinois que je ne connaissais pas mais ces chroniques qui s’étirent sur 515 pages m’ont semblé parfois longues et j’ai eu l’impression, sans doute par une méconnaissance des traditions chinoises et des symboles qui les accompagnent, de rester un peu à l’extérieur.

Je remercie les éditions Philippe Picquier et Babelio sans lesquels je ne me serais pas lancée dans cette lecture.

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Le rêve du village des Ding

Yan Lianke a écrit une postface dont je cite ci-après les dernières phrases :

Je ne sais pas si j'ai écrit un bon ou un mauvais roman, mais je peux en toute sincérité affirmer que ce n'est pas ma force physique que l'écriture de ces quelque deux cent mille caractères a usée : elle a usé ma vie, elle a diminué mon espérance de vie. Dans ces deux mille caractères, j'ai exprimé tout mon amour de la vie et mon amour irraisonné de l'art du roman tel que je le conçois.

Pékin, le 23 novembre 2005.



À ses propos je n'ai qu'un mot à dire, Merci Monsieur Yan Lianke pour cette magnifique lecture.



C'est avec la voix d'un petit garçon de douze ans mort pour avoir mangé une tomate empoisonnée déposée sur une pierre au bord du chemin qu'il empruntait pour rentrer de l'école que Yan Lianke raconte la vie des habitants du village des Ding. Un empoisonnement bien ciblé, son père s'est enrichi, d'abord en collectant et vendant le sang des villageois, ensuite en vendant les cercueils aux nombreux morts du sida contracté en vendant leur sang. Le personnage principal est le grand-père, gardien de l'école du village, l'aïeul à qui l'on faisait confiance, celui qui a encouragé les collectes de sang ...

Ce livre est interdit en Chine et l'auteur privé de parole. À lire !
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Les jours, les mois, les années

Une histoire étrange qui soude pour l’éternité un vieil homme à la terre.

Quelque part, à une certaine époque, la sécheresse sévit et sur cette terre désolée, abandonnée des hommes, ne restent plus que l’aïeul et son chien aveugle.

Chaque jour est un combat. Car chaque jour sous un soleil de feu, le vieil homme sans relâche tente de sauver son unique plant de maïs : il faut le protéger de la chaleur et l’arroser avec parcimonie mais efficacité. Mais il faut aussi trouver de quoi manger et nourrir le chien.

Chaque jour de nouveaux obstacles s’abattent sur lui et chaque fois il lutte pour trouver la parade. Il en va ainsi de la famine qui guette, du puits qui se tarit, de l’attaque des rats, puis de celle des loups.

Avec abnégation et volonté, l’aïeul lutte et son chien, veilleur inlassable, l’aide dans cette tâche ingrate. Chaque jour est gagnée sur une mort certaine.



« Quand on est vieux on vit seulement pour un arbre, un brin d’herbe, des petits-enfants. C’est toujours mieux de vivre que d’être mort. »



Même si le vieil homme pèse les rayons du soleil, c’est bien du poids de la vie dont il est question ici. Et la vie c’est ce plant de maïs qui insuffle force, courage et détermination. C’est ce que veut léguer le vieux aux générations futures : des graines pour ensemencer la terre.



Roman lyrique dans lequel la poésie et le sens de la vie puisent leur force pour interroger le lecteur.
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Les jours, les mois, les années

Nous sommes quelque part en Chine,il y sévit une sécheresse intense, la terre n'en peut plus"Un soleil implacable surplombait le chemin et sous les pas des hommes la poussiére palpitait".

Les habitants du village se voient contraints d'entamer une longue marche afin de trouver leur subsistance,loin, ailleurs....

Seul, un vieil homme n'a pas la force, quelque chose le retient....lui et son chien devenu aveugle par la sottise cruelle des humains: une toute jeune vie, un unique pied de maïs apparu dans son champ....

Dés lors, commence une lutte acharnée, ultime contre ce soleil de plomb, un rien qui a besoin de ses soins. " un arbre, un brin d'herbe", à défaut d'autre chose pour lui que la jeunesse n'irrigue plus de la sève du désir....

