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Critiques de Miguel Bonnefoy (751)
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Héritage

°°° Rentrée littéraire #3 °°°



Énorme coup de coeur pour cette formidable saga familiale franco-chilienne pour laquelle l'auteur a puisé dans ses origines, lui-même issu d'une famille française qui a migré au Chili. Dès les premières pages, le charme opère, sur les pas du patriarche, Lonsonier, qui fuit les coteaux du Jura ravagés par le phylloxéra avec l'unique cep de vigne survivant, pour le replanter au Chili et faire renaître l'héritage familial tout en créant une nouvelle lignée que l'on suivra sur quatre générations.



Miguel Bonnefoy est un conteur fabuleux, et à travers l'aventure extraordinaire de ces Français au Chili, il raconte à merveille l'histoire universelle de la migration, de l'exil, du déracinement, il dit avec force le dialogue qui naît entre deux cultures, le destin qui unit deux peuples qui se croisent dans un même héritage. Comme un pont de papier qui, à l'heure des crises migratoires, rappelle avec pertinence que les Français aussi ont été des migrants.



Les personnages de cette mythologie familiale sont campés avec bonheur, tous marquants, tous ballottés par les jeux du destin et du hasard mais tous avec leur libre arbitre : Lazare le poilu chilien ;Thérèse l'ornithologue dont la volière fantastique semble une métaphore du microcosme familial ; Margot l'intrépide pionnière de l'aviation; Ilario Da, le révolté, militant d'extrême-gauche pro-Allende … Chaque génération est confrontée à un dilemme, un questionnement, chaque personnage a un choix à faire qui va finir par déterminer son descendant dans une sorte de mécanique atavique implacable.



Sucre noir témoignait déjà du talent de Miguel Bonnefoy à dessiner des personnages inoubliables pris dans des histoires fortes ; dans Héritage, à partir de ces mêmes qualités, il va au-delà grâce à l'épaisseur apportée par l'Histoire. Des tranchées de la Somme aux batailles aériennes entre la Royal Air Force et les Messerschmitt, Lazare et sa fille Margot sont emportés par le tourbillon des deux guerres mondiales dont l'absurde ressort plus que jamais avec ces soldats qui se battent pour une terre qu'ils n'habiteront jamais, contre des voisins issus de l'immigration allemande. Puis c'est le fils de Margot, Ilario Da, militant d'extrême-gauche pro-Allende qui traverse la dictature de Pinochet dans les geôles de la Villa Grimaldi : les pages qui lui sont consacrées sont particulièrement déchirantes, l'auteur a repris les carnets de son père dans lesquels il raconte la torture qu'il a subi avant de fuir en France. Et c'est un tour de force que de rendre palpable et incarnée une saga sur plusieurs générations condensée en seulement 200 pages. L'art de l'ellipse est d'une maîtrise totale et vivifie le récit.



Intensité des destins singuliers à l'incoercible force de vie et puissance de l'Histoire sont enveloppés d'un réalisme magique à la Garcia Marquez qui fait basculer le roman ( vers la page 100 ) dans une dimension encore supérieure qui exprime le monde sans le copier et illumine cette fiction bâti sur l'argile de la réalité. On sentait poindre cette touche magique avec le personnage du machi ( chaman ) mapuche Aukan qui traverse le paysage familial tel une des trois Parques tirant quelques fils pour changer le cours du destin. le chapitre consacré à cette irruption fantastique est d'une beauté absolue, sublimée par l'écriture chatoyante et sensorielle d'un vrai styliste qui choisit chaque mot pour l'équilibre élégant qu'il apporte à sa phrase.



Un roman lumineux, poignant, empreint d'une profonde humanité, ses mots plein de saveurs continuent à danser dans ma tête, le sourire aux lèvres, envoûtée jusque dans les moindres pores. Remarquable!



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Sucre noir

Un petit livre par la taille, 190 pages en format poche, deux heures de lectures, pour un dépaysement assuré.

Un premier chapitre qui raconte une histoire extraordinaire sur la mort du capitaine Morgan, un flibustier de la grande époque des gentilshommes de fortune. Raconté dans le plus pur style de la nouvelle.

Nous savons maintenant qu’il y a un trésor quelque part, non loin de cette exploitation agricole d’une île des Caraïbes.

Trois siècles plus tard, l’auteur nous plonge à travers l’histoire de trois générations de ces exploitants, la famille Otero. Surtout les filles.

Serena Otero cherche son propre trésor, l’amour avec un grand A, mais cette recherche sera difficile ; Elle croisera Severo Bracamonte qui recherche l’or et les pierres précieuses de Morgan et qui réussit avec Serena de lancer la plantation de rhum dans la modernité du XXe siècle.

Serena sauvera une jeune enfant des flammes et la nommera Eva Fuego, dont le destin à la fois grandiose et tragique épousera celui de son propre pays et constituera la deuxième moitié du livre, la plus réussie à mon avis !

Quant au trésor ! Et bien, il est là. On le découvre à un moment donné du roman mais il n’est qu’un prétexte.

Miguel Bonnefoy, en vérité, raconte par ce court roman, par cette fable, ce conte, les mirages, les bénédictions et les maléfices qu’un trésor peut apporter au peuple qui le découvre. Cette fable se rapporte à son propre pays le Venezuela et le trésor c’est l’or noir, le pétrole qui apporte bénédiction et malédiction à sa patrie et à son peuple.

Comme c’est un conte, l’auteur va donc à l’essentiel. Pas de description, pas de décor, pas d’explication, pas de message. Juste les personnages qui vivent leur rêves, leurs amours, leurs folies, leurs malédictions dans un lieu que notre imagination construit à coup de mots évocateurs : rhum, canne à sucre, caraïbes, plantation, etc.

Si on recherche une saga familiale, il faut passer son chemin, ce n’est pas ici le propos. C’est en revanche, une très belle fable sur la nature humaine, ses passions et ses tragédies, en quelques tableaux très évocateurs, en peu de mots, cette lecture nous fait quand même réfléchir sur ce que peut-être un véritable trésor pour chacun de nous et sur ce que nous en ferions.

