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Critiques de Marc Augé (54)
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Une ethnologie de soi : Le temps sans âge

Dans les années quatre-vint-dix, à une époque où je voyageais beaucoup, j'avais lu Non-Lieux de Marc Augé. Ce livre m'avait marqué parce que je m'y suis d'entrée reconnu dans la personne de Pierre Dupont, ce "Monsieur Tout-le-monde" qui, après avoir retiré de l'argent au distributeur, franchi le poste de contrôle et présenté sa carte d'embarquement est devenu pour quelques heures "Monsieur Anonyme", immergé dans un "non-lieu", sans contact possible avec qui que ce soit de connu ; ce n'est qu'à sa descente d'avion, quand il a lu son nom sur un panneau brandi par un chauffeur, qu'il est redevenu Pierre Dupont. Marc Augé tentait, pour reprendre ses propres termes, une "anthropologie de la surmodernité" et ouvrait la voie sur une "ethnologie de la solitude". S’il avait alors connu l’ère d’internet et du téléphone portable, nul doute qu’il aurait plaidé pour le droit à la déconnexion...



Plus de vingt ans plus tard, l'ethnologue et anthropologue reconnu a publié cette Ethnologie de soi, sous-titrée Le temps sans âge. Il aborde dans cet ouvrage le sujet de la vieillesse et du passé, du temps et de l'âge. Il se remémore certain moment "définitivement passé" comme le croisement d'un moment de sa vie et d'un moment d'histoire qui ne se reproduira plus. À la fin d'un chapitre où il aborde entre autres Leiris, Zweig et Rousseau, il énonce : "Écrire, c'est mourir un peu, mais un peu moins seul" (possible sujet pour le baccalauréat ?). Quand il traite des relations intergénérationnelles, il met en évidence à propos de la mort que si "la roue tourne pour tous, elle ne fait qu'un tour pour chacun".



En dénonçant gentiment les subterfuges que nous utilisons pour paraître encore jeunes, Marc Augé s’intéresse surtout à notre attitude vis-à-vis de l'écoulement du temps et de ses corollaires (nostalgie, écrits autobiographiques, journaux, mémoires). Il épingle bien des expressions relatives au vieillissement (faire ou ne pas faire son âge, rajeunir avec l'âge, l'âge mur, la classe d'âge, la force de l'âge, etc.). Il s'interroge sur les limites d'âge imposées dans notre société (majorité, départ à la retraite, possibilité de se présenter à l'Académie française "Comme si, passé un certain âge on ne pouvait plus prétendre à l'immortalité" !).



"Quel âge avez-vous ?" lui demande-t-on. Il sait répondre, mais ne croit pas à sa réponse... par ailleurs, précisément compte-tenu de son âge, il trouve la question quelque peu "irrévérencieuse"...



Bref, la lecture de ce recueil de réflexions devrait vous procurer un bon moment en compagnie d’un sage et, si besoin est, d’apprendre à vivre avec votre âge.
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L'anthropologie

Il s'agit d'un livre très intéressant, mais que je conseille en plusieurs lectures. Je m'explique : ce n'est pas un livre de détente, mais un livre pour nous donner un accès à la compréhension de ce qu'est l'anthropologie. Comme toute discipline, elle demande du temps pour être comprise et étudiée.

Le livre explique très bien les différents domaines de la discipline, son intérêt mais aussi ses détracteurs, ce qui donne une perception large de ce qu'est l'anthropologie. N'étant pas de ce domaine, j'ai beaucoup appris et cela me donne un nouveau regard sur ce que j'ai déjà lu à ce sujet.
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La mère d'Arthur

Roman d'ambiance et d'atmosphère dont l'histoire est servie par des illustrations très juste de l'époque et du sentiment de lassitude qui traverse les esprits confrontés à la morosité du temps :

"L"indice de la consommation des ménages baisse, le CAC 40 s'effondre, le dollar flanche et moi-même je ne me sens pas très bien" se présente Jean Pérette le narrateur.

Il est embringué malgré lui dans la disparition de son ami Nicolas Duprez, le mari de son ex petite amie Isabelle.

Coutumier de disparitions qu'il habille de ses obligations universitaires, Nicolas est en cours d'écriture et Jean suppose qu'il a disparu pour se consacrer à son manuscrit.

Lors d'une visité à la mère de Nicolas Jean pense avoir découvert la vérité sur la disparition de son ami, mais il est loin du compte.

