Citations de Marie-Sabine Roger (2030)
Elle conservera à jamais un souvenir grave, doux et ravi de ces moments partagés. Peu importe que son regard ait changé par la suite, la faute à la vraie vie, cette réalité qui encrasse nos rêves, les transforme en vieil imagier aux pages déchirées, aux coins souillés de traces, piquetés de moisi.
Il reste trois quarts d'heure, à peine.
Est-ce que le sac est prêt ? Est-ce qu'après son départ, il ne trouvera pas, éparpillées ici ou là, quelques traces de son passage ? Un tee-shirt oublié, dans la salle de bains. Une jupe. Un chouchou de tissu où s'accrochent des cheveux bruns, un peu frisés, parfumés à la pomme.
On n'enterre pas plus la douleur dans son âme qu'une taupe dans son jardin.
Quand il parle, c'est comme s'il devait aller chercher ses mots très profond dans la terre, les arracher un à un à la glaise, les mouiller de salive pour les faire briller.
Il ne faut pas réveiller le passé à tout prix, confronter la mémoire à la réalité. Il faut laisser dormir l'enfance.
J'apprends à garder le silence, à penser pour moi seule, à ne plus partager. Je fais semblant, aussi. Je comprends que grandir, c'est apprendre à mentir.
C'est toi qui es parti, mais c'est moi qui m'éloigne, le cœur serré sur cette idée qui blesse: tu vas rester tout seul dans cette pièce nue, dans cette ville mal connue qui n'a jamais été la tienne. Et j'aurais dû rester, peut-être plus. Un peu plus.
Il n'est plus temps.
Je ne sais pas comment on dit adieu au père, lorsqu'on reste sans lui du côté des vivants.
Disperser ma vie, l'éparpiller pour la distraire. Vivre superficiel. Ne surtout pas penser, surtout pas. M'étourdir.
Mettre les soucis dans ma poche, un mouchoir bien tassé dessus. Comme si le malaise était quantité négligeable, et dérisoire l'anxiété...
Sans autre soin, sous le mouchoir, la plaie suppure. On croit n'avoir qu'une infime écorchure. Elle suffit. La tristesse, parfois, ça infeste en silence, ça envahit, ça contamine. Ça vire à la septicémie.
Le chagrin usurpe la vie.
Tanah se dit que la mort a ce triste visage chez ceux qui vivent trop longtemps ; repas ternes et insipides, vision faible et audition trouble, heures longues et jours inutiles, quand plus rien ne ressemble au plaisir, au désir, lorsque le seul bien-être que l’on peut espérer est de ne pas aller trop mal. (page 193)
Pour moi il n’y a de calme et de sérénité que dans la solitude, allez expliquer ça aux gens !
Certains jours sont trop difficiles. Il faudrait pouvoir les vivre en plusieurs fois.
Le pire n'est jamais sûr. On s'y emploie, pourtant.
Ils sont nombreux, ici, dès six heures du soir, à se rejoindre à l'esplanade.
Ils glissent, avec un balancement cadencé des épaules, le buste un peu penché en avant, le regard concentré. Parfois, ils se redressent et avancent en roue libre, rois d'échecs droits et fiers sur l'échiquier de marbre. Libres oiseaux glissant au milieu d'un étang. [...]
Ils se postent en haut de la rampe, sur la glissière de métal. Ils restent en équilibre, un court instant, puis sautent dans l'enfer, le vide, la gueule du volcan, prennent la pente à contre-courant pour s'en aller jaillir dans un bruit de tonnerre, presque à la verticale, tout en haut de l'autre paroi. On dirait qu'ils s'envolent. Parfois, le vol s'immobilise, ils restent un court instant hors du temps, se tournent sur eux-mêmes et repartent à l'assaut des pentes.
S'ils tombent, ils recommencent aussitôt, et c'est elle qui a mal pour eux, qui pousse un petit cri, se mordille les lèvres. Eux, rien ne les arrête, et surtout pas la peur.
Ce sont de vrais seigneurs.
Les artistes son poreux, ils n'ont pas de limites, leur imagination déborde sans arrêt. Leur univers transpire, puis se matérialise, devient réalité, se met à exister d'une existence propre. Il leur survit parfois.
Parfois même, longtemps.
Luc comprendra, j'en suis certain. Il sait tout aussi bien que moi ce que signifie s'attacher au héros, il sait les liens qu'on tisse avec les personnages et la peine qu'il y à devoir les quitter. (p. 182)
Elle est bizarrement foutue, Annette : elle a une taille menue, j'en ferai le tour d'une main, et des seins gonflés à l'azote, tout ronds et durs, qui te prennent la paume en entier, et qui résistent à la pression, vous pouvez me croire. Et puis des jambes longues pour sa taille, un petit cul bien pommé comme un chou. Elle n'est peut-être pas jolie, avec ses yeux cernés, sa figure maigre et son regard de chien battu, mais elle a quelque chose.
Dévoiler certaines choses, ce serait abîmer l'amour. Lui enlever, mot après mot, de tous petits éclats de rêves.
Une maladresse qui vient du cœur se pardonne plus volontiers qu'un silence confortable. Elle s'oublie plus vite également.
A quoi ça sert d'aimer, quand c'est pas réciproque, sinon à se pourrir la vie ?
Faites pas chier avec la bière! c'est que de l'orge et du houblon, ça fait pas de mal, les céréales! La vie est courte?!(...) Quand ele finira on nous mettra où ça? Hein? En bière justement! Ben moi au moins je m'accoutume!