Citations de Manuel Vázquez Montalbán (446)
Rien n'est plus révoltant que l'inculture quand on a les moyens d'y remédier.
Les meilleurs tueurs à gage viennent des régions où l'on ne mange pas à sa faim ou de celles ravagées par la guerre. Or, ces pauvres ne sont pas stupides: ils savent pertinemment que les élites des pays riches ont toujours besoin d'assassins.
- Tu vis là, ou c'est ta garçonnière ?
- Les deux.
- Ah ! Les hommes. Tout est plus facile pour vous.
Il regardait alternativement la fille, qui traçait un sillage capricieux et désordonné sur l'eau, et le corps inerte qui flottait toujours, obstinément collé au pédalo à l'ancrage. Peu à peu, il se fit à l'idée que cette position qui s'éternisait était contraire aux lois de la respiration.
Bocadillo de pescado frito, frío
Han soltado a todos los locos esta mañana, por lo visto. Prepárame algo para desayunar.
¿Le recaliento las crepes de pies de cerdo y allioli que sobraron de ayer?
Prefiero un bocadillo de pescado frito, frío, con pimiento y berenjena. El pan, con tomate.
Biscuter emitió el sonido de un motor de explosión en el momento de enfilar la recta final del Gran Premio de Montecarlo y corrió hacia la cocina. Carvalho arrojó la libreta de notas hacia un ángulo de la mesa mas despejado en aquel aparador de papelería variada, la mayor parte obsoleta. Sabía que entre aquellos papeles estaba un resguardo para retirar dos trajes reactualizados por un sastre de Sarriá, pero buscarlo sería una tarea ya para 1984.
Mañana sera otro día.
Quand j'ai eu quarante ans, je me suis fait un résumé de ce qui m'attendait : payer les dettes et enterrer les morts. J'ai payé cette maison et j'ai enterré mes morts. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis fatigué. Maintenant je découvre que je n'ai plus le temps de contracter de dettes importantes. Je ne pourrais plus les payer. Le dernier mort qu'il me reste à enterrer, c'est moi.
Mon père me respectait. Il savait que j'étais un créateur et que j'avais besoin de changer ma vie et celle des autres. Quand il est mort, j'avais presque cinquante ans et j'ai reçu un héritage absolument renversant. j'ai placé une partie à intérêt fixe, de quoi vivre fabuleusement bien jusqu'à ma mort. J'ai employé une autre partie à indemniser ma femme pour lui avoir fait cinq enfants, et mes cinq enfants pour les avoir faits héritiers.
Les individus peuvent éprouver de la compassion, mais pas les peuples.
Recette du Gave-bourrique :
Bien manger ou mal manger, c’est une question de culture. Manger ou ne pas manger, c’est une question d’argent. N’oublie jamais ça.
(Histoires de politique fiction)
- Vous voulez que je vous dise la vérité ?
- Ça dépend de la quantité. Toute la vérité pour une seule soirée, c'est trop.
La vie est comme une échelle de poulailler; courte et pleine de merde.
Jordi Anfruns, sociologue sexuel
Il est introduit par un soi-disant majordome vu ses manières, mais habillé en chauffeur, qui se demande quel accueil son maître peut réserver à cet intrus pas très reluisant. Les yeux de M. Gispert prononcent la même sentence. Cet homme a des mâchoires puissantes, une poitrine puissante, une tête puissante émergeant d’une veste d’intérieur blanche, il est vautré dans une puissante chaise longue [en français dans le texte] d’un jardin puissant, doté de l’inévitable et puissante piscine. À côté de lui et par contraste se tient la petitesse d’une figurine de femme éplorée. La petitesse de la femme accroit l’immensité de l’homme, et les larmes excitent le ton rude et dominateur.
- Pour moi, elle était déjà morte.
- Ma petite !
- Tais-toi, maquerelle. C’est en grande partie de ta faute. Tu me reprochais d’être trop dur avec elle, et tu n’arrêtais pas de la protéger quand elle avait de mauvaises notes et rentrait tard le soir.
- Elle voulait être actrice.
- Actrice ! Actrice. Je savais très bien ce qu’elle voulait être.
Carvalho assiste dans son coin à l’inutile scène de ménage, à ce duel d’opinions qui va les accompagner jusqu’à la fin de leurs jours.
[…]
Un ex-cinéma de vieilles putes et de branleuses sur le retour de l’après-guerre, transformé en local de répétitions pour des compagnies théâtrales indépendantes, à en croire les plans de la commission culturelle d’une mairie démocratique décidée à faire oublier au public, grâce au théâtre, la médiocrité de la vie quotidienne. […]. Plus rien n’est comme avant, grommelle Carvalho. Il faudrait rétablir le théâtre en vers. Restaurer l’archéologie culturelle au lieu de la parer de modernité.
[…]
Une femme d’une cinquantaine d’années, très nerveuse, se lève, se racle la gorge, s’exprime avec difficulté.
— j’aimerais vous demander… enfin… Vous avez beaucoup parlé des fascistes… et des libéraux, mais les communistes ? Sont-ils des violeurs ? Je veux dire ont-ils cette agression sexuelle à l’esprit ?
– Vous êtes communiste, madame ?