"Nous jouons tous au poker menteur, mais la mère Dupre bat tous les records. »

Jean découvre le secret qui lie Nicolas et sa mère Amélie, qu’ils ne peuvent révéler à son épouse Isabelle.

L’amitié n’a pas de prix pour Jean en écoutant les sentiments très forts qu’il porte à Isabelle et Nicolas il n‘hésitera pas à entreprendre un périple qui le conduira jusqu’au Costa Rica.

Le roman repose sur le concept psychologique de transfert des traumatismes au sein des familles, concept que Nicolas a tenté d’expliquer en le nommant « théorie des subjectivités paratgées » dans le seul ouvrage qu’il a écrit L’enfer du Nord, dont il a vendu 752 exemplaires. Dans cette biographie commentée de Rimbaud il explore les relations frère soeur et fils mère. Le titre la mère d’Arthur prend tout son sens.

Isabelle qui porte le même prénom que la soeur de Rimbaud ouvre les yeux de Jean « Mais si tu lis ou relis L’Enfer du Nord, tu verras qu’il y a beaucoup de passages où Nicolas donne le sentiment de parler encore plus de lui que de Rimbaud. »

La boucle est bouclé entre l’auteur, le sujet de son roman et son entourage. Il joue son Rimbaud et demande à son entourage de le comprendre et de l’accepter.

Il fuit et Jean part à sa recherche, heureux de le faire, fidèle aux souvenirs qui le lient à cet ami fantasque.

La mère d’Arthur est un roman de chevalerie où l’amour prend le dessus sur la réalité ; Isabelle quitte Jean pour épouser Nicolas. La mère de Jean « heureuse, mais un peu jalouse, impressionnée par l’opulence et la vraie richesse, (…) elle qui a toujours fait semblant »

Le voyage de Jean au Costa Rica prend des allures de conte philosophique voltairien. Quelle vérité ou quel mensonge va-t-il découvrir ?

« Fuir, aujourd’hui, pour un rimbaldien de coeur, ce serait disparaitre, rester là peut-être, pas bien loin, mais invisible, témoin sarcastique et étonné de sa propre disparition. »
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Éloge de la bicyclette

Le livre, très intéressant, nous fait l'éloge de la bicyclette. De cette manière de vivre, de contempler le monde, propre aux voyages à vélo. Que ce soit pour récupérer le pain, se promener sur les chemins ou pédaler chaque matin, l'auteur relève le défi haut la main. Néanmoins, j'ai eu du mal à accrocher sur toute une partie du livre :



Étant un livre assez accessible, vous plonger dedans ne vous coûtera pas beaucoup. Mais, une partie de vous rêvera de cette bicyclette, et des souvenirs viendront coller votre esprit.
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La sacrée semaine qui changea la face du monde

C'est une plaisanterie?

Alors elle n'est pas drôle.

j'ai peut-être tort de prendre ce livre au sérieux. Mais je ne crois pas.

Car de quoi s'agit-il?

L'auteur nous explique que la croyance en Dieu n'est que l'effet du mauvais fonctionnement de processus électriques dans le cerveau.

Heureusement la science est là. On invente une molécule, qui ingérée à dose infinitésimale, rétablit les choses et guérit la maladie. parce qu'il s'agit d'un maladie (pourquoi d'ailleurs la maladie ne serait-elle pas au contraire, le fonctionnement que la molécule est censé rétablir? Et les athées les malades. Mais passons.

Et donc, cette molécule, on la fait absorber à la totalité des huit milliards d'hommes vivant sur la Terre. Pour leur bien . A leur insu. Sans leur demander leur avis. A ce stade, quelles que soient vos croyances, rien ne vous gêne?

Curieuse conception de la liberté de conscience, et de la libert" tout court.

Les athées militants m'étonneront toujours.

Et bien sûr cette bienheureuse manipulation établit la concorde et la paix universelle sur la terre, puisque tous les maux qui accablent et accablèrent l'humanité trouvent leur source dans les religions. On sait que Staline, Mao Ze Dong, Pol Pot, Hitler, Fouché,, Carrier, étaient particulièrement dévots......

Et les guerres n'éclatent jamais pour des raisons territoriales, économiques, religieuses, jamais, seulement religieuses, on vous dit.

Mais après tout pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Imaginez une petite molécule qui vous délivre de l'amour, de l'attachement, de l'empathie, que vous éprouvez pour vos proches. Cela aussi, c'est peut-être, et même probablement, l'effet d'un mauvais fonctionnement du cerveau.

