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Citations de Pierre Bergounioux (358)


C’est parce que nous sommes restés très longtemps sédentaires, rêveurs ou insurgés, provinciaux, dans un univers mal désenchanté, que les livres furent inséparablement, pour nous, révélation et délivrance. Comment la jeunesse d’aujourd’hui s’y retrouverait-elle ? C’est d’un univers soudain révolu qu’ils parlent et celui qui l’a supplanté affiche ouvertement son offre et ses prétentions. Pour ces diverses raisons, qui ne tiennent pas à la littérature ni à son enseignement, mais au cours des choses, à la conversion d’une vieille nation à la culture néo-libérale, je nourris quelques inquiétudes non seulement sur l’enseignement de la langue et de la littérature, mais sur leur existence future
p. 58 - 59
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C’est une humanité d’une autre sorte qu’on peut observer à l’état naissant derrière les murs des collèges et des lycées. Conditionnés de la plante des pieds à la pointe des cheveux par les multinationales de la bouffe et des fringues, de la musique en boîte et de l’électronique, vecteurs de logos, de stigmates corporels, acquis au langage cynique, ordurier du sous-prolétariat intellectuel que le groupes financiers ont placé aux créneaux des médias, les innocents d’aujourd’hui construisent une identité autre, aliénée, à peu près entièrement réifiée. Ils confient à des « produits » le soin d’être et de parler pour eux
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C’est pour être restés à l’écart de l’échange généralisé, de l’évaluation strictement monétaire que les êtres, les objets, les heures se sont présentés comme autant de mystères enivrants ou terribles aux yeux de tous ceux qui tentaient d’en fixer les contours, d’en percer la teneur. La campagne désuète et charmante, les replis du cœur, les chambres de l’enfance, un cageot, un galet ne furent des énigmes qu’autant que la terre échappait à sa vérité nue, potentielle, de moyen de production, les sentiments aux « dures exigences du paiement au comptant », selon la formule de Marx, et au fétichisme de la marchandise, la vie à la finalité consumériste qui en épuise les propriétés. [...]

La première génération du XXIe siècle est essentiellement différente de toutes celles qui l’ont précédée. Elle ne saurait se reconnaître dans la littérature qui en conserve la trace. Affranchie des anciennes limitations spatiales et mentales par le développement des transports et des communications de masse, impatiente et désabusée, elle habite le non-lieu (l’expression est de Marc Augé) qui est en passe de couvrir toute la surface du globe, avec ses barres et ses tours, ses aires commerciales coiffées des mêmes sigles lumineux, ses parkings, ses rocades et ses dalles, ses ZUP et ses ZEP, ses immeubles de verre fumé, d’aluminium brossé, son bureau à moquette beige, ordinateur et plantes en pot. Connectée sur le Net, tripotant ses portables, elle est démonstrative, prolixe et approximative, dispensée de la concision et de l’exactitude de l’âge, tout proche, encore, où l’on ne parlait qu’avec la permission des adultes, où la sonnerie stridente du téléphone noir, lorsqu’elle vous faisait sursauter, annonçait un accident, une naissance ou un décès.
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Dans son rapport sur la situation politique de la République prononcé le 27 brumaire an II devant les Citoyens Représentants du Peuple, Robespierre déplore la faiblesse des moyens de communication qui a déjà troublé, on l'a dit, la vie domestique à Königsberg :
"Ce n'est pas pour un peuple que nous combattons, mais pour l'univers, pour les hommes qui vivent aujourd'hui, mais pour tout ceux qui existeront...
Plût au ciel que ces vérités salutaires, au lieu d'être enfermées dans cette étroite enceinte, pussent retentir en même temps à l'oreille de tous les peuples !
Au même instant, les flambeaux de la guerre seraient étouffé, les prestiges de l'imposture disparaîtraient, les chaînes de l'univers seraient brisées, mes sources des calamités publiques taries, tous les peuples ne formeraient plus qu'un peuple de frères, et vous auriez autant d'amis qu'il existe d'hommes sur la terre."

(page 24)
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Savoir n'est pas nécessaire. D'abord ça suppose qu'on prenne du recul, qu'on s'arrête un peu et le temps manque. Il y a trop à faire pour qu'on s'offre le luxe de s'interrompre un seul instant. Les choses sont là, obstinées dans leur nature de choses, corsetées de leurs attributs, rétives, dures, inexorables. Elles ne livrent leur utilité qu'à regret. Elles réclament toute la substance des vies qu'elles soutiennent. Encore le temps dont celles-ci sont faites ne suffit-il pas toujours. Il faut y verser quelque fureur. C'est à ce prix qu'on demeure.