Le style de Miguel Bonnefoy est celui d’un nouvelliste. Il va droit à l’essentiel. Peu de dialogues. C’est rythmé avec des chapitres courts pour un roman court. Et cette brièveté, lié à ce style est une qualité. Pas sûr que j’aurai apprécié une dilatation de ce récit autant que je l’ai aimé dans cette version coup de poing.
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Héritage

Comme dans Sucre noir, je me suis laissé embarquer par Miguel Bonnefoy dans Héritage et je ne l’ai pas regretté car le style de ce jeune auteur est toujours aussi riche et prenant.

Héritage est une histoire d’exil et de retour, de transmission et de lutte, mêlant fantastique et imaginaire à la plus terrible réalité, le tout basé sur l’histoire familiale de l’auteur.

Détruit par le phylloxéra, le père de Lazare Lonsonier avait quitté son Jura natal et son exploitation viticole anéantie. Il était parti pour la Californie avec trente francs en poche et un cep de vigne, à la fin du XIXe siècle. Le canal de Panama n’existant pas à l’époque, il fallait faire le tour par le détroit de Magellan, au sud de l’Amérique. Il n’arriva jamais en Californie car il débarqua à Valparaiso à cause d’une fièvre typhoïde sévissant à bord. Comme il dit venir de Lons-le-Saunier, le préposé à l’immigration crut qu’il s’appelait Lonsonier.

Ainsi débute une épopée familiale faite de rencontres et d’événements extraordinaires. En 1914, les fils des Lonsonier – Lazare, Robert et Charles – décident de traverser l’Atlantique dans l’autre sens pour venir se battre pour la France. Hélas, seul Lazare reviendra à Santiago, un poumon en moins, en décembre 1918.

Petit à petit, les rencontres se font avec tous les personnages du roman. Ce sont toujours des êtres hors du commun comme El Maestro, Etienne Lamarthe, venu de France avec une quantité d’instruments à vent et allant jusqu’à créer un orchestre symphonique à Limache, dans la province de Maya Marga. Sa fille, Thérèse, épouse Lazare. Férue d’ornithologie, elle crée une impressionnante volière et accouche en public de Margot qui ne trouve le sommeil qu’au milieu des oiseaux.

Il y a aussi un sorcier Mapuche, Aukan, qui intervient de temps à autre pendant que Lazare monte une étonnante fabrique… d’hosties. Il est secondé par Hector Bracamonte qui avait essayé de le voler…

Au contact des oiseaux, Margot n’a qu’une idée en tête : les imiter. Elle construit un avion aidée par un nouveau personnage : Ilario Danovsky. Le temps passe. La Seconde guerre mondiale motive Margot et Ilario qui s’engagent dans les forces aériennes en Angleterre. Il y a aussi un certain Helmut Drichmann, un fantôme bien réel et l’enfant de Margot qu’elle nomme Ilario Da en souvenir d’Ilario qui a disparu lors d’un combat aérien.

Au Chili, c’est l’effervescence. Les idées révolutionnaires émergent. Les débats sont animés. Ilario Da se passionne pour la politique. Enfin, Salvador Allende est élu en 1970 ! Le peuple chilien peut profiter des richesses du pays mieux partagées.

Hélas, la CIA et un certain Henry Kissinger poussent l’armée au coup d’État et commencent alors les pages les plus terribles du roman. Miguel Bonnefoy est d’un réalisme impressionnant pour faire ressentir l’oppression, l’emprise de la dictature, ses méthodes et ses tortures abominables. Comment des êtres humains, au Chili comme ailleurs, peuvent-ils infliger de pareils sévices à leur semblables ?

Tout cela est dénoncé et cela se répète encore mais en lisant ces lignes si bouleversantes, je pense à la chanson de Julos Beaucarne, « Lettre à Kissinger », qui rappelle que, dans le stade Chile, le 15 septembre 1973, des soldats ont tranché les doigts du chanteur et poète Victor Jara, à la hache. Malgré tout, il a entonné le chant de l’Unité populaire repris par tous les prisonniers entassés là. D’autres artistes lui ont rendu hommage comme Los de Nadau, Michel Buhler, Pierre Chêne, Christy Moore, Jean Ferrat, Gilles Servat, U2… Je n’oublie pas Pablo Neruda et tant d’autres innocents martyrisés que le livre de Miguel Bonnefoy ramène à nos mémoires.


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Héritage

“....lorsque les indigènes mâchaient l'ibadou, ils parvenaient à monter dans les airs jusqu'à atteindre quatre mètres du sol “,

Eh bien avec le dernier livre de Bonnefoy inutile de mâcher l'ibadou, on y monte tout seul et même plus haut ! Il y atteint le summum de l’épique et du romanesque, où les oiseaux donnent le premier envol, suivi par Margot, avec qui on ne redescend plus sur terre.....jusqu'à l'avènement de la dictature de Pinochet.

C'est son troisième livre que je viens de lire et le charme de la forme et du fond est toujours là, c'est un conteur hors paire. Une saga qu'il débute en France, et continue au Chili, avec deux brèves incursions au pays d'origine pendant la Première et Deuxième Guerre Mondiale, un saut en Ukraine pour une autre branche de l'histoire, pour retourner au Chili, un pays, une époque où l'on pouvait tout tenter, même devenir millionnaire en fabriquant de l'hostie.....

En mélangeant les deux cultures, européenne et sud-américaine, il entremêle habilement les histoires de divers familles sur trois générations dont les rejetons finiront par se croiser. On aura même droit à un fantôme, en plus un fantôme qui.....sans compter sorcier et « psychologiste », un vieillard de 118 ans et le légendaire Michel René, « l'héritage » que nous réserve l'auteur comme bonus surprise pour la fin.....Bonnefoy excelle dans l'imaginaire.

Un excellent livre de la rentrée littéraire 2020 que je conseille vivement !
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Héritage

Fin du XIXème siècle, un vigneron du Jura ruiné par le phylloxera quitte le pays. Il embarque à destination de la Californie avec un cep de vigne sain dans la poche et, souffrant de fortes fièvres, le capitaine du navire le débarque à Valparaiso au Chili, dont il ignore totalement la langue. Quand un agent lui demande son nom, lui, pensant avoir deviné la question, répond Lons-le-Saunier et c'est ainsi que vient de naître la lignée des Lonsonier. Une nouvelle vie commence. Il épouse Delphine Morizet, le couple s'installe à Santiago et ils auront trois garçons qui partiront se battre pour la France en 1914, lors de la première guerre mondiale. Seul Lazare reviendra.