Comment, cela ne vous plait pas ? Mais pensez, comme vous seinez tranquilles!

Plus de chagrins d'amour, plus de désespoir à la mort d'un proche, plus d'angoisse pour sa santé, plus à s'en occuper, d'ailleurs; il ne vous est rien, si on y réfléchit.

Bienheureuse ataraxie!





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Un ethnologue dans le métro

Déception.

Son décès récent m’a fait connaître le nom de Marc Augé. Par curiosité j’ai voulu lire quelque chose de cet auteur prolixe présenté comme une sommité de l’anthropologie. J’ai pris ce livre un peu au hasard, un peu parce qu’il est court, un peu parce que le métro, je connais : ceux de Londres, NYC, Barcelone, Munich, Rome..,

Je m’attendais à un travail structuré, détaillant et analysant les comportements des usagers, le rôle du métro dans la vie de diverses catégories sociales, dans la société en général… j’ai trouvé un texte peu analytique, peu scientifique (scientifique tel que moi, ingénieur, j’entends ce mot), largement personnel, ourlé de délires oniriques.

J’étais aussi attiré par son livre Casablanca, croyant trouver là un autre sujet commun (je l’ai vu cinq fois, en divers lieux et différentes langues), je pense laisser tomber. Désolé.
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Une ethnologie de soi : Le temps sans âge

J'invite chacun(e) à s'emparer de ce petit (par la taille) traité sur l'âge, paru au Seuil en 2014 (dont j'avais déjà publié la chronique et que la disparition récente de l'auteur rappelée par Patsales ce matin me remet en mémoire) Marc Augé se penche avec acuité et délicatesse sur un sujet qui nous concerne toutes et tous - l'âge -, et d'une manière que j'aime infiniment. Sous la brièveté la profondeur et, devant l'inéluctable, la légèreté. le titre ne doit pas rebuter encore moins effrayer, l'ethnologue et grand voyageur qu'il fut pose - toutes époques et toutes générations confondues - un regard distancié et bienveillant sur nos multiples manières d'appréhender l'écoulement du temps et de nous pencher sur la vieillesse. Si déjouer ses mauvaises farces en s'intéressant au corps fut depuis la nuit des temps l'une des manoeuvres défensives qui se soit transmise et enrichie jusqu'à nos jours, il existe un autre domaine, celui de l'esprit, où nos stratégies multiples et variées pour affronter l'âge se sont avérées tout aussi efficaces : Sophocle, rappelle ainsi l'auteur, écrivait encore des tragédies dans son extrême vieillesse. Une affaire de dépassement ? Ce qui se vérifiait hier peut se perpétuer jusqu'à aujourd'hui. Plus que leur écoulement le comptage des années, "âge biologique", "âge de la retraite" etc., qui ponctue notre vie sociale nous assignerait-il une forme d'auto-limitation ?...



L'observation du comportement de « Mounette », son chat, le ramène au coeur des mots ordinaires qui désignent le plus souvent les temps successifs qui racontent nos vies. Et de locutions stéréotypées du langage commun (« faire son âge », « hors d'âge », « classe d'âge » etc.), aux formes plus soignées de la création littéraire que sont les autobiographies, les journaux ou les mémoires, Augé examine les moyens subtiles - exemples à l'appui -, que nous mettons en oeuvre pour nous prémunir contre le passage du temps et l'oubli son corollaire ; « L'âge d'homme » de Michel Leiris ou « La force de l'âge » de Simone de Beauvoir illustrent un propos où "l'enquête de soi" est présentée comme une manière de se ressaisir du temps, de conjurer l'attente, d'en maîtriser la durée. Loin de dresser un catalogue de solutions pour affronter les bornes d'un "âge limite" que fixerait la société et au-delà duquel il n'y aurait plus rien à désirer ce petit essai nous inviterait à surmonter et dépasser les innombrables injonctions qui s'imposent au fil des ans... en oubliant notre âge et nous souvenant toujours qu' "Un livre qui ne vieillit pas, c'est un livre dont le lecteur peut toujours attendre quelque chose, où il peut toujours découvrir quelque chose, un livre qui lui démontre ainsi qu'il est toujours vivant, que leurs sorts sont liés et qu'ils sont unis " à la vie, à la mort".

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L'impossible voyage : Le tourisme et ses im..

