Une des modalités du juste-vivre au monde
Hind celle qui filme, Jane celle qui écrit, l’ombre des corps, des silhouettes et les charges des « lendemains endossés sans fatigue, portés sans devenir », les solitudes étranges, les métèques congénitaux, les apatrides divers·es, celles et ceux livré·es au « décret de méduses et de bateaux noyés »…
Les mots et les phrases de Patrick Chamoiseau frappent et résonnent comme comme un longue plainte contre les traitements réservés à certain·es, une rébellion ouverte contre l’ordre du mépris et de la mort, un regard souriant et accueillant envers tous les êtres humains. Des mots rougeoyants et musicaux contre celleux qui pourchassent l’espoir…
Nous sommes ici, contre les lignes imaginaires mais bien meurtrières des frontières, du coté des géographies du vent, des étincelles de sel ou de ciel, du refus du planétaire assombrissement…
L’auteur nous parle, entre autres, de la mort invisible, des frontières, de Lampedusa, de « l’accès au Refuge, de la demande d’Asile et des Droits dits de l’homme », de l’Irak, de la Syrie, de l’Érythrée, de l’Afghanistan, du Soudan, de la Libye, et d’autres artères ouvertes, « je parle de personnes, saigne de nous, saigne vers nous, parmi nous, saigne pour tous », des forces réadmises de l’horreur, de la paix – peu paisible – néo-libérale, (« Ho ! Que les morts massives en Méditerranée nous dessillent le regard ! ») de vies réduites à la consommation et à la consumation, de la barbarie nouvelle, des richesses pourtant surgissant « toujours des industries de tous ! », de ce qui est du à chacun·e dès « son cri de naissance », de l’évidence et de l’enjeu, des résistances, de ceux qui veulent « enchouker à résidence misères terreurs et pauvretés humaines », des démons mercenaires, de celleux arguant d’« identités menacées », de cet Homo sapiens aussi et surtout Homo migrator…
« Là-bas est dans l’ici », l’auteur décline sous différentes formes « le chemin par lequel on frappe l’Autre est le même que ceux-là qui direct touchent à soi ». Il parle de mondialité et de polyrythmie, de présence d’un invisible plus large que notre lieu, de démultiplications de points d’accroche, de « brasillement dans un vrac ténébreux », des autres devenirs, d’accueil, « Kay mwen sé kay-ou tou ! », des forces imaginantes de Droit, des essaims d’images improvisées qui virevoltent comme des lumières en nous, de justice et d’égalité…
Patrick Chamoiseau cite Aimé Césaire : « Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse !… »
Le monde et ses misères sont des régions de nous, l’incertain du possible trouve source dans les différenciations radieuses, l’installation dans l’ardeur d’une promesse. Le poète insiste sur l’invention des passages, l’ouverture de voies, l’idée de relation, « L’altérité ultime devient le tout-possible », la création échappant à la fixité, « Ce cheminement nous dit qu’il n’est tumulte d’écarts qui ne s’apaise et ne goûte le concert d’une différence nouvelle, d’un écart renouvelé, riches de l’âme des anciens, forts du sucre des premiers, dépassant leurs propres sources, les magnifiant ainsi », l’instance des migrations inouïes, « L’identité la plus saine est une confiance qui ouvre et qui appelle, qui va au change aussi », l’élection d’un autre imaginaire, la plénitude intraitable du don, l’accueil comme exigence, les lieux sensibles, le vivre ensemble « multi-trans-culturel », les combinaison utiles à la survie, la cartographie des désirs erratiques…
L’auteur n’oublie pas les inversions possibles, « Quand son accomplissement n’est pas assuré, qu’il ne parvient pas à construire sa personne, l’individu rebrousse chemin dans l’absolu communautaire ou dans l’égoïsme marginal et stérile », le repli en absence du monde, les barbelés et les cerbères, les irruptions de l’impensable…
J’ai largement puisé dans les mots et les images de l’écrivain, « le trésor partagé des ombres et des merveilles », tout en tentant de « démasculiniser » la langue. Je ne saurai cependant rendre la richesse du tissu linguistique, la force de l’énonciation, l’inscription particulière des deux faces du monde… « Voici ce que je balbutie et que j’asserte là : les migrances sont une des forces de la Relation. Elles ne sauraient manquer à la santé relationnelle du monde ».
Reste une question qui détruit partiellement l’engagement du récit, assourdit la parole du poète, grisaille les hautes couleurs de l’écrivain, assombrit l’ode à la liberté, voile ce soleil des rives du monde… l’absence des sœurs migrantes.
Le masculin ne saurait représenter les deux sexes, leurs exigences propres ou communes, les Droits des êtres humains.
Comment ne pas souscrire aux commentaires féministes sur la Déclaration des poètes
(https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/01/26/declaration-des-poetes/).
Nous parlons ici d’êtres humains, de poètes et de poétesses, de femmes et d’hommes, de migrant·es et du traitement infâme qui leur est réservé. « D’ailleurs, nous sommes d’ici ! »
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