Ce plant de maïs,vulnérable, dérisoire,symbolise le triomphe de la vie, chaque jour, l'aïeul puise la force de se battre, une force qu'il n'aurait pas trouvée pour lui même.....il défie tous les obstacles jusqu'à "ces rayons brûlants" de la pointe de sa cravache.

Il va le veiller ce plant, le nourrir, l'arroser, (aussi de sa propre sève),le protéger nuit et jour,essayer de le faire grandir jusqu'à ce que les grains fournissent un nouvel épi au retour des villageois....de nouvelles semences....

Ce récit est un chant d'espoir magnifique de dépouillement, de puissance, de force universelle...on le lit comme un conte , dédié au courage, à la ténacité, à l'ingéniosité de l'homme au delà de sa souffrance et de sa peur....

L'écriture est fluide, imagée,poétique, délicate, enchanteresse, des mots comme un coup de pinceau sur une toile , une fine étoffe, brûlante et dorée,un morceau de musique: un hymne à la vie et à la transmission, de la pesée de la lumiére et des rayons du soleil, de la description des silences...

"C'était dans l'immense nudité de la nuit, le paroxysme du silence qui se donnait à entendre".

"Le poids de la lumiére augmentait de jour en jour".

Ce combat envoûtant pour la survie et celle , symbolique de l'épi de maïs est un texte beau, intense,intemporel, lumineux, à la fois doux comme de la soie, riche d'images descriptives et de concordances entre les sons , les couleurs et les odeurs!

Magistral! Du grand art !





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Servir le peuple

J'ai beaucoup d'admiration pour Lianke Yan, son courage, son esprit rebelle... "Bons baisers de Lénine" et "le rêve du village des Ding" sont pour moi des modèles d’œuvres dissidentes. Ces romans étaient forts, durs, prenant pour sujets des thèmes graves. Au contraire de ces récits, "servir le peuple" a un ton léger, souriant et grivois. Ce qui n'atténue en rien la force du propos. S'il n'a pas la charge émotionnelle des romans dramatiques de l'auteur, s'il ne suscite pas le même sentiment de colère, "servir le peuple" est un jeu de massacre jubilatoire.



Wu Dawang est ordonnance et cuisinier au service d'un colonel de l'armée. Lorsque ce dernier s'absente, Wu Dawang et la fmme du colonel, Liu Liang, vont entamer une liaison passionnée. Première offense envers l'establishment chinois : le slogan maoïste "servir le peuple" est détourné, prenant ici le sens de devoir satisfaire sexuellement la femme du colonel. Par la suite, le couple illégitime découvre, en cassant par accident un tableau de citations du grand timonier que ce geste quasi-blasphématoire enflamme leurs sens, décuple l'intensité de leurs ébats et de leur plaisir. S'ensuit un passage très drôle où le cuisinier tout en besognant fougueusement sa partenaire, piétine avec tout autant d'ardeur le tableau de citations. Et Lianke Yan ne s'arrêtera pas à cette scène. Le lecteur sera abasourdi par un chapitre hallucinant où les amants pris d'une frénésie érotico-destructrice saccagent tout ce que la caserne peut contenir d'objets en rapport à Mao. Tout y passe, les portraits ont les yeux crevés, les sculptures ont le nez défoncé, les bols et assiettes arborant les slogans du régime sont brisés, les pages des livres d'aphorismes arrachées... On imagine bien la jubilation de l'auteur lorsqu'il a écrit ces cinq pages délirantes. Bien entendu, ces outrages ont valu au livre d'être interdit en Chine.



Le reste du récit est plus sage. "Servir le peuple" n'a pas la force émotionnelle des drames de Lianke Yan mais rien que pour l'audace et la folie de ces passages à rendre dingues les membres du parti communiste chinois, rien que pour saluer le courage de cet homme qui fut militaire et écrivain officiel de l'armée avant de devoir s'exiler, ce roman mérite le détour.



Challenge Multi-défis 2016 - 50 (un livre dont le titre contient un verbe à l'infinitif)

Challenge ABC 2016-2017 - 8/26

Challenge Petits plaisirs 2016 - 47
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Les jours, les mois, les années

Cette nouvelle inspirée de la vie de Lianke Yan, je l'ai pioché dans la belle liste « pépites parmi les récits courts », créée par Fanny1980. La place qu'elle occupe dans cette liste n'est pas usurpée. Bien au contraire, elle fait partie de ces histoires qui vous emportent par la puissance de leur écriture. Chaque page est tout simplement magnifique, parcourue par des courants de poésie et d'émotions. Chacune fait la part belle aux non-dits, aux silences, aux odeurs, aux couleurs.