Ce n'est certainement pas le meilleur livre de Marc Augé, malheureusement, lorsque j'ai appris sa mort mercredi, ce recueil d'articles était tout ce que j'avais sous la main. On connaît l'écueil lié à ce type d'ouvrage, forcément répétitif, et c'est bien le cas ici aussi. Contrairement à l'un de ses maîtres, Lévi-Strauss, Augé ne hait pas les voyages: il en constate l'impossibilité: non seulement parce que le monde est archi-connu, non seulement parce que le voyage se parcourt de non-lieu en mon-lieu (selon le terme qu'il imagina pour définir les espaces de la mondialisation indifférenciée que sont les aéroports, les parkings ou les chaînes d'hôtel), mais surtout parce que l'image omniprésente fait de chaque destination son propre pastiche. Il n'est d'autre Venise que la ville que nous nous attendons à voir et que la municipalité a ripolinée pour qu'elle coïncide exactement avec sa propre légende. Collectés à la fin du XX° siècle, ces articles étonnent par leur prescience d'une société qui ignorait encore tout d'Internet. L'auteur s'y met joyeusement en scène et le constat qui devrait être pessimiste ne manque pourtant pas de verve: mais le plaisir du lecteur s'émousse au fil des chroniques dont l'unique thèse lasse après avoir suscité l'intérêt.
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Les formes de l'oubli

Cette critique n’a pas été écrite par ChatGPT (mais elle est aussi longue que ses logorrhées) !



Depuis mon arrivée, récente, sur Babélio, voici le troisième livre pour lequel je me sens, non pas une responsabilité ou une mission particulière, plutôt une forme de proximité, d’affection, parce que je suis le premier à rédiger une critique ou à décerner une note, voire les deux. Et pour les trois, emporté par mon élan empathique, j’ai rempli les tiroirs babéliesques de dizaines de citations, et ce n’est pas fini car, pour chacun la matière ne manque pas, et pour tous j’ai l’habitude de lire stylo en main et de couvrir les pages de sous ou surlignures.



Il y a eu Mulukuku, de Nicolas Duffour, méconnu roman d’aventures intello auquel je ne cesse de revenir, toutes sortes d’occurrences lui faisant écho. Le monde privé des ouvriers, d’Olivier Schwartz, que je tiens pour un des grands livres contemporains de la sociologie française et auquel renvoie en permanence notre actualité socio-politique. Et enfin ce petit livre, par la taille (Rivages poche, Petite bibliothèque) et sans doute aussi par son importance dans la bibliographie de Marc Augé, parce qu’il occupe une place à part, à côté du corpus de l’ethnologue. Pour cette raison, je parierais cependant que ce Formes de l’oubli lui est cher.



De quoi s’agit-il ? D’un petit essai, ethnologique, philosophique, littéraire, presque une divagation sur la nécessité de l’oubli et les formes qu’il prend (trois formes qui sont autant de manière de vivre le présent). La troisième est la figure du retour, et c’est celle que je vais convoquer pour essayer de ressaisir la pensée de l’auteur, parfois (pour moi) difficile à suivre, mais qui m’a fortement impressionné à plusieurs moments, impressionné au sens où, comme pour Mulukuku ou Le monde privé des ouvriers, quelque chose est posé, une marque, un cairn… à partir desquels une nouvelle perspective paraît s’ouvrir en ligne droite pour la réflexion.



La ligne droite, je vais la laisser aux perspectives de pensée ouvertes par chacun de ces trois livres, pour les caramboler ici dans une sorte de jeu de miroirs qui m’aide à rendre intelligible (pour moi en tout cas) le cheminement des Formes de l’oubli de Marc Augé. Lequel, avant d’entrer dans le vif de son sujet, demande qu’on se détache des évidences, des mots tels des « pièges à pensée », qu’il faut faire sortir de leurs gonds, les soumettant notamment à « l’épreuve du dépaysement » dans « un exercice anticulturaliste qui respecte avant tout, dans chaque culture, le pouvoir qu’elle a de déstabiliser les autres. »

Marc Augé peut compter pour se faire sur d’autres cultures, africaines (les zars jouent un rôle important), amérindiennes… Quant à moi, je fais avec ce que j’ai : les deux livres précités et, avec eux, un peu de littérature et de sociologie.