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La littérature ne naît pas d'elle-même. C'est au monde qu'elle emprunte sa substance.
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Je ne sache pas qu'il y ait un sens à la vie. Le mieux qu'on puisse faire, c'est de passer avec nos semblables le temps qui nous est départi parmi les choses qu'on a touchées, les bonnes, de préférence. Mais c'est pure supposition de ma part. Aussitôt que rien ne me retient plus, je me hâte de regagner la lande, qui proclame sans phrase l'essence de notre condition : un inutile et bref intermède d'individuation entre deux éternités de néant. Je m'arrête juste avant, sur la frange disputée où l'épilobe et le sureau poussent dans des voitures un peu anciennes
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Le monde existe par deux fois, dans les choses et dans nos esprits, qui en sont la modalité subjective. La littérature ne figurait pas dans le jeu des possibles que j'ai touché en dotation. Il a fallut attendre l'âge de vingt ans, d'arriver à Paris, pour croiser des gens qui regardait le fait d'écrire et de publier comme un élément, parmi d'autres, de leur style de vie. C'est qu'ils appartenaient, de naissance, à des univers sociaux privilégiés, dominants, dotés d'une légitimité dont la nôtre, à cent-vingt lieues de là, c'est-à-dire avec un ou deux siècles de retard, était dépourvu.
J'ai pris la mesure du dénivelé qui nous séparait de l'expression approchée de l'expérience, en quoi consiste la littérature. Si je voulais combler, dans le temps d'une vie, l'écart que l'histoire, le développement inégal, l'antique opposition entre la grande-ville et l'arrière pays rural avait creusé, je n'avais plus une minute à perdre.
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Pour la première fois dans l’Histoire, la force de combat, qui n’est jamais que la force de travail appliquée à une besogne négative, à une désutilité calculée, massive, possède l’aptitude à formuler le réel comme expérience du présent, sur site. La généralisation de l’instruction primaire, l’ouverture de l’enseignement secondaire dans les pays développés, restituent aux acteurs le contrôle de la narration qu’ils avaient abandonné, dès l’origine, à la caste lointaine, fermée, orgueilleuse, des lettrés.
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Ce que le siècle des Lumières et celui des révolutions ont conçu de plus haut, de meilleur, a migré, à cet instant, dans la cervelle fragile d’un activiste qui déchiffre, comme à livre ouvert, le sens des événements et leur dimension planétaire dans le chaos de l’automne 1917.
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C'est pourquoi je regarderais les craintes qui veillaient au coin d'un rue, le long d'une bâtisse exiguë, parfois, mais parfois monumentale, comme dûment fondées, et légitimes les ruminations et les initiatives qui s'ensuivaient. Il me semblait que les matériaux médiocre, les ressources réduites qui avaient obligé à faire vite, sans égard qu'à la plus stricte nécessité, la couleur passée, datée qui en teintait la masse, faisait à quiconque séjournait là une vie étriquée, bistre, anachronique, sans espérance. De larges surfaces, qu'il me serait facile de découper sur un plan de la ville, étaient comme grisées, leur traversée une affaie qui n'était pas indifférente. Je suivais des itinéraires parallèles. Il s'agissait de préserver quelque chose que n'avait pas de nom, trop profondément enfoui dans cette ombre où ce que nous sommes vraiment repose à moins qu'il ne fût un prolongement de l'enfoncement et du sombre ambiants.
J'ai vainement attendu qu'un homme d'un certain âge prononce les mots, en petit nombre, qui en fixeraient le contour, la nuance, la teneur dans l'espace intérieur. De les connaître nommément, pour ce qu'ils étaient, n'aurait pas dissipé le déplaisir qu'ils m'inspiraient. Mais celui-ci serait devenu tout simple, sans le mécontentement second qu'y ajoutait le fait dena pas savoir si c'est à ma personne ou à la réalité qu'il tenait. Or, cette dernière ne suscitait pas de réserves, autour de moi. On s'en accomodait sans phrases, sans dommage apparent. La première hypothèse -que c'était de mon fait, ma faute - s'en trouvait corroborée, ma peine redoublée. Et c'est en cela, je pense, que consistait l'élément sain, le reste ou plutôt le germe de raison enfoui dans la confusion des commencements. J'ai douté d'être fondé à douter des évidences partagées. j'ai attribué ce qui n'allait pas à ma conformation déplorable et non à quelque déficience de la réalité.
L'acte devance la pensée. Une pensée que nous ignorons, quelqu'un que nous sommes à notre insu et qui en sait plus que nous, me poussent, si loint que je remonte, à briser le cercle primitif. En l'absence, encore, de visée, de la moindre idée d'un bien positif déposé à mon intention
- comment saurais-je? - dans le vide environnant, je cherche à me soustraire à la contrariété diffuse, le plus souvent, masi parfois pénétrante du périmète urbain.