Mais elle est aussi d'un éclat sombre et féroce, d'une beauté cruelle, sauvage, impitoyable, de celle que connaissent les hommes et les animaux qui ont connu les privations.



*

Une sécheresse dévastatrice s'abat sur le pays et oblige tout un village à un exode massif. Seul, l'ancien du village décide de rester avec pour seul compagnon, un chien aveugle qu'il a recueilli.

Le vieil homme sait que le voyage qu'entreprennent les villageois lui serait fatal.



« J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche je tomberai épuisé. N'importe comment, je vais mourir, je préfère mourir ici. »



Tous les champs sont desséchés. Ne reste qu'un seul plant de maïs qui résiste encore à la sécheresse, mais pour combien de temps encore ? Il décide alors de s'en occuper afin de produire des semences indispensables à la survie du village lorsque les habitants seront de retour. La fragile pousse exige une attention permanente pour la maintenir suffisamment arrosée sous le soleil cuisant et meurtrier.



« L'aïeul pensa que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme de semences lorsqu'ils reviendraient, lorsque la sécheresse aurait cédé la place à la pluie. Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau une immense étendue verte, des champs et des champs de maïs à perte de vue. »



Chaque jour est une lutte, à la fois physique et intérieure. Mais le comportement du vieil homme est admirable. Digne et de généreux, il montre ce qu'il y a de meilleur dans l'être humain.



« L'aveugle, dit-il, regarde, la lune est là, dors, dors et tu n'auras plus faim, les rêves peuvent tenir lieu de repas. »



*

Tout le talent de conteur de Lianke Yan se révèle par une narration centrée uniquement sur le vieil homme et son chien. le fait de ne pas les nommer, ni d'attribuer un cadre spatio-temporel crée un sentiment d'intemporalité très intéressant.



*

Ce huis-clos m'a rappelé le superbe roman de Paul Lynch « Au-delà de la mer ».

Alors que le récit de l'auteur irlandais a pour cadre l'immensité vide de l'océan, celui de Lianke Yan choisit un décor montagneux qui n'est plus que cendre, ravagé par la puissance dévastatrice du soleil.

Soumis aux caprices de la nature, l'homme est face à lui-même. Un profond sentiment de solitude et de vide étreint le lecteur tout au long de cette lecture.



Comment supporter l'isolement, le silence, la faim et la soif pendant ces longs mois de canicule ?

Malgré le courage, la sagesse et l'ingéniosité de l'aîné, chaque journée qui passe ne fait qu'accroître les difficultés pour survivre et sauver la jeune plante.

Le lecteur les suit au jour le jour, et tout comme eux, on espère la venue de cette pluie libératrice.



Par ce récit, l'auteur aborde divers thèmes tels que la liberté, la fragilité de la vie, la notion de sacrifice, les sentiments de solitude, de désespoir et d'espoir.



« L'aïeul dit, ça ne vaut pas la peine de pleurer. Il dit, une fois mort, je me réincarnerai en animal et je serai toi, et toi tu te réincarneras en homme et tu seras mon enfant, alors nous dépendrons l'un de l'autre comme avant. »



*

L'écriture de Lianke Yan est sobre, douce, vibrante d'émotions, emplie de silences, de poésie et de grâce.

J'ai particulièrement été touchée par ce vieil homme brave, altruiste et son chien d'un dévouement et d'une fidélité exemplaires. La relation qui les unit est magnifique, tout simplement.



« Il caressait son chien, le long de la colonne vertébrale jusqu'à la queue, puis recommençait depuis la tête. La bête ne pleurait plus. L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là, ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux.

Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord ? Avec un compagnon, la vie est plus savoureuse.

Le chien lui lécha copieusement la main.

Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort.

Et le chien se mit à lui lécher le poignet, à grands coups de langue, comme si la distance des doigts au poignet s'était extraordinairement allongée. »



*

La fin de l'histoire est bouleversante et d'une beauté saisissante.