C'est ainsi que Miguel Bonnefoy raconte dans Héritage, la saga d'une famille sur quatre générations, des débuts de la IIIe République à la dictature de Pinochet, en 200 pages seulement, mais de telle manière que j'en suis ressortie époustouflée. Époustouflée par le talent de conteur de ce jeune auteur. Un mélange d'imaginaire, de fantastique parfois, nous plonge dans un récit merveilleux aux mille couleurs, aux mille senteurs. Mais pour autant, la réalité est là, présente, la réalité historique avec la Première et la deuxième Guerre mondiale ainsi que la dictature de Pinochet. Les blessures physiques n'épargneront pas les membres de cette lignée mais l'écrivain insistera beaucoup sur les blessures morales que vont engendrer ces événements et les cas de conscience auxquels ils ont été confrontés.

J'ai eu l'impression de lire une fable, un conte de fées exotique avec des hommes et des femmes dont j'ai admiré la force, le talent, le génie, des personnes audacieuses, éprises de liberté, pleines de rêves. J'ai malheureusement dû aussi côtoyer la barbarie avec les deux guerres, mais encore plus atrocement avec les arrestations arbitraires en masse et les tortures inqualifiables pratiquées dans les geôles chiliennes.

Sans cacher la cruelle réalité historique, et au contraire, en montrant précisément les dégâts psychologiques qu'elle a pu engendrer, c'est avant tout un récit lumineux, dextrement poétique et imaginatif, parfois un peu fou, dans lequel les figures féminines sont particulièrement belles et puissantes que Miguel Bonnefoy nous donne à découvrir.

C'est un magnifique voyage sur les deux continents qu'il m'a été donné de lire, une véritable épopée, un livre lumineux que je verrais bien devenir un film. Je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher de penser à Kusturica, le jour où Margot tente de faire décoller son avion et qu'arrive son grand-père El Maestro avec sa fanfare (un merveilleux moment de poésie !).

Héritage : un roman entre rêve et réalité, une ode au métissage, à la fusion des cultures et à l'humanisme.

Ayant eu la chance de rencontrer cet écrivain aux Correspondances de Manosque, les qualités de son oeuvre sont à la hauteur de cet homme, chaleureux, simple et lumineux presque envoûtant, ensorceleur. Il parle aussi bien qu'il écrit et inversement.

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L'Inventeur

°°° Rentrée littéraire 2022 # 16 °°°



Miguel Bonnefoy quitte ses habituels horizons latino-américains pour s'essayer à l'exofiction et sortir de l'ombre Augustin Mouchot ( 1825-1912 ) pionnier de l'énergie solaire, totalement effacé de notre mémoire scientifique alors qu'il avait inventé un machine miraculeuse, sorte de réflecteur parabolique flanqué d'une chaudière en verre cylindrique alimentant une machine à vapeur.



On en sait très peu sur sa vie, il n'y a même qu'une seule photographie de lui qui a été répertoriée. Il a connu une gloire éphémère, rencontrant l'empereur Napoléon III qui s'est montré intéressée par ses travaux qui auraient pu fournir à l'armée française des fours solaires légers et mobiles, puis exposant son invention lors de l'exposition universelle de 1878 où il a fortement impressionné les foules en fabriquant de la glace avec de l'énergie solaire. Après c'est la chute, l'avénement de l'ère du charbon ( plus rentable ) et du capitalisme ruinant ses projets.



S'appuyant sur quelques jalons, l'auteur tente de remplir les vides par la fiction sans que son récit ressemble à une biographie classique, plutôt un conte rendant hommage au génie humain et scientifique sans pour autant tomber dans l'écueil de l'exposé technique trop pointu.



Michel Bonnefoy est un conteur, un vrai. La vivacité de sa narration embarque, alterne les ambiances. le récit finit comme du Zola lorsque Augustin Mouchot sombre dans une misère épouvantable à la fin de sa vie alors qu'il avait commencé dans une évocation d'une enfance malheureuse presque drolatique, l'enfant Mouchot attrapant toutes les maladies possibles et passant ces premières années quasi totalement alités, laissant un mot sur son lit, au cas où  : « Bien que j'en aie l'air, je ne suis pas mort. »



La plume virevoltante de l'auteur fait merveille, pleine de couleurs, de textures et de verve malicieuse, excellant dans les descriptions de personnages secondaires truculents comme l'empereur Napoléon III :



« A la place d'un empereur majestueux, portant la moustache la plus célèbre d'Europe, il vit paraître un vieillard mafflu, fatigué par le pouvoir, miné par les malheurs, une canne à la main, accompagné d'un chien saturnien offert par l'un de ses chambellans. Les jambes molles, comme anéanti, le front bas, il contemplait de ses yeux pâles quarante ans de gloires et de désastres. Il ne ressemblait en rien à un Bonaparte, mais plutôt à un vieux loup essoufflé, à la santé écorchée, qui avait douloureusement survécu aux crises de rhumatismes et aux coliques néphrétiques, et qui ne revenait pas de l'ermitage de Villeneuve-l'Etang, mais d'une cure à Vichy où les eaux minéralisées et alcalines lui avaient enflé un calcul dans la vessie gros comme un brugnon. »



Concernant Mouchot, c'est le paradoxe du personnage qui intéresse Miguel Bonnefoy. On s'étonne qu'une créature aussi malingre, timide, dépourvue d'éloquence et de charisme, s'épuise obsessionnellement à vouloir conquérir le plus grand et puissant des astres, lui l'homme de l'ombre tourné vers le soleil. le pulpeux de l'écriture répond au métallique et rigide de la personnalité d'Augustin Mouchot.



Mais voilà, toutes ses qualités n'ont pas suffi à enchanter ma lecture. Les deux derniers romans de Miguel Bonnefoy ( Sucre noir, Héritage ) m'avaient enthousiasmée. Cela n'a pas été le cas avec L'Inventeur. Même si la lecture a été agréable, rien ne m'a marqué. J'ai même trouvé la partie fin de vie bien longue, alors que le roman ne fait que 200 pages bien serrées. En fait il m'a manqué quelque chose de l'ordre de l'empreinte émotionnelle, la triste vie d'Augustin Mouchot ne m'a jamais touchée. de plus, la force des précédents textes de l'auteur était son recours à un réalisme magique très joyeux … abandonné ici. Finalement, j'ai trouvé son habituel sens de la fantaisie trop bridée et lissée, trop contrôlée pour me faire chavirer et m'embarquer. Déçue donc, j'avais trop d'attentes.