La dame poussa un petit cri.
— oh non ! Dieu m’en préserve !
— Je vous pose cette question car, si vous l’étiez, vous comprendriez beaucoup mieux ma réponse. Les communistes sont capables de doser leurs pulsions sexuelles en fonction des besoins du parti.
Quelques oh admiratifs et effarouchés dans la salle, des approbations de parterre d’opéra. Une autre dame se décide, après les mêmes hésitations que la précédente.
— Excusez-moi… J’aimerais savoir si on peut établir une classification par profession… Quelle est la profession sexuellement la plus agressive ? C’est qu’il m’est arrivé une fois… enfin… un plombier… a dépassé les bornes.
Une étincelle de malice apparaît sur le visage d’Anfruns tourné maintenant vers Carvalho, qui est assis dans le public.
— Par profession, les plus agressifs sont sans aucun doute les détectives privés. La séance est terminée.
[…]
— Vous êtes d’une bonne famille, Anfruns ?
— Oui. À quoi l’avez-vous deviné ?
À votre façon de mépriser. Ça se tête au berceau.
[…]
Elle est infidèle à son mari et nous ne lui en voudrons pas, car vous savez aussi bien que moi qu’un mari est le plus ennuyeux des animaux domestiques. Je me trompe ?
Le Signe de Zorro
Il reste des pèches au moscatel de Javéa dans les verres, des reliefs de steak tartare aux huitres et au saumon mariné dans les assiettes, un quart de bouteille de sancerre qu’ils finiront à la dernière minute, avant la séparation définitive de leurs silences fatigués, avant que Fuster rejoigne son lit de célibataire gréco-latin et Carvalho sa maison desséchée où s’épuisent les braises du dernier feu allumé au dépens des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. Pour pouvoir le brûler, Carvalho a enfreint sa règle de ne plus acheter un seul livre depuis l’année où le club de Rome a décrété le degré zéro du développement, entérinant l’échec sans rémission de deux cents ans d’optimisme culturel et criminel de la bourgeoisie et de ses antagonistes. À en juger par ce qu’il a lu dans les journaux, Marguerite Yourcenar semble être une vieille radoteuse maniaque, auteur de livres d’éthique à l’usage des chefs de gouvernement qui se moquent éperdument des éthiques littéraires.
C'était les années 60, mais rien n'autorise à penser que les gens des années 60 étaient plus cons que ceux des années 80 ou que ceux de l'an 2000.
Dosrius était une banque de données vivante, et mortifiante tant ses interventions étaient fastidieuses ; la moindre cellule de son organisme regorgeait de savoir, et, de même que les grandes cantatrices vont chercher leur souffle jusque dans leurs ovaires, on pouvait imaginer qu'il cachait une encyclopédie illustrée en vingt volumes là où, vu son âge, on aurait attendu des hernies. Ses déballages culturels au moindre prétexte fourni par l'auditoire pouvait mettre en appétit, mais très vite, Dosrius vous plongeait dans l'accablement en démontrant par exemple que non seulement il connaissait sur le bout des doigts l'œuvre de Rubens, mais aussi les mensurations exactes des tableaux et jusqu'aux moindres secrets génétiques des termites qui, au moment même où il parlait, étaient en train de boulotter ce précieux legs artistique.
- Comment as-tu mis fin à la réunion?
- De la façon la plus logique. J'ai mis fin à ses assistants. Ils naviguent sur le Tibre vers Ostie et la mer Tyrrhénienne, qui est la mort, comme le disait le divin Manrique [...]
- Il n'y a que toi qui saches mêler la poésie et le crime.
- C'est plus fort que moi. Je suis un humaniste.
La perte et la reconquête de l’amour motivent les voyages d’Orphée ou de Tristan, avec une abondance de dénouements tragiques, tous liés à l’échec de la reconquête, sauf dans la version optimiste de Sir Orpheus. Foerster a fait remarquer que, face à l’atmosphère de malédiction des autres tragédies, Érec et Énide chante la compatibilité entre l’amour, le mariage et la chevalerie, mais qu’au-delà du propos de Chrétien de Troyes Érec et Énide sont des personnages qui savent prendre leur destin en main, l’enjeu n’étant pas tant de retrouver l’aimé que de le conserver par une conquête quotidienne. Victoria Cirlot, dans sa préface à la version la plus récente d’Érec et Énide publiée en espagnol, nuance le propos de Foerster en écrivant – je cite : « Il serait quelque peu risqué de parler d’apologie du mariage, mais il ne fait aucun doute que Chrétien de Troyes propose un modèle de morale pratique. »
On peut mourir de froid parce qu’on n’a pas un rond, et on peut aussi avoir le froid en dedans parce qu’on n’a pas un sentiment, une affection, même pas le souci de soi.
El local olía a riñones al jerez. Carvalho buscó una mesa rinconera desde la que pudiera ver todo el recinto y dejó que el aire espesado por la grasa de los riñones le impregnase las narices, la boca, la lengua. Pidió una enselada castellana y riñones.
Bien manger, et boire encore mieux, relâche les sphincters de l'âme, désoriente la culture répressive, qui en perd le nord, et conditionne l'apparition d'une communicabilité qu'il ne faut pas galvauder.