Les formes de l’oubli « se présente comme un petit traité de l’emploi du temps ». La mémoire elle-même a besoin de l’oubli : il faut oublier le passé récent pour retrouver le passé ancien. Le rapport avec Mulukuku est évident qui se demande comment la fiction permet de se rapporter à un « passé dépassé » et constituer d’autres configurations que les continuités historiques écrites par les vainqueurs. Mulukuku s’ouvre au demeurant sur une citation de Paul Ricoeur avec lequel Marc augé chemine de concert durant une grosse partie de son essai, intitulée « la vie comme récit ».



Mais avant d’y venir, avançons à reculons (et on verra ensuite la figure du retour) pour évoquer le premier mot que Marc Augé sort de ses gonds : le mot oubli, bien sûr. « Force vive de la mémoire » dont le souvenir n’est pas l’opposé mais le produit. Les souvenirs qui, à en croire le psychanalyste JB Pontalis opèrent tels des écrans à des traces qu’ils dissimulent et qui s’y projettent. La mémoire est une affaire de traces. La continuité est une illusion en même temps qu’une construction.

Pontalis, en bon psy, enjoint donc d’associer librement et, concurremment, de dissocier les liaisons instituées. Mulukuku se construit dans cet esprit en référence à Walter Benjamin, et Le monde privé des ouvriers, recherche sociologique, s’oppose à un certain discours sur la société qui n’est que le produit d’un rapport de forces sociales.



À ce point Marc Augé n’en a pas fini avec l’oubli, il commence seulement ! mettant en évidence « des figures de l’oubli dont on pourrait dire qu’elles ont une vertu narrative (qu’elles aident à vivre le temps comme une histoire) ». Dans le langage de Paul Ricoeur : des configurations du temps. Paul Ricoeur avec lequel Marc Augé envisage un substrat (pré-compréhension de l’agir humain) qui nous permet de donner du sens au réel. La littérature, par exemple, écrit Ricoeur serait « à jamais incompréhensible si elle ne venait configurer ce qui, dans l’action humaine, fait déjà figure. »



Laissons le substrat. Ensuite, dit Marc Augé, l’opérateur (le point de vue) de la mise en fiction de la vie individuelle et collective, c’est l’oubli. (La mise en fiction qu’il faut au demeurant comprendre comme un vecteur d’intelligibilité et non de confusion comme le « tout fictionnel » qui nous menace.)

À cet égard, il s’appuie sur son expérience d’ethnologue, montrant que l’enquêteur et l’enquêté ne se situent pas dans le même temps, ne sont pas, au sens littéral, contemporains. Ce qui me ramène à l’immersion d’Olivier Schwartz, au début des années 80, parmi les familles ouvrières du Nord-Pas-de-Calais (on disait comme ça). L’analyse « d’ethnographie urbaine » forme alors des récits pour appréhender l’incessante transformation du genre de vie collectif en styles individuels.



La mise à distance, l’objectivation sociologique, n’en reste pas moins violente. Une violence qui s’éclaire par la différence entre le présent vécu et la temporalité du projet sociologique, dont la valeur se vérifie à sa pertinence un demi siècle plus tard pour comprendre les transformations et la fragmentation du monde ouvrier (et par exemple comprendre la réussite du Rassemblement National dans les milieux populaires).



Le récit donne à comprendre. C’est par la fiction qu’on sort du mythe, dès le conte de fée qui apprivoise le cauchemar mythique (Walter Benjamin), et dans les processus internes de sécularisation des religions, explique Marc Augé. Et les grands récits, demande-t-il, sont-ils morts ? « Pour répondre, il faudrait d’abord, comme dans une chanson que chantait Reggiani, trouver le corps, savoir où on l’a mis. » Les grands récits, dont celui de l’émancipation sociale après lequel court le jeune héros de Mulukuku, celui de la révolution prolétarienne ou de la contre-société du PCF, encore vigoureux dans Le monde privé des ouvriers.



Ceci posé, après cette « vie mise en récit », nous voilà déjà aux deux tiers du livre et nous sommes armés pour attaquer les trois figures de l’oubli, qui valent autant pour les individus que les collectivités, dans la liaison desquels se construisent l’identité individuelle et la relation à autrui. Trois figures : le retour (retrouver le passé perdu, ses esprits...), le suspens (suspension du temps) et le re-commencement (non pas répétition mais paradoxe du commencement « à nouveau »).