Lu dans le cadre du Prix du roman FNAC 2022

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Sucre noir

Que vaut tout l’or du monde si le cœur reste sec ? Que vaut l’or du monde quand l’amour se fait géant des mers ?

Sucre noir est un récit d’évasion multi sensoriel bien étrange qui a le mérite de faire réfléchir surtout après en avoir pris plein les yeux et le nez à force d’images gorgées de soleil et d’odeurs aux parfums d’épices et de rhum.



Un court roman qui parvient malgré sa brièveté à retracer la vie de trois générations autour de la famille Otero qui tourne chacun à leur façon tout près d’un trésor enfoui il y a des siècles. Ça commence par le naufrage d’un bateau pirate, l’histoire s’articule ensuite autour de ce trésor que chacun cherchera pour toucher du bout des doigts des trésors bien plus précieux tel que l’amour.



Si j’ai aimé le fleuve d’images abondantes dans cette histoire, j’émets plusieurs bémols à savoir qu’il m’a été très difficile de m’attacher aux personnages qui apparaissent comme une éclipse flamboyante et filent aussi vite qu’une étoile sur un battement de cil. Le vocabulaire m’a aussi semblé assez ardu, pas toujours évident à cerner. Enfin, trop de mini histoires sans la grande histoire aura eu raison de mon plaisir. Ce livre aura au moins eu le mérite de me sortir de ma zone de confort. J’ai vu des pirates, des poules aux œufs d’or, j’ai parfois fini un chapitre ou l’autre à moitié soûle de tout le rhum qui coule dans les pages, puis je me suis souvent demandée si le bonheur était au bout de cette quête de l’or. La fin je l’ai aimée pour les réponses qu’elle m’a apportées.



Je relirai certainement cet auteur qui détient une très jolie plume onirique sur des berges un peu mystiques, un peu à part. On a raison de dire que Michel Bonnefoy est un conteur. Il a l’art de nous faire voyager et de nous en mettre pleins les yeux.
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Sucre noir

« Le jour se leva sur un navire naufragé, planté sur la cime des arbres, au milieu d'une forêt. C'était un trois-mâts de dix-huit canons, à voiles carrées, dont la poupe s'était enfoncée dans un manguier à plusieurs mètres de hauteur. A tribord, des fruits pendaient entre les cordages. A bâbord, d'épaisses broussailles recouvraient la coque. »



Ce sont les premières phrase, fixant l' image extraordinaire de cette frégate de flibustier perché en pleine mangrove dans les Caraïbes, celle du célèbre pirate britannique, Henry Morgan, avec un trésor à bord. Miguel Bonnefoy convoque l'imaginaire collectif de la piraterie en le croisant avec celui de la forêt, magnifique collusion terre-mer qui surprend et charme d'emblée.



Le premier chapitre introduit de façon très astucieuse la suite du récit. Le deuxième chapitre puis les suivants propulsent trois siècles plus tard, dans le village où le bateau pirate est tombé de sa cime, enfouissant son trésor. Les images de ce bateau perché, du vieux pirate agonisant, perdureront dans tous les chapitres, jamais le lecteur n'oublie qu'il y a un trésor, là quelque part, à portée de la famille de planteurs, les Otero qui vit dans ce village.



Derrière la maitrise de la narration, on devine que Miguel Bonnefoy vient de l'univers de la nouvelle. Chaque chapitre est construit comme une nouvelle, avec une chute qui permet d'introduire le chapitre suivant, créant une structure narrative en petites boucles qui se déploient en seulement deux cent pages sur plusieurs décennies. En quelques phrases, il sait dessiner un univers atemporel et universel que l'on n'a plus envie de quitter.



Et puis il y a ces deux personnages féminins absolument superbes : Serena Otero et sa fille Eva Fuego. Serena, on la découvre adolescente, néo-Emma Bovary qui refuse de s'effacer derrière ses ternes parents, qui rêve à d'autres horizons, suffisamment forte pour faire passer des messages à la TSF en espérant que le monde lui réponde et s'ouvre à elle : «  Maria Dolores annonce qu'elle a noyé son coeur dans un tonneau de rhum. Récompense à qui viendra le boire » y dit-elle comme une bouteille à la mer.



Sa fille, Eva Fuego, fait irruption dans la deuxième moitié, apparition quasi magique d'un bébé sauvé des flammes. De sa flamboyante naissance, elle semble porter en elle une malédiction biblique ( référence métaphorique à la découverte destructrice du pétrole au Vénézuela d'où est originaire l'auteur ), enfant sauvage devenant une autocrate redoutée, prospère, vivant dans la démesure.



L'écriture pleine de vie et de sensualité brille dans la description des personnages, entre métaphores subtiles et licences poétiques réussies. Elle parvient à créer des images aussi fortes que celle du bateau pirate échoué en pleine forêt, comme celle de la petite vieille, ancienne propriétaire de la propriété des Otero, qui revient tous les 1er novembre honorer la mémoire de son mari décédée dans une pièce condamnée dont elle a seule l'accès, arrivant ainsi avec un seau vide à remplir de larmes.



Ce roman a un charme fou, entre légende très incarnée et Conte philosophique sur le sens à donner à sa vie, en quête d'un trésor dont il revient à chacun de trouver la définition. Emplie de réalisme magique, il a du souffle et du coeur, le talent de conteur de Miguel Bonnefoy laissant l'imaginaire du lecteur courir au-delà des mots.
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Le Voyage d'Octavio

Octavio est un jeune homme solide qui vit seul à Saint-Paul-de Limon, mais il ne sait ni lire, ni écrire. Venezuela, une jeune femme comédienne dont il va tomber amoureux, va lui ouvrir un autre monde en lui apprenant à lire et à écrire. Il va ainsi découvrir la magie et le pouvoir des mots.

Don Octavio travaille également pour Rutilio Alberto Guerra, dit Guerra. Celui-ci, à la tête d'une bande de brigands chevaleresques s'est installé dans une vieille église désaffectée, au coeur du bidonville. Un cambriolage est décidé au domicile de sa bien-aimée, et Octavio n'aura plus d'autre choix que de la quitter et partir sur les routes.