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Tout homme, postulait je ne sais plus quel écrivain anglais, porte en lui la matière d’un livre, celui de sa vie. À côté des volumes réels serrés sur les rayons des bibliothèques s’étendent, à perte de vue, les rangs fantomatiques des récits qui jamais ne turent écrits, soit que l’auteur n’ait pas trouvé les mots, soit qu’il n’ait pas survécu à la chose.
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C'est toujours elle, l'eau, ou lui, le temps, mais ils s'arrêtent, par exemple, de passer. Quelque chose de fugitif ou de facile, avancer d'un pas, dire un mot, va demander des heures, une peine infinie.
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Ce fut décidément pour ces hommes et ces femmes - ou cet homme de trente siècles qui eut nom Baptiste et cette femme de trois mille ans qu'on appela Miette, et pour Jeanne, encore, qui était déjà un peu étrangère - un rude baptême, un passage mouvementé que celui qui les conduisit de l'éternité au temps. Ils n'eurent même pas le temps de se retourner, de considérer tout ce qui, à cet instant, se passait à grand bruit, en ce lieu où ils vivaient et mouraient et renaissaient depuis le fond des âges, identiques à eux-mêmes, inchangés, tels que la terre, les choses, sans interruption, les avaient requis.
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C'est peut-être pour ça que les filles, alors, on les appelait Marie. Le mot contenait sans doute une allusion à la Mère du Sauveur, à ses sainteté et bénignité, mais il ressemblait un peu, aussi, à des vocables comme Truc, Machin, avec son féminin, Machine, et l'acceptation que prend ce dernier lorsqu'il est commun - machine.
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Un passé enténébré, trahi,réclamait, pour aboutir, ce temps - le présent - que j'ai cru m'appartenir. Avant l'examen, d'abord. Je rentre de la bibliothèque où je suis, le samedi après-midi, à me noircir les doigts aux livres flétris que j'extrais sans ordre ni méthode des rayonnages de chêne.
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Les bêtes ont reçu les ailes, les crocs, les poisons, leur livrée verte ou sable pour se maintenir en vie – c’est leur lot de bêtes – et nous, les lumières de la raison. Seulement elles jettent, ces lumières, sur les choses, quand on finit, un peu, par les connaître, un jour tel qu’on n’en a plus tellement envie. Le premier à avoir établi que penser nous qualifie en propre et qu'à ce faire, notre existence trouve son accomplissement, celui-ci s'avise aussi, lors de l'hiver 1619, dans l'Allemagne dévastée où il guerroyait, que sa douleur augmente avec son savoir. De sorte que la plus haute lucidité coïnciderait avec la pire souffrance et que si nous ne possédions que cette triste faculté, que sa clarté d'éclipse, nous n'aurions pas le cœur à rester.
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Mon père parlait. J'entendais sa voix sourde, que le temps, l'opiniâtre lutte à mort que j'avais soutenue pour vivre avait contrebattue, raréfiée, annuïe. Ce qu'elle disait, qui surgissait entre nous, dans le rayon jaune, c'était vraiment les choses, le temps où nous avions été enfants, mon frère et moi, les années de bonheur qu'il avait eues avec nous après avoir connu l'inquiétude et le chagrin, essuyé les fureurs d'un monde naissant partout à lui-même.
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Ils étaient toujours occupés, même quand on ne leur voyait pas d'activité précise, qu'on avait la légèreté de croire qu'on ne fait rien quand on est assis dans un fauteuil, les yeux dans le vague alors qu'eux l'étaient. Ils mettaient un temps considérable pour détourner leurs pensées de choses qui devaient être extrêmement compliquées, ajustées au dixième de millimètre, comme des machines-outils, ou vastes, encombrantes comme des buffets à deux-corps avec des rosaces, des colonnettes, des sculptures en bas-relief et des garnitures en bronze,
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Puis la guerre arrive, au sens propre du terme. Elle ne se contente pas d'enlever sans retour les hommes du hameau. Elle s'y présente en personne avec son cliquetis de chenilles, ses soldats bigarrés pareils au couvert végétal, le fracas inouï des canons à tir rapide. Elle s'introduira jusque dans la maison pour s'emparer de Baptiste et tombera sur Miette qui en a vu d'autres.
Puis elle reflue, emportant son tumulte éphémère, ses machines, abandonnant des chapelets de douilles sur le chemin, un jerrycan gris où Baptiste transporte le mélange de la tronçonneuse à chaîne et, pour Jeanne et pour lui, le fantôme de l'enfançon - Pierre - qu'elle leur a pris.
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