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Citations de Pierre Assouline (1082)


Incrédule, il secoua la tête de droite à gauche puis retourna à son poste d’observation face à la mer. Soudain son corps se mit à trembler de tous ses membres. Les premiers signes d’une détresse respiratoire se manifestaient par le saccadé de son souffle. Un médecin accourut, l’allongea au sol et lui fit une piqûre qui le calma aussitôt. Quelqu’un derrière moi évoqua le syndrome du lac Ladoga. Cette légende rapporte qu’un cavalier poursuivi par une horde de cavaliers qui voulait le lyncher, une fois parvenu aux rives des eaux glacées, n’hésita pas à les franchir pour se réfugier de l’autre côté et échapper à ses poursuivants ; une fois en sécurité, il se retourna, contempla cette glace qui aurait pu mille fois se briser sous les sabots de sa monture ; et c’est seulement après avoir pris conscience du danger que la peur s’abattit sur lui ; alors, pris de frayeur rétrospective, son cœur cessa de battre.
En regardant autour de moi, je croyais reconnaître sur tant de visages l’effroi de ce cavalier.
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Si tout paquebot a partie liée avec le théâtre, le huis clos n'en est pas la seule raison. Le pont-promenade fait office de scène, et les cabines de coulisses. La salle à manger, le fumoir, le salon de musique, le salon de conversation sont des décors secondaires, ce dernier surtout qui fait penser à une volière avec sa houle de chapeaux. Passagers et équipage sont en représentation, chacun dans le rôle qui lui est assigné par la société ; mais, selon qu'il s'en échappe, le détourne, le travestit avec plus ou moins de réussite, et selon que l'homme maîtrise ou non les circonstances, la pièce que constitue toute croisière devient une comédie ou vire au tragique. Il en faut peu pour que cet échantillon ne parte à la dérive.
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Ma grand-mère n’étant pas du genre à se laisser effrayer par le silence des espaces infinis, et encore moins par le seul spectacle de la rivière Cady déchaînée, nous pouvions passer de longs moments côte à côte, sa main accrochée à mon bras, sans échanger un mot mais sans que cela créât le moindre embarras entre nous. Elle avait le don de savoir se taire en plusieurs langues ; je l’aimais aussi pour sa tendance à toujours privilégier la légèreté de l’implicite, au risque de l’ambiguïté et de son lot de malentendus.
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Le 1er août, la mobilisation générale appelait Nissim à rejoindre son unité. Il s'y précipita doublement, en tant que français et en tant que juif.

Il fallait sauver la France de Bouvines, de Rocroi, de Valmy. C'était aussi la France qui avait rendu les honneurs au capitaine Dreyfus pour se faire pardonner de l'avoir injustement humilié. Il y a quelques mois, cette France-là voyait pour la première fois un israélite, le philosophe Henri Bergson, accéder sous la coupole de l’Académie française à la qualité d'immortel.

(…)

Comités et associations s'activèrent pour rassembler quelque cinq mille volontaires juifs étrangers et les intégrer à l’armée française. Léo Allalouf rassembla 600 Ottomans, Fausto Bambrini 400 Italiens, Jean Nevak autant de Tchèques... Parmi eux, le Suisse Edmond Fleg, quarante-deux ans, écrivain et père de deux enfants ; le Russe Joseph Kessel, pilote de dix-huit ans... Leur présence attestait qu'ils ne croyaient qu'aux histoires dont les témoins se faisaient égorger.

40 % des volontaires étrangers engagés pour la France étaient juifs.
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S'il est une maison qui se distingue déjà, c'est bien celle du 63. Comme s'il était écrit qu'elle aurait un destin. En effet, avant de devenir l'hôtel Camondo, l'hôtel Violet eut une autre vie. Une existence de papier, de rêve et de fiction. Par la grâce d'un grand roman, ilm était passé à la postérité. Et ce n'est pas un hazard s'il s'agissait de roman de la spéculation foncière. De cette maison, Emile Zola avait fait un symbole. Pour des centaines de milliers de lecteurs à travers le monde, l'hôtel Saccard existe bel et bien. Il est pour ainsi dire le personnage principal de La Curée (1872), le deuxième volume des Rougeon-Macquart.
Note du copiste: le lieu cité: parc Monceau- Paris
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Prénommer son fils Nissim, c'était le marquer pour la vie. Lui assigner dès la naissance un devoir de mémoire et une obligation de fierté. Le distinguer d'emblée non seulement de ses compatriotes, mais de ses coreligionnaires, car ce prénom était rare chez les israélites français. Il était le pluriel de l'hébreu nes qui signifie " miracle " .
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- Ah, Bauer ??? A force de faire des citations, vous mourrez un jour d'une rupture d'aphorisme !
Il l'avait dit sans malice, sans même la conscience d'un merveilleux jeu de mots, en toute candeur et n'attendait rien en retour, ignorant de l'effet produit. Il avait visé juste car on me faisait parfois le reproche de trop citer, mais comment faire autrement : comme tout lecteur compulsif, je suis couturé de mots, de phrases, de formules qui deviennent autant de citations, avec tout ce que cela peut avoir de pédant, dès lors que je les sors du livre qui en est l'écrin pour les détourner à mon profit; si je n'en cite pas l'auteur, on m'accuse de vol, d'appropriation, de plagiat: si je le cite, je passe pour un cuistre, ce qui est d'autant plus absurde qu'il a certainement emprunté à un autre avant lui sans payer sa dette, et ainsi de suite en remontant jusqu'aux Sumériens car on n'invente jamais rien; le dilemme est insoluble, à moins de renoncer à lire à jamais; le pire, c'est qu'à force ce processus avait fini par relever tant de l'inconscient que d'un réflexe naturel.
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C'est bête mais en le quittant toujours attablé et se saisissant enfin de son journal, alors que nous nous adressons un léger signe d'au revoir avec la certitude partagée de ne jamais se revoir, je ne suis plus ni français ni espagnol, ni juif ni séfarade, car il y a des moments dans la vie où il faut savoir se mettre en congé. Tous ces moi se placent naturellement à distance. Il n'en reste plus qu'un. Le seul vraiment concerné. Juste un père de famille.
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Dans son "Dictionnaire des idées reçues", Flaubert avait dit l'essentiel en trois mots : "Noblesse. La mépriser et l'envier."