Avec le voyage d'Octavio, Miguel Bonnefoy nous conte une histoire simple qui se révèle une superbe épopée, une sorte de fable, où la nature occupe une grande place. C'est la découverte d'un pays le Vénézuela, depuis ses origines, et de ses habitants. Son écriture imagée et chatoyante nous emporte dans un tourbillon de vie et de féérie.

Pour ce premier roman. l'auteur de nationalité vénézuélienne et française, ayant remporté le Prix du jeune Écrivain en 2013 pour sa nouvelle intitulée Icare, nous emmène dans un voyage merveilleux plein de poésie et d'amour mais aussi d'action au cours duquel ce jeune Octavio va découvrir la magie des mots, comme nous d'ailleurs.


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Héritage

Déracinés…des elles.

D'ordinaire, je fuis les sagas familiales comme les téléfilms de Noël. En littérature, je suis plutôt amateur des bûcherons d'arbres généalogiques, de ceux qui bouturent les champs du voisin. Les soirées diapos pour admirer les photos jaunies d'ancêtres à moustache ne me passionnent guère. C'est comme cela, je n'ai pas la nostalgie génétique.

La fresque de Miguel Bonnefoy vient de me réconcilier avec le genre. Il conte de façon très poétique, dans un style qui flirte parfois avec un onirisme exotique qui n'est pas sans rappeler « Cent ans de solitude », le destin tourmenté d'une famille de pigeons voyageurs, d'aventuriers autant attachés à leur terre d'accueil qu'à leur patrie.

L'histoire débute vers 1870, dans le Jura. Un vigneron, ruiné par le phylloxéra, puceron alcoolique, quitte la France pour la Californie, un pied de vigne comme seul bagage. Comme il vient de Lons-le-Saunier, il est rebaptisé Lonsonier par le service d'immigration qui le débarque au Chili. Heureusement qu'il n'était pas originaire d'Arnac La Poste, de Bourg-Madame ou de Crotenay. Because fièvre typhoïde, ce n'est pas la Californie de Julien Clerc qui l'accueille, c'et un Chili sin Carne mais avec une terre accueillante.

La lignée des Lonsonier est donc née d'un double malentendu, ce qui me l'a rendu tout de suite bien sympathique.

L'auteur nous raconte ensuite le destin des trois générations suivantes en moins de 250 pages. Un romancier américain nous en aurait fait un pavé de 1000 pages, un anglais se serait lancé dans une trilogie et un mormon aurait élaboré une arborescence aux milles ramifications.

Le premier fils, Lazare, va s'engager et combattre en France avec ses deux frères lors de la première guerre mondiale. Il va y laisser un poumon, beaucoup d'illusions et reviendra presque seul, en compagnie du fantôme d'un soldat allemand.

La fille de Lazare, Margot, rêve d'aviation et partira à Londres pour la seconde guerre mondiale. A son retour, les ailes brisées, elle mettra au monde, IIlario, partisan du président Salvatore Allende, qui connaîtra les geôles chiliennes du général Pinochet, comme le père chilien de l'auteur.

Les personnages de Miguel Bonnefoy sont flamboyants, hommes et femmes égaux dans l'audace, le courage, la mélancolie et ce récit parlera aux déracinés de tous les continents, aux nostalgiques des terres d'origine. L'esprit de clocher à l'échelle planétaire.

Si son précédent roman, « Sucre noir », était une friandise, irrésistible chasse aux trésors à la Stevenson, « Héritage » reste un roman d'aventure, mais mariné dans l'exotisme magique des auteurs sud-américains.

Un roman bilangue, qui raconte des époques sombres de l'histoire mais dont la prose jubilatoire colore les vieux albums photos.

Un très bon cépage.

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L'Inventeur

Quel bel hommage aux livres que cette biographie romancée d’Augustin Mouchot (1825-1912), pionnier de l’énergie solaire !



La fragile constitution d’Augustin et sa curiosité incitent ses parents, modestes artisans bourguignons, à le mettre à l’école où il est reçu bachelier ès lettres en 1845, devient maitre d’études à Arnay-le-Duc, Autun, Dijon, puis professeur suppléant de mathématiques au lycée d’Alençon en 1860. Il loue un appartement rendu vacant par le décès accidentel du Colonel Buisson et y trouve une bibliothèque dotée d’une centaine de livres scientifiques.



Ces livres lui révèlent les travaux de Claude Pouillet, Jean-Dominique Cassini , Cornelis Drebbel, Buffon, Archimède et surtout ceux d’Horace Bénédicte de Saussure sur l’énergie solaire. Augustin se lance sur leurs traces et, de façon empirique, conçoit diverses machines, dépose le brevet de l’héliopompe en 1861, expose à l’Exposition universelle de Paris en 1878 un générateur relié à une machine produisant de la glace.



Il devient célèbre du jour au lendemain « Tout à coup, il n'était plus question du « professeur Mouchot » mais du « savant Mouchot », et la revue de vulgarisation scientifique, La Science pour tous, dans les derniers jours de septembre, déclara, après sa démonstration à la Villa Eugénie, que « si Franklin avait su arracher la foudre au ciel, Augustin Mouchot avait fait mieux, il lui avait arraché la force et l'avait mise gratuitement à notre service ». L'article finissait sur une innocente phrase, assez élégante, soulignant que cette fabuleuse invention manquait toutefois « d'un livre pour la soutenir ». » écrit Miguel Bonnefoy.



Il fallait un livre pour soutenir cette invention, les relations pour la financer, les réseaux pour l’industrialiser, la commercialiser, la rentabiliser … autant de sujets qui motivent peu Augustin Mouchot, mal à l’aise en société. Il rencontre un ingénieur fortuné, Able Pifre, s’associe à lui, et se fait progressivement plumer … en 1882, l’insolateur d’Abel Pifre imprime un journal par chaleur solaire et Augustin Mouchot, finit son existence ruiné au fin fond du XV arrondissement.