Je ne suis pas étonnée que Lianke Yan soit considéré comme l'un des meilleurs écrivains chinois contemporains. Et je pense que vous l'aurez compris, ce livre est pour moi un vrai coup de coeur.

« Les jours, les mois, les années » prend la forme d'une fable chinoise, mais cette histoire est bien plus qu'un simple récit, elle est riche de sens au-delà des mots. D'une puissance rare, d'une profondeur remarquable, ce vieil homme et son chien m'ont touchée en plein coeur. Je les quitte avec regret.



Un gros merci à HordeduContrevent qui a proposé cette nouvelle, tu sais dénicher les pépites.
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Songeant à mon père

Beaucoup d'émotions me traversent au moment d'écrire ce billet mais c'est la tristesse qui prédomine.

L'auteur, en se livrant de manière subtile et autocritique, nous renvoie à nos propres souvenirs, à nos propres sentiments.

Les souvenirs me submergent en ces fêtes de Noël. Je regrette tous ces moments que je ne peux plus partager avec ceux qui sont partis trop tôt.



*

Ni essai, ni roman, ni nouvelle, ni vraiment une biographie, ce petit livre se rapprocherait davantage de mémoires, ou tout du moins, d'une suite sans chronologie d'anecdotes, de pensées.

Yan Lianke nous entraîne dans un magnifique récit intimiste, jalonné d'une multitude de réflexions philosophiques sur la mort, le deuil, l'importance de la famille, la maladie, le destin, la religion. Il aborde également la politique chinoise durant les années 60 et 70, la collectivisation des terres qui a entraîné la famine, la révolution culturelle qui a mené à la guerre civile.



« Après vingt-cinq ans passés au service de l'armée, j'ai compris de manière irréfutable que la fidélité du soldat à son poste est une chance pour le pays, mais un malheur pour l'individu ; et que les exploits militaires sont un malheur pour le pays et une tragédie pour son peuple comme pour toute l'humanité. »



*

Ce qui m'a frappée, c'est tout d'abord cette proximité avec Yan Lianke que j'ai ressentie. C'est avec beaucoup de franchise et de simplicité qu'il se livre. L'auteur nous raconte l'histoire de sa famille et en particulier de son père, la sienne également. En remontant aux origines de sa famille, il est aussi question de quête identitaire et de rédemption pour ses fautes de fils.



Il nous emmène dans son petit village, plus exactement dans la maison de son enfance et nous faisons la connaissance des membres de sa famille. Chaque chapitre s'ouvre sur un souvenir marquant de sa vie. La famille est essentielle dans l'oeuvre de Yan Lianke.

L'auteur est ainsi amené à évoquer le décès prématuré de son père, la maladie de sa soeur, la tendresse et la solitude de ses tantes, la vie de sacrifice de ses oncles, ses souvenirs d'écolier.

On ressent son profond respect pour l'ancienne génération. On ressent autant la richesse d'une famille unie et aimante que l'extrême pauvreté de leur vie.



*

La dernière partie du texte, la plus longue, est consacrée à ce père qu'il a tant aimé, mal aimé.

Il nous raconte ses regrets, sa honte quant à ce père qu'il n'a compris que trop tardivement, pour lequel il n'a pas eu l'attitude et les gestes d'un fils aimant. Je l'ai trouvé honnête mais aussi très dur envers lui-même dans sa relation avec son père.



« … la vie humaine, un opéra qui se joue sur la scène avec pour rideau le destin qui se lève ou se ferme, au début, à la fin, pour l'entracte. »



Le père est celui qui m'a le plus touchée par son acharnement à défricher son misérable petit lopin de terre pour construire une grande maison avec un beau toit de tuiles pour ses enfants. Sa détermination aura raison de sa santé.

En se remémorant la très grande pauvreté de ses parents, il dresse aussi un portrait saisissant de la Chine rurale des années 1960 et 1970.



« le souvenir qui m'est le plus vif, celui qu'il m'est impossible d'oublier, c'est l'image de mon père au labeur. C'était un paysan ; le travail était son devoir ; il n'y avait qu'en peinant jour et nuit qu'il se sentait vivant et qu'il trouvait un sens à l'existence ; le labeur lui était un devoir essentiel. »



Le destin de Yan Lianke est de suivre les traces de son père, devenir à son tour paysan et de soutenir ses efforts pour faire vivre sa famille. Mais voulant s'affranchir de cette pauvreté et d'une vie rurale laborieuse, il va s'engager dans l'armée. Cette décision marquera un tournant dans sa vie, mais sera un tourment pour lui.