(page 163).
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Quand il repère un personnage dans la rue, le photographe procède comme un sculpteur inuit face à son bloc de pierre. Celui-ci tourne autour sans le toucher pendant des jours et c'est uniquement lorsqu'il sent qu'un ours blanc l'habite qu'il sculpte un ours blanc. Cartier Bresson n'agit pas autrement, sauf qu'il condense tout ce processus en quelques secondes avant de tirer. Il a comme nul autre l'intuition de la forme dans l'instant.
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Les déportés de retour des camps n'étaient pas à la fête. On les devinait gênés d'être là, comme s'ils se sentaient en trop dans le paysage. On préférait éviter ce dont leur regard inhumain témoignait. Leurs silhouettes n'étaient plus qu'un cri silencieux. Comme le rappel d'une faute et d'une culpabilité collectives. Un peu plus tard, en Israël, on les appela les savons. Ils embarassaient tout le monde.
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... je prenais conscience que les sentiments que nous éprouvons pour des personnages de fiction ne sont pas nécessairement fictifs : ils peuvent être semblables à ceux que nous éprouvons pour les vraies gens de la vraie vie.
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La fiction était pour lui (Kipling) une échappatoire, un moyen de vivre par procuration d’autres vies que la sienne, une façon de fuir une existence terne, sa manière à lui de canaliser sa violence. Elle lui procurait un équilibre relatif.
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- Début de l'exode -

Robert Weber, notre chef caviste, ne m'avait jamais paru aussi déterminé. Avec l'aide de Fernand, son aide caviste, d'un pompier parmi les plus costauds, d'Achille le plongeur de batterie que le gros œuvre n'effrayait pas et des gens de l'économat, nous avions constitué une équipe de terrassiers. Car Weber avait formé le projet un peu fou de soustraire ses meilleurs millésimes à l'envahisseur. La France avait peut-être perdu une bataille et la guerre mais ne lâcherait pas ses grands crus. Puisque la défaite était là et bien là, l'occupation ne faisait guère de doute. "Ils" seraient bientôt à Paris.
Dans les meilleurs hôtels donc à Lutetia.
...............................................

Aussi fit-il aménager aménager sous sa cave, entre les passages et les gaines de ventilation du troisième sous-sol, un petit tunnel parallèle à la rue des chablis. Le tout dans le respect des normes de sécurité et d'une hygrométrie parfaite. On pataugeait dans la boue et il fallait se tenir voûté pour y circuler mais au bout de trois jours de travaux acharnés, le corridor fut correctement étayé. Combien de bouteilles y avons-nous entreposées sur les soixante-quinze-mille que la cave abritait ?Et combien de fûts? La qualité m'a davantage marqué que la quantité. A haute voix, le chef caviste faisait de mémoire l'appel des heureuses élues en arpentant les allées tel un général à la revue de ses troupes.
"Margaux 1929, ça, c'est sûr et toutes, s'il vous plaît, Lafite 1914, Yquem1913, non, pardon, 1923! Filhot 1916, Bonnes-mares 1933, Richebourg 1929, Meursault-Génevrières 1938, Château-cheval-blanc 1929.... Et puis Pommery 1928 bien sûr....Attention avec les bouteilles de cognac Hine de 1893 et de porto da Sylva de 1900 et 1847, malgré leur grand âge, transportez les dans vos bras avec la prudence réservée aux prématurés....."

Quand le grand transbordement fut achevé, on reboucha l'orifice en édifiant un mur de briques parfaitement aligné sur les autres.