Notre moderne Icare s’est brulé les ailes mais sans les livres collectionnés par le Colonel Buisson, jamais Augustin Mouchot n’aurait eu l’idée de lever les yeux vers le soleil et d’y puiser une énergie prometteuse. « Il était un homme d’ombre tourné vers le soleil au milieu d’un siècle lumineux tourné vers le charbon. »



L’inventeur est un récit picaresque, écrit avec emphase, ironie et humour pour peindre une époque et rendre hommage à Augustin Mouchot qui trouva dans ses livres les rayons solaires.
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Héritage

Le père Lonsonier quitta la France à cause du phylloxera. Lazare son fils n'y revint que pour s'engager dans la Première Guerre mondiale. Après cette guerre, dont il avait mesuré la profonde absurdité, de retour au Chili Lazare lia son destin à Thérèse, une femme folle d'oiseaux. Plus tard le couple donna naissance à une passionnée d'aviation, Margot qui, comme son père vingt-cinq ans avant, rejoignit l'Europe pour s'engager dans la Seconde Guerre mondiale. Puis c'est le fils de Margot qui devint un militant d'extrême gauche pro Allende emprisonné dans les geôles de Pinochet. Tout au long de ce siècle belliqueux la lignée déracinée des Lonsonier devait connaître des moments de clartés et de ténèbres, de grandeurs et de décadence. Mais aussi des périodes où certains furent visités par un mort silencieux capable d'assurer sa descendance.



Racontant ces Français du Chili devenus migrants par la force des choses, et qui sont restés français toute leur vie au point de venir se battre en Europe pour une patrie qui n'était plus la leur, Miguel Bonnefoy relate en partie son histoire familiale. Une histoire terriblement romanesque, peuplée de personnages tous plus extraordinaires et passionnés les uns que les autres. de ces hommes et femmes libres dans leur coeur que leurs choix n'ont pas toujours comblés, mais qui sont allés jusqu'au bout de leurs convictions, Miguel Bonnefoy en merveilleux conteur leur donne une vie et une épaisseur exceptionnelles. Il nous emporte par la force de ses mots, minutieusement choisis, aussi bien dans les remous de l'Histoire que dans leur trajectoire. La beauté singulière de son oeuvre venant sans aucun doute de cet héritage teinté d'une magie prégnante qu'il lui échut.



« ... Ilario Da se leva avec le désir irrépressible de raconter ... Ses premières phrases, composées d'abord pour le distraire, devinrent une source de plaisir, puis une forme de nécessité. À peine eut-il commencé à écrire que la cathédrale de son esprit se peupla de personnages qui y firent irruption comme dans une fête, formant un pays entier de fables et de batailles, qu'il s'essoufflait à enrichir avec une telle euphorie, une telle facilité, qu'il noircissait la page suivante sans avoir fini la précédente. »

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Héritage

Chassé du Jura par le phylloxera, Lonsonier s'embarque pour la Californie avec son dernier cep de vigne. C'est finalement au Chili qu'il trouve à replanter ses racines. Lui succèderont trois générations d'une famille qui restera toujours profondément attachée à ses origines françaises, devenues au fil du temps quasi mythiques. Au travers de chacune des deux guerres mondiales puis depuis les geôles de Pinochet, fils, petite-fille et arrière petit-fils vivront chacun dans leur chair cet indéfectible attachement qui, inexorablement, modèlera leur destinée, pour le meilleur comme pour le pire.





Sa brochette de personnages, au pittoresque quasi surréaliste, donne à cette histoire une coloration originale et inoubliable. C'est dans un émerveillement tendre et amusé que le lecteur s'attache tour à tour au Maestro qui débarque de France avec les instruments d'une fanfare entière et initie tout un village à la musique, à Lazare le Poilu revenu des tranchées avec un fantôme, à Thérèse l'ornithophile qui vit pour sa fantastique volière, à Margot l'intrépide aviatrice prête à tout pour voler, à Ilario Da le révolté pro-Allende, sans oublier le mystérieux chaman mapuche Aukan qui traverse le récit comme pour souligner la magique fatalité qui semble gouverner leur existence à tous.





Le fil rouge qui lie ces personnages est leur dualité d'exilés et les dilemmes qu'elle engendre, au travers d'un héritage au contour flou et fantasmatique mais qui ne cesse d'infléchir leurs destins individuels : les racines qui les attachent à la France, comme un atavisme contre lequel il est vain de lutter, une attraction magnétique et magique à laquelle obéissent d'ailleurs jusqu'aux concours de circonstances, tels les involontaires changements de patronymes qui encadrent comme deux coups de clap le départ de Lonsonier et le retour d'Ilario Da.





Le terrible séjour de ce dernier dans les geôles de Pinochet, rédigé d'après le récit des tortures subies par le père de l'auteur avant sa fuite pour la France, constitue sans doute le point culminant du roman, en tout cas l'ultime point de rupture qui fera se refermer la boucle du curieux destin de cette famille.





Cette saga qui, par un vrai tour de force, ne tient qu'en deux cents pages, est une petite merveille savamment ciselée, qui, de rêves enthousiastes en confrontations traumatisantes aux grands drames du siècle dernier, nous conte l'exil, le déracinement, et l'indéfectible lien aux racines.


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L'Inventeur

Antoine Mouchot (1825 – 1912) est le dernier fils d'un serrurier bourguignon. de trop faible constitution pour envisager un métier manuel, il se résigne à enseigner et, devenu professeur de mathématiques à Alençon, découvre par hasard, dans la bibliothèque de la pension qui l'héberge, le livre qui va bouleverser sa vie. Fasciné par le principe de la marmite solaire qu'y décrit un physicien genevois, il se prend à rêver de maîtriser l'énergie du soleil, se lance dans ses propres expériences et invente le premier moteur solaire : une petite machine à vapeur alimentée par une chaudière en verre reliée à un réflecteur parabolique.







Mais, aussi géniale soit-elle et même si elle lui vaut son heure de gloire – l'attention de Napoléon III, la reconnaissance de ses pairs et l'émerveillement du public quand, à l'Exposition Universelle de Paris en 1878, il produit un bloc de glace à partir de la chaleur solaire –, son invention n'intéresse pas les industriels de l'époque. le charbon est alors abondant et peu coûteux, le soleil incertain et l'exploitation de son énergie pas assez rentable. Notre homme aura beau persister dans son obsession, se brûler les rétines en Algérie où il a choisi de développer ses expérimentations, il finira misérable et oublié, volé par son ancien associé, grabataire séquestré dans un taudis par une épouse aux allures de Thénardière.