Le retour, Marc Augé l’enclenche à partir du retour en Afrique, de « sa puissance d’accueil », d’un « temps maintenu ». Mais pour réussir un retour, il faut « une grande force d’oubli ». Il faut oublier le dernier passé pour recoller le temps hors de ses gonds. Ce sont les exemples d’Ulysse et du Comte de Monte-Cristo qui nous guident et racontent « l’impuissance de l’espace face au temps », la confrontation à l’absence (la relation perdue). Au contraire du temps retrouvé de Proust, lequel part bien sûr de l’oubli pour qu’opère la mémoire involontaire (la madeleine, etc). En réalité, dit Augé, « la seule réalité » dans La Recherche, c’est la littérature, qui cristallise et relie, réalité qui se « réalise » dans et par l’œuvre elle-même, conjurant la hantise de l’oubli et du futur (où ce qui est ne sera plus).



La figure du retour, sur laquelle Augé est le plus prolixe, se mêle celle du suspens (quand s’efface la pensée du futur et du passé) et celle du re-commencement avec le possible nouveau départ qu’appelle le retour sur soi, mais aussi la généalogie et autres réincarnations.



Le suspens, d’abord.

Ô temps, suspend ton vol ! Augé convoque Lamartine et se demande si Gide n’aurait pas complété :

— Je veux bien, mais combien de temps ?

Mulukuku rapporte l’apostrophe du poète-boxeur Arthur Cravan :

— Monsieur Gide, où en sommes-nous avec le temps ?

— Six heures moins un quart, répondit Gide sans y entendre malice.



Pour le suspens, Marc Augé enrôle principalement Stendhal pour qui le bonheur est « dans l’instant partagé, dans l’accord avec l’être aimé pour ne plus penser à la veille ni au lendemain ». La concordance passe alors par l’oubli de tout ce qui sépare.

Le moment de suspens, par exemple dans les films, avant une bataille, quand les personnages se confient entre chien et loup, révèle « la vérité nue sous les oripeaux de l’apparence sociale ». Ce travail de mise au jour est aussi bien sûr réalisé par le sociologue qui lève le voile des évidences trompeuses.



Le héros stendhalien trouve aussi la félicité dans l’action, donc la possibilité de re-commencements, mais Marc Augé convoque Julien Gracq pour cette dernière figure de l’oubli, et le « voyage » que Gracq réfère avant tout au « départ », sous le signe également du Voyage de Baudelaire, tel que Mulukuku l’emploie aussi, avec au début l’élan et pour finir la déception, voire la mort dit Marc Augé, en ce qu’elle partage avec la naissance : l’inconnu.



Pour finir, l’auteur nous engage (devoir d’oubli) « à ne pas oublier d’oublier pour ne perdre ni la mémoire ni la curiosité. »



« L'oubli nous ramène au présent, même s'il se conjugue à tous les temps : au futur, pour vivre le commencement ; au présent pour vivre l'instant ; au passé pour vivre le retour ; dans tous les cas, pour ne pas répéter. Il faut oublier pour rester présent, oublier pour ne pas mourir, oublier pour rester fidèle. »



Ouh là ! Désolé pour cette interminable tartine. Promis, je vais mettre la pédale douce maintenant ! Peut-être ne plus consacrer de critiques qu’aux orphelin(e)s qui, comme ces trois livres, ne se laissent pas oublier, tandis que tant d’insignifiances disparaissent de nos mémoires en un clin d’œil, offrant avec leur oubli un écrin à nos meilleures lectures.

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Casablanca

Célèbre anthropologue, Marc Augé délaisse ici ses thèmes professionnels de prédilection pour aborder ses souvenirs lié au film Casablanca (de Michael Curtis avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman) qu’il a vu à sa sortie en France en 1947 et à l’âge de 11 ou 12 ans dans un cinéma du quartier Latin (un authentique avec de vraies ouvreuses).

A ce film mythique qui traite « de la mémoire et du souvenir, de la fidélité et de l’oubli », Marc Augé associe toute la période de son enfance (l’avant-guerre, l’exode, l’occupation).

Mais au-delà de ces souvenirs personnels, Marc Augé évoque également la magie du 7°art et décortique avec justesse certains aspects techniques comme le montage qui gomme la banalité de la vie, ou les flash-back qui « conjuguent le passé au présent ».

Un petit ouvrage passionnant !