*

Empreint de beauté et de force, « Songeant à mon père » est un livre réaliste et émouvant, imprégné de nostalgie, de regrets et de sentiments de culpabilité. Son écriture, douce, intime et sensible, se fait également méditative, mélancolique, voire âpre.

Ce récit est un magnifique témoignage sur la force des liens familiaux et la vie de dévouement, d'amour que chaque membre est prêt à supporter pour subsister et soutenir la famille. J'ai aimé accompagner Yan Lianke dans ses réflexions, ses souvenirs d'enfance.

Un beau moment d'intimité, de confidences et de partage que je vous invite à découvrir.
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Servir le peuple

Servir le peuple est un court roman satirique jubilatoire toujours interdit en Chine, depuis sa parution dans un bimestriel en 2005.

A l'époque, "le Département de la Propagande du Comité central du Parti communiste chinois juge, que le roman dénigre Mao et son "noble but de se mettre au service du peuple", qu'il nuit à l'image de l'armée, qu'il porte atteinte à l'idée de révolution, que ses scènes de sexualité débridée sont de nature à semer le trouble dans les esprits et, enfin, qu'il fait l'apologie de concepts occidentaux erronés" ( Courrier International du 27/4/2005).

Vous vous dites les Chinois exagèrent, ils censurent pour un oui pour un non...Heu peut-être mais là non. Il fallait être sacrément culotté pour publier un roman aussi insolent !

L'action se déroule pendant la Révolution culturelle. Wu Dawang est un jeune soldat d'origine paysanne tellement zélé qu'il a été affecté au service de son colonel. Celui-ci, très soucieux de faire des économies, l'a choisi car il cumule avantageusement les fonctions d'ordonnance et de cuisinier. Wu Dawang semble extrêmement servile et, à celui qui s'en étonne, il répète inlassablement la formule militaire qu'il a apprise du Grand Timonier : "se mettre au service de l'officier, c'est se mettre au service du peuple". Un jour, le colonel part pour deux mois dans un séminaire à Pékin. Le laissant seul avec Madame, trente deux ans. "C'était comme si, dans un immense jardin, il n'était resté qu'une jolie fleur et un sarcloir".

J'ai beaucoup aimé ce livre. D'abord il est complètement iconoclaste. Il désacralise l'armée, la révolution, Mao. Un jour l'amant brise sans faire exprès une statue en plâtre du grand Timonier. A l'époque, une maladresse pareille aurait été prise sans aucun doute comme un acte anti-révolutionnaire gravissime. Là au contraire elle décuple la libido des deux amants qui s'en donnent à coeur joie en foulant aux pieds les objets du culte en veux-tu en voilà. Il s'en prend aussi à l'ordre social sclérosé et au mariage arrangé. Si Wu est aussi zélé, c'est qu'il n'a pas le choix. Il s'est engagé, a fait des promesses. Il lui faut servir l'armée pour espérer pouvoir quitter sa condition misérable de paysan et accéder au statut de citadin. Mais les places sont rares, il faut donc avoir des relations. Et l'on comprend que servir le peuple revient à se servir soi-même J'ai aussi bien apprécié la complicité que crée l'auteur avec son lecteur en lui présentant les ficelles et la dramaturgie de son récit. Et puis l'écriture est formidable, pleine de métaphores bucoliques à la sauce révolutionnaire. Elle mêle avec bonheur l'ironie douce, le sarcasme et la bouffonnerie.

Bref un livre épatant superbement traduit.
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La mort du soleil

Après avoir lu la magnifique nouvelle « les jours, les mois, les années », qui fut pour moi un très gros coup de coeur, j'ai voulu découvrir un autre récit de Lianke Yan, et mon choix s'est porté sur son dernier roman, sorti en 2020.

Autant j'ai été touchée par la beauté poétique et la puissance évocatrice du premier récit, ainsi que par la profonde humanité de l'aïeul, autant cette fois-ci, j'ai eu quelques difficultés à entrer dans l'histoire et à m'attacher aux personnages.