Le paradoxe est cruel et nourrit le roman de Miguel Bonnefoy : l'invention brillante a laissé dans l'ombre le peu charismatique Antoine Mouchot. L'homme terne et maladif, habité par l'idée fixe de dompter le soleil, s'y est brûlé les ailes et jusqu'à sa postérité. de sa personnalité l'on ne connaît plus rien et, aucun livre ne lui ayant jamais été jusqu'ici consacré, ce sont les indices glanés en fouillant l'océan documentaire de diverses archives qui ont permis à l'écrivain de ressusciter par la fiction la réalité du personnage.







Romanesque à souhait, la narration chamarre sa trame biographique des chaudes couleurs et de la lumière éclatante qui éclaboussent un temps la timide silhouette étonnée de l'inventeur, avant de la rendre, plus grise, plus solitaire et plus délabrée que jamais, à l'ombre froide de l'oubli et de la misère. Et tandis que la verve de l'auteur nimbe chacun de ses tableaux, tantôt d'une once de réalisme magique, tantôt d'un lyrisme flamboyant, multipliant les hommages à la littérature du XIXe siècle au travers de scènes que n'auraient pas désavouées Jules Verne, Victor Hugo ou Emile Zola et jouant de connivence avec le lecteur qui saura repérer les facétieuses connections que quelques savoureux personnages secondaires établissent avec ses romans précédents, c'est une sorte de conte historique merveilleusement fantasque, aux consonances quasi mythologiques - prométhéennes ou icariennes -, que nous livre ce magnifique portrait d'un si peu solaire conquérant du roi des astres.







L'on referme ce livre enchanté et troublé d'y avoir côtoyé, d'une aussi belle manière, un génie resté dans l'ombre pour s'être trouvé trop en avance sur son temps. Coup de coeur.


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Héritage

Des coteaux jurassiens aux terres hospitalières de Santiago du Chili, Miguel Bonnefoy offre en "Héritage" une saga familiale et historique nichée entre deux cultures, une fiction où s'insinuent quelques fragments authentiques de sa propre lignée franco-chilienne.



La dénomination de « saga » peut surprendre, attendu que ce roman se déploie sur 250 pages seulement. L'auteur y fait preuve effectivement d'un réel talent pour parvenir à conter l'épopée de quatre générations sur un siècle d'Histoire. Toutefois, pour moi, cette concision aura un peu trop bridé l'ampleur et le souffle que j'attendais précisément d'une saga, ainsi que la consistance des personnages auxquels je regrette de n'avoir pu m'attacher suffisamment.



Il n'en reste pas moins que l'imaginaire et la plume élégante de Miguel Bonnefoy méritent à eux-seuls une incursion dans cette légende au réalisme onirique typique de la littérature sud-américaine.



Quant aux intentions de l'auteur, elles s'avèrent également aussi engagées que respectables : « Il s'agissait de montrer que lorsqu'on ouvre ses frontières, lorsqu'on ouvre son regard, lorsqu'on ouvre ses bras, on peut sans doute cultiver, alimenter sa culture, et non pas se restreindre, se castrer de l'ailleurs... »



Un récit universel à découvrir donc, ne serait-ce que pour se souvenir en particulier qu'à une époque, «des Français ont été des migrants, eux aussi».




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L'Inventeur

Un illustre inconnu.

Augustin Mouchot n’a pas inventé la poudre. Le modeste professeur de mathématiques de province a fait mieux, mais l’histoire l’a oublié.

Outre le fait de détenir le record mondial de pathologies qui pourrait en faire un lointain cousin du Docteur Maboul, l’inventeur a développé une machine à vapeur baptisée Octave (clin d’œil au premier roman de Miguel Bonnefoy qui s’intitulait le voyage d’Octavio) pour capter l’énergie solaire.

Oublié par la postérité mais reconnu par Napoléon III en son temps et cité à l’exposition universelle en 1878, il parviendra à réaliser un bloc de glace grâce à l’énergie solaire. Il avait réalisé le miracle de faire du froid avec du chaud. D’ailleurs, ce Tournesol de l’UV était lui-même un personnage austère aussi avenant qu’un glaçon et il consacra sa vie à essayer de capter les rayons du soleil. Les opposés s’attirent.

Dans certaines civilisations ou à d’autres époques, Augustin Mouchot serait devenu un dieu adulé ou un sorcier à plumes redouté pour sa découverte révolutionnaire, un Elon Musk de la pierrade avec des marques de crème solaire à son nom effigie qui enverrait des touristes milliardaires bronzer plus vite à proximité du soleil.

Hélas, la lumière du génie était tamisée par un manque de charisme et un sens inversé des affaires. L’ère du charbon coupa définitivement les ailes de cet Icare de laboratoire et comme l’époque n’était pas aux considérations écologiques, le pauvre inventeur retomba dans l’oubli avec tout son attirail pourtant plein de promesses. Il tenta de s’expatrier en Algérie pour optimiser son invention dans le désert avant de finir sa vie dans l’anonymat auprès d’une vieille femme débonnaire.

Les biopics de scientifiques célèbres ou oubliés et plus ou moins illuminés ne manquent pas depuis quelques années. Je n’ai pas été transporté par celle-ci. Au contact de ce personnage un peu falot, la plume de Miguel Bonnefoy a perdu un peu de son exotisme par rapport à "Sucre Noir" ou "Héritage", ses deux derniers romans, un peu comme si Gauguin avait abandonné ses couleurs et les formes généreuses pour des tracés épurés à l’encre de chine.

La figure de l’inventeur réel ou fictif est romanesque si elle fricote avec la folie et l’aventure. C’est pour cela que j’avais adoré "Là où les tigres sont chez eux" de Jean-Marie Blas Robles avec son Athanase Kircher ou bien "Peste et Cholera" de Patrick Deville qui raconte Yersin.

Ici, j’ai trouvé que l’auteur avait réservé sa verve aux personnages secondaires ou historiques et peu au contexte de l'époque. Il m'a donné l'impression d'avoir retenu ses exubérances , dresser son humour, pour respecter son devoir de mémoire, à l’exception toutefois d’un passage savoureux où la démonstration de l’inventeur est gâchée par un caprice de la météo. Les intermittences des énergies renouvelables.