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Les formes de l'oubli

Ce petit essai permet à l’auteur de tricoter son expérience d’anthropologue avec ses propres lectures autour de la question du temps et de l’oubli que les sociétés traditionnelles conjurent à leur manière par les rituels de passage, lorsque les sociétés modernes trouvent dans les écrans un palliatif de contrebande. La question du récit y apparaît comme la synthèse d’une humanité, qui, au delà de ses différences culturelles, reconstruit par le mythe, le rite et l’initiation un temps retrouvé, tout en s’accordant, de façon plus ou moins explicite un droit à l’oubli.
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Un ethnologue dans le métro

Marc Augé est ethnologue et prend le métro, plutôt rive gauche, depuis son enfance. Il se livre à une analyse très technique de nos habitudes d'usagers des transports en commun. Mais l'aspect le plus intéressant est pour moi le premier chapitre intitulé "Mémoires".
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Un ethnologue dans le métro



Marc Augé est un fin observateur de l'homme. C'est son métier.



Dans ce livre, Marc Augé démontre bien ce que c'est le métier d'ethnologue.



Le métro n'est pas juste un service de transport de personnes. C'est, avant tout, un "support" où se déroule une partie importante de la vie de chacun et de la ville.



Si on se donne le temps d'observer attentivement ce qui se passe dans le métro : chaque personne, les mouvements, les rames, les couloirs, aux moments de la journée ou de la semaine, ... on peut obtenir un portrait assez impressionnant des gens, de la ville, C'est en partie ce qu'il fait.



Il est vrai que pour ceux qui sont juste curieux, certaines parties du livre peuvent être plus difficiles à lire puisqu'elles font appel à des pensées de Durkeim, Mauss ou Lévy-Straus. Si on ne les connaît pas, encore, les sources y sont à la fin du livre. Mais cela n'empêche pas de comprendre l'idée.



Comme tous les livres de Marc Augé, c'est un livre clair et facile à lire.
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L'avenir des terriens



Selon l'auteur nous vivons un moment de rupture dont la cause serait un "changement d'échelle".



Un changement d'échelle dans l'espace puisque tout devient planétaire. Non seulement les déplacements parce qu'on peut aller à n'importe lequel endroit du globe, mais aussi la communication, puisqu'on peut aussi communiquer avec n'importe qui où qu'il soit. C'est à dire, les interactions qui avant étaient "locales" deviennent "globales".



Dans le temps puisque l'espérance de vie augmente, on vit plus longtemps, avec cohabitation plus de générations qu'avant.



Si, en même temps, la consommation est devenu le moteur de l'humanité, les inégalités - entre les plus riches des riches et les plus pauvres des pauvres - ont aussi beaucoup augmenté.



Selon l'auteur, l'humanité vit un moment charnière, qu'il appelle "fin de la préhistoire de l'humanité comme société planétaire".



Que peut dire l'anthropologie sur l'avenir ? Ne pas répondre serait mettre en cause la raison d'être de l'anthropologie mais répondre c'est se transformer abusivement en devin (p. 122).



Marc Augé essaye dans ce livre de traiter ce sujet aussi objectivement que possible, entre ces deux extrêmes.



La lecture est parfois difficile pour le non anthropologue que je suis, mais le résultat est réussi. Ça vaut le coup de s'accrocher.
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Ressuscité !



Marc Augé est grand observateur. Le plus souvent il écrit des essais. Ce livre est aussi une sorte d'essai mais écrit sous la forme d'une fiction.



Il s'agit d'un chercheur très connu décédé d'un cancer en 1978 et dont le corps a été congelé à -196 degrés. Il reprend vie 50 ans après, en 2028.



Le thème du livre est, bien entendu, le transhumanisme, sujet à la mode.



Ce livre a certes un message à transmettre mais si on regarde le regarde comme un livre de fiction, c'est faible. Il reste le message anthropologique mais, là encore, ne va pas jusqu'au bout. J'imagine qu'il a encore beaucoup à dire sur ce sujet. Je suis resté sur ma faim.



Malgré tout ça, c'est toujours un plaisir de lire Marc Augé. Et ce livre se lit très rapidement.
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Bonheurs du jour



De quoi parle ce livre ? Pas du bonheur mais des bonheurs".



"Bonheurs" et pas "bonheur" parce qu'il parle de tous ces petits trucs qui nous rendent heureux par des moments. Et dont parfois on ne se rend pas compte ou alors qu'on se rend compte quand on le perd.



Un exemple qu'il cite est juste même la "liberté" de marcher qu'on perd quand on est hospitalisé. Après, il y a les rencontres, les chansons, manger tout simplement, ...



Si on veut une liste un peu plus exhaustive, un livre qui complète bien celui ci est "Le sel de la vie" de Françoise Héritier.