Malgré tout, j'aime beaucoup le regard que pose Lianke Yan sur la société chinoise, j'aime son engagement au risque d'être parfois censuré dans son pays.



« Si je ne peux plus écrire, être en vie ne signifie plus rien pour moi, c'est comme être mort. C'est comme si j'étais mort ! »



*

Cette dystopie met en scène le "rêve chinois", un slogan politique lancé par le président Xi Jinping, comme une copie du rêve américain : l'image d'une société forte, prospère et harmonieuse, soutenue par un esprit de patriotisme, de collectivisme et de socialisme.

Mais la réalité dans la Chine d'aujourd'hui est tout autre. « La mort du Soleil » est une condamnation sans appel du régime dictatorial, de la corruption. C'est une satire mordante où le rêve chinois prend des allures de cauchemar éveillé. L'empire du Soleil Levant est plongé dans une nuit sans fin durant laquelle les hommes donnent libre court à leurs peurs les plus intimes, à leurs pulsions et à leurs instincts les plus primaires.



*

Li Niannian, le jeune héros de ce récit, vit dans un village du centre de la Chine avec ses parents qui possèdent une petite boutique d'objets funéraires. Son père s'est spécialisé dans la vannerie tandis que sa mère fabrique des couronnes de fleurs, des figurines et des objets en papier découpé.



L'histoire se déroule sur une seule nuit et commence au moment où les villageois tombent un à un, dans un état de somnambulisme. Cet état de semi-conscience les incite à poursuivre inlassablement leur travail dans les champs comme si le soleil ne s'était pas encore couché, pareils à des automates. Pour les gens les plus aisés, cela revient à continuer à vivre dans l'oisiveté et l'opulence.



« Les yeux mi-clos, ils se croyaient éveillés. Ils dormaient mais leurs esprits étaient éveillés. Quant à l'autre moitié d'entre eux, leurs visages étaient blafards, les regards fixes de fatigue. Au bord du sommeil, ils luttaient pour rester éveillés. »



Et puis, petit à petit, le climat change, certains se comportent de manière étrange, anormale, agressive, comme si l'état de droit n'existait plus. Et en même temps que ce rempart se dissout, le comportement de la population évolue, révélant les désirs, les peurs, les non-dits, les secrets les plus vils.



« C'était donc cela le somnambulisme. Un oiseau sauvage qui pénètre l'esprit d'un homme et le met en désordre. Ses pensées, il les réalise en rêve. Ce qu'il ne doit pas faire, il le fait précisément. »



La tension monte, les rancoeurs accumulées conduisent inévitablement les hommes à transgresser la morale, les lois, les interdits et au fur et à mesure que la nuit avance, les désirs les plus secrets s'achèvent dans un bain de sang et de violence.



« A cause du somnambulisme, les hommes mouraient les uns après les autres. Ils ne se jetaient pas tous dans le fleuve : certains volaient, pillaient, se faisaient poignarder. On avait l'impression que l'avenue grouillait du bruit des pas des bandits. On avait aussi l'impression de ne rien entendre. »



Li Niannian raconte comment, avec son père, ils ont lutté pendant cette nuit interminable pour sauver le village de cette folie meurtrière et trouver une solution pour faire revenir le soleil qui refuse de se lever.



*

La violence et la peur semblent s'ancrer dans l'injustice, les inégalités, les persécutions, les préjudices que le peuple chinois a subies. Il est frappant de voir comment la politique chinoise s'est insinuée dans leur quotidien, allant jusqu'à leur imposer la crémation au lieu des sépultures traditionnelles.

En effet, en 1956, à l'arrivée au pouvoir de Mao, le gouvernement chinois a rendu les inhumations illégales afin de garder les terres pour la culture et préserver le bois utilisé pour la fabrication des cercueils.

Certaines révélations sont choquantes quant à l'incinération des corps, ou de l'attitude choquante et outrageuse du père de Li Niannian, je n'en dis pas plus vous laissant découvrir par vous-même ce qui m'a révoltée. Je comprends sa honte, son désir de soulager sa conscience, d'effacer de sa mémoire ces actes odieux en réparant ses torts.