Mouchot était un rat de laboratoire dans l'âme et si sa soif de reconnaissance et ses désillusions donnent un peu de chair au personnage, il n'était pas aisé de le rendre romanesque.

Ce récit a néanmoins le mérite d'être instructif, de faire connaître ce destin oublié et de se lire très facilement. Une façon aussi de rappeler son bon souvenir aux dictionnaires.















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Sucre noir

Le livre s’ouvre sur un mirage fabuleux : drossé sur la canopée d’une forêt bordant la mer des Caraïbes, un trois-mâts sombre lentement sous les vagues vertes d’une vorace végétation tropicale, emportant dans une éternité de fantasmes sa cargaison d’or et de pirates, parmi lesquels le légendaire et cruel capitaine de flibuste Henry Morgan. Trois siècles plus tard, les pauvres paysans du coin, venus s’échiner à rendre cette terre cultivable pour la canne à sucre, observent avec curiosité le va-et-vient des chasseurs de trésors, attirés par les rumeurs parvenues jusqu’en ces années 1900.





C’est ainsi que, pour le plus grand bonheur de leur fille Serena, désespérée de sa solitude sur cette terre qui manque d’hommes à marier, les Otero se retrouvent à héberger sur leur petite plantation le jeune aventurier Severo Bracamonte, bien décidé à mettre la main sur le fameux trésor perdu. Faute d’or sonnant et trébuchant, le nouveau couple se verra comblé par l’adoption d’un bébé sauvé des flammes qu’ils baptiseront Eva Fuego, sans savoir à quel point ce prénom s’avérera prédestiné. Sous la férule de fer d’Eva devenue femme, la plantation, assortie d’une rhumerie réputée, entraînera dans son développement toute l’économie de la région, jusqu’à ce que, par un terrible retour de bâton, toute cette richesse née d’une monoculture implose littéralement, ramenant le village devenu ville à sa pauvreté initiale.





Multipliant les clins d’oeil au grand Gabriel Garcia Marquez, son réalisme magique et son célèbre Cent ans de solitude, la plume elliptique et poétique du franco-vénézuelien Miguel Bonnefoy nous emporte dans un récit flamboyant, richement métaphorique. Dans ce village, brutalement ramené à sa misère originelle après un enrichissement fulgurant venu d’une manne miraculeuse, se reflète l’histoire du Venezuela et de son, non pas sucre, mais or noir, tandis que la chasse à de multiples trésors, menée chacun à sa façon par les différents personnages, illustre ironiquement combien, souvent, l’on court vainement chercher au loin le bonheur qui s’offrait à portée de main.





Miguel Bonnefoy excelle à faire tenir dans ses formats courts des récits colorés, à la fois fables et sagas historiques, offrant plusieurs niveaux de lecture et l’accès à ce qui, au fil de son œuvre, construit peu à peu un univers particulier.


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Le Voyage d'Octavio

Don Octavio habite un bidonville et vit de petits métiers obscurs, parmi eux, Octavio fait le ménage dans une église désaffectée, ancien lieu du miracle qui avait fait reculer la peste - introduite au Venezuela par un bateau en provenance de Trinidad le 20 août 1908 -, aujourd'hui repaire de voleurs de haut vol.



Un jour le chemin de l'homme au physique de colosse, qui ne sait ni lire ni écrire et devait quitter le monde sans descendance, croise celui de Venezuela, une femme élégante et distinguée, plus âgée que lui. Actrice, elle avait joué à Caracas des vaudevilles et des tragédies. Elle prit plaisir à se promener avec lui et à lui apprendre à lire. Une révélation pour Octavio : « Quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter, et qu'il ressentit l'émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts. » Ainsi avec Venezuela, Octavio connaît le bonheur de lire et d'aimer, mais un événement va l'obliger à fuir - l'occasion pour lui de faire des rencontres et de découvrir son merveilleux pays.



Un très beau roman épique, plein de poésie et de lyrisme, qui, à travers le parcours d'un homme pauvre et illettré, raconte la réalité économique d'un pays qui a tout misé sur le pétrole, mais dont l'identité repose encore sur les croyances dans ses légendes et ses mythes fondateurs : « ... nous, les Vénézuéliens où que nous soyons, nous sommes toujours des enfants d’un mythe. ... Chaque peuple a sa plaie fondatrice : la nôtre est dans l’effondrement de notre histoire. Nous avons dû nous tourner vers le mythe pour la reconstruire. »
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L'Inventeur

Il était terne et taciturne, apathique et taiseux. Souffreteux aussi, bien que résistant à toutes les maladies. En fait, nul n'aurait imaginé derrière cette fragilité déjouant tous les sombres pronostics et ce visage sans grâce, le brillant inventeur qu'allait devenir Augustin Mouchot. Brillant, mais définitivement ignoré de tous jusqu'à ce que le pétulant et sympathique Miguel Bonnefoy le sorte des limbes. D'abord pour nous instruire sur la découverte de cet étonnant personnage, inventeur d'un système pour l'utilisation de l'énergie solaire. Ensuite pour en brosser un portrait aussi pathétique que réjouissant. Eh oui avec Miguel, conteur hors pair, même les anti-héros déprimants et malchanceux finissent non seulement par attiser notre curiosité, mais aussi nous égayer.



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Jungle

Fin 2014, Miguel Bonnefoy participe à une expédition au Venezuela qui doit l’amener à gravir la montagne de l’Auyantepuy, en effectuer la traversée et descendre en rappel par la gorge du Diable, site de la plus haute cascade du monde .



Son récit, pourtant assez court, consacre une très large part à l’approche des lieux où le voyage va devenir escalade, avec de nombreux détails sur la faune et la flore locales, lesquels, s’ils fournissent d’abondantes informations sur les papillons, les oiseaux, les grenouilles, les populations et même l’histoire d’autres aventuriers qui l’ont précédé, m’ont paru éloigner quelque peu le lecteur du but ultime de l’expédition.



Mais le titre est bien "Jungle" et il fallait sans doute accepter et comprendre tout ce cheminement de Miguel Bonnefoy, alors que j’attendais sans doute avec trop d’impatience, l’atteinte de l’objectif final et cette descente fabuleuse.



Donc, pour moi, une perception mitigée de cette lecture insuffisamment poétique à mon goût, où la narration de l’accessoire m’a quelquefois semblé prendre le pas sur le but principal.

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