Marc Augé est un des écrivains dont j'ai toujours plaisir à lire. Il fait partie de ces auteurs qui ont déjà dépassé les 80 ans et qui continuent à réfléchir sur le sens de la vie. Qui ont de quoi être fier de ce qu'ils ont accompli mais qui restent très modestes, pas du tout narcissiques. Quelques uns de ses livres sont plus difficiles mais lire Marc Augé n'est jamais une perte de temps.
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Éloge du bistrot parisien

Marc Augé est un auteur formidable. Je "dévore" ses livres. Il écrit une série de livres sur des sujets qui passent presque inaperçus parce que trop courants : les bistrots, le métro, les SDF, l'âge qu'on a, ...



Celui-ci est sur les bistrots parisiens. En deux mots, c'est son regard, en tant qu'anthropologue, sur la place des bistrots dans la vie parisienne.



Marc Augé semble avoir toujours été un client assidu des bistrots, dès le temps d'étudiant à l'École Normale, dans le quartier latin. La vie autour du zinc, les clients assidus pour un café ou pour un demi. La contact avec les serveurs, et les autres clients, les réunions après les soutenances de thèse ou les séminaires, ... Un sens d'observation très aiguisé !



Écrit dans un style agréable, comme toujours, c'est un petit livre qu'on lit en quelques heures. Après sa lecture, on a sûrement un autre regard sur les bistrots et leurs écosystème.
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Une ethnologie de soi : Le temps sans âge

A la recherche de "La vieillesse" de Simone de Beauvoir, je suis tombé sur ce petit livre de Marc Augé. Quelques phrases lues par-ci par-là et je décide de le prendre. Aucun regret, bien au contraire.



La raison de ce livre est la question : "Quel âge avec vous ?".



Ce livre est une suite de réflexions, sous toutes les coutures, du processus de vieillissement de l'homme. Le livre commence et fini avec par des histoires de chats, les chats qu'il a eu pendant toute sa vie, le cycle de vie des chats à côté de celui de l'homme.



C'est un livre qui vient de sortir. Marc Augé l'a écrit à la veille de ses 80 ans. Je ne doute pas qu'il a mis une partie de son expérience personnelle dans l'écriture de ce livre. C'est écrit dans un style rafraichissant et qu'on lit sans se rendre compte.



Deux phrases de ce livre m'ont marqué et font, très certainement, partie de sa pensée à lui comme personne, plus que ethnologue :.



* ... à cinq minutes de sa mort, il était encore vivant (ce n'est pas de lui);.

* ... ce constat comporte une part de cruauté, il faut donc bien l'admettre : tout le monde meurt jeune.



Cette dernière est la phrase de la fin.
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Philosophie de la marche

Un petit recueil de textes et d'interviews assez plaisant.

Il n'y a pas beaucoup de philosophie là-dedans mais tout de même quelques aperçus sur des auteurs à découvrir.

On passera sur le snobisme anti-technologique de Sylvain Tesson: pas question de parcourir les sentiers de grande randonnée mais on use intensivement des cartes IGN! croit-il vraiment que ces cartes ont été réalisées sans technologie?

On passera aussi sur les considérations sociologiques qui sous cette forme ramassée consistent à classer les humains dans des cases artificielles (ce qui n'est pas le cas de tout travail sociologique).

Il reste une petite ouverture sur la philosophie et l'envie de lire le livre de Frédéric Gros: Marcher, une philosophie; les aperçus littéraires; et les expériences: celle hors normes de Sarah Marquis (une compatriote de Nicolas Bouvier), et celles plus ordinaires mais bien vues de David Le Breton.

Plutôt une porte ouverte vers d'autres lectures.



Mais pourquoi donc cette publication est-elle attribuée à Marc Augé? C'est Nicolas Truong qui a organisé ce recueil. C'est à corriger.

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Philosophie de la marche

Un ensemble de textes sur la marche, plus ou moins intéressants.

Une belle découverte néanmoins avec Sarah Marquis, qui m'a donné l'envie d'aller à sa rencontre, à la découverte des ses voyages de l'extrême.
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Marc Augé, (1935-2023) anthropologue des « non-lieux » contemporains

Quand j'ai écrit Un ethnologue dans le ...?... j'ai eu l'impression d'avoir abandonné mon chapeau brousse et mes certitudes pour adopter ce regard éloigné cher à Levi-Strauss...

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