*

J'ai vu ce monde apocalyptique comme une allégorie de la réalité et du quotidien vécus par les Chinois, et j'ai aimé l'idée du somnambulisme comme révélateur de l'information étroitement contrôlée par le gouvernement chinois ou révélateur des pensées individuelles non formulées, le rêve personnel et le rêve de la nation ne devant faire qu'un.



« … on pouvait entendre le murmure des rêves. Mais cette nuit-là, le délicat silence avait cédé la place à un grondement sourd, un grondement où se nichait une terrible crainte. »



Je reconnais le grand talent littéraire de Yan Lianke, mais dans le dernier tiers du roman, ce déchaînement de violence m'a semblé long, redondant et trop répétitif.



*

Pour conclure, il est intéressant de voir comment, dans « la mort du Soleil », le peuple chinois exprime ses désirs et ses sentiments par le biais d'un état de rêve éveillé.

Un roman de contraste, où la lumière du jour s'oppose à la nuit, où la répression et l'oppression des autorités chinoises s'opposent à l'espoir, où le mal et la folie menacent le bien, à moins que ce soit l'inverse.

Une lecture donc intéressante à découvrir pour ses idées.
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Un chant céleste

Je connais très peu la littérature chinoise. Depuis quelques mois, je vais lire de temps en temps une nouvelle grâce au site partagé par Mh17. Des critiques enthousiastes d'amies babeliotes m'ont poussée à approfondir un peu cette expérience.

Ce court roman était disponible à la bibliothèque et joliment critiqué par Chrystèle et Doriane (HordeduContrevent et Yaena). Je me suis lancée.

Ce fut une belle découverte. J'ai eu l'impression de lire un conte, comme ceux que l'on me lisait enfant.

L’héroïne, mère de quatre enfants simples d'esprit et abandonné par son mari qui a préféré mettre fin à ses jours (même s'il revient régulièrement discuter avec son épouse) va tout faire pour leur procurer une vie normale, essayant de les marier d'abord, puis testant une solution radicale pour les guérir.

C'est un conte, il n'y a pas d'ogres ni de vilaines sorcières, mais des fantômes au milieu des vivants, des fantômes qui aplatissent l'herbe quand ils passent, qui sont capables d'agir dans le monde des vivants. Il y a surtout une mère qui est prête à tout pour rendre ses enfants heureux, qui ne rechigne jamais devant le travail et les difficultés. Cette femme a suscité mon admiration.

Il y a aussi une écriture magnifique, pleine de poésie quand elle décrit les paysages de la campagne chinoise, les travaux des champs. Une écriture qui laisse aussi la place à l'humour: j'ai beaucoup aimé les dialogues entre la mère et son défunt mari.

Le roman tout entier baigne dans une atmosphère sereine, rythmée par les travaux des champs, même si par moments quelques éclats vont troubler cette atmosphère. J'en suis sortie apaisée.

Une lecture que j'ai appréciée. merci encore à Chrystèle et Doriane pour m'avoir incitée à élargir mon expérience littéraire
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Les jours, les mois, les années

Quelque part aux fins fonds du Henan, la sécheresse fait rage.

Les villageois n'ont plus le choix et doivent fuir vers la ville pour éviter la famine.

Seul reste au village l'aïeul, 72 ans , qui veut prendre soin d'un pied de maïs encore vivant. L'aveugle reste avec lui. L'aveugle, c'est un chien à qui les croyances locales pour faire tomber la pluie ont ôté la vue.

Tous les deux s'apprêtent à livrer sous une canicule prégnante un combat déséquilibré avec la mort.



Formidable texte qui pour les réfractaires n'a rien d'un livre chinois classique. C'est un texte universel , une hommage à la vie à travers la fuite de la mort. Un texte puissant, dardé par les rayons de soleil dont on mesure la force au poids.

Ce texte m'a rappelé l'aveuglement de Saramago dans cette force inouïe que l'homme déploie pour survivre.

La fin est remarquable d'humanité , comme tout le texte finalement, cette symbiose entre l'homme, l'animal et le végétal devant l'hostilité de la nature.

Rien d'autre à dire si ce n'est ardemment conseiller cette lecture d'un livre au goût universel, extrêmement bien écrit, d'un humanisme profond.
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