"Voilà c'est fait, dit-il avec une pointe d'émotion comme s'il n'était pas sûr de les revoir un jour. Prions pour le salut de leur âme."
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[...] ... [Hergé] est sincère quand il dit vouloir éviter de passer à la télévision tant il s'y sent mal à l'aise. A chaque fois qu'il a la faiblesse d'accepter, il en revient avec le sentiment d'avoir été piégé, convaincu que nul ne l'a écouté, chacun s'étant accroché à l'apparence plus qu'au fond. Même sa prestation à "Apostrophes" l'a déçu. Cette vieille défiance envers la petite lucarne trouve son origine dans un incident survenu en 1972. Hergé avait été invité à l'émission de Philippe Bouvard à l'occasion du lancement du film, Tintin et le lac aux requins.

- "Qu'est-ce que vous avez fait dans ce film ?" demanda l'animateur à Hergé.

- Eh ! bien, je l'ai supervisé ..."

Quatre fois, Bouvard lui reposa la même question au cours de l'émission. Quatre fois, Hergé lui opposa la même réponse, de plus en plus embarrassée. Les habitués sentaient déjà le vent du boulet. Pas le principal intéressé, encore plus candide qu'à l'accoutumée. Jusqu'à la cinquième et dernière reprise avant le KO final :

- "Alors, monsieur Hergé, en-dehors du requin, qu'est-ce que vous avez fait dans ce film ?"

L'interpellé resta sans voix. Tétanisé. Il ne prononça pas un mot de plus de la soirée, y compris après l'émission. Jamais il ne pardonna à Philippe Bouvard. ... [...]
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Dès la mobilisation générale, Abraham Bloch, un rabbin de cinquante-cinq ans, s'était porté volontaire pour être aumônier du 14e corps d'armée. Dans les tranchées, il souriait quand on lui donnait naïvement du « M'sieur le curé ».

Le 29 août 1914, pendant la contre-offensive française sur Taintrux et Anozel, alors qu'il s'activait avec des brancardiers, il fut atteint par un obus à la cuisse et par une balle à la poitrine. Il succomba à ses blessures. C'était un samedi.

Le père Jamin, aumônier et brancardier dans la même section, rapporta cet épisode tragique dans une lettre à un autre prêtre, lequel était en relation avec la famille Bloch à Lyon. Il y précisait qu'en fait le rabbin avait été atteint alors qu'il apportait un cruciftx à un gisant qui le lui réclamait. Bien que son ambulance fût prise sous le tir nourri du feu ennemi, il n'hésita pas. Malgré le danger, il se précipita pour faire baiser la croix au mourant.

On ne sut jamais si cette histoire était rigoureusèment authentique. Elle n'en fut pas moins aussitôt répercutée par la presse. Le peintre Lévy-Dhurmer en fit un tableau, promis à une large diffusion sous forme de carte postale. Tous les milieux la diffusèrent. L'union sacrée avait trouvé son image d'Épinal. Qu'importe si elle était plus vraisemblable que véridique. Au chevet d'un martyr, elle scellait la reconciliation de Français qui, il y a peu encore, ne s'aimaient pas.
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Les convertis étaient souvent tenus pour des traîtres, cheval de Troie sinon cinquième colonne d'Israël.

Cette réaction viscéralement hostile plongeait ses racines dans l'affaire Deutz. Converti au catholicisme, Simon Deutz, le propre fils du grand rabbin de France, était entré dans les bonnes grâces de Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry. On le savait dans son intimité. On le présentait même comme son homme de confiance, une expression à laquelle la suite des événements donna un goût amer. A la chute des Bourbons, après avoir suivi Charles X dans son exil, elle était rentrée en France. Avec les légitimistes, elle voulut soulever la Provence puis la Vendée contre Louis-Philippe.

Or en 1832, alors qu'elle se cachait, Deutz la livra à la police. Traître et vénal. Car il eut beau exciper de son patriotisme, et prétendre qu'il voulait éviter l'invasion de la France par les alliés russes de la duchesse, il avait tout de même touché 500 000 francs de Louis-Adolphe Thiers, le ministre de l'Intérieur, pour commettre son forfait.

Le scandale eut un fort retentissement. Le grand rabbin resta sourd à ceux de son entourage, les plus politiques, qui l’imploraient de désavouer son fils. Tout au contraire, il le fit revenir au judaïsme.
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Qu'opposer au spleen né du sentiment de l'irréversible écoulement du temps ?
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Ah, la grande famille des Lettres ! Et ce n'est rien quand on songe au surnom dont est gratifiée par les gazettes Judith Gautier, fille de Théophile, la première femme élue au jury en 1910: " la peste pontifiante", ce qui est une douceur par rapport à ce qu'écrivait d'elle Jules Renard auquel elle succède, suprême ironie, au 2ième couvert : " une vieille outre noire, mauvaise et fielleuse, couronnée de roses comme une vache de concours."

(pp.29-30)
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On dit souvent à juste titre qu'un livre peut changer notre vie, ce qui 'est un avis de lecteur. Mais on oublie de préciser qu'un prix peut changer une vie, ce qui est un avis d'auteur.

(p.17)
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